Dans un paradigme naturaliste (matérialiste), les idées, visions du monde, concepts philosophiques, lois sociales, décisions et choix etc. ne tombent pas d'un ciel spiritualiste mais sont les résultats provisoires de déterminants de toutes sortes, connus et bien souvent encore inconnus.
Quid du concept de justice dans ce cadre ? Émane-t-il d'un pur esprit détaché de toute influence "bassement matérielle" ?
Nous savons que le "ventre" constituerait un second cerveau... Il est vrai qu'il existe de plus en plus de preuves du rôle du microbiote intestinal (bactéries intestinales principalement) dans la régulation du comportement socio-affectif chez les animaux. Des recherches antérieures sur des souris sans germes présentaient des déficiences sociales et une réduction des comportements anxieux.
Des études ont montré que l'implantation du microbiote d'humains atteints de troubles du spectre autistique chez des souris les a amenés à afficher des comportements de type autistique dans une sorte de contagion surprenante...
Par ailleurs, l'implantation des selles de patients dépendants de l'alcool a induit des déficiences sociales chez la souris, reflétant semble-t-il les difficultés affectives et sociales observées chez ces patients alcoolisés !
Des souris et des hommes : un même destin nous dirait Steinbeck ?
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Dans ce cadre d'un comportement social qui pourrait être étroitement lié aux interactions intestin-cerveau, une étude récente** a testé les effets d'une intervention diététique avec des probiotiques (versus placebo) durant 7 semaines sur un comportement altruiste de punition sociale (= intérêt personnel pour pénaliser un comportement non conforme aux normes sociales = chacun a une aptitude à punir pour le bien commun) lors d'un jeu : l'Ultimatum Game***.
"Les résultats ont montré que l'intervention a accru la volonté des participants de renoncer à une récompense monétaire lorsqu'ils sont traités injustement. Ce changement dans la prise de décision sociale était lié à des modifications des taux sériques à jeun de la tyrosine, précurseur de la dopamine, proposant un lien "mécanique" potentiel le long de l’axe intestin-microbiote-cerveau-comportement. Ces résultats améliorent notre compréhension du rôle bidirectionnel que jouent les interactions corps-cerveau dans la prise de décision sociale et des raisons pour lesquelles les humains agissent parfois de manière « irrationnelle » selon la théorie économique standard."
Ces résultats montrent pour la première fois un effet causal de la modification du microbiote intestinal sur le comportement de punition "altruiste" des humains. Ce résultat confirme donc la capacité du microbiote à influer sur des comportements complexes, sans doute via les composés chimiques qu’il libère dans l’intestin et qui gagnent la circulation sanguine, puis le cerveau.
Le concept d'injustice viendrait des tripes ? C'est sans doute un peu court mais la composante microbiotique intestinale semble - pour partie au moins - intervenir dans l'idée que l'on se fait de la justice et des choix... Et rappelons-nous que les juges sont plus cléments quand ils ont le ventre plein comme semble le montrer une étude... qui ne fait cependant pas l'unanimité****.
Un conseil : avant leur délibération, offrir aux juges et aux jurés un sandwich et 2 yaourts pourrait vous épargner quelques années de "taule"... peut-être.
Dans la rubrique "dis-moi ce que tu manges, je te dirai si tu vas tuer", un autre déterminant digestif peut surprendre : quelques études ont démontré que les aliments ultra-transformés sont nocifs pour la santé, y compris la santé mentale. Les aliments ultra-transformés sont des aliments et des boissons qui contiennent généralement de grandes quantités de sucre raffiné et/ou de graisses et/ou de sodium, contiennent de faibles quantités de fibres alimentaires et de composés phytochimiques naturels (tels que ceux que l’on trouve dans la matrice alimentaire minimalement transformée) et contiennent généralement des additifs tels que des émulsifiants, des exhausteurs de goût, des colorants et des fibres et antioxydants isolés qui ont été retirés de leur matrice alimentaire d’origine. Les aliments qui contiennent cinq de ces ingrédients ou plus sont généralement classés dans la catégorie des aliments « ultra-transformés ».
« Les régimes alimentaires riches en aliments ultra-transformés (et/ou riches en graisses/sucre) ont récemment été associés à la détresse mentale , à divers troubles mentaux, à l'impulsivité, à une moindre préoccupation pour les conséquences futures et à un comportement antisocial/agressif. Des études utilisant la neuroimagerie ont montré que les régimes alimentaires malsains sont associés à des volumes hippocampiques et cérébraux plus petits (...) Sur la base des preuves disponibles dans le domaine de la criminologie nutritionnelle, nous soupçonnons que les apports alimentaires contribuent aux vulnérabilités du comportement criminel (et les accentuent) d'une manière plus conséquente que celle actuellement appréciée dans le système de justice pénale» (The Intersection of Ultra-Processed Foods, Neuropsychiatric Disorders, and Neurolaw: Implications for Criminal Justice).
Ces éléments ont déjà été utilisés du point de vue pénal au USA : c’est l’affaire de la défense « Twinkie », une sorte de petit pain rempli de crème. Résumé : le 27 novembre 1978, Daniel J. White, un ancien employé mécontent de la ville de San Francisco, a utilisé une arme de poing pour blesser mortellement le maire de San Francisco, George Moscone, et le superviseur de la ville. Le procès de White s'est déroulé avec pour défense le concept de « capacité diminuée » - soit une déficience qui n'équivaut pas à la folie, mais qui est capable de supprimer la « préméditation » et d'autres états mentaux pouvant conduire au meurtre. En droit californien, l'accent était mis sur « la capacité mentale réduite, qu'elle soit causée par une maladie mentale, un défaut mental, une intoxication ou toute autre cause ». White encourait la peine de mort... mais il a été épargné grâce à cette « défense de capacité diminuée » : il souffrait certes de dépression... et également d'une alimentation malsaine (sucres++ et gras++ et Twinkies en particulier) qui contribuait à l’altération de son état mental.
Ce régime alimentaire a été présenté comme un facteur de causalité dans sa cognition et son comportement meurtrier (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39483285/).
« Comment le parasite peut-il modifier le comportement d’organismes aussi perfectionnés que ceux des mammifères ? Selon certains travaux, il se logerait en préférence dans l’amygdale, une région cérébrale essentielle pour la réaction de peur et directement connectée au système olfactif. Lorsqu’un animal sain respire l’urine d’un prédateur, cette région s’active fortement et transmet l’information au reste du cerveau ; effrayé, l’animal évite alors le danger. C’est ce mécanisme que le parasite perturberait. »
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* Sherwin - "Microbiote et cerveau social" - Science.366 - 2016 - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31672864/
** "Impact of the gut microbiome composition on social decision-making" - - https://academic.oup.com/pnasnexus/article/3/5/pgae166/7667795
*** Etude classique d'économie comportementale dans laquelle les humains rejettent souvent les récompenses monétaires lorsqu'ils reçoivent une offre injuste. Plus précisément, un participant (le proposant) est doté d'une somme d'argent spécifique (par exemple 10 €) et offre une part de l'argent à un deuxième participant (le répondant), qui peut accepter ou rejeter l'offre. Si le répondant rejette l'offre, aucun des participants ne reçoit d'argent. Lorsque les participants ne jouent à ce jeu qu'une seule fois et avec un autre participant anonyme, il devrait être leur choix économiquement rationnel d'accepter toute offre supérieure à 0 €. Cependant, de nombreuses études montrent que les offres supérieures à 0 € mais perçues comme injustes (telles que 1 € ou 2 € sur 10 €) sont généralement rejetées en raison d'une punition altruiste. On observe dans la pratique que les joueurs refusent parfois les offres trop inéquitables parce qu’ils préfèrent encore une situation où tout le monde perd à une situation où certains gagnent beaucoup plus que d’autres.
[1] Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier (CNRS UMR 5175)
[2] «12 effroyables parasites qui prennent contrôle du corps de leur hôte pour accomplir leur sombre dessein » - https://dailygeekshow.com/12-effroyables-parasites-qui-prennent-controle-du-corps-de-leur-hote-pour-accomplir-leur-sombre-dessein/ et Fatal Attraction in Rats Infected with Toxoplasma gondii
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