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Banalité du mal

 Manger du porc, c'est pas bien pour le cochon, mais bien pour le ténia, mais mal pour l'humain infesté, mais bien pour le médecin qui gagne une consultation, mais mal pour la sécurité sociale qui rembourse consultation et médicaments, mais bien pour le laboratoire qui vend le traitement idoine...

Le mal pour l'un est le bien pour un autre. Un truisme. Mais il ne faudrait pas confondre "banalité du mal" et "banalisation du mal". 

Le concept de "banalité du mal" a été développé par Hannah Arendt dans son ouvrage "Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal" en 1963. Adolf Eichmann, haut fonctionnaire nazi responsable de la logistique de la Solution finale, n'était pas motivé selon la philosophe par la méchanceté ou la cruauté, mais plutôt par son obéissance aux ordres et son manque de réflexion sur les conséquences morales de ses actions. Une victime produisant des victimes ?

Pour Arendt, la "banalité du mal" n'est pas un concept théorique, mais une constatation issue de son expérience personnelle et de son observation du procès Eichmann : les personnes ordinaires peuvent commettre des actes horribles lorsqu'elles sont immergées dans un système totalitaire qui normalise et légitime de telles actions. Arendt n'a jamais eu l'intention de minimiser la gravité des crimes nazis ou de décharger les coupables de leur responsabilité. Elle a plutôt cherché à mettre en lumière les dangers des systèmes totalitaires transformant des personnes ordinaires en instruments de destruction massive. On retrouve par exemple cette idée dans le film de Louis Malle "Lacombe Lucien"* qui montre la facilité avec laquelle un individu "ordinaire" peut basculer dans l'ignominie, un peu par hasard, sans vraiment prendre conscience de ce qu'il fait.

Les expériences de Milgram et de Standford ont exploré cette face sombre de l'humain concernant plus particulièrement la soumission à l'autorité.

L'expérience de Milgram, menée à l'université Yale en 1961, visait à étudier le degré d'obéissance d'individus lambda lorsqu'ils étaient amenés à infliger des décharges électriques à une tierce personne, sur instruction d'une autorité perçue comme légitime. Les participants étaient invités à administrer des chocs croissants à un autre participant (en réalité un comédien) s'il donnait une mauvaise réponse à une question posée. L'objectif était d'évaluer jusqu'à quel niveau de douleur les participants étaient disposés à aller, uniquement parce qu'on leur demandait. Les résultats ont montré que beaucoup de participants allaient jusqu'à causer des blessures sérieuses, simplement parce qu'ils avaient été fortement priés de le faire.

Quant à l'expérience de Stanford, elle a été dirigée par Philip Zimbardo en 1971. Cette étude visait à observer le comportement des gens placés dans des rôles de geôlier et de prisonnier, dans le cadre d'une simulation de prison. Les participants ont été divisés en deux groupes aléatoires, assignés respectivement aux fonctions de geôlier et de prisonnier. Zimbardo a observé que les simulations de hiérarchie, de pouvoir et d'obéissance à l'autorité instituée avaient un effet profond sur les participants qui endossaient rapidement leurs rôles et adoptaient des comportements violents et sadiques envers les détenus. Face à la tournure dramatique des événements, Zimbardo a finalement été obligé d'arrêter l'expérience prématurément.

Ces études semblent donc montrer qu'une part importante des individus lambda d'une population en régime démocratique lambda sont capables du pire. Résultats fort intéressants... sachant que plusieurs des cobayes humains qui se sont prêtés volontairement à cette expérience en sont ressortis avec des séquelles  psychologiques importantes et injustifiables de nos jours du point de vue éthique.

Point final ?

Non pas, comme le montre cette vidéo de David Louapre (chaîne "ScienceEtonnante", toujours très intéressante https://www.youtube.com/watch?v=7Vy1Cg5O5Pc) qui nous propose quelques interrogations légitimes sur la méthodologie et les quelques "cachotteries" relevées.

Les critiques sont cohérentes, mais un point me paraît crucial : les tortionnaires nazis n'étaient pas des citoyens lambda d'un régime démocratique (bien qu'Hitler ait été "élu" dans le cadre d'un accord de coalition en 1933) mais subissaient - ou étaient acteurs convaincus - d'une idéologie particulière, une dictature totalitaire, où certains humains étaient considérés depuis nombre d'années comme des "sous-hommes" (untermenschen) parce que juifs, homosexuels, malades mentaux, tziganes** etc. 

Par ailleurs, les SS dépositaires des basses besognes étaient recrutés selon certaines modalités ; en fait des candidats soigneusement sélectionnés en fonction de leur origine ethnique, leur allégeance au parti Nazi, leur situation financière, leur âge, leur statut marital et leur santé physique. Les recrues devaient réussir une série de tests physiques et psychologiques et, dans la foulée, ces nouveaux membres SS étaient soumis à une intense formation avec lavage de cerveau idéologique. Ils étaient "instruits" sur les principes de la pureté raciale, de l'obéissance aveugle et de la loyauté envers Adolf Hitler et le parti Nazi. On est ici très loin du sujet américain des expériences décrites. De là à penser que certaines recrues SS étaient de véritables psychopathes ou pervers narcissiques trouvant dans ces circonstances l'occasion de montrer leur talent... (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_05_12_archive.html). 

Ce qui nous ramène également à l'altricité et à la dépendance des humains dans leur enfance avec nécessité d'obéir à l'autorité pour la survie (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_05_09_archive.html), ce qui continue adulte avec la dépendance - sans hiérarchie - au plombier, médecin, banquier, épicier, impôts, curé, place de parking, numérique et IA... Les positions d'autorité et de dépendance forment un couple infernal que l'on retrouve au cœur des affaires de mœurs dans l'Eglise, l'entreprise, au sein de la famille et du couple etc. Il n'est pas besoin de convoquer un point Godwin pour constater la banalité du mal.

Quelles que soient les critiques que l'on peut formuler, les expériences de Milgram et Standford illustrent comment des forces extérieures, telle que l'autorité perçue comme légitime, peuvent modeler nos comportements et nous amener à agir contre notre conscience, notre volonté, nos valeurs. Elles posent la question de la responsabilité personnelle et collective face aux pressions exercées par les structures de pouvoir, ainsi que l'importance de reconnaître et de résister aux schémas de manipulation et de contrainte sociale. Ce qui montre toute l'importance de la vulnérabilité humaine dans certaines conditions, dont les régimes politiques que l'on se donne (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_07_03_archive.html). 

On peut également remarquer que tout repose sur la culpabilité supposée de cet autre qu'il faudrait punir puisqu'il est juif, homosexuel... ou simplement ne répond pas correctement à des questions, une raison plus que suffisante pour obéir à l'autorité supposée et punir par une décharge électrique mortelle ! 

Mais la dépendance à une autorité n'est pas le seul déterminant d'un "mauvais comportement". L'affaire "Pélicot et les 50 violeurs" de Mazan" nous a montré qu'un mâle lambda (alpha ? bêta ?) peut violer une inconnue droguée à l'invite internet du mari. A part quelques exceptions, ce sont des bons pères de famille, le voisin au bout du couloir, le pompier bénévole... tous héritiers d'un patriarcat ancestral pour lequel la femme est objet. Le mari est décrit par les psychiatres / psychologues comme manquant d'empathie, un pervers narcissique égocentrique avec des fantasmes de nécrophilie... Bien normal tout ça ?

Non si l'on s'en réfère à l'OMS qui définit la santé comme suit :


Un état complet de bien-être physique, mental et social et pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité.

Or, les troubles de la personnalité affectent plusieurs dimensions de la santé, notamment sur le plan mental et social. Peut-on affirmer que les accusés de Mazan ne sont pas "affectés" du point de vue mental et social ? Existerait-il un zone grise entre santé et pathologie mentale, zone dans laquelle on trouverait les "troubles de personnalité" graves ? Pas plus que le reste, ces troubles ne tombent pas du ciel mais "sont le résultat d’une interaction génétique et environnementale. Ainsi, certaines personnes naissent avec une tendance génétique à souffrir d’un trouble de la personnalité et cette tendance est ensuite effacée ou renforcée par des facteurs environnementaux, tels que des expériences ou des sources de stress ou de bien-être." (https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-de-la-personnalit%C3%A9/pr%C3%A9sentation-des-troubles-de-la-personnalit%C3%A9)

Ce qui pose ici et toujours la question de la pathologie mentale que l'on veut disqualifier pour punir sans trop d'état d'âme le mari et les 50 violeurs sur le banc des accusés : ils sont censés pouvoir faire autre chose que le mal ! (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/limite-entre-sante-mentale-et.html).

Mais il faudra autre chose que des condamnations, pourtant de plus en plus sévères, et plutôt comprendre cette trop fréquente asymétrie femme / homme qui tient à la biologie peut-être, aux rapports ancestraux de domination masculine et à une éducation déficiente, sûrement. Il semble qu'une partie de la réponse se trouve dans les traumatismes de l'enfance qu'il faudrait pouvoir prévenir ou traiter à temps. En tout cas, en quoi ces comportements ignobles et "déviants" seraient la preuve d'un libre arbitre déficient ? Bref, un sacré chantier pour notre génération et celles qui suivent, dont quelques précisions sur la notion de consentement...

Car si la punition a pu constituer à moindre frais un élément de la gestion des clans et autres groupes humains à une certaine époque, il est pitoyable d'en être encore là malgré toutes les études montrant par exemple que la punition dans l'éducation des enfants a des effets négatifs, telles que la diminution des performances cognitives et la réduction de la motivation à apprendre. Une étude britannique a ainsi révélé que l'utilisation de la punition corporelle par les parents était associée négativement aux réalisations scolaires des enfants d'âge maternel. Aux États-Unis, une étude a montré que la punition corporelle prédit des niveaux plus faibles de compréhension linguistique chez les enfants de cinq ans***. Et la "simple" humiliation ne fait pas mieux.

De plus, la recherche suggère que les techniques de discipline verbale, telles que l'explication et l'appel à la raison, sont plus susceptibles de stimuler cognitivement les enfants que les punitions corporelles. Par conséquent, les parents qui optent pour la punition physique sont moins susceptibles d'utiliser des méthodes de discipline inductives, ce qui peut entraver la croissance cognitive des enfants. Alors même que l'on sait depuis des années que ces punitions sont néfastes pour l'enfant, elles resteraient bénéfiques pour l'adulte sans aucune justification scientifique ni philosophique ?

Enfin, haine et punition sont des aberrations totales dans le cadre du naturalisme scientifique, position philosophique incompatible avec l'existence d'un libre arbitre ontologique servant de fondement inique à toute forme de punition et de haine.
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** "Mein Kampf" expose une rhétorique virulente anti-juive, accusant les Juifs de conspirer pour affaiblir et dominer la société allemande et européenne. Hitler soutient que les Juifs forment une race inférieure, parasitaire et destructrice qui représente une menace existentielle pour la pureté aryenne et l'identité nationale allemande. Le livre appelle explicitement à l'expulsion des Juifs d'Allemagne et à leur ségrégation.

Concernant les homosexuels : Hitler considère l'homosexualité comme une déviance sexuelle et une menace pour la vitalité et la force de la nation allemande. Il assimile l'homosexualité à une forme de corruption morale et dénonce les "vices" qui saperaient la cohésion sociale et la famille traditionnelle.

Par ailleurs, l'euthanasie des malades mentaux et des personnes handicapées serait une solution pour préserver la santé et la pureté de la race aryenne car ces personnes seraient un fardeau pour la société et un obstacle à la réalisation de la société idéale nazie.

Quant aux Tsiganes, ce seraient des nomades sans attaches représentant une menace pour l'ordre social et la sécurité. L'auteur affirme que les Tsiganes ne peuvent pas être assimilés et qu'ils doivent être exclus de la société allemande. Hitler justifie cette exclusion en invoquant la prétendue criminalité et la moralité inférieure de cette population.

***https://link.springer.com/article/10.1023/A:1021891529770 et https://www.apa.org/pubs/journals/releases/bul-1284539.pdf

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous