Wikipedia

Résultats de recherche

Traduction

Déterminisme ou superdéterminisme ?

 Libre arbitre : une illusion qu’on s’obstine à sauver


On aime se croire libres. C’est rassurant, flatteur, presque poétique : nous serions les capitaines de notre destin, des auteurs souverains de nos choix indépendamment de toute détermination...

Cette image est une fable. Le déterminisme n’a pas besoin de subtilités quantiques ou de concepts ésotériques pour pulvériser cette illusion. Il suffit d’ouvrir les yeux sur ce que nous savons déjà : chaque pensée, chaque geste, chaque “décision” est le produit d’une chaîne de causes qui nous précède et nous dépasse.

Le déterminisme n’est pas une théorie marginale : c’est la colonne vertébrale de toute science digne de ce nom.

  • En physique, il relie chaque état du monde à celui qui le précède.
  • En biologie, il explique pourquoi un chat chasse une souris et pourquoi un humain désire ce qu’il désire.
  • En neurosciences, il montre que votre cerveau “décide” avant même que vous ayez conscience d’avoir décidé.

Face à cela, continuer à parler de “libre arbitre” au sens ontologique, c’est comme défendre l’existence des licornes au nom de la poésie.

Certains brandissent le "superdéterminisme" comme une arme ultime : tout, y compris les choix de l'expérimentateur, est prédéterminé pour produire des corrélations spécifiques. Ce superdéterminisme propose une vision radicalement déterministe de l’univers. Il offre une échappatoire aux conclusions du théorème de Bell, mais au prix - trop élevé pour la plupart des humains - de sacrifier le libre arbitre et la notion de choix expérimental indépendant.

Mais pour le comportement humain et animal, c’est un luxe inutile. Nul besoin de convoquer les arcanes de la mécanique quantique pour comprendre que nos choix sont dictés par notre génétique, notre histoire, notre environnement, et l’état exact de notre cerveau à l'instant i. 

Par exemple, il semble bien que certains comportements puissent être indépendants de l'environnement comme le montre cette étude étonnante concernant la transplantation de comportements chez les drosophiles. A l'inverse la croyance dans le déterminisme comme dans le libre arbitre semble ne pas dépendre de nos chromosomes si l'on en croit l'étude "La liberté de croire au libre arbitre : les preuves issues d'une étude sur l'adoption contredisent la première loi de la génétique comportementale" :

"La modélisation biométrique a révélé des résultats particulièrement surprenants : contrairement à la grande majorité des traits étudiés dans les modèles familiaux, les croyances agentives (convictions concernant libre arbitre et déterminisme) semblent faiblement, voire pas du tout, héréditaires."

Des pistes respectives à continuer d'explorer !

Pour en revenir au fond, la mécanique quantique ne sauve évidemment pas le libre arbitre : quel crédit accorder à des décisions "conscientes" qui seraient consécutives à un lancement de dés au niveau quantique ?

Finalement, le "superdéterminisme" est un marteau-pilon superflu pour écraser une mouche, et l’illusion de liberté (libre arbitre) n'est qu'un tour de passe-passe neuronal. Notre impression de “pouvoir faire autrement” est un effet secondaire de notre architecture cognitive.

  • Vous pesez le pour et le contre ? Ce sont vos expériences passées et vos biais cognitifs qui font la balance.
  • Vous hésitez ? C’est juste que les forces causales en présence sont momentanément équilibrées.
  • Vous changez d’avis ? C’est qu’une nouvelle cause (un nouveau déterminant) est entrée dans l’équation.

À aucun moment, un “moi” souverain ne surgit pour trancher "librement", en ne tenant compte d'aucune cause. Ce "moi" est lui-même un produit de la chaîne causale. Nous sommes "sujets" au sein d’un processus « computationnellement irréductible » du fait de la sensibilité chaotique des interactions de déterminants, connus comme inconnus. Faut-il aller jusqu'à nier les déterminations inconscientes pour sauver le libre arbitre ?

Quelques mots à propos du concept de processus « computationnellement irréductible ». Selon le mathématicien et physicien Stephen Wolfram (voir vidéo ci-dessous)...

"il est en fait possible qu’il y ait des règles, même des règles très simples qui sont complètement déterministes, mais le comportement (final) est suffisamment complexe pour avoir toutes les propriétés que nous attribuerions normalement à quelque chose qui semble être libre de ces lois sous-jacentes."

La complexité chaotique et l'imprévisibilité de nombre de nos comportements et décisions nous donnent le sentiment de liberté de la volonté. Sentiment - et non réalité ontologique - d'un libre arbitre indépendant des déterminations connues... et bien souvent inconnues. Ainsi, la sensation de libre arbitre est un "artefact épistémique" - une perception déformée due à notre position d'observateur interne dans le système selon le sociologue et anthropologue Paul Jorion. Le Dr Lauren Leotti suggère de son côté que de nombreuses données empiriques viennent attester l’existence d’une disposition naturelle au besoin de contrôle, ce dernier étant à l’origine de la croyance dans le libre arbitre. Ce besoin se retrouve chez les animaux et chez les jeunes enfants et aurait eu un avantage adaptatif au cours de l’évolution. Ces approches intégratives synthétisant des études en génétique, en neurosciences et en psychologie sociale représentent un puissant vecteur de compréhension de ces phénomènes

Alors, pourquoi s’accroche-t-on à ce mythe de libre arbitre ontologique légitimant à tort la haine, la violence, les inégalités (pseudo mérite et talent...) etc Parce que l’idée contraire dérange. Elle bouscule notre morale, notre droit, notre ego. Admettre que nous ne sommes pas libres au sens ontologique, c’est accepter que nos mérites et nos fautes soient eux aussi déterminés. Mais refuser cette conclusion ne la rend pas fausse. Le déterminisme n’a pas besoin de notre assentiment pour être vrai.

Pour comprendre que le libre arbitre ontologique est une chimère, et le "simple" déterminisme suffit. Le "superdéterminisme" n'est qu'une curiosité de physicien, pas un outil nécessaire pour démonter l’illusion du libre arbitre. N.B : c'est aux partisans de l'existence du libre arbitre de nous démontrer sa réalité dans un monde physicaliste (déterministe) ; et non pas aux septiques du LA de démonter qu'il n'existe pas. La sensation de liberté existe bien ; et c'est une sensation au même titre que la sensation pour chacun d'être plus intelligent que la moyenne des autres humains... Un biais, une erreur qui fait du bien.

La vérité est brutale autant qu'incontournable, à moins d'être religieux et de se contenter de chevaucher des licornes. Nous sommes des machines biologiques complexes, programmées par la nature et reprogrammées par l’expérience. Et c’est précisément parce que cette vérité est brutale qu’on préfère l’enrober de mythes, avec toutes les conséquences délétères pour notre compréhension du monde et notre vie en commun (voir le côté obscur du libre arbitre). 

Le concept ontologique de libre arbitre est une chimère dont le coût est prohibitif pour notre humanité.

____________________________________

Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous