La notion d'intention est un concept fondamental en philosophie, en psychologie, en justice... abordant pêle-mêle les aspects de la conscience, de la volonté (libre ?), de l'évolution sous toutes ses formes...
Tandis que l'évolution biologique semble bien se dérouler sans "intention" ni but prédéterminé (en l'absence de l'hypothèse théiste / créationniste impossible à étayer), les humains - fruits de cette évolution "aveugle" - se considèrent pourtant comme des agents intentionnels, avec des objectifs et des désirs.
Ce qui n'est pas sans poser question : comment un univers "sans intention" pourrait faire émerger une intention animale ou humaine ? J'avoue que ce n'est pas la première question qui vient à l'esprit chaque matin au saut du lit.
Et pourtant...
Reprenons.
L'évolution est un processus de sélection naturelle où les mutations génétiques se produisent aléatoirement. Ces mutations peuvent être avantageuses, neutres ou désavantageuses pour la survie et la reproduction. Les mutations bénéfiques sont sélectionnées et transmises aux générations suivantes. L'évolution ne suit donc pas de plan ou de finalité, mais résulte des interactions entre les organismes et leur environnement. Richard Dawkins, dans "Le Gène égoïste", soutient que les gènes sont "égoïstes" car ils semblent œuvrer pour leur propre survie, mais cela se fait sans intention consciente évidemment.
Petite vidéo de présentation de cette idée lumineuse :
Ainsi, les fossiles montrent des changements progressifs dans les espèces, comme le passage des poissons aux amphibiens, illustrant des adaptations successives sans planification. Les découvertes paléontologiques, comme les dinosaures à plumes qui sont les ancêtres des oiseaux actuels, démontrent en quelque sorte l'absence d'intention dirigée dans l'évolution : cette évolution prend de sacrés détours.
A l'inverse, contrairement aux processus évolutifs, les humains se perçoivent comme des êtres intentionnels. L'intention humaine pourrait être définie comme un état mental dans lequel une personne se propose de réaliser une action. Ce concept implique des processus cognitifs complexes, incluant la planification, la prise de décision et la direction des efforts vers un objectif.
On pourrait, comme le philosophe John Searle (voir Searle, arc en ciel et... libre arbitre), distinguer les intentions d'action (prévision de ce que nous ferons lors d'une délibération plus ou moins longue) et les intentions en action (intentions présentes lors de l'exécution de l'action). Bof.
Le philosophe Daniel Dennett (voir Dennet et le compatibilisme) examine l'intentionnalité comme la capacité de l'esprit à être dirigé vers des objets ou des états de choses. Il argue que l'intentionnalité est une caractéristique de la conscience humaine, distinguant les humains des autres êtres vivants. Dans ce cas, le lion chasserait-il la gazelle sans avoir l'intention minimale de la manger ? L'intention plus ou moins préméditée d'agresser le premier venu sans raison apparente (pathologie mentale) n'est pas une intention ? Il s'agit pourtant bien d'une intention dite "volontaire" générée par une pathologie, des synapses et des neuromédiateurs "déficients" dans le cadre de nos lois. Il y a bien intention ici mais notre justice - fort heureusement - prononcera l'irresponsabilité en prescrivant des soins plutôt que la punition carcérale. Cette même justice fait bien la différence entre un "banal" accident de la route mortel et l'action "consciente" d'un chauffard écrasant "intentionnellement" un cycliste.
Dans un cas (accident), intention et libre arbitre ne sont pas concernés, alors que dans l'autre cas (meurtre / assassinat) intention et libre arbitre semblent associés... mais se séparent quand il s'agit d'une hallucination psychotique meurtrière...
Clair, non ?
Effectivement, la notion d'intention est intimement liée à celle du Libre Arbitre. Et il existe deux camps opposés sur cette question :
1) Les déterministes, comme par exemple le psychologue B.F. Skinner (père du « behaviorisme radical »), pensent que toutes nos actions - comme celles des animaux - sont causées par des événements antérieurs et les lois naturelles, niant ainsi la véritable liberté de choix comme la notion de volonté "libre" (Libre Arbitre). L'intention ici fait partie de l'arsenal adaptatif (Psychologie Évolutionniste) permettant de gérer au mieux possible la survie. Le psychologue Geoffrey Miller suggère ainsi que des traits comme la créativité et l'intelligence, qui sous-tendent nos intentions, se sont développés grâce à la sélection sexuelle, car ils attirent des partenaires potentiels. L'animal en fait autant - à un degré certes plus primaire - mais de même nature. L'intention n'est alors que le résultat provisoire des déterminants proximaux et/ou distaux de l'individu ou du groupe. La "mauvaise" intention suivi d'un acte délictueux rend le sujet responsable (= il doit "rendre des comptes") mais non coupable (= pas de punition mais éducation, traitement et éviction sociale si nécessaire => voir Mais alors, sans culpabilité ni punition possible... quefaire ?). Le concept de meurtre "gratuit" sous-entend que meurtrier n'avait aucune "raison", apparemment. Que ce soit un "coup" de folie (voir Un psychiatre sceptique du libre arbitre... à raison !) ou un crime avec préméditation, rien n'est "gratuit" dans tout ceci mais bien plutôt en rapport avec des anomalies cérébrales ou des motivations internes plus ou moins compréhensibles, aussi bien pour les juges que pour l'individu en cause, bien souvent.
La charge de la preuve est de ce côté, évidemment.
... restent les compatibilistes, de loin les plus nombreux, qui estiment qu'il y a un mélange des deux (lois naturelles déterminantes + libre arbitre indéterminé), dans une proportion jamais mesurée évidemment, faisant les belles heures des expertises psychiatriques au pénal (voir Les expertises psychiatriques en justice pénale : un scandale permanent ?).
Tout ceci pose également la question de la limite entre normal et pathologique du point de vue psychique (voir Limite entre santé mentale et pathologie mentale).
Finalement, du fait des conséquences des options différentes sur ces différentes questions, je crois qu'il ne serait pas inutile de se les poser, parfois, au saut du lit... après un p'tit café.
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Pour aller plus loin : le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous