Le fatalisme (de "fatum" = destin) est une croyance selon laquelle les événements sont prédestinés et que les efforts humains pour les influencer ou les changer sont voués à l'échec. Certes, la mort du vivant est certaine... mais quand et comment ? Même pour celui qui veut se pendre dans 5 minutes, la corde peut le trahir.
Cette croyance dans un fatalisme généralisé peut être attrayante pour certains, car elle offre un certain réconfort face à l'incertitude et à la complexité du monde (il existe plus de parties d'échecs différentes possibles -
10 puissance 120 - que d'atomes dans l'univers !) ; mais une telle complexité est désespérante pour d'autres. Cependant, le fatalisme est incompatible avec le naturalisme scientifique, qui reconnaît que le monde est gouverné par des lois naturelles déterministes, mais pas nécessairement prédictibles.
Car il faut compter avec le chaos déterministe, un concept clé en physique et en mathématiques, qui décrit les systèmes complexes qui sont sensibles aux conditions initiales. Même les plus petites différences dans les conditions initiales peuvent entraîner des résultats très différents à long terme, ce qui rend impossible de prédire avec certitude l'issue future d'un système complexe.
Un exemple classique de déterminisme chaotique est le système météorologique. Même avec les meilleurs modèles climatiques et les ordinateurs les plus puissants, il est impossible de prévoir avec certitude le temps qu'il fera plus d'une semaine à l'avance. Les petites perturbations dans l'atmosphère peuvent entraîner des changements radicaux dans la trajectoire des tempêtes et des systèmes météorologiques, ce qui rend toute prédiction à long terme impossible. Et à court terme, tout autant : essayez donc de prévoir où va tomber précisément - et quand - la première goutte d'un nuage menaçant ! C'est un système très sensible aux conditions initiales.
Ce que l'on peut voir à portée de main et de gravité avec deux bouts de bois relié à Oxford :
Et tout ne se passe pas comme on pourrait l'espérer lors des interactions de déterminants dont certains - sortes de "variables cachées" - sont indétectables en pratique :
"Dans leur article sur les approches
évolutionnistes de l’étude de la santé publique, Wells et al. mettent en avant
les recherches de Gibson et Mace qui examinent l’impact de l’installation de
robinets d’eau sur une communauté située à Arsi, dans le sud de l’Éthiopie.
Avant l’installation, les femmes étaient souvent chargées de transporter l’eau
dans leur communauté dans des pots en argile. L’installation de robinets d’eau
éliminerait cette tâche longue et fastidieuse de leurs activités quotidiennes.
Alors que l’on pourrait supposer que ce changement de mode de vie hautement
souhaitable permettrait d’investir davantage dans la garde des enfants, ce qui
se traduirait par une meilleure qualité de vie pour les enfants, Gibson et Mace ont trouvé quelque chose de tout à fait différent. L'installation de
robinets d'eau a été associée à la malnutrition chez les enfants, tout en
prédisant une amélioration de la fertilité chez les femmes plutôt qu'une
amélioration de la santé. Les interprétations suggèrent que les ressources déjà
rares dont disposent les ménages ont été réparties entre un plus grand nombre
d'enfants, ce qui a facilité ce déclin de la nutrition des enfants !"*
Il fallait des robinets + une augmentation des apports nutritionnels.
Et puis, il y a la notion d'attracteur étrange, concept utilisé en théorie du chaos pour décrire l'ensemble des états limites auxquels peut tendre un système dynamique après un certain temps (le mieux est de voir la vidéo pour mieux visualiser ce concept).
Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo pour voir en plein écran
Le déterminisme chaotique a des implications importantes pour le débat sur le libre arbitre.
Bien que le monde soit gouverné par des lois déterministes / indéterministes, il est impossible de prédire avec certitude l'avenir en raison de cette sensibilité aux conditions initiales. Cela signifie que même si le passé a déterminé le présent, le présent ne détermine pas nécessairement l'avenir de manière prévisible. On pourrait d'ailleurs rapprocher les attracteurs étranges caractérisés par une complexité et une non-linéarité de ce qui se passe dans les comportements humains qui répondent rarement à des stimuli de manière linéaire mais sont influencés par une multiplicité de facteurs internes (souvent inconscients) et externes, aboutissant à des résultats imprévisibles et complexes. Ce qui donne en partie la sensation de volonté libre.
En outre, les attracteurs étranges peuvent présenter des propriétés auto-organisatrices et émergentes, avec de nouvelles structures apparaissant spontanément à partir d'interactions complexes entre les composants du système.
Exemple bien connu :
un essaim d'étourneaux volant de manière apparemment désordonnée. Chaque oiseau
suit des règles locales simples (éviter les collisions, aligner sa vitesse),
mais l'essaim entier forme des motifs cohérents, un attracteur étrange émergeant
de l'interaction des déterminants individuels.
De même, les comportements humains peuvent être influencés par des phénomènes d'auto-organisation et d'émergence, où des cultures, des modes de pensée et des tendances sociales se forment spontanément à partir d'interactions complexes entre les individus. Enfin, les attracteurs étranges peuvent alterner entre des phases de chaos et d'ordre, où les transitions entre ces phases peuvent être abruptes et imprévisibles. Cette dualité entre chaos et ordre peut être également observée dans les comportements humains où des périodes de stabilité et de routine peuvent être suivies par des moments de transition, de transformation, voire de basculeimprévisibles (révolution, chute du mur de Berlin, invasion de l'Ukraine, guerre à Gaza etc.).
Mais ces incertitudes fondamentales signifient que les humains ont toujours la possibilité de faire des choix et d'influer sur les événements. Bien que ces choix soient eux-mêmes déterminés par des facteurs tels que la biologie, l'environnement et l'expérience, ils ne sont pas nécessairement prévisibles ou prédestinés. Cela signifie que les humains ont la capacité de prendre des décisions et d'agir en fonction de leurs propres valeurs et objectifs dans le cadre d'une évolution culturelle permanente. Le fatalisme est donc une illusion qui ignore les complexités et ambiguïtés du monde naturel. Le naturalisme scientifique reconnaît que le monde est gouverné par des lois déterministes et indéterministes (quantique), mais reconnaît également que ces lois ne peuvent pas être utilisées pour prédire l'avenir avec certitude en raison de la sensibilité aux conditions initiales. Cette incertitude fondamentale signifie que les humains ont toujours la capacité de faire des choix et d'influer sur les événements, même si ces choix sont eux-mêmes déterminés par des facteurs externes et internes.
Comme le précise cette excellente étude** critiquant la méthodologie de certains travaux en philosophie expérimentale concernant les conceptions profanes du libre arbitre :
"Il existe une différence importante
entre le fait que quelque chose soit prédestiné et le fait qu’il soit déterminé.
Dans un univers fataliste, une action doit se produire indépendamment du passé
et des lois de la nature ; par conséquent, on ne peut éviter une action, quoi
qu’on fasse. Par exemple, si vous êtes prédestiné à tuer votre parent, vous le
tuerez quels que soient vos désirs, vos souhaits ou vos décisions, quel que
soit votre état mental ou les actions que vous effectuez. Le déterminisme n’est pas du fatalisme ; il n’implique pas qu’un
agent doive agir d’une certaine manière quel que soit son état mental. Le
déterminisme nécessite causalement une action particulière à un moment
particulier et exclut les alternatives, mais il n’implique pas qu’un agent
accomplisse cet acte quoi qu’il arrive, ou indépendamment des événements passés
ou des lois de la nature. Le
déterminisme et le fatalisme sont des notions différentes, bien que les
personnes peu familiarisées avec la philosophie aient tendance à les confondre.
Soit dit en passant, être prédestiné est différent d’être prévisible. Par
exemple, même si l’on prédit avec une précision de 100 % que son cancer sera
guéri et que la guérison est prévisible, cela ne signifie pas que sa guérison
est fatale. Cela n’équivaut pas à l’idée que son cancer sera guéri quoi qu’il
arrive."