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Limite entre santé mentale et pathologie mentale

Le philosophe Emmanuel Kant se refusait à « considérer tout criminel comme un malade ». A son époque, la ligne de partage entre santé et maladie était loin d’être celle de nos sociétés « évoluées ». 

Mais au fait, quelles sont les limites entre santé (mentale) et maladie (mentale)


Pour René Leriche (1936) : 

« la santé c'est la vie dans le silence des organes »

Cette formule aussi élégante que lapidaire ne semble pas tenir compte des maladies mentales. D’où une approche plus complète avec la définition actuelle de l’OMS[1] :

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Cette définition a pour important corollaire que la santé mentale est davantage que l’absence de troubles ou de handicaps mentaux. La santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté. Dans ce sens positif, la santé mentale est le fondement du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté. Les déterminants de la santé mentale comportent des facteurs sociaux, psychologiques et biologiques multiples déterminent le degré de santé mentale d’une personne à un moment donné. Ainsi, des pressions socio-économiques persistantes sont des facteurs de risque reconnus pour la santé mentale des individus et des communautés. 
 
De son côté, le DSM-5 (outil diagnostic en psychiatrie 5ème édition) définit le trouble mental comme...
« un syndrome caractérisé par des perturbations cliniquement significatives dans la cognition, la régulation des émotions, ou le comportement d'une personne qui reflète un dysfonctionnement dans les processus psychologiques, biologiques, ou développementaux sous-jacents au fonctionnement mental ».

La classification précédente (DSM-4) est également intéressante bien que légèrement différente : 
« le trouble mental est un « syndrome comportemental ou psychique cliniquement significatif, survenant chez un individu et associé à une détresse concomitante (p.ex., symptôme de souffrance), ou à un handicap (p. ex, altération d’un ou plusieurs domaines de fonctionnement) ou à un risque significativement élevé de décès, de souffrance, de handicap ou de perte importante de liberté ».

Notons l'absence de référence à un quelconque Libre Arbitre... mais plutôt à l'existence de "déterminants".

Voyons ce qu’il en est du point de vue judiciaire. En ce qui concerne les « authentiques » pathologies et handicaps mentaux (comme les psychoses dont la schizophrénie, le trouble bipolaire et autres « troubles psychiques et neuropsychiques avérés »), on assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison, ce dont s’alarmait déjà il y a près de 15 ans le Comité consultation national d’éthique (CCNE).


Selon la dernière enquête épidémiologique de référence, plus de 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques dont 7,3 % de schizophrénie et 7 % de paranoïa et autres psychoses hallucinatoires chroniques. Au total,
8 hommes détenus sur 10 et plus de 7 femmes sur 10 présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs (troubles anxieux, dépressions, troubles bipolaires, psychoses…). 35 % à 42 % des hommes étaient considérés comme manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades (étude de 2006). Des résultats qui font écho à une enquête régionale menée entre 2015 et 2017 dans le Nord-Pas-de-Calais : le taux de pathologies psychiatriques est 4 à 10 fois plus élevé en prison que dans la population générale. 45 % des arrivants présentent au moins deux troubles psychiatriques, et plus de 18 % au moins quatre[2]
Il semble assez clair que ces détenus étaient pour une grande part « malades » avant d’entrer en prison. De là à penser qu’il pourrait exister un lien fort entre la maladie mentale plus ou moins avérée et la faute commise, il n’y a qu’un pas. Que je franchis.

Pour préciser ce point, regardons ce qui se passe avec ceux que notre morale et notre justice considèrent à raison comme un « patient » non « coupable », non responsable pénalement de ses actes. L’article 122-1 du Code Pénal précise :

« N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers (...) Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état. »

Question d’importance : quelle est la définition du « discernement » et que veut dire « contrôle de ses actes » ? Et pourquoi « des soins adaptés à son état » ? Il est malade, coupable, coupable d'être malade, malade d'être coupable... ou bien ?
Les "experts" ne disposent évidemment pas d’outils cliniques leur permettant d’inférer directement le degré d’altération ou d’abolition du discernement. Comme l’indique les travaux de la Fédération Française de Psychiatrie :

« Dans aucun pays il n’a été possible de lister tous les états pathologiques conduisant a priori à une proposition d’abolition du discernement et donc à une irresponsabilité pénale. » 
 
Les psychiatres Gérard Rossinelli et Jean-Claude Penochet précisent :
« Le discernement et le contrôle des actes sont laissés à l’analyse du psychiatre. Ces termes ne sont cependant pas des termes spécialisés et sont fréquemment usités dans la langue courante, avec les fluctuations de sens liées à tout terme polysémique. Ils ne sont pas associés à une séméiologie spécifique dont l’étude serait inscrite dans la formation médicale. Leur appréciation renvoie à des conceptions différentes tant chez les cliniciens que chez tout un chacun, puisqu’elle se rattache aussi à notre conception de l’homme et de la liberté individuelle.

Un concept à géométrie variable, ce qui n’est guère surprenant tant l’assise philosophique du triptyque « discernement - Libre Arbitre - contrôle des actes » est bancale.
En fait, le discernement ne bénéficie d'aucune définition consensuelle, qu'elle soit juridique ou médicale. Tout au plus peut-on parler de « capacité de distinguer les actes autorisés des actes interdits ». Cette connaissance « éducative » du bien et du mal, plus ou moins correctement intériorisée selon les cerveaux et les conditions socioculturelles des sujets, est en compétition avec la survie : peut-on réellement reprocher à un « sans domicile fixe » (SDF) affamé de voler une pomme ? Ou doit-on plutôt se demander comment on devient SDF, comment on devient délinquant, criminel, et ce qu’on a quelque part raté pour en arriver là[3] ?

Certains se sont posés la question du rôle de la génétique dans l'apparition de la délinquance, du crime... chez tel ou tel sujet. La question des liens entre la génétique et la délinquance est un sujet complexe et controversé, qui suscite un vif intérêt tant dans les cercles scientifiques que dans le grand public. Depuis les premières théories biologiques de la criminalité au XVIIIe siècle, les chercheurs explorent comment les facteurs génétiques pourraient influencer les comportements antisociaux ou délinquants. Les premières théories biologiques de la criminalité, comme celles de Cesare Lombroso à la fin du XIXe siècle, associaient des traits physiques ou héréditaires à une prédisposition criminelle. Lombroso suggérait qu’un tiers des délinquants étaient des « criminels-nés », une idée aujourd’hui largement discréditée en raison d'un déterminisme biologique réductionniste et de son manque de rigueur scientifique La génétique n'est peut-être pas absente mais les facteurs environnementaux sont bien présents : Des études épidémiologiques, incluant des études sur les jumeaux et les adoptions, estiment que la génétique explique environ 41 % de la variance dans les comportements antisociaux, le reste étant attribué à des facteurs environnementaux. plusieurs variantes génétiques augmentent légèrement le risque.
Ainsi :

Gènes spécifiques

  • MAOA (Monoamine Oxidase A) : ce gène, souvent surnommé « gène guerrier », code pour une enzyme qui régule les niveaux de dopamine et de sérotonine dans le cerveau. Une variante à faible activité est associée à l’impulsivité, l’agressivité et, dans certains cas, à des condamnations criminelles (odds ratio [OR] = 2,8) (Australian Institute of Criminology). Une étude finlandaise a montré que les porteurs de cette variante étaient 13 fois plus susceptibles d’avoir un historique de comportements violents répétés.
  • CDH13 (Cadherin 13) : ce gène est lié à des troubles comme le TDAH et la toxicomanie, qui peuvent augmenter le risque de délinquance. La même étude finlandaise a identifié une association entre une variante de CDH13 et des comportements extrêmement violents.

Des études récentes utilisent des scores polygéniques qui agrègent les effets de multiples gènes, pour évaluer le risque de délinquance. Par exemple, une étude sur les cohortes Dunedin et E-Risk a montré que les individus avec des scores polygéniques plus faibles pour la réussite scolaire avaient un risque accru de 20 à 30 % d’avoir un casier judiciaire (IRR = 1,33 pour E-Risk, IRR = 1,21 pour Dunedin). Ces scores prédisent également un début précoce de la délinquance et un comportement antisocial persistant tout au long de la vie.

Mais les facteurs environnementaux jouent un rôle crucial dans l’expression des prédispositions génétiques. Une étude suédoise a examiné les interactions entre trois variantes génétiques et des expériences positives ou négatives (comme les conflits familiaux ou les abus sexuels) chez 1.337 jeunes, montrant que les environnements défavorables amplifient les risques génétiques. Par exemple, la consommation d’alcool ou de drogues peut exacerber les effets des gènes MAOA et CDH13, contribuant à 5-10 % des crimes violents en Finlande.

Mais au fait, dispose-t-on d'études montrant - de près ou de loin, d'une manière ou l'autre - la "qualité" du libre arbitre ou du discernement des délinquants ? Que nenni. Il s’agit surtout de masquer autant que possible, avec cet euphémisme (eufumisme) « discernement », le fameux Libre Arbitre qui pourrait être immédiatement contesté d'un point de vue philosophique. Ce que résume fort bien Pierre Arpaillange, Garde des Sceaux, à la présentation du projet de loi de réforme du code pénal devant l'assemblée nationale :

« Au même titre que 1789 a mis fin à des pratiques que l'époque érigeait en dogme [...] la période qui a suivi la Libération a refusé de tenir plus longtemps pour intangible le principe d'explication par le libre arbitre de tout comportement humain. Cette conception rigoriste, qui reposait sur le double postulat du libre arbitre de l'homme et de l'efficacité de la peine comme moyen de lutte contre la criminalité devait s'assouplir peu à peu au gré de l'évolution - rapide - des idées au cours des XIXème et XXème siècles. » [4]

Mais alors, comment faire si l’on ne peut plus fonder décemment nos punitions sur la notion de LA ? Pas si compliqué : il suffit, comme on le constate tous les jours en matière judiciaire, de changer d’emballage en s’accrochant au « discernement » et au « contrôle des actes ». Car il faut bien punir avec un semblant de légitimité puisque la notion de Libre Arbitre est défaillante. Il suffit donc de changer piteusement de mots - sans les définir réellement - pour que rien ne change. Ainsi, pour certains, il suffirait d’une « adéquation entre la volonté et l'acte » pour que l'on puisse parler de contrôle de l'action. Certes, mais ce serait à nouveau expulser du débat la question de la liberté de la volonté. Qu’il y ait volonté, c'est évident. Que cette volonté soit libre de tout déterminant interne et externe : c’est bien « la » question essentielle.

Concernant la notion de « contrôle » plutôt que celle de LA qui fleure trop le surnaturel, le psychiatre J.M. Pierre écrit :

« Un modèle neuroscientifique de comportement volontaire (aurait) le potentiel de moderniser les notions médico-légales de responsabilité et de sanction pénale afin d'éclairer les politiques publiques. En fin de compte, s'éloigner du langage du libre arbitre vers le langage du contrôle volontaire peut entraîner une meilleure compréhension de la nature de nous-mêmes. »[5]

Ce « contrôle volontaire de l'action » n’est qu’un misérable stratagème de plus qui reviendrait à « vouloir vouloir », ce que dénonçait pertinemment déjà en son temps le philosophe Thomas Hobbes. La volonté est le résultat chaotique d’un grand nombre de déterminants conscients ou non, allant du désir à l’intérêt dans le cadre de la survie, en passant par l’examen du possible et de l’impossible, du socialement acceptable ou non, des risques divers, des affects du moment, de la fatigue, des souvenirs et leçons des expériences passées, de l’opportunité actuelle ou différée... Changeons un seul de ces éléments, par exemple ce qui est « socialement acceptable » qui est à géométrie variable selon les milieux et cultures, pour changer le vecteur final de la décision. Le film « La vie est un long fleuve tranquille »[6] où deux enfants sont échangés à la naissance est une merveilleuse parabole sur ce thème.
Autre stratagème cette fois sous la plume du docteur en sciences cognitives Aurélien Nioche[7] : exercer son libre arbitre, c'est simplement « faire preuve de raison ». Quand on connait l’importance des fluctuations de notre « raison » du fait des affects, des influences inconscientes, des anomalies cérébrales, des traitements médicamenteux éventuels, des biais cognitifs etc., « faire preuve de raison » nécessiterait quelques explications connexes, voire plusieurs ouvrages sur le sujet (voir La Boussole de la Raison).

Du même auteur : il faut...
 
« comprendre le libre arbitre non comme quelque chose dont on disposerait pleinement ou aucunement, mais comme quelque chose auquel on peut plus ou moins faire appel. Là aussi, il semble pourtant crucial de pouvoir situer sur un gradient le phénomène dont on parle ». 
 
Faire plus vague et incompréhensible sera difficile. « Le libre arbitre (...) auquel on peut plus ou moins faire appel » : on peut plus ou on peut moins ? En fonction de quoi ? On a la liberté de faire appel au LA « réel » un peu, beaucoup, à la folie ? Quelle serait cette « liberté » de faire jouer peu ou prou la liberté de la volonté ? Serait-ce la liberté d’être libre ? Et je mets bien au défi qui que ce soit de « situer sur un gradient le phénomène (LA) dont on parle ». Autant classer les licornes par la taille de leur appendice frontal.

En pratique, les notions d’abolition, d’altération du discernement ou du contrôle de ses actes ne sont pas des concepts psychiatriques et ils ne signifient rien si le Libre Arbitre « réel » ontologique est une illusion. Si, comme je le soutiens, le « discernement-Libre Arbitre-contrôle des actes » est une fiction philosophique, la question de savoir quelle est la différence entre l’abolition et l’altération d’un concept surnaturel renoue complaisamment avec les discussions théologiques byzantines les plus coriaces ! 
Qui plus est, rappelons que les experts ne disposent d’aucun outil clinique leur permettant d’inférer directement le degré d’altération ou d’abolition du discernement comme l’indique les travaux de la Fédération Française de Psychiatrie[8].

Les psychiatres Gérard Rossinelli et Jean-Claude Penochet précisent :

« Le discernement et le contrôle des actes sont laissés à l’analyse du psychiatre. Ces termes ne sont cependant pas des termes spécialisés et sont fréquemment usités dans la langue courante, avec les fluctuations de sens liées à tout terme polysémique. Ils ne sont pas associés à une séméiologie spécifique dont l’étude serait inscrite dans la formation médicale. Leur appréciation renvoie à des conceptions différentes tant chez les cliniciens que chez tout un chacun, puisqu’elle se rattache aussi à notre conception de l’homme et de la liberté individuelle.[9] 

Soit un concept à géométrie variable, laissé à l'appréciation de chacun, ce qui n’est guère surprenant tant l’assise philosophique du triptyque « discernement - Libre Arbitre - contrôle des actes » est bancale.

Un expert psychiatre se confie :

« On ne nous pose jamais la question du Libre Arbitre (...) Je pense qu’un expert qui répondrait en termes philosophiques serait vite remis dans le droit chemin par le président, qui dirait : Écoutez monsieur, vous avez peut-être des idées, mais enfin ce n’est peut-être pas ici que vous pouvez en débattre. »[10]

Ah bon ? Et où doit-il s’exprimer cet expert, si ce n’est justement à cette occasion où l’avenir d’un humain est fondamentalement en jeu ? Il va sans dire qu’un tel expert qui aurait des doutes sur le fond n’aura pas l’occasion d’être à nouveau sollicité. Ne seront ultérieurement désignés que les experts qui filent doux et restent dans le moule normatif du moment (voir Expertises psychiatriques).

Il faut redire que notre justice légitime indûment les punitions. Ainsi, sous la plume de Peggy Larrieu, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles :
 
« Si l’influence de prédispositions neurobiologiques est indéniable, elles cohabitent ou rentrent en conflit avec d’autres déterminants d’origine sociale et, c’est justement parce qu’il existe une compétition entre ces différents facteurs biologiques et culturels, que l’idée de libre-arbitre reste plausible. Tout au moins à la marge[11]

Plausible ? Une déduction bien risquée ; pour tout dire, fausse. Car les déterminants en compétition produisent un chaos déterministe aux conséquences bien souvent imprévisibles, mais qui reste de nature déterministe. Il est assez surprenant de voir qu’une spécialiste de ces questions - qui ne fait, il est vrai, que reprendre la philosophie générale de l’institution - peut d’un côté affirmer à juste titre que l’on ne peut pas condamner (punir) un individu sans un minimum de « preuves » factuelles, et de l’autre dire que l’on on est en droit de se contenter d’un libre arbitre « plausible » comme seul garant philosophique pour punir. Plausible, vraiment ? Et la charge de la preuve ? Bon, il est vrai que Peggy Larrieu prend quelques précautions : un LA « à la marge »... Donc on punit à 20 ans d’incarcération des humains sous couvert d’un Libre Arbitre « plausible à la marge » ?

De la même autrice :

« On peut au moins espérer que sur le chemin criminel (...) l’individu conserve un pouvoir de veto, un pouvoir de bloquer le passage à l’acte. En tout état de cause, à supposer que le libre-arbitre tient de la fiction, il s’agit d’une fiction nécessaire au bon fonctionnement de la vie en société. En effet, si nous étions certains d’être déterminés, nous n’aurions plus à nous soucier des conséquences de nos actes ni de quoi que ce soit d’ailleurs. Il faut donc nous résigner à faire semblant... »[12]

Étonnant, non ? D’une part, le droit de veto dans la chaîne de décision est effectivement de l'ordre d'une espérance totalement fictive. Par ailleurs, l’autrice semble accepter l’idée d’un déterminisme absolu (!)... puisqu’il faudrait « se résigner à faire semblant » de croire au LA (!)... pour une raison supérieure : le bon fonctionnement de la vie en société. Car « si nous étions certains d’être déterminés, nous n’aurions plus à nous soucier des conséquences de nos actes ni de quoi que ce soit d’ailleurs ». Toujours l'argument de la conséquence qui est toujours aussi irrationnel (voir Argument de la conséquence) ? 
Mais bien sûr que si, nous devrions tenir compte des conséquences de nos actes, ne serait-ce que dans le cadre tout banal de la survie, que l’on soit seul ou en société ! C’est même un déterminant majeur. L’animal est soumis aux mêmes déterminants exigeants de la survie quand il hésite entre attaque et fuite, alors qu’il est censé être totalement déterminé, même pour les crédules du Libre Arbitre.

Pour revenir au fond en termes pratiques, il faut remettre en cause la séparation actuelle totalement incohérente entre :
-  D’une part les « troubles mentaux / maladies mentales » justifiables d’une prise en charge psychiatrique en milieu fermé : comme on l’a vu, ils ne sont pas considérés comme « coupables » en cas d’abolition totale du discernement (LA) au moment des faits criminels ;
-  D’autre part les « troubles de personnalité »[13] qui sont actuellement redevables de la prison en cas de crime ou délit, car eux sont « coupables » puisque censés avoir pu faire autre chose que ce qu’ils ont fait (agression, crimes...) du fait d’une pleine possession de leur discernement (LA) ou d’un discernement simplement altéré. Une injonction thérapeutique peut toutefois être nécessaire (délinquants sexuels, toxicomanie etc.) depuis la loi de 1998, mais ils ont 
 tout de même droit à la punition : ils sont coupables d’être malades...

Une avocate dans l’affaire du tueur en série Guy George questionnait l’expert : 
« Comment pouvez-vous dire que Guy George n’est pas malade tout en étant incurable ? »

Oui, c’est vrai ça : comment est-ce possible ? 
En « bonne santé » mentale... mais incurable ?

Même incohérence quand, dans un même discours, un médecin ou un juriste peut à la fois considérer le chauffard comme un "alcoolique chronique" ou un "drogué" (maladies non choisies" librement") et que c'est une circonstance aggravante dans le délit routier pour lequel il est poursuivi. Il serait coupable de son alcoolisme ? Sinon, que veut dire circonstance aggravante comme si l'accusé avait pu choisir "librement" de ne pas boire avant de prendre le volant ? Incohérence à tous les étages ; et personne ne met jamais en cause ces raisonnements iniques.

Il est toujours révoltant de voir la mauvaise cuisine à l'oeuvre sur des sujets aussi graves : le condamné qui n'a pas toute sa tête bénéficie donc, comme on l'a vu, d'une réduction de peine d'un tiers. D'où vient ce choix d'un tiers ? Pourquoi pas 12 %, ou 74 % ? Et si on nommait Bart Simpson comme expert, pour être sûr ?

En résumé, les premiers sont des malades mentaux et doivent être traités. Les seconds ont commis une infraction plus ou moins grave mais n’ont qu’un trouble de la personnalité (pervers narcissique...) et seront punis dans la situation actuelle de notre institution judiciaire. Peut-on affirmer les yeux dans les yeux que des individus présentant des troubles de personnalité conduisant à des agressions, violences et meurtres ont une santé mentale tout à fait « normale » ? 

Le psychiatre Ali Amad a examiné 83.000 scanners cérébraux :

« La recherche en imagerie cérébrale appliquée a ainsi pu montrer que les maladies mentales étaient associées à des anomalies de la structure et de la fonction du cerveau. Ces données corroborent les conclusions venant de la génétique, de la neurobiologie, et de la recherche pharmacologique clinique. Il s’agit d’une évolution majeure dans la conception de la maladie mentale qui a longtemps été définie par son absence de lésion « organique ». Il convient ici de souligner que la dichotomie entre maladies psychiatriques et organiques (ou « somatiques ») est encore très présente dans le vocabulaire médical. Pourtant, à la lumière des recherches menées ces dernières décennies, cette dichotomie n’a plus lieu d’être ».


Et comme l’écrit fort justement le psychiatre new-yorkais Abraham Halpern :
 
« Il n’y a aucune base moralement solide pour sélectionner une maladie mentale ou un défaut comme justification de la non culpabilité d’un individu tout en excluant d'autres déterminants comportementaux, tels que l'hérédité, la pauvreté, l'environnement familial et la privation culturelle. »

D'ailleurs, dans un monde qui serait - comme le pense la plupart de nos concitoyens, psychiatres et juges compris - régi par les lois naturelles déterministes au dessus desquelles régnerait un Libre Arbitre métaphysique (soit la position "compatibiliste"), comment expliquer que ce LA puisse s'altérer ? De lui-même ? Une sorte de suicide du LA ? A moins que ne ne soient plutôt quelques déterminants qui s'en chargent ? Mais alors, ce seraient les déterminants et les lois naturelles qui dominent alors qu'on nous affirme le contraire ? 
Un joli sac de nœuds...


Prenons l'exemple de l'acrasie qui n'est même pas considérée comme un trouble de la personnalité. En psychologie, l'acrasie fait référence à un manque de contrôle de soi ou de discipline, souvent lié à des comportements impulsifs ou à une incapacité à résister à des tentations immédiates. Une sorte de "névrose" qu'on appelle souvent "faiblesse / trouble de la volonté"* pouvant être observée dans divers contextes, comme la gestion de l'alimentation, des finances ou des habitudes de travail. Il y a souffrance de l'individu, sans "dérapage" du point de vue légal (sauf exception).  On ne "contrôle" pas sa propre volonté dans ce cas... comme tant d'autres (voir Un psychiatre sceptique du libre arbitre... à raison !).
De celui qui ne peut s'arrêter de fumer, boire, se droguer, on l'accuse d'un "manque de volonté". Qui se demande d'où provient ce "manque de volonté". Génétique ? Mais alors il en est victime et non coupable ! D'un libre arbitre déficient ? D'où provient cette déficience ? Ce qu'il a vécu ? A moins que cette déficience ne tombe du ciel... mais même dans ce cas, en quoi en serait-il coupable ?

En conclusion, l’Humain ne choisit pas « librement » sa maladie mentale ou son inadaptation sociale. C’est l’ensemble des déterminants en interaction chaotique permanente qui, à un moment donné, bien souvent imprévisible (chaos), produit le délit ou le crime. Il est parfaitement clair que le « bien-être social » est un élément fondamental de la santé. Un individu qui transgresse les règles communes - voire qui récidive - peut difficilement présenter un « bien-être social ».

Plus largement, comme le souligne cette étude : 

« les marginalisés d’une société ne bénéficient pas de l’état de droit de la même manière que les autres membres de leur société, ce qui soulève la question de savoir si nous pouvons justifier de punir les marginalisés dans les sociétés qui subissent une injustice structurelle »

Et si nous arrêtions de barguigner, encore et toujours, pour préserver l’impossible au prix de l’incohérence, sous couvert d’un supposé libre arbitre surnaturel sans début de preuve ?

A ce stade de la discussion arrive immanquablement : "que faire face aux criminels et délinquants ?


[1] « Santé mentale » - https://oip.org/decrypter/thematiques/sante-mentale/
[2] « Santé mentale : renforcer notre action » - https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response
[3] « Nos jeunesses perdues » - ARTE VIDEO - https://www.youtube.com/watch?v=IDtDuoCWpZE  
[4] « Psychiatrie et droit pénal : discernement ou contrôle des actes, un dilemme médico-légal ? » - Benjamin Godechot - https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01082093/document
[5] « Les neurosciences du libre arbitre : implications pour la psychiatrie » - 2014 - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24330830/
[6] https://www.tokyvideo.com/fr/video/la-vie-est-un-long-fleuve-tranquille
[7] « Exercer son libre arbitre : un processus décisionnel » - https://books.openedition.org/cdf/4965?lang=fr
[8] « Expertise psychiatrique pénale » - Sous la direction de Jean-Louis Senon, Jean-Charles Pascal et Gérard Rossinelli - 2007
[9] « Qui est irresponsable? » - 2014 - https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2014-3-page-173.htm?contenu=resume
[10] « Psychiatrie et droit pénal » - p.28 - https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01082093/document
[11] « La psychologie, le droit et la régulation » N° 5 p.75 - 2020 - https://psycho-droit.com/wp-content/uploads/2021/03/Psycho-Droit.5.2020.pdf
[12] « La neurojustice, entre ombres et lumières » - Peggy Larrieu - https://www.academia.edu/38944963/La_neurojustice_entre_ombres_et_lumi%C3%A8res?email_work_card=view-paper
[13] « Troubles de la personnalité » - http://psyfontevraud.free.fr/cours/286.htm

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous