Dès le début du second mandat de Donald Trump, le fondateur
de Meta, Mark Zuckerberg, annonçait qu'il voulait se débarrasser des
fact-checkeurs qu'il rémunérait pour vérifier les informations sur ses réseaux
sociaux Facebook, Instagram et Thread, ceci au nom de la liberté d'expression.
Depuis, le débat n'en finit plus pour savoir si diffuser de fausses
informations est un droit garanti par la liberté d'expression... ou non.
La députée européenne Renew Valérie Hayer a estimé que la
liberté d'expression "n'est pas, et ne sera jamais, la liberté de propager
des fausses informations".
Ce à quoi Louis Sarkozy, essayiste, polémiste et fils de
l'ancien président Nicolas Sarkozy, a répondu que "la liberté d'expression implique précisément le droit de diffuser de fausses informations".
Et en effet, certains philosophes pensent comme lui. Louis
Sarkozy cite notamment John Milton, poète anglais du XVIIe siècle qui voulait
que vérité et erreur se livrent un combat à la loyale. Ou encore John Stuart Mill, penseur anglais du
XIXe siècle qui a une vision maximaliste, quasi absolue, de la liberté
d'expression.
Ce dernier part du principe que tout le monde peut se
tromper, que personne n'est infaillible (pas faux), et que par conséquent
empêcher quelqu'un de dire quelque chose de faux revient à penser que,
soi-même, on ne peut pas se tromper. Le philosophe estime que la confrontation des idées permettra de
faire émerger la vérité. La seule limite qu'il posait à sa vision de la
liberté d'expression était les propos qui incitaient directement à commettre un
"méfait" envers quelqu'un,
soit des dommages "concrets".
Le seul problème est que des propos haineux, racistes,
discriminatoires... préparent des "méfaits" à un moment ou à un autre
pour des cerveaux moins "philosophiques" que celui de John Stuart
Mill.
Soit la vérité qui
sort du puits après quelques centaines / milliers / millions de cadavres ?
Contrairement à ce
que pensait John Stuart Mill, rien ne garantit une victoire de la vérité.
Mais cette conception maximaliste, très influente dans le
monde anglosaxon - à laquelle semble adhérer Mark Zuckerberg et un grand nombre
de ses compatriotes -, ne fait pas consensus parmi tous les philosophes. Les
adeptes de la vision de John Stuart Mill ont commencé à se faire rares après la
Seconde Guerre mondiale et la Shoah.
Ainsi, le philosophe américain du XXe siècle Jérémy Waldron
propose une compréhension plus large de la notion de préjudice. Il estime, par
exemple, que les discours de haine sont
de véritables atteintes à la citoyenneté, et qu'il s'agit là d'une limite à
la liberté d'expression. Certaines fausses informations peuvent entrer dans
cette catégorie. Par exemple, l'antisémitisme qui a conduit à la Shoah a été
alimenté notamment par de nombreuses fausses "informations" visant
les Juifs (Les Protocoles des Sages de Sion...).
Aujourd'hui, des philosophes s'intéressent plutôt au débat
inverse. Pour eux, la question n'est plus de savoir si la liberté d'expression
permet de dire de fausses nouvelles, mais de savoir si la diffusion massive de
fausses informations n'est pas une atteinte à la liberté d'expression, car ces infox se nichent dans nos idées, dans
nos croyances, qu'on le veuille ou non. C'est la théorie de Neil Levy, un
professeur de philosophie australien.
En confrontant ces philosophes, on voit à quel point le
débat philosophique n'est ni terminé, ni tranché, car tout dépend de l'état de
la culture morale et philosophique du pays, du moment. Oui au
"blasphème" (caricatures de "Prophètes") dans le cadre de
la laïcité en France, mais non aux discours de haine (racisme, antisémitisme
etc.).
Ainsi, en France, diffuser
de fausses informations d'une grande ampleur est illégal depuis 140 ans.
L'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que "la publication, la
diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles
fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des
tiers lorsque, faite de mauvaise foi, quand elle aura troublé la paix publique,
ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45 000
euros". L'amende monte même à 135.000 euros lorsque l'infox risque d'entraver
un effort de guerre.
Il est aussi possible de déposer plainte pour diffamation
lorsqu'une fausse information atteint notre vie privée. C'est ce qu'a fait
Brigitte Macron en déposant plainte pour diffamation contre les personnes qui
ont lancé la fausse information selon laquelle elle sera une femme trans et que
son identité de naissance serait Jean-Michel Trogneux, soit l'identité de son
frère (!).
Cette législation a été renforcée en 2018, avec l'adoption
de la loi anti-fake-news. Elle permet à un juge, dans les trois mois avant une
élection, de faire cesser la diffusion "d'allégations ou imputations
inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à
venir (…) diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et
massive par le biais d'un service de communication au public en ligne".
Dans une décision rendue la même année, le Conseil
constitutionnel a précisé que "ces allégations ne recouvrent ni les
opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples
exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté
de manière objective. [...] Seule la diffusion de telles allégations ou
imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause :
elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée".
Si vous avez une petite heure devant vous : « On ne peut plus rien dire » : les réactionnaires kidnappent la liberté d’expression.
Finalement, la liberté d'expression est, comme la liberté en
général, un mot valise, à géométrie variable, dont on se sert en fonction de sa
propre idéologie.