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Dennet et le compatibilisme

Le compatibilisme est une théorie philosophique qui soutient que le déterminisme et le libre arbitre sont compatibles. 

En d'autres termes, il est possible d'être à la fois déterminé par des causes antérieures et libre dans ses actions. Cette position - la plus commune chez la plupart des philosophes et même certains scientifiques - s'oppose à l'incompatibilisme qui affirme que le libre arbitre et le déterminisme ne peuvent coexister : ce qui est ma position (matérialisme / naturalisme scientifique).

Parmi les auteurs notables du compatibilisme, on trouve de nombreux philosophes dont Daniel C. Dennett, Florian Cova, Michael Esfeld, Saul Smilansky... (voir pour ce dernier https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-libre-arbitre-necessaire.html)

Par exemple, Michael Esfeld écrit que... 

« Suivant le compatibilisme, il est essentiel pour la liberté de la volonté de ne pas se laisser entraîner par ses désirs, mais de réfléchir au type de volonté qu'on désire posséder »*

Ce qui est pour moi - et quelques autres - absolument incompréhensible. S'il faut effectivement maîtriser certains désirs qui peuvent être délétères pour soi-même ou la société (ligne rouge du consentement, des lois du moment etc.), il nous faudrait la volonté de réfléchir à la volonté qu'on désire ??? Nous y reviendrons.

Intéressons-nous à D. Dennet qui vient de nous quitter (avril 2024), probablement le plus connu des compatibilistes. 


Naturaliste et évolutionniste athée, ce qui part plutôt bien, Dennet pense qu'il n’y a nulle part dans le cerveau des neurones ou des ensembles de neurones qui « voient », « comprennent » ou « veulent », car, pris isolément, ils font un travail très limité et stéréotypé. Leur activité collective fait cependant émerger des propriétés fonctionnelles intéressantes pour l’individu, que nous appelons « voir », « comprendre » ou « vouloir ». Fort bien. Il a théorisé dans un ouvrage l’hypothèse d’une « néo-dualité moderne » qui ne serait toutefois pas celle de Descartes que tous ont abandonnée pour de bonnes raisons. 
Dennet écrit : 

« L’amour authentique n’implique aucun dieu volant (tel Cupidon). Le problème du libre arbitre est identique. Si vous êtes de ceux qui pensent que le libre arbitre n’est vraiment libre que s’il surgit d’une âme immatérielle qui se balade tranquillement dans le cerveau, envoie ses décisions (ses flèches) dans votre cortex moteur, alors, étant donné votre conception du libre arbitre, ma position est qu’il n’y a pas de libre arbitre du tout ». 

Pour l'instant, tout va bien. Le concept, l’essence d’un Libre Arbitre « réel/ontologique » n’existe pas plus que le concept "ontologique" de cheval, de peur, d’immortalité, de mal, d’amour etc. Et si les circuits neuronaux de la sensation de volonté libre (càd cortex cingulaire antérieur et précuneus → cf. « Lesion network localization of free will » - 2018 - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6196503/) sont différents des circuits de la sensation de peur (amygdales), ils ont finalement des fonctions différentes pour un but similaire : la survie, la préservation de l’individu et de l’espèce.

Ces circuits sous influence des expériences passées, du contexte, d’éventuelles anomalies génétiques peuvent ne pas être « adaptés » à la vie en société avec ses normes du moment. Un caractère très (trop) colérique peut être à l’origine de quelques déboires en société du fait d’un contrôle insuffisant du sujet. Mais ce dernier ne « contrôle » pas ce « contrôle déficient de la colère », car sinon il n’aurait pas d’accès de colère. 

Côté Libre Arbitre, on ne peut que vouloir, c’est-à-dire choisir une action permettant au mieux sa survie avec les moyens du bord (expériences passées, humeur du moment, capacités cognitives etc.). La volonté est elle-même un résultat chaotique des déterminants précédents.
Mais si l’on peut « vouloir », on ne peut « ni vouloir vouloir, ni ne pas vouloir vouloir ». Ce serait vouloir avant de vouloir : une ineptie comme le remarquait déjà il y a quatre siècles le philosophe Thomas Hobbes. Comme vu précédemment, Michael Esfeld, en bon compatibiliste, passe outre...

La position de Dennet semble moins triviale. Il rejette bien un libre arbitre qui émanerait d’une puissance immatérielle (surnaturelle), et pense à raison que notre sentiment de libre arbitre est réel avec des circuits cérébraux dédiés comme le montre l'étude sus-citée. Ce sentiment pourrait être l’expression d’une faculté ayant évolué pour nous permettre de peser le pour et le contre des situations que nous rencontrons où les choix sont multiples. Je suis tout à fait en accord avec cette notion de sensation/sentiment de Libre Arbitre mise en place par l’évolution, peut-être présente chez l’animal même s’il ne fait pas des colonnes pour et contre sur un paper-board avant de prendre une décision. Mais nul besoin d’invoquer ici une nouvelle dualité qui ne peut que mélanger encore un peu plus les cartes et mène à confondre sensation subjective et réalité

Dennet affirme qu’il ne s’agit pas de magie... Mais parler de responsabilité quand il s’agit en fait de culpabilité (pour lui l’individu serait-il censé pouvoir faire autrement ?), avancer l’hypothèse de « formes de libre-arbitre » ou encore affirmer que « les humains ont un nombre incalculable de degrés de liberté » comme il le dit dans une discussion avec Sam Harris (un neuroscientifique très sceptique concernant un LA "réel") : tout ceci devient incompréhensible... Quelles seraient donc ces « formes » et « degrés de liberté » du LA ? Supportés par quelle base théorique un tant soit peu scientifique ? Avec quelle mesure, quelle définition de ces "degrés" ? Les juges seraient très intéressés par cette échelle de LA que nous laisse espérer Dennet. Mais il n'en est toujours rien ; et les juges en sont réduits à juger au doigt mouillé (expertise psychiatrique) la présence, la demi présence voire l'absence de "discernementchez le délinquant ou le meurtrier. Discernement : joli nom pour camoufler le concept intenable de libre arbitre ontologique (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/limite-entre-sante-mentale-et.html).

Et puis l’assemblage de déterminants divers + une sensation de LA elle-même déterminée dans le cadre de l’évolution, cela ressemble fort à une somme de déterminants qui n’autorise ni liberté de la volonté, ni culpabilité, ni punition. Ou alors on en vient à remettre sur la table la pierre philosophale qui transmuterait de vils métaux (déterminants) en or pur (esprit / Libre Arbitre / conscience...) et donc prétendre que l'on est naturaliste quand on est en fait surnaturaliste ! Avoir la sensation d'avoir raison (ou d'avoir un LA) n'est pas une preuve que l'on a raison (que le LA existe réellement).

En revanche, la responsabilité sociale et morale (et non pas la culpabilité) qui semble être profondément la préoccupation de Dennet (argument de la conséquence) reste pour moi évidemment entière dans un paradigme matérialiste, sans LA ontologique. 

Reste à savoir comment faire - socialement notamment - pour reconnaître la responsabilité sans le cortège punitif associé qui n'a pas lieu d'être en l'absence de Libre Arbitre "réel" ? (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/mais-alors-sans-culpabilite-ni-punition.html)

*"La philosophie de l'esprit : Une introduction aux débats contemporains" - 3ème éd. - Armand Colin - 16 septembre 2020

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous