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Violences, biais de négativité et extrême droite

« Tout d’abord, permettez-moi d’affirmer ma ferme conviction que la seule chose que nous ayons à craindre est la peur elle-même – une terreur sans nom, irraisonnée et injustifiée qui paralyse les efforts nécessaires pour transformer la retraite en avancée. » – Franklin Roosevelt

Selon la théorie de l'évolution, les espèces qui survivent sont celles qui s'adaptent le mieux à leur environnement. Dans le cas du cerveau humain, cela s'est traduit par le développement de mécanismes d'alerte pour faire face aux menaces de survie. 

Ainsi, notre cerveau est programmé pour accorder une attention particulière aux dangers potentiels du fait d'un biais de négativité, également connu sous le nom d’asymétrie positive-négative, une distorsion de la pensée qui fait que les individus accordent plus d’attention et réagissent plus fortement aux stimuli négatifs qu’aux stimuli positifs. Ce biais intervient de manière implicite dans la perception de l’entourage, le traitement des émotions, le choix des préférences etc.

A que « Ce qui intéresse les gens, c'est quand ça va mal. »

Selon le dictionnaire de l’American Psychology Association, le biais de négativité désigne « la tendance des gens à accorder un poids et une considération disproportionnés aux informations et aux événements négatifs dans la prise de décision et la perception ». En général, les éléments négatifs marquent plus l’esprit que ceux qui sont positifs.

Cette focalisation sur les menaces se reflète dans notre intérêt pour les mauvaises nouvelles. Les médias, en particulier les journaux télévisés, privilégient les sujets anxiogènes, tels que les catastrophes naturelles, les accidents, les crimes et les conflits. Cette tendance s'explique par notre désir d'être informés des dangers potentiels afin d'améliorer notre survie.

"L'omniprésence des biais de négativité s'étend au fonctionnement des institutions politiques - des institutions qui ont été conçues pour donner la priorité aux informations négatives de la même manière que le cerveau humain." (Soroka, 2014).


Ce qui intervient par conséquent dans notre sentiment toujours plus important d'insécurité... qui en fait a peu évolué depuis 2010 : environ 20 % des personnes de 14 ans et plus déclarent se sentir en insécurité, ce qui n'est tout de même pas rien... Pourtant, de nombreuses études montrent que les niveaux de violence dans la société ont fortement diminué au cours des dernières décennies. Par exemple, selon les données de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, le taux d'homicides volontaires dans le monde a diminué de 16 % entre 2000 et 2017 (ONUDC, 2019).

Paradoxalement, les citoyens se sentent de moins en moins en sécurité probablement du fait du biais de négativité, des expositions quotidiennes aux violences du monde (chaînes info en continu qui doivent être alimentées) et d'un seuil abaissé d'acceptabilité. Ce sentiment d'insécurité est exploité par les partis d'extrême droite et leurs canaux d'information mettant en avant des thèmes tels que l'immigration, le grand remplacement, la mise en exergue des violences pour entretenir une peur généralisée de l'étranger et des cultures différentes (Wodak, 2015) :

"Les partis populistes de droite occupent le devant de la scène, certains atteignant le sommet de l’échelle électorale : mais savons-nous pourquoi, et pourquoi maintenant ? Ruth Wodak retrace les trajectoires de ces partis depuis les marges du paysage politique jusqu’à son centre, pour comprendre et expliquer comment ils se transforment de voix marginales en acteurs politiques persuasifs qui définissent l’ordre du jour et encadrent les débats médiatiques. En mettant à nu la normalisation de la rhétorique nationaliste, xénophobe, raciste et antisémite, elle construit un nouveau cadre pour cette « politique de la peur » qui creuse de nouvelles divisions sociales entre la nation, le genre et le corps. Le résultat révèle la micropolitique du populisme de droite : comment les discours, les genres, les images et les textes sont interprétés et manipulés dans des contextes à la fois formels et quotidiens, avec de profondes conséquences."

Le problème semble résider dans l'inadaptation de notre psychisme ancestral aux progrès de la civilisation, dont notamment la révolution numérique, l'intelligence artificielle, l'évolution des mœurs... Cette inadaptation se traduit par un conservatisme symptôme des peurs, avec des répercussions sur l'amygdale cérébrale, une région du cerveau impliquée dans la peur et l'anxiété (L'amygdale est responsable de réguler et d’analyser les émotions telles que la peur, l’anxiété ou encore la colère. Elle joue un rôle de détecteur de danger : puisque les émotions négatives sont parfois signes de danger, l’amygdale est donc encline à s’y attarder dans le but de nous protéger).

Cette inadaptation se manifeste également par la nostalgie du passé, illustrée par la formule "c'était mieux avant", une nostalgie souvent associée à un désir de sécurité et de stabilité qui contraste avec les changements rapides et parfois déstabilisants de la société moderne. Ce biais de négativité peut conduire à une détresse psychologique et limiter notre exploration du monde extérieur du fait d’une conception biaisée de la réalité. Il est donc important d’être vigilant et de réguler la manifestation de cet effet.

Au passage, un autre biais peut aider à comprendre : le biais du raisonnement motivé qui tend à prêter attention aux informations qui confirment ses croyances et à rejeter celles qui les remettent en question. Ce biais pousse à développer des rationalisations pour maintenir ses croyances, évitant ainsi la dissonance cognitive.

Que faire ?

Concernant le "sentiment" d'insécurité, il faut tout d'abord accepter l'idée que, malheureusement, le risque zéro n'existe pas, même dans un monde où chacun serait suivi par une caméra policière. Sur ce sujet, le paradigme du contrôle total des individus rejoint les pires cauchemars totalitaires ("1984" / Chine / Corée du Nord etc.). 

En revanche, l'éducation aux médias peut aider les individus à mieux comprendre le fonctionnement des médias et à développer un esprit critique (vigilance épistémique) face à l'information concernant les désastres du jour. Ce qui peut contribuer à réduire l'anxiété liée à la consommation de mauvaises nouvelles et à adopter une vision plus nuancée de la réalité (Potter, 2013).

Par ailleurs, le développement de l'intelligence émotionnelle, c'est-à-dire la capacité à reconnaître, comprendre et gérer ses émotions, peut aider les individus à mieux faire face aux défis de la modernité. En particulier, l'intelligence émotionnelle peut contribuer à réduire l'anxiété et à améliorer la résilience face aux changements (Goleman, 1995).

Enfin, la promotion du vivre-ensemble, c'est-à-dire la capacité à vivre en harmonie avec les autres malgré les différences culturelles, peut aider à réduire les peurs liées à l'étranger et aux cultures différentes. Cela pourrait passer par la mise en place de politiques publiques favorisant la mixité sociale et la lutte contre les discriminations (Putnam, 2007).

"Il n’y a pas de traversée du désert, 

il n’y a qu’une marche vers l’oasis" (Proverbe arabe)

Rédactrice : Martine Cazenabe

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