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Le côté obscur du libre arbitre

Le Pr de philosophie américain Greg Caruso ne croit plus au libre arbitre depuis bien longtemps.
Il en voit même les inconvénients majeurs pour notre société au point d'en convoquer presque l'argument de la conséquence ! Ce qu'il ne faut pas faire, évidemment (voir Argument de la conséquence) mais qui reste fichtrement tentant du fait des passions tristes, funestes, issues du concept de libre arbitre et qui se déploient tous les jours : haine*, vengeance, injustices, domination, mépris, punitions et guerres... avec pour chaque camp, de "bonnes raisons" de torturer et tuer enfants, femmes, hommes, sans même vérifier si ce sont réellement des ennemis. 
Gott mit uns... et Dieu reconnaîtra les siens... dans chaque camp... Bref, toute la panoplie du pire puisque l'Autre ne fait pas bien alors qu'il avait la liberté d'une volonté de faire bien ! Et chacun est certain de son bon droit puisque un libre arbitre tout puissant serait équitablement partagé (?).

Il faut bien réaliser que l'évolution n'est pas "parfaite" et laisse passer quelques erreurs (l'œil humain est moins efficace que celui du poulpe, de l'aigle / le larynx de la girafe est innervé de façon illogique etc.). Du point de vue de la culture, le bricolage évolutif est assez discutable de nos jours : que la punition, la honte et la culpabilité aient montré une certaine efficacité dans la gestion de la société humaine chez nos ancêtres, c’est très probable. Car les sanctions « externes » comme les punitions sont très coûteuses en temps et en ressources[1] (justice / prisons / gardiens / réinsertion etc.) et dans certaines situations, la culpabilité et la honte peuvent atteindre le même résultat à moindre coût pour la société. Il est plausible de supposer que ces émotions morales telles que culpabilité et honte ont pu apparaître dans l’évolution humaine pour minimiser les conflits entre les membres de groupes très unis. 
Mais rien ne dit que cela constitue la meilleure solution possible, à l’image de l’innervation du larynx de la girafe : l’évolution culturelle est continuellement en marche. La peine de mort qui constitue la punition ultime, radicale, a été abolie (dans certains pays) après des centaines de milliers d’années d’évolution humaine. Les milliers de sacrifices humains chez les Mayas qui pensaient s’attirer la bienveillance divine avaient bien une « utilité » sociale qui nous paraît maintenant aberrante du fait de notre évolution culturelle. A-t-on bien fait d’évoluer sur ces sujets ? Evidemment, oui. 
De même, la notion de culpabilité (« il aurait pu faire autrement ! ») ne veut plus rien dire dans un monde sans Libre Arbitre « réel » ontologique. Doit-on s’y accrocher pourtant au nom du « bon vieux temps » alors que tous les progrès dans la compréhension du monde et de ses lois naturelles s’y opposent ?

Comme l’indique fort justement la philosophe spécialisée en bioéthique Janet Radcliffe Richards :

« Si nous comprenons qu’il existe de bonnes raisons évolutives pour que nous voulions que les gens souffrent lorsqu’ils nous ont fait du mal directement ou indirectement, alors nous pouvons rendre compte de nos sentiments forts sur la justesse de la punition sans présupposer qu’ils sont un guide pour la vérité morale… Nous pourrions être capables de reconnaître nos sentiments punitifs comme un aspect profond et important de notre caractère - et les prendre au sérieux dans cette mesure - sans les approuver comme un guide pour la vérité, et commencer à repenser nos attitudes envers la punition sur cette base. »

Même l'intelligence artificielle (Mistral) - qui sait (presque) tout - va très exactement dans cette direction :

"Baser notre responsabilité sur les écarts possibles à la loi du moment et du lieu paraît être une approche beaucoup plus adaptée et cohérente, compte tenu de notre compréhension actuelle de la question du libre arbitre et du déterminisme. Penser et traiter les gens en tenant compte de ces éléments permettrait de construire un système judiciaire et pénal plus juste et empathique, axé sur la réhabilitation et la prévention des infractions plutôt que sur la simple sanction et la stigmatisation. Abandonner la culpabilité et les peines excessives pour les personnes qui enfreignent la loi, lorsqu'il est clair qu'elles n'avaient guère un choix libre, représenterait une attitude progressiste et scientifiquement informée. Au lieu de cela, il faudrait envisager des stratégies alternatives telles que l'écartement social temporaire, la thérapie, l'éducation, et le renforcement des structures familiales et communautaires, le tout en veillant scrupuleusement au respect des droits humains fondamentaux.

Les mesures disciplinaires traditionnellement utilisées dans les systèmes correctionnels, telles que l'isolement et la privation de liberté prolongée, posent de sérieuses questions sur leur impact négatif sur le bien-être mental et émotionnel des détenus, sans compter les difficultés supplémentaires engendrées par la surpopulation carcérale, les mauvaises conditions de détention, et la discrimination institutionnelle. Adopter des solutions centrées sur les causes profondes des comportements déviants et qui priorisent la transformation positive des individus et des milieux socio-environnementaux semble plus susceptible de produire des résultats durables et positifs.

Bref, replacer la responsabilité dans son contexte déterministe et adapter nos institutions juridiques et pénales en conséquence constitueraient des premiers pas vers une société plus équitable et compatissante, capable de tirer parti des dernières avancées scientifiques pour améliorer le fonctionnement global de nos relations interpersonnelles et de nos organisations sociales."

Difficile de faire plus clair. 

Reste à voir ce qu'en dit Greg Caruso dans la vidéo ci-dessous... (noter que dans la traduction, le mot "desert" doit être remplacé par "mérite").

Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo 
pour la voir en plein écran.


[1] Voir cet excellent documentaire sur les difficultés de la Justice en France et le dévouement des juges et magistrats aux prises avec une pénurie chronique de moyens : « Dans les yeux des juges » - Infrarouge - https://www.youtube.com/watch?v=ZsY6s2uX6wg   

* La haine fait partie des "Trois Poisons du bouddhisme" que sont par ailleurs l'ignorance et l'avidité.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous