Wikipedia

Résultats de recherche

Traduction

Séparer l'Homme de l'Oeuvre ?

On l'oublie trop souvent : l'Homme peut être une femme.

La condamnation d'Olympe de Gouges pour ces écrits (Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne) l'a conduite à une séparation assez brutale de la tête et du corps en 1793. On ne saurait donc être trop prudent sur cette question sensible de "séparation" qui revient sans cesse depuis quelques années.

Léonard de Vinci, Paul Gauguin, Martin Heidegger, Le Corbusier, Woody Allen, Mickaël Jackson, Roman Polanski, Bertrand Cantat, l'abbé Pierre (j'en oublie, non, vraiment ?) se sont retrouvés dans la tourmente ; pour différentes raisons.

Et puis il y a Céline, un cas d'école. Il faut dire qu'il a poussé loin le bouchon. Dans “Bagatelles pour un massacre”, il exprime son aversion pour Léon Blum, le Premier ministre juif de gauche de la France, en précisant : « Je préférerais une douzaine de Hitlers à un Blum tout-puissant »*. Une prise de position politique comme une autre ?


Dans “L’École des Cadavres”** (page 128 -1938), Céline insiste sur le fait qu’il ne devrait y avoir "qu'une seule race en France : les Aryens” ; et il ajoute :

"Les Juifs, les hybrides afro-asiatiques, les quartiers, les demi-noirs et les proche-orientaux, les fornicateurs, les destructeurs, n’ont rien à voir avec ce pays. Ils doivent dégager… Les Juifs sont ici pour notre malheur… Les Juifs ont coulé l’Espagne par métissage… Nous nous débarrasserons des Juifs, ou bien nous crèverons des Juifs…".

Dans son journal de décembre 1941, l’écrivain et officier nazi Ernst Jünger a noté que, pendant deux heures, Céline lui a imposé une diatribe selon laquelle les soldats allemands devraient “tirer, pendre, exterminer les Juifs”. Céline a recommandé que les Juifs soient éradiqués quartier par quartier, maison par maison. "Si j’avais une baïonnette, je saurais ce qu’il faut faire". Certes un témoignage qui reste sujet à caution*** mais qui ne détonne pas dans le paysage Célinien. 

Question : doit-on "juger" les saloperies de ce grand écrivain comme étant les positions d'un cerveau "sain" ou - comme cela a été avancé - d'un cerveau paranoïaque avec un goût curieux pour la scatologie ? Si les nazis avaient gagné, ce qui sur le papier n'était pas impossible avant Pearl Harbor, Céline serait jugé simplement comme étant dans la norme sociale... Mais du fait que le nazisme a perdu la guerre, dans le premier cas (cerveau "sain") il est "coupable", dans l'autre (paranoïa) il est seulement "malade". 

Pas simple.

Et Gabriel Matzneff ? Juste un prof d'éducation sexuelle ou un pervers ? Dans cette vidéo, le réquisitoire de la canadienne Denise Bombardier est d'une actualité criante mais apparemment fortement décalé pour une certaine France à l'époque de l'émission (1990).


Les jeunes filles étaient "consentantes" selon Matzneff. 
Le consentement a, comme tout ce qui existe, une histoire... quelque peu malmenée durant des siècles dans notre société occidentale, avec une sorte de droit de cuissage qui s’est prolongé bien après le Moyen-Age. Depuis 2021 en France, donc bien après l'épisode Matzneff, il n’est plus possible de se réfugier derrière le pseudo-consentement d’une jeune fille ou d’un jeune homme pour se dédouaner d’une poursuite pénale pour viol. Un adulte n'a pas le droit d'avoir des relations sexuelles avec un enfant de moins de 15 ans (art. 227-25 du Code pénal). Cela est même considéré comme une circonstance aggravante (art. 222-29 et 222-24). Après 15 ans, en cas d'accord, un.e adolescent.e peut avoir des relations sexuelles avec un adulte sauf si ce dernier est l'un de ses ascendant.e.s (parent, grand parent...) ou s'il est amené à s'occuper de lui/elle (beau parent, professeur, moniteur sportif, animateur, curé...). 

Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, les relations sexuelles constituaient un devoir (pour les femmes...) qui pouvait être exigé en France par la contrainte jusqu’en 1980. Non seulement on pouvait faire appel à la police pour obliger le conjoint récalcitrant à regagner le domicile conjugal, mais il était aussi possible d’obtenir ses faveurs par la violence physique si nécessaire. La jurisprudence avait décidé qu’il ne pouvait pas y avoir de viol entre époux, tant que le mari avait imposé à son épouse une pénétration vaginale. Ce viol entre époux n’a été consacré que par la loi du 4 avril 2006. C’était hier. Malgré des avancées évidentes, il faut savoir que 90 % des plaintes pour viol conjugal sont actuellement classés sans suite[1]

Au-delà, les rapports d’emprise ou de domination au sens large (homme / femme ; employeurs / employé(e)s ; riches / pauvres ; célèbre / inconnu(e) ; hiérarchie religieuse / simple croyant etc.) sont sources d’exploitations diverses ; dont sexuelles. S'il est impératif fort heureusement de respecter l'intégrité physique de l'enfant (sauf circoncision hélas...), rien n'empêche malheureusement de maltraiter son intégrité psychique dès le plus jeune âge avec diverses croyances, du Père Noël (pas grave ?) aux dieux du coin et du temps (grave !). 
Et si l'on décidait qu'il n'y a consentement psychique qu'à partir de l'âge 15 ans ? Voilà une proposition qui mettrait la France entière (ou presque) dans la rue ! (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_05_09_archive.html).

Pour en revenir à notre sujet avec une grille de lecture matérialiste, tout est affaire de déterminations, ici morales et culturelles, d'un individu et d'une société dans une époque donnée et un lieu donné. Soit une évolution culturelle en marche sans possibilité de juger le passé a posteriori avec les normes actuelles, faute de quoi nous tomberions dans un anachronisme qui ferait condamner toute l'humanité passée. 
Faudrait-il déboulonner les statues des esclavagistes, mettre à l'index les livres des uns ou des autres, changer les plaques de noms de rues etc. ce qui serait une forme de révisionnisme, de "cancel culture" comme on dit maintenant (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/08/). Le juge de paix ici, ce sont les lois que la société se donne à un moment donné. 
Pourquoi donc ne pas sauvegarder le patrimoine historique au sens large, aussi bien avec ses lumières que ses ombres, ce qui est essentiel pour les générations actuelles et futures, à la condition expresse de contextualiser comme ce fut le cas pour la réédition récente de « Mein Kampf ». 


Garder la plaque et ajouter : "... et prédateur sexuel durant 50 ans".

Ne pas séparer l’Homme de l’œuvre : connaître les deux. 
______________________________________________

 * https://web.archive.org/web/20180505104026id_/http://pourlhistoire.com/docu/bagatelles.pdf

**https://ekladata.com/mH4OQdK6gsvxqJ_SSHlFPEUBMXg/celine-louis-ferdinand-l-ecole-des-cadavres.pdf

***https://www.crif.org/sites/default/fichiers/images/documents/celineetude_48-exe_ok.pdf

__________________________________________

Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous