Wikipedia

Résultats de recherche

Traduction

Les expertises psychiatriques en justice pénale : un scandale permanent ?

La Cour Suprême des États-Unis a déclaré que le libre-arbitre est une « fondation universelle et persistante de notre système de justice, différente d’une vision déterministe du comportement humain qui est incohérente relativement aux préceptes de notre système de justice criminelle. »

C'est clair : il nous faut absolument le libre arbitre, non parce qu'il existe, mais parce que l'on en a besoin pour punir sans être taxé de sadique (argument de la conséquence). On constate donc que dans la plupart des pays, l’organisation judiciaire est à contre-sens de ce que dit la science. Ceci ne gêne personne et les scientifiques - neuroscientifiques et psychiatres en tête - qui devraient monter au front de la justice humaine restent bien prudemment derrière le paravent des idées reçues.

Globalement, ce sont les experts psychiatriques qui vont indirectement, peu ou prou, prononcer la peine : l’expert émet un jugement déguisé en diagnostic (fou/un peu fou/pas fou) et joue de fait un rôle de régulateur entre la prison et l’hôpital. 

Dans nombre d’affaires, les juges sont complètement perdus au milieu des avis divergents des experts. Plus l’affaire est d’importance, plus il y a d’experts défilant à la barre, et plus le chaos judiciaire explose au grand jour. Il existe actuellement un grand désarroi ressenti par l’ensemble des acteurs de l’institution judiciaire, l’un des principaux piliers de notre société.

A l’intérieur même de la psychiatrie, les critiques sont des plus sévères. A propos du cas Moitoiret - un malade mental condamné à la réclusion criminelle par deux cours d’assises, - un grand nom de la psychiatrie française, le Pr Jean-Pierre Olié[1] s’indigne, fulmine, s’étrangle... A raison :

« Comment des experts psychiatriques sensés connaître les symptômes d'une maladie mentale peuvent-ils ne pas être capables de s'entendre sur cette question fondamentale ? Comment accorder crédit à une expertise concluant à la responsabilité́, en omettant que l’accusé avait fait un séjour en milieu psychiatrique plusieurs années avant l'acte horrible à l'origine de sa comparution devant une cour d’assises ? Comment neuf experts ont-ils pu s'entendre unanimement sur le diagnostic de trouble psychotique et en conclure, les uns qu'il y avait abolition du discernement et les autres une simple altération et donc une responsabilité (culpabilité) partielle ? ».

Le Pr Olié les « accuse » aussi d’avoir pu affirmer qu’en dépit de sa maladie, l’accusé gardait une part de libre arbitre et donc de responsabilité (en fait culpabilité), et qu'il était justifié de punir ce patient. Il ajoute que désormais, Stéphane Moitoiret aura d'autant plus de difficulté́ à se soumettre à des soins que la justice, donc la société́, « n'aura pas pleinement reconnu sa folie ». Pour le Pr Olié, le cas Moitoiret « signe la faillite de l'expertise psychiatrique » qui est « incapable d'expliquer simplement à un jury d'assises que, même criminel, un malade mental grave doit être soigné ». En mettant Moitoiret en prison, la société conjure sa peur en rajoutant du malheur au malheur. Et le Pr Olié de conclure :

« On ne peut pas accepter que des experts qui ne savent plus ce que veut dire formation continue portent des diagnostics dont eux seuls connaissent la signification. Il faut reformuler la liste des questions qui sont posées par les juges aux experts. Il faut impérativement que nous puissions nous prononcer sur les traitements que l’état de santé des personnes accusées réclame et réclamera. »

Et l’enjeu est de taille comme l’indique la conclusion du rapport sur l’évaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique :

« L’évaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique a de lourdes conséquences humaines, médicales, sociales et judiciaires. C’est l’une des missions les plus difficiles qui puisse être confiée à un psychiatre. Elle nécessite de sa part une grande compétence c'est-à-dire, au-delà d’une formation théorique en sciences criminelles, en psychiatrie légale ou criminelle, en psychologie légale ou criminelle, relative à l’expertise judiciaire ou à la prévention de la récidive, une expérience et une pratique suffisantes de telles missions. Une nouvelle forme de dangerosité serait l’expert sans expérience. »[2]

Voir ce reportage : Le meurtre de Nicky


Pitoyable. Le constat semble clair : il y a quelque chose de pourri dans le monde de l’expertise psychiatrique judiciaire. Concernant ces procès de malades mentaux, le chroniqueur judiciaire Maurice Peyrot brossait en 2001 un paysage judiciaire effroyable, consternant[3]. Rien n’a vraiment changé depuis cette époque.

La dangerosité des délinquants et criminels, le risque de récidive sont des préoccupations légitimes de la société et des instances judiciaires. Encore faut-il se donner les moyens de prévenir et de traiter chaque fois que possible ces déviances plus ou moins graves. Mais demander à des psychiatres d’évaluer l’éventualité d’une récidive, donc la dangerosité d’un criminel, c’est demander à un météorologue quel temps il fera au cours des trente prochaines années dans le jardin du 13 rue des Abbesses à Viry-Châtillon. 

Il ne peut que répondre qu’il faudra voir ça au fur et à mesure, d’une semaine sur l’autre, sur place, durant les trente ans en question... 

La prévision météorologique est assez proche de la prévision de la récidive : 
un chaos déterministe.

Et puis il y a ceux, dans le domaine judiciaire, qui ont compris qu'il ne s'agit pas d'excuser mais de comprendre ce qui peut amener un individu à commettre l'irréparable, comme Maître Emmanuelle Franck, avocate pénaliste qui publie "Comment pouvez-vous les défendre ?" aux éditions de l'Observatoire.

On peut certes discuter sur le concept de "crime" qui serait propre à l'humain : un lion peut tout à fait tuer une portée de lionceaux dans le but de déclencher les chaleurs chez la femelle et ainsi pouvoir la féconder. Quoiqu'il en soit, le concept de "crime gratuit" est parfaitement inepte même s'il n'est pas toujours possible d'en comprendre les motivations aberrantes pour une cerveau humain dit "normal".

Les déterminants sont à l'oeuvre, chez le lion comme chez l'humain, ici comme partout et toujours.


[1] Ancien chef de service de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne et professeur de psychiatrie - http://www.slate.fr/france/81165/affaire-moitoiret-experts-psychiatres-olie

[3] « Les consternants procès des malades mentaux » - 2001- https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2001-2-page-18.htm et « Comment évaluer une personne ? L’expertise judiciaire et ses usages moraux » - https://www.academia.edu/428593/Comment_%C3%A9valuer_une_personne_L_expertise_judiciaire_et_ses_usages_moraux?email_work_card=view-paper&li=0

__________________________________________

Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous