L'argument de (par) la conséquence (argumentum ad consequentiam) est un
raisonnement fallacieux consistant à déduire une conséquence souhaitable d’une
croyance que l’on cherche à prouver[1].
En voici l'un des plus beaux, très habituel concernant le sujet du Libre Arbitre, de la part de ses partisans qu'ils soient religieux - souvent - mais aussi parfois athées :
« si nous
devons être tenus responsables (en fait coupables) de nos actes, il apparaît évident que nous
devons pouvoir choisir entre différentes actions, que nous devons avoir un
libre arbitre »[2]
Cet argument peut-il constituer une preuve concernant l'existence d'une liberté de la volonté, c'est-à-dire du libre arbitre ? Assurément pas.
Pourtant, nombre de philosophes / théologiens qui connaissent parfaitement cette erreur logique nous la servent encore dans leurs professions de foi. Il est vrai qu'il faut à tout prix sauver le "soldat libre arbitre" si l'on ne veut pas mêler Dieu à toutes les saloperies terrestres. Seul l'Humain est coupable, aurait pu et dû faire autrement que de tuer son voisin, sa femme, abuser des enfants vulnérables, des pas-tout-blancs etc.
Mais alors se pose un problème concernant ce fameux libre arbitre qui serait déficient chez certains : comment se fait-il (schéma ci-dessous) que nos prisons regorgent de mâles (95 % des incarcérations), âgés de 18 à 45 ans (pic autour de 30 ans), plutôt issus de milieux modestes ou défavorisés, voire issus de l'immigration avec cumul de tous les handicaps ? Soit de forts déterminants mettant à mal un "libre" arbitre qui serait théoriquement distribué équitablement chez l'humain. Un "mauvais libre arbitre" soumis à de "mauvais déterminants" ? Un libre arbitre déterminé donc. Donc pas de libre arbitre.
Finalement, ces histogrammes ressemblent
furieusement à une courbe de GAUSS, c’est-à-dire une courbe « normale »
de distribution de caractéristiques déterminées
dans une population, quel que soit le déterminant biologique étudié (taille /
poids / pointure etc.) N.B : la tranche 18-19 ans n'est pas équivalente aux autres tranches portant sur 4 ans, ce qui explique la déformation de la courbe de Gauss.
Est-ce que cela émeut quelqu'un que le fait d'aller en prison pour être puni soit déterminé par le sexe, l'âge, les hormones, le milieu social... soit autant de conditions non choisies "librement", excluant de fait toute culpabilité (sans absoudre toute responsabilité) ?
Reprenons l'argument de la conséquence qui dit que X (culpabilité) entraîne Y (punition), et que pour pouvoir punir il faut bien qu'il y ait culpabilité, sans quoi ce serait de la barbarie pure et simple. Ce qui me fait penser au cas des femmes décrétées sorcières car "possédées" par des hallucinations (Y) du fait du diable (X), et qu'il fallait donc brûler... Jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'elles souffraient d'ergotisme (maladie du pain infesté par un champignon parasite). Le lien médiéval diable-hallucination n'était pas plus assuré que le lien, toujours bien actuel celui-là et tout aussi erroné, entre libre arbitre et infraction.
Bien que fallacieux, cet argument de la conséquence est omniprésent dans les écrits de philosophes diplômés comme par exemple Alfred R. Mele qui, début 2010, a lancé le projet « Les
grandes questions du libre arbitre » qui aboutira finalement après quatre ans. Mele croit au libre arbitre et nous confie avoir reçu de nombreux mails de ce type :
"Cher Dr Mele. J'ai récemment acheté un DVD du Dr
Stephen Wolinsky... Il explique, du point de vue des neurosciences, qu'il
n'existe pas de libre arbitre, car nous ne pouvons percevoir une action
qu'après qu'elle a déjà eu lieu. Pouvez-vous m'aider à ce sujet ? Je peux
comprendre que je ne sache pas quelle pensée surviendra ensuite. Mais que cela
se soit déjà produit dépasse l'entendement. Merci, car je suis très
désespéré."
L'objectif
principal de Mele était de réunir des scientifiques et des philosophes pour explorer
les grandes questions du libre arbitre. Le projet comportait également un volet
théologique (?) qui traitait des questions relatives à la liberté divine et à
l’influence possible d’un être suprême sur la liberté humaine. Ce projet a été
financé par une subvention de 4,4 millions de dollars de la Fondation chrétienne John
Templeton, ce qui permet de mieux comprendre le volet théologique...
Au total, une cinquantaine de scientifiques, philosophes et
théologiens y ont participé. Résultat ? RIEN.
Et pour cause. On ne peut pas prouver l'existence ou l'inexistence de Dieu... Idem pour le libre arbitre.
Après avoir échoué à démontrer l'existence d'un libre arbitre quelconque, les auteurs concluent en toute simplicité :
"Afin de permettre la conscience et le libre arbitre, la
science doit probablement s’étendre au-delà du hasard et de la nécessité, qui
sont actuellement ses seuls modèles d’explication."
Bon courage !
Il serait temps que les neurosciences fassent connaître urbi et orbi qu'il n'y a pas de libre arbitre retrouvé dans le cerveau humain mais juste la sensation de liberté du fait d'un connectome réunissant la volonté (cortex cingulaire antérieur) et l'agentivité (précunéus)* dans cet organe merveilleux comportant neurones et synapses en interaction permanente avec le reste de l'organisme et l'environnement ; le tout soumis aux lois naturelles. Cette sensation de liberté est naturelle et plutôt positive au quotidien. Mais il n'est pas question d'ériger cette sensation en une réalité "ontologique" impossible à concilier avec les lois naturelles déterministes et indéterministes.
Et ce n'est pas désespérant.
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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous
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