Cette question fait partie d'une étude récente (1er mai 2024*) publiée par un psychologue russe. Question qui est loin d'être anodine puisqu'elle laisse supposer qu'un neuroscientifique sceptique envers le libre arbitre n'aurait pas légitimité à faire signer un consentement éclairé à un patient.
Ce qui revient à affirmer que le libre arbitre doit exister, faute de quoi un consentement réel du patient serait impossible (?).
C'est à nouveau un argument de la conséquence sous une forme des plus sournoises car le sceptique du libre arbitre ne s'adresse pas à la "volonté libre" inexistante du patient mais à son autonomie. Après avoir reçu et compris les bénéfices et risques d'un traitement, le patient doit pouvoir exprimer sa volonté, dans un sens ou l'autre.
Certains diront oui, d'autres non, en fonction du poids des déterminants uniques de chacun (peur du traitement plus ou moins fort que la peur de la maladie / âge avancé / importance du risque / solitude / pression du conjoint, de la famille / expérience passée etc.).
C'est donc l'autonomie du patient qu'il faut respecter, que la décision soit considérée comme rationnelle ou non pour un observateur extérieur comme le médecin, qu'il soit d'ailleurs sceptique ou non concernant un libre arbitre ontologique (à différencier de la sensation du libre arbitre que l'on perçoit tous et qui est une fonction sélectionnée par l'évolution).
S'il n'est pas entravé, l'animal est autonome dans sa savane natale, sans besoin d'un libre arbitre, même pour les plus croyants dans cette chimère. L'animal-humain itou. Le déterminisme ne dit pas que tout est joué et que nous ne pouvons pas changer. Nous changeons en permanence du fait de l'environnement qui change, avec ou sans nous. Chaque nouveau déterminant - comme une nouvelle information montrant des effets indésirables plus importants qu'on ne le pensait - peut modifier l'acceptation d'u traitement... ou non.
Le Pr de neurobiologie Rober Sapolsky fait le point sur le libre arbitre et la possibilité d'évolution et de changements d'avis dans cette vidéo.
Cliquer sur la carré en bas à droite de l'écran afin de l'agrandir si besoin
Autrement dit, quelle que soit la croyance du praticien dans le domaine philosophique, il se doit de fournir des informations les plus objectives possibles concernant la balance bénéfices / risques en l'état actualisé des données scientifiques.
C'est seulement en cas de déficience cognitive (par exemple) que la question d'une réelle autonomie se pose. Un patient délirant porteur d'une tumeur cancéreuse galopante et qui refuse toute intervention qui pourrait le "sauver" (autant qu'on puisse le penser) fera généralement l'objet d'une décision collégiale incluant les soignants et sa famille dans un mélange chaotiques de déterminations personnelles diverses, de volontés parfois incompatibles au point de nécessiter le passage de la justice (débrancher un patient comateux depuis 10 ans ?). Soit la moins mauvaise des mauvaises solutions.
Pour conclure, je dirais que je suis effondré de voir que des médecins en sont encore à se poser des questions sur la liberté de la volonté après tout le bagage scientifique accumulé depuis des dizaines d'années.
Les illusions ont la vie dure. Ce ne serait pas bien grave si les conséquences n'étaient qu'accessoires.
*"Possibilities
of Free Will in Different Physical, Social, and Technological Worlds: An
Introduction to a Thematic Issue" - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38691214/
____________________________________
Et pour aller plus loin, le livre "La dernière
blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en
cliquant sur l'image ci-dessous
Le Pr de philosophie américain Greg Caruso ne croit plus au libre arbitre depuis bien longtemps.
Il en voit même les inconvénients majeurs pour notre société au point d'en convoquer presque l'argument de la conséquence ! Ce qu'il ne faut pas faire, évidemment (voir Argument de la conséquence) mais qui reste fichtrement tentant du fait des passions tristes, funestes, issues du concept de libre arbitre et qui se déploient tous les jours : haine*, vengeance, injustices, domination, mépris, punitions et guerres... avec pour chaque camp, de "bonnes raisons" de torturer et tuer enfants, femmes, hommes, sans même vérifier si ce sont réellement des ennemis.
Gott mit uns... et Dieu reconnaîtra les siens... dans chaque camp... Bref, toute la panoplie du pire puisque l'Autre ne fait pas bien alors qu'il avait la liberté d'une volonté de faire bien ! Et chacun est certain de son bon droit puisque un libre arbitre tout puissant serait équitablement partagé (?).
Il faut bien réaliser que l'évolution n'est pas "parfaite" et laisse passer quelques erreurs (l'œil humain est moins efficace que celui du poulpe, de l'aigle / le larynx de la girafe est innervé de façon illogique etc.). Du point de vue de la culture, le bricolage évolutif est assez discutable de nos jours : que la punition, la honte et la culpabilité aient montré une
certaine efficacité dans la gestion de la société humaine chez nos ancêtres, c’est très probable. Car les sanctions « externes » comme les punitions sont très coûteuses en
temps et en ressources[1]
(justice / prisons / gardiens / réinsertion etc.) et dans certaines
situations, la culpabilité et la honte peuvent atteindre le même résultat à
moindre coût pour la société. Il est plausible de supposer que ces émotions
morales telles que culpabilité et honte ont pu apparaître dans l’évolution
humaine pour minimiser les conflits entre les membres de groupes très unis.
Mais
rien ne dit que cela constitue la meilleure solution possible, à l’image de
l’innervation du larynx de la girafe : l’évolution culturelle est
continuellement en marche. La peine de mort qui constitue la
punition ultime, radicale, a été abolie (dans certains pays) après des
centaines de milliers d’années d’évolution humaine. Les milliers de sacrifices
humains chez les Mayas qui pensaient s’attirer la bienveillance divine avaient
bien une « utilité » sociale qui nous paraît maintenant aberrante du
fait de notre évolution culturelle. A-t-on bien fait d’évoluer sur ces sujets ?
Evidemment, oui.
De même, la notion de culpabilité (« il aurait pu faire
autrement ! ») ne veut plus rien dire dans un monde sans Libre
Arbitre « réel » ontologique. Doit-on s’y accrocher pourtant au nom du « bon
vieux temps » alors que tous les progrès dans la compréhension du monde et de ses lois naturelles s’y opposent ?
Comme l’indique fort justement la philosophe spécialisée en
bioéthique Janet Radcliffe Richards :
« Si nous comprenons qu’il existe de bonnes
raisons évolutives pour que nous voulions que les gens souffrent lorsqu’ils
nous ont fait du mal directement ou indirectement, alors nous pouvons rendre
compte de nos sentiments forts sur la justesse de la punition sans
présupposer qu’ils sont un guide pour la vérité morale… Nous pourrions être
capables de reconnaître nos sentiments punitifs comme un aspect profond et
important de notre caractère - et les prendre au sérieux dans cette mesure - sans
les approuver comme un guide pour la vérité, et commencer à repenser nos
attitudes envers la punition sur cette base. »
Même l'intelligence artificielle (Mistral) - qui sait (presque) tout - va très exactement dans cette direction :
"Baser notre responsabilité sur les écarts possibles à la loi
du moment et du lieu paraît être une approche beaucoup plus adaptée et
cohérente, compte tenu de notre
compréhension actuelle de la question du libre arbitre et du déterminisme.
Penser et traiter les gens en tenant compte de ces éléments permettrait de
construire un système judiciaire et pénal plus juste et empathique, axé sur la
réhabilitation et la prévention des infractions plutôt que sur la simple
sanction et la stigmatisation. Abandonner la culpabilité et les peines excessives pour les
personnes qui enfreignent la loi, lorsqu'il est clair qu'elles n'avaient guère un
choix libre, représenterait une attitude progressiste et scientifiquement
informée. Au lieu de cela, il faudrait envisager des stratégies alternatives
telles que l'écartement social temporaire, la thérapie, l'éducation, et le
renforcement des structures familiales et communautaires, le tout en veillant
scrupuleusement au respect des droits humains fondamentaux.
Les mesures disciplinaires traditionnellement utilisées dans
les systèmes correctionnels, telles que l'isolement et la privation de liberté
prolongée, posent de sérieuses questions sur leur impact négatif sur le
bien-être mental et émotionnel des détenus, sans compter les difficultés
supplémentaires engendrées par la surpopulation carcérale, les mauvaises
conditions de détention, et la discrimination institutionnelle. Adopter des
solutions centrées sur les causes profondes des comportements déviants et qui
priorisent la transformation positive des individus et des milieux
socio-environnementaux semble plus susceptible de produire des résultats
durables et positifs.
Bref, replacer la responsabilité dans son contexte
déterministe et adapter nos institutions juridiques et pénales en conséquence
constitueraient des premiers pas vers une société
plus équitable et compatissante, capable de tirer parti des dernières avancées
scientifiques pour améliorer le fonctionnement global de nos relations
interpersonnelles et de nos organisations sociales."
Difficile de faire plus clair.
Reste à voir ce qu'en dit Greg Caruso dans la vidéo ci-dessous... (noter que dans la traduction, le mot "desert" doit être remplacé par "mérite").
Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo
pour la voir en plein écran.
[1] Voir cet excellent documentaire sur les difficultés de la Justice en France et le dévouement des juges et magistrats aux prises avec une pénurie chronique de moyens : « Dans les yeux des juges » - Infrarouge - https://www.youtube.com/watch?v=ZsY6s2uX6wg
* La haine fait partie des "Trois Poisons du bouddhisme" que sont par ailleurs l'ignorance et l'avidité.
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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière
blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en
cliquant sur l'image ci-dessous
O tempora, O mores (« Quelle époque ! Quelles mœurs ! »)
En termes de "morale", il existe à la fois des universaux et des différences notables entre les communautés humaines comme le montre une large étude :
"Sur la base de 70 000 réponses à trois dilemmes, recueillies
dans 10 langues et 42 pays, nous documentons un modèle qualitatif universel de
préférences ainsi que des variations substantielles au niveau des pays dans la
force de ces préférences. En particulier, nous documentons une forte
association entre une faible mobilité relationnelle (où les gens sont plus
prudents pour ne pas aliéner leurs partenaires sociaux actuels) et la tendance
à rejeter les sacrifices pour le bien commun, ce qui peut s’expliquer par le signal
social positif envoyé par un tel rejet."
Les mœurs évoluent constamment sous diverses influences et déterminants, dont les découvertes scientifiques. L'esclavage n'est plus ce qu'il était depuis que l'on sait, notamment, que les races n'existent pas du point de vue biologique*.
On sait aussi que certaines hormones jouent un rôle clé dans la régulation des
émotions, du comportement et, par extension, du jugement moral. Le cerveau, en
particulier les régions telles que l'amygdale, le cortex préfrontal et
l'hypothalamus, est directement impliqué dans le traitement des informations
émotionnelles et morales, et les hormones (ocytocine, testostérone etc. étude) peuvent influencer l'activité dans ces
régions.
L'impact de la pédophilie sur le vécu des jeunes victimes est pris en compte depuis peu :
Et l'arrivée du web avec des réseaux sociaux quasi sans modérateurs (X) ne simplifie guère les choses comme le précise cette autre étude :
"Tout comme la bombe atomique a changé la façon dont les
nations font la guerre et la pilule contraceptive a changé la façon dont les
gens ont des relations sexuelles, Internet a changé la psychologie morale. La
tendance humaine à se soucier des questions morales telles que l’équité, la
réciprocité et l’empathie s’est adaptée au cours de l’évolution pour mieux
fonctionner dans des sociétés petites et soudées où les gens dépendaient
directement de leurs liens sociaux étroits pour survivre. Aujourd’hui,
l’environnement dans lequel vivent les gens subit un changement qui est sans
doute plus important que celui de la révolution agricole il y a 12 000 ans
(...) Nous expliquons comment Internet perturbe les instincts moraux
fondamentaux de l’humanité. Notre analyse explique comment la psychologie
morale évoluée des gens facilite leur exploitation au moyen d'algorithmes, de
flux d'actualités sans fin et de contenus scandaleux."
Mais au fait, la morale humaine, abordée généralement en tant que concept exclusivement philosophique, aurait-t-elle en partie un fondement biologique naturel ? La morale : une explication évolutionniste ?
Question fort intéressante développée dans le livre "Comment nous sommes devenus moraux" (1) de Nicolas Baumard (Odile Jacob) que l'on peut compléter par celui de Stéphane Debove « Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal » (HumenSciences - 2021). Pour ces chercheurs spécialistes en psychologie évolutionnaire (Evopsy), dès la naissance les humains sont prédisposés à produire
des jugements moraux, condition d’une coopération réussie au sein d’un groupe
humain. Un peu comme le sens du goût qui n’existerait que parce qu’il nous fait
absorber les nutriments non toxiques dont l’organisme a besoin. Or il n’y a
de bonne coopération que si on y gagne plus que ce qu’on y perd et les
partenaires qui « trahissent » représentent un risque de perte dans l’économie
relationnelle (voir la tension entre coopération et trahison dans un sacré dilemme pour la morale).
Nous serions donc naturellement portés à juger comme étant injuste et répréhensible toute
action où une personne manifeste une tendance à ne pas payer sa "part" au sens
large, la coopération l'emportant "naturellement" sur la trahison (dilemme du prisonnier).
Cette vidéo "récapitulative" de la chaîne Youtube "Homo Fabulus" de Stéphane Debove nous propose une vision naturaliste de la morale humaine, sans Kant, ni Hobbes, ni Rousseau... sans surnaturel et donc, sans dieu. Le visionnage de l'ensemble des vidéos de ce chercheur n'est assurément pas une perte de temps et sa position sur le concept de libre arbitre ontologique ne peut que me ravir.
On pourrait objecter que les comportements de prédation dans la nature (les lionnes mangent plus souvent les gazelles que l'inverse) et les inégalités généralisées entre humains (hiérarchie, accaparement par certains de ressources limitées, esclavage et domination...) pourraient remettre en question cette conception apparemment idéaliste d'une coopération qui l'emporterait sur le trahison, ; mais c’est une autre question qui n’invalide pas le concept dans la mesure où d’autres déterminants - tout aussi prégnants - sont à l’œuvre du point de vue évolutionnaire. Par exemple, la croyance (erronée mais largement entretenue) dans un libre arbitre ontologique humain (= volonté libre) soutient notamment un concept de méritocratie légitimant la domination et l'exploitation de ceux qui n’auraient pas « choisi » le « bon » libre arbitre, et - de manière pourtant dénuée de "mérite" - les « bons » parents, la « bonne » société, la « bonne » couleur de peau, la « bonne » nationalité etc. (voir le Libre Arbitre : QUEZACO ?), ce que l'on peut rapprocher de la sélection de parentèle "égoïste". Rien n'est simple, il faut en convenir.
D'ailleurs, la psychologie évolutionnaire (ou évolutionniste) est l’objet d’attaques argumentées de philosophes, biologistes, anthropologues...
considérant que cette science serait vouée à l’échec. Ses détracteurs lui reprochent un" manque d'assise
empirique et théorique", ainsi qu'une "propension à naturaliser les conduites
et les rapports de domination entre groupes humains"... Peut-on vraiment affirmer que l'évopsy justifierait la domination ? Je n'en vois pas trace.
Prenons un exemple connexe : le plaisir de manger du sucre et des
graisses est probablement né de la rareté de ces ressources énergétiques dans
l'environnement préhistorique. Aujourd'hui, ces denrées sont facilement
accessibles et ce penchant naturel pour le sucre et les graisses persiste avec des
conséquences délétères que l'on connait dans l'environnement actuel. Il n'est pas inutile de reconnaître cette détermination ancestrale afin de mieux adapter nos efforts éducatifs et politiques pour combattre ce nouveau fléau avec la nécessité - comme bien souvent - de "penser contre son cerveau".
De la même manière, comprendre comment - et dans quels buts - se sont mis en place des catégories morales à connotation biologique peut permettre de rectifier le tir dans le cadre d'une évolution culturelle en marche : constater la prédation masculine durant des millénaires n'est pas justifier celle-ci de nos jours. Constater que les comportements religieux
impliquent souvent des coûts significatifs en termes d'économie, de célibat, de
rituels dangereux, de temps passé qui pourrait être utilisé à d'autres
fins suggère que la sélection naturelle devrait agir contre les
comportements religieux... à moins que ceux-ci - ou ce qui les cause - n'offrent un
avantage significatif en termes de préservation de l'individu et/ou d'un groupe, au détriment bien souvent des autres individus et groupes (guerres de religion notamment). Il n'y a pas ici raison suffisante pour croire en un dieu quelconque.
Il est bien difficile pour un profane de trancher définitivement entre ces avis divergents, la vision innéiste versus empirique, la validité ou non de la "grammaire morale" etc. mais je
dois dire que je ne comprends pas bien cette lutte actuelle entre certains philosophes des sciences, biologistes de l’évolution ou chercheurs
en sciences cognitives et ceux concernant la psychologie évolutionnaire : les
éléments de la chaîne Biologie - Environnement - Culture et Socialisation sont
en interaction permanente et devraient plutôt se nourrir les uns des autres
dans un paradigme matérialiste scientifique. Voir Pourquoi la psycho évo paraît si absurde.
Remarquons que quelles que soient les hypothèses scientifiques actuelles concernant "l'origine de la morale humaine", il n'est plus jamais question de métaphysique, de monde des idées ou autres grimoires spiritualistes ou religieux, pas plus que de mérite, de talent, de libre arbitre personnel ou collectif ! On avance...
Sortons quelques instants de la
morale et prenons un exemple concernant la couleur de peau et les préférences
esthétiques fluctuantes au cours des temps. Un constat : la peau des femmes partout dans le monde est
relativement plus claire que celles des hommes ! Cette différence de
pigmentation semble principalement due aux besoins accrus en UV qui permettent
la formation de Vit D favorisant la fixation du calcium des femmes pendant la
grossesse et l’allaitement ; soit un avantage en termes de reproduction débouchant
sur des critères esthétiques comme le rapport taille / hanche ou la symétrie
des corps, autant de marqueurs « honnêtes » de qualité génétique, le
séquençage génétique étant indisponible... Socialement,
la peau claire par ailleurs était souvent associée à la noblesse et à la
richesse : dans de nombreuses cultures, avoir la peau claire signifiait
que l’on n’avait pas besoin de travailler comme des esclaves sous le soleil, soit un signe de statut social plus élevé. Au Moyen Âge, la peau pâle
était valorisée car associée à la pureté et à la vertu. Cette
perception a perduré pendant des siècles, influençant les standards de beauté,
notamment chez les Geisha depuis l’époque Heian (IXème siècle) ou actuellement chez les africaines prêtes à prendre des risques pour s'éclaircir la peau (hydroquinone, corticoïdes, dérivés mercuriels très nocifs).
"Au sein d’une population africaine,
la peau claire sera la référence esthétique. Elle rend belle, permet de se
faire remarquer, admirer. Elle est préférée par les hommes et indicatrice d’une
bonne santé, d’une aisance financière, et participe à la respectabilité. Par
cette reconnaissance sociale, elle participe au phénomène du « colorisme » qui
hiérarchise insidieusement la société africaine en fonction de la couleur de la
peau." (https://shs.cairn.info/revue-corps-dilecta-2009-2-page-111?lang=fr)
Mais au XXème siècle, cette tendance
s’est inversée pour des raisons sociales. L’attrait pour le bronzage a été
popularisé par des figures de la mode comme Coco Chanel, qui a - dit-on - accidentellement
bronzé lors d’un voyage et a ensuite déclaré que le bronzage était à la mode ! Le bronzage est devenu un symbole de santé, de richesse et de loisirs, car il
suggérait que l’on pouvait se permettre de passer du temps à l’extérieur, en vacances perpétuelles. De plus, l’exposition au soleil est maintenant connue pour stimuler
la production de vitamine D, ce qui a renforcé l’idée que le bronzage était
bénéfique pour la santé.
La "science" reprenant ses droits,
bien que le bronzage soit encore populaire, il y a une prise de conscience
croissante des risques pour la santé associés à l’exposition excessive au
soleil, comme le vieillissement prématuré de la peau et le cancer de la peau.
Malgré cela, beaucoup continuent de rechercher un teint bronzé
pour des raisons esthétiques et culturelles.
Bref, tout semble chaotique entre biologie, mutations, sélection naturelle, médecine, reproduction, environnement social et culturel, mode esthétique... mais rien qui tombe du ciel.
Pour en revenir à la moralité : comme l’indique Michael Ruse, spécialiste dans la théorie de l’évolution et la philosophie de la biologie...
« La moralité, ou plus exactement notre croyance dans la moralité, n’est rien d’autre qu’une adaptation mise en place pour réaliser nos fins reproductives. La base de l’éthique ne réside donc pas dans la volonté de Dieu. »**
Au delà, on peut se demander si la science peut permettre de passer de la "simple" description de la morale humaine dans ses fondements biologiques en interaction avec l'environnement à une participation "normative" ou "prescriptive" désignant ce qu'il faudrait faire en termes de morale... Est-ce que faits scientifiques et valeurs font partie de deux monde différents comme l'ont soutenu nombre de philosophes (Hume, Kant, Ogien...) ou la science peut-elle permettre quelques inflexions bénéfiques ?
La découverte du trou dans la couche d'ozone (années 1970), dû à la production de chlorofluorocarbures (CFC) utilisés dans les réfrigérateurs et les sprays, a conduit à l'interdiction progressive des CFC et surtout à une prise de conscience de l'impact environnemental des activités humaines. Soit un sujet d'actualité brûlant conduisant à regarder d'un autre œil les transports en jet privé, pour ne prendre que cet exemple mineur. Nous ne traitons plus par le mépris les douleurs des bébés sous prétexte qu'ils ne souffraient pas : ils peuvent souffrir - et c'est la science qui l'a montré -, avec toutes les conséquences délétères dans le développement de l'enfant si l'on ne traite pas correctement ses douleurs. Peut-on affirmer que la contraception et l'IVG médicale, enfin efficaces, sûres et décidées par la femme elle-même, n'est pour rien dans son émancipation, dont les mouvements #MeeToo et autres refus d'une domination masculine aussi délétère que millénaire ? A part quelques machistes résiduels, tout le monde convient du bénéfice de cette évolution... en occident.
Le neuroscientifique naturaliste Sam Harris explique - de façon particulièrement convaincante dans cette vidéo - en quoi la science peut avoir un impact positif sur les règles morales humaines.
En parlant de valeurs, nous parlons en fait... de faits !
"La
question du libre
arbitre touche presque
tout ce qui
nous intéresse. Moralité,
droit, politique, religion,
politique publique, relations
intimes, sentiments de
culpabilité et accomplissement personnel
- la plupart
de ce qui
est distinctement humain
dans nos vies
semble dépendre de
notre perception les
uns des autres
comme des personnes
autonomes, capables de
choisir librement."
Si la
communauté scientifique devait
déclarer que le
libre arbitre est
une illusion, cela
précipiterait une guerre
des cultures bien
plus belliqueuse que
celle qui a
été menée au sujet de
l'évolution.
Sans le libre
arbitre, les pécheurs
et les criminels
ne seraient rien de plus
qu'une horloge mal calibrée, et
toute conception de la justice
qui mettrait l'accent
sur leur punition
(plutôt que sur leur dissuasion, leur
réhabilitation ou simplement
leur confinement) apparaîtrait
totalement incongrue.
Et ceux d'entre
nous qui travaillent
dur et suivent
les règles ne
«mériteraient» pas notre
succès au sens
profond du terme.
Ce n'est pas
un hasard si
la plupart des
gens trouvent ces
conclusions odieuses.
Le libre arbitre
est en fait
plus qu'une illusion
en ce sens
qu'il ne peut
pas être rendu conceptuellement cohérent.
Soit nos volontés
sont déterminées par des
causes antérieures et nous n'en
sommes pas responsables,
soit elles sont
le produit du hasard et
nous n'en sommes
pas responsables (coupables). Si
le choix d'un
homme de tirer
sur le président
est déterminé par
un certain schéma
d'activité neuronale, qui
est à son
tour le produit
de causes antérieures
- peut-être une coïncidence malheureuse
de mauvais gènes,
une enfance malheureuse,
une perte de
sommeil et un
bombardement de rayons
cosmiques - en quoi cela peut-il
signifier que sa
volonté est « libre » ?
Personne n'a jamais
décrit une manière
dont pourraient survenir
des processus mentaux
et physiques qui
attesteraient de l'existence
d'une telle liberté. Mais
la vérité plus
profonde est que
le libre arbitre
ne correspond même
à aucun fait
subjectif nous concernant
- et l'introspection s'avère
bientôt aussi hostile
à l'idée que
le sont les
lois de la physique. Des
actes apparents de
volition surviennent simplement
spontanément (qu'ils soient
causés, non causés
ou formés de
manière probabiliste, cela
ne fait aucune
différence) et ne peuvent pas
être retracés jusqu'à
un point d'origine
dans notre esprit
conscient. Un minimum d'auto-examen
sérieux, et vous remarquerez que vous ne décidez
pas de
la prochaine pensée
que vous aurez dans quelques secondes.
Le libre arbitre
est une illusion.
Nos volontés ne
sont tout simplement
pas de notre
fait. Les pensées
et les intentions
émergent de causes
d'arrière-plan dont nous
ne sommes pas
conscients et sur
lesquelles nous n'exerçons
aucun contrôle conscient.
Nous n'avons
pas la liberté
que nous pensons
avoir."
Sur la question des actions / réactions de masse
d’individus partant à la guerre la fleur au fusil ou votant « comme un
seul homme » pour un dictateur, je pense toujours à ces nuages
d’étourneaux[1]
ou de bancs de poissonsque l’on voit évoluer brutalement dans telle ou telle autre direction de façon
apparemment aléatoire, imprévisible, sans raison évidente pour un observateur humain. Les zoologistes nous
affirment que ce ballet ne doit rien à la présence d'un mystérieux chef
d'orchestre ou à un esprit surnaturel du groupe.D'après le biologiste Wayne Potts, chaque
oiseau réagit à ce qui l'entoure, et uniquement à cela, probablement comme
moyen évolutif de survie du groupe face aux prédateurs.
Ces comportements
grégaires complexes peuvent être modélisés en informatique où chaque individu
ne réagit que par rapport à ses voisins selon trois 3 règles très simples :
évitement ; cohésion ; alignement. Et bien
évidemment, aucun libre arbitre dans tout ceci malgré l’autonomie
« déterminée » des individus formant un ballet chaotique
imprévisible et extraordinaire comme le montre une vidéo[2] dans
le domaine du cinéma.
De là à penser qu’il pourrait exister chez l’humain des
mécanismes de cet ordre dans les mouvements de foule, la survenue des modes et
autres évolutions culturelles dont les convictions du moment, le tout dans une
auto-organisation propice à faire émerger de nouvelles propriétés... C'est ce que nous montre à la suite du "Jeu de la vie" de Conway, l'émergence de LENIA, soit des objets mathématiques qui "prennent vie", ressemblent fort à des bactéries, se multiplient, interagissent en remplissant l'espace disponible (vidéo ci-dessous à voir absolument). Et tout ceci sans la moindre
parcelle d’un quelconque Libre Arbitre « réel » ontologique.
Certains nous diront que « la
vie ne peut pas se résumer à la matière" et qu'il existe nécessairement un principe « créateur », une énergie transcendantale, un vitalisme, des divinités, un « esprit » ou une « conscience » comme moteur de
l’évolution.Certains créationnistes poseront cette question : a-t-on déjà pu mettre en
évidence « scientifiquement » l’émergence de la conscience à
partir de la matière ? Non ? Alors, vous voyez bien que cette idée n’est
pas scientifique et devrait être abandonnée ! CQFD (?)
Non pas, car ce
n’est qu’une autre façon de contester globalement l’émergence de propriétés
« fines » à partir de matériaux de « base » plus simples comme nous le montre cette vidéo ;
vieil argument du « dessein intelligent » qu'il va bien falloir finir par abandonner en rase campagne.
Dans le cadre des curiosités concernant l'émergence, cette vidéo ci-dessous d'une expérience de petit chimiste en dit long sur les surprises des combinaisons d'atomes sous l'effet d'un peu d'énergie (feu). Comment quelques mélanges simples peuvent-ils aboutir à un tel résultat ? Pour ceux d'entre-vous qui n'ont que très peu apprécié le film "Alien" : s'abstenir. Pour les autres, remarquons que la forme précise de cette "émergence" est impossible à prédire du fait du chaos déterministe, évidemment, comme le montrent les deux expériences à la suite produisant des formes différentes du "serpent du Pharaon".
Au delà de cette curiosité qui en dit long sur la matière et ses mystères (sans même évoquer le champ quantique), le chaos des déterminants peut créer quelques merveilles à condition notamment de prendre le temps de faire jouer les mutations au sens large, le hasard et la sélection avec des résultats "miraculeux" comme dans les exemples de cette vidéo (notez le temps nécessaire à chaque prouesse, temps d'autant plus grand que le résultat est "pointu" comme l'est Homo Sapiens Sapiens)...
Pour en revenir à la conscience : dans la petite
enfance, chacun a pu vivre l’expérience sensible de cette fameuse conscience qui émerge
lentement au cours de la maturation du cerveau et qui nous permet notamment de
nous reconnaître au « stade du miroir », propriété partagée
avec d’autres animaux. Cette conscience disparaît sous l’effet des anesthésiants
avant une intervention pour réapparaître ensuite en salle de réveil,
quand tout s’est bien passé... et disparaît définitivement dans l’autre cas.
Cette conscience est bien dépendante de l’activité cérébrale : pas de
cerveau, pas de conscience.
Comme nous le dit Michel Graziano, professeur de psychologie et
de neurosciences à l'Université de Princeton, le "mystère" de la conscience... n'en est pas un :
« Une explication
logique de la conscience est connue depuis des décennies. Le cerveau doit
construire un ensemble spécifique d’informations sur les sentiments conscients
(informations de la théorie de l’esprit), ce qui amène les gens à croire, à
penser et à prétendre avoir une conscience. Les théories qui proposent un
sentiment réel et intangible ne sont pas explicatives. Elles ajoutent une
fausse piste magique tout en laissant inexpliqués les phénomènes objectifs : la
croyance, la pensée et la revendication. » (Réf.)
Les créationnistes sont persuadés que le dessein de Dieu est clair, direct, sans nécessité du fameux couple essais / erreurs... ce que la science vient perturber avec ses découvertes sur les tentatives successives du vivant rarement couronnées de succès : il y eut bien des "erreurs" avant d'arriver à Sapiens Sapiens par exemple (Homo neanderthalensis, Homo erectus, Homo
habilis, Homo floresiensis, Homo naledi, Australopithecus
afarensis, Paranthropus).
C'est ce que nous montre également cette vidéo du biologiste Olivier Hamant : en fait, tout est bricolage, inefficacité, incertitude, lenteur, redondance... dans cette très longue histoire du vivant. Seule la robustesse compte ! Avec au passage quelques questions abyssales concernant l'injonction de performance dans laquelle nous baignons tous plus ou moins...
Pour finir par la notion d'émergence au sens le plus primitif du terme, les créationnistes nous affirment que la meilleure preuve de l'existence de Dieu serait le réglage fins des constantes de l'univers ayant permis la vie. Les quelques arguments de cette vidéo déconstruisent rationnellement cet argument en réfutant la tentation habituelle d'un "Dieu bouche-trou" qui expliquerait tout, dont l'inexplicable...
L’intelligence, cette faculté que l’Humain s’approprie
aisément du fait d’un cerveau « supérieur », semble pourtant
exister chez d'autres créatures, même insignifiantes a priori. Tel est le cas du « Blob »(Physarum polycephalum), un génie sans
système nerveux, une créature improbable formée d’une seule cellule, qui
apprend, décide, transmet des informations et qui ne cesse de nous étonner.
Les
Blobs sont différents selon les pays, avec des préférences marquées pour
certaines nourritures d’un Blob à l’autre, et même des caractères différents :
le japonais est rapide, l’australien beaucoup lent et « réfléchi ». A
croire qu’ils ont des libres arbitres différents dans leurs choix et décisions : « Sinon quelle autre explication, je
vous le demande ? » ; à moins qu’ils ne soient soumis plus
simplement à des déterminants différents dans le cadre des règles universelles, comme le reste de l’univers.
Il existe concernant cette créature extraordinaire une excellente conférence(vidéo ci-dessous) de la docteure en éthologie Audrey Dussutour. Cette dernière
avait déjà montré que les fourmis peuvent apprendre de leurs erreurs, modifier
leur comportement et s’adapter à des situations nouvelles...
Bref, la science
va continuer de nous surprendre dans la connaissance de ce que l’on considérait
comme définitivement acquis, et il serait bien pertinent de tenir compte des
découvertes et d’en déduire quelques conséquences.
Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo pour la voir en plein écran.
Et l'intelligence du bourdon ? On n'en parle pas assez de l'intelligence du bourdon !
Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous