Le philosophe John Searle, un spécialiste de la philosophie de l'esprit ayant étudié le concept de Libre Arbitre toute sa vie, considère que nous en sommes toujours au même point depuis des siècles, sans aucune avancée dans la résolution de ce problème fondamental, et ce contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres domaines des neurosciences (conscience, moralité...).
- d'une part le déterminisme axiomatique des lois naturelles supportant la science, ce qui interdit toute volonté libre ;
- d'autre part, la sensation permanente, quotidienne que nous avons de faire des choix "libres", notamment dans le cas de longues délibérations.
Searle critique pourtant le compatibilisme qui soutient que libre arbitre et déterminisme peuvent coexister. Il considère à raison que cette position est une manière d'éviter le problème sans le résoudre. Selon lui, il "pourrait" ou "devrait" y avoir une sorte de "fossé" entre les causes antécédentes et la décision, un espace où nous pouvons participer activement au processus de décision (???). Il semble compter sur l'indétermination quantique pour créer cet espace propre au LA. Cependant, il admet que cela reste difficile à expliquer au niveau neurobiologique. Je confirme : la physique quantique ne peut expliquer la réalité d'un espace de cet ordre du fait notamment de la chaleur du cerveau rendant impossible un effet quantique.
Vidéo sous titrée de Searle :
En conclusion, pour Searle le Libre Arbitre pourrait bien être une illusion - comme l'arc en ciel (qui est une illusion d'optique !) - mais nous ne pourrions pas vivre sans cette illusion.
Clap de fin ?
Que nenni, car nous connaissons maintenant un peu mieux le circuit cérébral de cette sensation de LA que l'on peut définir par la sensation de volonté d'un côté et le sentiment d'être l'agent de nos actions de l'autre. Ces deux éléments semblent être liés dans le cerveau par une connectome mis en évidence dans une étude de 2018*. Cette étude indique que si nous avons le sentiment d’être libre, c'est grâce à deux réseaux de neurones enfin identifiés. L'un des réseaux nous confère la volonté d'agir, le second nous donne le sentiment d'être l’auteur de nos actes.
Comment le sait-on ?
Il se trouve que nombre de découvertes en médecine proviennent d’altérations physiques qui produisent des handicaps précis. Par exemple, une paralysie du bras gauche correspond à des lésions bien identifiées du cerveau droit. Plus surprenant, certains patients victimes de certaines lésions cérébrales deviennent incapables d’une volonté quelle qu’elle soit : c’est ce qu’on appelle le mutisme akinétique. Sans incitation particulière, ces patients ne veulent rien, n'entreprennent rien. Après cartographie du réseau des lésions constatées en imagerie cérébrale chez 28 patients atteints de ce handicap, les auteurs ont mis en évidence un seul et même réseau de neurones centré sur une zone appelée cortex cingulaire antérieur. Ce que Francis Crick, l'un des découvreurs de l'ADN, avait déjà proposé bien avant cette expérience. Ces éléments amènent à penser qu’il existe bien un site neuronal précis qui est siège de ce qu’on appelle la volonté.
D’autres patients font des mouvements mais ne savent pas que ce sont leurs propres mouvements. Ce trouble est appelé « membre étranger »[2]. Cette pathologie empêche les sujets de faire la liaison entre leur acte et leur intention. Leur mouvement leur semble être généré par quelqu'un d'autre qu’eux-mêmes. Dans l’étude citée précédemment, mais cette fois chez cinquante de ces patients souffrant de cette anomalie, on constate que les lésions étaient toutes localisées sur un réseau centré autour d'une certaine région cérébrale, le précunéus[3], lui-même intimement connecté au cortex cingulaire dont je viens de parler concernant la volonté.
Conclusion des auteurs :
« Collectivement,
nos résultats démontrent que les lésions à différents endroits provoquant
des troubles de la volonté et de l'agence se localisent dans des réseaux
cérébraux uniques, donnant un aperçu du substrat neuroanatomique de la perception
du libre arbitre. »
A ne pas confondre avec l’Ether de la
mythologie grecque (divinité primaire) ou même le composé organique à l’odeur
caractéristique, l’éther - dans le
contexte de la physique classique -, était supposé être un milieu mécanique
invisible et omniprésent, remplissant tout l’espace. Il était considéré comme
le support nécessaire pour la propagation de la lumière et des ondes
électromagnétiques. Cette "hypothèse éthérée" était cruciale pour plusieurs
raisons :
- Afin d'expliquer la propagation de la lumière, les scientifiques pensaient que, comme les ondes sonores nécessitent un milieu (comme l’air), les ondes lumineuses devaient également se propager à travers un certain médium. L’éther luminifère était donc proposé comme ce médium nécessaire pour expliquer comment la lumière pouvait voyager à travers le vide de l’espace ;
- Les équations de Maxwell, unifiant l’électricité et le magnétisme, semblaient indiquer l’existence d’un milieu pour la propagation des ondes électromagnétiques : l’éther était à nouveau envisagé comme le milieu permettant de relier les phénomènes électriques et magnétiques ;
- Cerise sur le gâteau, l’éther fournissait un cadre de référence absolu pour mesurer le mouvement, ce qui était en accord avec les idées de la physique classique, où l’espace et le temps étaient considérés comme absolus.
Patatras.
L’hypothèse de l’éther a du être abandonnée pour plusieurs raisons dont l’expérience de Michelson-Morley (1887 : la vitesse de la lumière est constante, indépendamment du mouvement de la Terre), la relativité restreinte (1905 : les lois de la physique sont les mêmes pour tous les observateurs, et la vitesse de la lumière est constante dans tous les référentiels) et enfin la théorie quantique des champs montrant que le vide n’est pas vide (!) mais rempli de fluctuations quantiques. La compréhension moderne de l’espace et du temps, ainsi que des champs quantiques, a remplacé le besoin de ce concept.
Envolé cet éther très volatil !
L’existence de l’éther en physique n’a jamais pu être prouvé pour la simple raison qu’il n’existe pas... et qu’il est pratiquement impossible de prouver que quelque chose n’existe pas (pouvez-vous prouver que le Père Noël, le Yéti, les dieux, Satan, le paradis et l'enfer, la pierre philosophale... n’existent pas ?).
Searle a effectivement des raisons de désespérer si le but est de prouver l'existence de l'inexistant.
Ether et Libre Arbitre ontologique n’existent pas, et nous n’avons aucun besoin de ces entités hypothétiques pour expliquer le monde.
Quand à ceux qui croient encore que le LA existe - tel un Deus ex machina descendant des cintres -, la charge de la preuve est, encore et toujours, sur leurs épaules.
* « Lesion network localization of free will » - 2018 - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6196503/
[2] Ce
syndrome est causé par des lésions du corps calleux, impliquant également le
lobe frontal mésial, certaines variantes du syndrome étant dues à des lésions
du lobe pariétal
[3] Selon une étude, le “soi” (le “je”) - soit « la conscience d’habiter son corps » - se situe dans la zone du précunéus antérieur. Par ailleurs, les sensations du « moi » et du « je » seraient situés dans des réseaux différents du cerveau. Ces découvertes pourraient déboucher notamment sur des traitements pour les patients dépressifs => « Causal evidence for the processing of bodily self in the anterior précunéus » - 2023 -https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37295420/
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Pour aller plus loin : le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous