Le matérialisme et le naturalisme sont deux courants philosophiques qui partagent des similitudes, notamment leur rejet des explications surnaturelles, d'une quelconque transcendance, de l'hypothèse d'un dieu quel qu'il soit... Cependant, pour certains philosophes, ces courants semblent diverger sur quelques points fondamentaux concernant la nature de la réalité et la portée de la connaissance.
Le matérialisme (physicalisme) donne la primauté à la matière. Il n'y a pas d'esprit ou d'âme immatérielle qui existerait indépendamment du corps ou de la matière. Les phénomènes mentaux, psychologiques et même sociaux sont expliqués en termes de processus physiques et chimiques au niveau le plus fondamental (ex : le cerveau et ses interactions neuronales). Le matérialisme s'oppose fermement au dualisme (séparation corps / esprit cher à Descartes) et au spiritualisme : tous les événements sont le résultat de chaînes causales matérielles bien souvent chaotiques (voir Chaos...). En l'absence de preuves établies, il n'y a pas de "force vitale" ou de "volonté divine" qui dirigerait les phénomènes rejetant ainsi catégoriquement l'existence de toute entité ou explication qui transcenderait le monde physique et ses lois.
De l'autre côté, le naturalisme (Stoïciens, Spinoza, la majorité des philosophes analytiques contemporains, les philosophes des sciences) est une doctrine philosophique qui se prétend plus large en affirmant que tout ce qui existe fait partie de la nature, et que la nature est le seul domaine d'étude valable. Il s'appuie fortement sur les méthodes et les découvertes des sciences naturelles pour comprendre le monde. Les phénomènes du monde, y compris les phénomènes humains (conscience, morale), peuvent être expliqués par des lois naturelles et des chaînes causales propres à la nature, sans recourir à des principes extérieurs.
A ce stade, on ne voit pas bien pourquoi il faudrait différencier les deux approches.
Ainsi, un naturaliste peut accepter l'existence de phénomènes naturels (comme la conscience ou les lois de la physique) sans les réduire nécessairement à des entités purement matérielles. Le naturalisme est une position qui se veut - pour certains - plus large, moins "engagée" ontologiquement que le matérialisme sur la nature ultime des constituants du monde. Le naturalisme n'est pas une doctrine a priori qui imposerait le déterminisme à la nature, mais plutôt une approche qui s'ajusterait aux preuves scientifiques, en tenant compte par exemple de l'indétermination quantique (hasard "pur" échappant (?) au chaos déterministe). Cependant, l'indéterminisme quantique n'implique fort heureusement pas un chaos total au niveau macroscopique. Les effets quantiques se "moyennent" souvent à grande échelle, ce qui fait que le monde macroscopique apparaît largement déterministe ou prédictible, même si le fond est probabiliste. Le chaos déterministe est d'ailleurs un concept de la physique classique qui montre que même des systèmes déterministes peuvent être imprédictibles en raison de leur sensibilité extrême aux conditions initiales, sans être pour autant l'indéterminisme fondamental de la mécanique quantique tel que décrit dans le modèle standard quantique actuel.
En termes d'efficacité et d'heuristique : est-ce que l'une ou l'autre position est susceptible de fournir - par exemple en sciences - des avancées différentes en quantité ou en qualité ? C'est loin d'être le cas. En fait, pour la plupart des scientifiques, dans les applications quotidiennes, le chevauchement des deux concepts est si important que la distinction semble superflue.
On peut même se demander si ces pseudo différences entre matérialisme et naturalisme ne résident pas dans des résidus spiritualistes non assumés du côté de certains naturalistes proclamés comme notamment les philosophes Marcel Conche ou Daniel Andler, tous deux hostiles à remettre en question un libre arbitre incompatible pourtant avec le matérialisme. Les difficultés de ces naturalistes à abandonner toute forme de réductionnisme radical peut parfois ressembler à une tentative de préserver un espace pour des phénomènes qui, bien que qualifiés de "naturels", semblent échapper à une explication purement matérielle ; un peu comme un "résidu" du spiritualisme et/ou du dualisme qu'ils rejettent pourtant explicitement... Pourquoi vouloir que la conscience ou l'information ne soit pas entièrement et fondamentalement matérielle, si l'on rejette par ailleurs le surnaturel ?
Autre exemple concernant les différences supposées entre émergence "faible" et "forte". L'émergence faible est compatible avec le matérialisme : les propriétés émergentes sont imprévisibles au niveau inférieur, mais entièrement causées et constituées par ce niveau inférieur (ex : les propriétés de l'eau à partir de H2O). L'émergence forte, en revanche, suggère que les propriétés émergentes ont des pouvoirs causaux nouveaux et fondamentaux qui ne peuvent pas être expliqués ou dérivés des propriétés des parties. C'est cette conception que les matérialistes soupçonnent de flirter avec des explications non physiques.
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