Les discussions de première importance concernant le sexe des anges constituent un bel exemple des querelles proprement « byzantines ». Celles concernant la légitimité
d’utiliser les Indiens comme esclaves, les
rapports des hypostases de la Trinité*, la
double nature du Christ etc. ne sont pas mal non plus. Si l’on collectait toutes
les querelles et propos exégétiques de toutes les religions, nous aurions des millions de pages
et d’heures de discussions sur du vide : «
La grande confrérie de l'érudition inutile » pour reprendre Michel
Foucault. Les débats sur l'âme (comme ceux sur le libre arbitre) sont de cet ordre.
L’anthropologue Pascal Boyer cite dans son livre - qui mérite d'être lu (« Et l’Homme créa les Dieux »**) - une
anecdote savoureuse : alors qu’il venait de décrire au cours d’un dîner
certaines croyances des Fang d’Afrique centrale qui croient que les sorciers
s’envolent la nuit sous forme animale pour jeter des sorts, un théologien
catholique de renom eut cette formule d’une profondeur abyssale :
« C’est
cela qui rend si passionnante et si difficile votre spécialité (anthropologie). Vous devez expliquer comment les gens peuvent croire pareilles
inepties. »
Un pur génie, ce théologien...
... comme (St) Augustin considérant que "la perte d'une seule âme non munie du baptême est un mal bien plus grave que la mort d’innombrables innocents." Le salut d'une seule l'âme est donc bien supérieur à la vie physique de milliers d'innocents, ce qui permettra de justifier un certain nombre de saloperies ici et là.
Dans la conception spiritualiste, l’âme est considérée comme l’essence immatérielle et
éternelle d’un être vivant. Elle est au cœur de nombreuses croyances
spirituelles et philosophiques.
Pour la Kabbale juive, il
existerait cinq niveaux de l’âme, chacun représentant un degré différent de
conscience divine.
Pour le christianisme, l’âme - fabriquée lors de la conception charnelle -, est immortelle et
distincte du corps. Elle est jugée après la mort et peut accéder au paradis ou
à l’enfer. Pour l’Islam, l’âme (ou “nafs”) existe avant la naissance (soit des centaines de milliards d'âmes en "attente" ?), est également immortelle et
sera jugée par Allah après la mort. Les actions de la vie terrestre déterminent
le sort de l’âme dans l’au-delà. Hindouisme et Bouddhisme croient en la
réincarnation, où l’âme passerait par plusieurs vies jusqu’à atteindre la
libération (moksha ou nirvana). Du point de vue philosophique, Platon voyait l’âme comme
immortelle et divisée en trois parties : la raison, l’esprit et les désirs.
De son côté, René Descartes considérait
l’âme comme la source de la pensée et de la conscience, distincte du corps
physique, une dualité qui a toujours la peau dure de nos jours.
Bref : si tout le monde croit en l'existence de l'âme, c'est qu'elle doit exister, non ?
Mais qu'en est-il des Indiens découverts par Christophe Colomb (1492) ? Espagnols et Portugais entreprennent la colonisation du Nouveau Monde. La
population indigène se voit décimée par la variole, la rougeole et les
massacres. Les « Indiens » sont également dépossédés de leurs terres et enrôlés
de force, en esclavage.
Mais au fait, les Indiens sont-ils humains ? Grave question à
laquelle la « controverse de
Valladolid »*** va tenter de répondre en
1551 avec le secours d’une quinzaine de théologiens. La question est de savoir
qui sont ces Indiens : des êtres inférieurs... ou des hommes comme nous, les
Européens, fils de Dieu ?
Pour l’un des
intervenants, la réponse va de soi dans la lignée des arguments traditionnels.
Celui de la révélation primitive d’abord : comment se
fait-il que ces peuples lointains n’aient pas été instruits du christianisme,
puisqu’il est dit, dans les Évangiles, que les apôtres s’en sont allés
convertir toutes les nations ?
Ensuite, comment ne pas voir la main de Dieu
dans l’extermination des Indiens ? Si c’étaient vraiment ses enfants,
permettrait-il ces massacres ? En réalité la colonisation s’inscrit dans le
dessein divin. Dieu punit les Indiens de leur idolâtrie et les Espagnols ne
sont que son bras armé. Dieu est avec nous ! Comme disent toutes les religions pourtant différentes et concurrentes.
Bref, un raisonnement qui tient diablement la route... tout comme les reproches qui sont faits aux autochtones concernant les pratiques barbares de sacrifices humains pour faire plaisir au dieu, à ne pas confondre avec Abraham qui allait tuer son fils sur ordre divin, voire le sacrifice du Christ sur la croix par dessein (destin) divin. Ça n'a rien à voir, évidemment !
Finalement, on ne sait trop par quel miracle, les Indiens seront déclarés humains comme les autres (ouf !), contrairement aux noirs que l'on peut continuer de réduire en esclavage car il ne faudrait pas que le business souffre de cette extravagante lubie de la papauté.
Fort heureusement pour les porteurs de la "bonne" civilisation, la suite montrera que le statut d'humain "avec âme" ne préserve nullement des massacres.
Comme le rapporte le canadien Éric Plamondon dans son livre “Taqawan”:
"Ici, on a tous du sang indien. Ou dans les veines, ou sur les mains".
D'un point de vue "scientifique", si l'âme existe et
s’envole après de la mort, on peut envisager qu’elle ait un certain poids (une
masse en fait) que l’on pourrait mettre en évidence en mesurant le poids d’un
cadavre avant, puis après le décès. Hypothèse intéressante testée par le
médecin américain Duncan Mac Dougall en 1907.
Résultat : l’âme existe, si, si !
Elle pèse même 21 grammes. CQDF.
Las, les conditions de l’expérience et le résultat
sont immédiatement contestés par ses pairs. Qui plus est, cette éventuelle
perte de poids peut s’expliquer par des modifications physiologiques simples,
et ceci sans avoir besoin de recourir au surnaturel. Plus personne ne porte
crédit à cette pseudo étude scientifique, à part quelques spiritualistes
hermétiques à toute nécessité de preuve.
De nos jours, toute cette quincaillerie bigote est balayée par la science moderne en l'absence de preuve empirique sur l’existence de l’âme. Les neurosciences étudient la conscience et
les fonctions cérébrales sans recourir à des concepts spirituels. L'âme, pas plus que le libre arbitre, n'est retrouvée dans le cerveau ; ni même ailleurs.
Les concepts d'âme et de libre arbitre sont en fait les deux faces d'une même pièce surnaturelle, une dualité qui persiste dans les esprits spiritualistes. Le libre arbitre est devenue une sorte de "sécularisation" de l'âme, un avatar persistant de la dualité esprit/corps chère à l'humain (qui répugne à penser qu'il est d'origine animale), sans aucun support rationnel, mais avec des conséquences délétères bien visibles dans tous les compartiments de notre société (voir "Présentation 2").
Si vous avez quelques minutes (11), regardez ci-dessous cet
extrait passionnant de la controverse de Valladolid et la joute oratoire qui oppose Sepúlveda à Las Casas montrant, sans l'ombre d'un doute, en quoi "les indiens ne sont pas des créature reconnues par Dieu
!" Pour tout dire, la totalité de cette docufiction mérite d'être vue, réfléchie, montrée aux élèves, discutée en classe, tant ces questions sont à la base de notre concept d'humanité.
On en vient à espérer une "controverse" du même ordre, mais laïque cette fois, sur le concept de libre arbitre, entre philosophie et sciences... en direct sur Public Sénat.
Chiche !
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* « Hypostases de la Trinité » : dans le christianisme, la Sainte Trinité est le Dieu unique en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, égaux, participant d'une même essence divine et pourtant fondamentalement distincts. Une évidence...