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Libet et la liberté (de la volonté) : encore une contrariété !

chercheur au département de physiologie à l'université de Californie à San Francisco, Benjamin Libet dans un article de 1983[1] traite de la relation entre les intentions conscientes et l'activité neuronale qui les précède. 

Sans trop entrer dans les détails, un sujet est placé devant une horloge qui défile rapidement ; il dispose d’un bouton sur lequel il peut appuyer. Le sujet doit retenir le nombre indiqué sur l’horloge au moment où il prend la décision d’appuyer sur le bouton. 

En parallèle, des électrodes placées sur son crâne suivent l’activité cérébrale. Ce dispositif permet de mesurer le moment où son cerveau commence à s’activer, le moment où il prend la décision d’appuyer et le moment où il appuie physiquement sur le bouton. 

Résultat : l’activation cérébrale précède la décision consciente de plusieurs centaines de millisecondes. Libet en a conclu que le cerveau décide de notre comportement et que nous ne sommes informés de nos décisions que rétrospectivement !

Ce type d’expérience - en plus élaborée - a été renouvelé (2008, 2011 et 2013 concernant les décisions abstraites) avec des résultats montrant notamment à l’IRM une activité cérébrale préparatoire 7 à 10 secondes avant que le sujet ne prenne sa décision d’appuyer[2].

« Nous avons constaté que le résultat d'une décision peut être codé dans l'activité cérébrale du cortex préfrontal et pariétal jusqu'à 10 secondes avant qu'il n'entre en conscience. Ce retard reflète vraisemblablement le fonctionnement d'un réseau de zones de contrôle de haut niveau qui commencent à préparer une décision à venir bien avant qu'elle n'entre en conscience. »

Ne pouvant se résoudre à accepter ses propres résultats dont il espérait qu’ils prouveraient l’existence d’un LA, Libet (et d’autres) a suggéré qu’il pourrait exister tout de même quelque chose ressemblant à un Libre Arbitre, une sorte de droit de veto lorsque l’intention de l’action devient consciente, soit une petite parcelle de liberté dans la possibilité d’un refus conscient. Une résurgence du « démon » de Socrate[3] ? 

En tout cas à l’inverse de ce que nous disait déjà au 17ème siècle le philosophe Thomas Hobbes :

« Croire au Libre Arbitre, c'est imaginer un décalage entre la réalité de l'action et sa potentialité, entre ce qui est fait et ce qui pourrait être fait : c'est croire que l'on pourrait ne pas vouloir ce que l'on veut. Mais on ne peut ni vouloir vouloir, ni ne pas vouloir vouloir : ce serait vouloir avant de vouloir. »

Soit une régression de la volonté à l’infini... Une stupidité.

Petit exercice concernant le "veto conscient" : essayer donc "librement" - avec votre Libre Arbitre - de ne ne pas penser ce qu'évoque le mot suivant :

éléphant

Alors ? Vous avez réussi ? Votre "veto conscient" a fonctionné et vous n'avez rien "vu" qui ressemble  à un éléphant ? 
En fait, les pensées - comme les émotions - arrivent l'une après l'autre sans l'exercice d'une quelconque volonté libre. Elles s'imposent à nous et viennent nécessairement de quelque part dans notre vécu au sens large, en passant très probablement par notre inconscient. Tel mot d'un interlocuteur évoque immédiatement telle pensée, telle objection, telle émotion...

Bref. Bien que scientifique, Libet est prêt à mettre une croix (!) sur le déterminisme pour préserver coûte que coûte un précieux Libre Arbitre. Il écrit :

« Ma conclusion au sujet du libre arbitre, d’un arbitre vraiment libre au sens de non déterminé, est que son existence est une option scientifique au moins aussi bonne, sinon meilleure, que ne l’est la négation de son existence par la théorie déterministe. Étant donné la nature spéculative des théories aussi bien déterministes que non-déterministes, pourquoi ne pas adopter la conception selon laquelle nous possédons un libre arbitre (jusqu’à ce que quelque donnée réellement contradictoire surgisse, si jamais il en surgit[4]). Une telle conception nous permettrait au moins de procéder d’une manière qui soit en accord et s’accommode avec notre sentiment profond selon lequel nous possédons un libre arbitre. Nous n’aurions pas besoin de nous considérer nous-mêmes comme des machines qui agissent d’une manière complètement contrôlée par les lois physiques connues »[5]

Comment ne pas être stupéfait de constater que le schéma habituellement accepté d’une volonté qui précède l’action soit inversé dans cette expérience de Libet, que ce dernier n’en croit pas ses propres résultats et se réfugie dans le déni le plus simpliste ? En fait, il voulait démontrer l’existence du LA par cette expérience mais démontre à tout le moins que ce LA est introuvable. Et Libet reste obstinément sur sa position... en attendant que « quelque donnée réellement contradictoire surgisse » alors que la charge de la preuve est de l'autre bord, évidemment...

Par ailleurs, on ne voit pas très bien l’intérêt de ce droit de veto éventuel dans la compréhension d’une éventuelle volonté libre. En résumé le « je veux faire » n’est pas libre... mais le « je ne veux pas faire » le serait ? Est-ce sérieux ? N’être qu’une « machine biologique » semble être une idée insoutenable pour nombre de philosophes et de scientifiques, dont Libet. Et l'existence d'un « droit de veto » ne tient pas plus la route que l'existence d'un libre arbitre ontologique. Les événements neuronaux qui inhibent (veto) une action planifiée sont initiés de la même façon, soit avant la prise de conscience. Ce que précisent d'ailleurs la chercheuse en neurosciences cognitives Angela Sirigu et le psychologue docteur en neurosciences Gilles Lafargue[6] :

« Dans certaines situations, ce « droit de veto » du cortex frontal requiert un effort mental : c’est ce qui se passe, par exemple, lorsque l’on joue à s’envoyer un ballon et que la personne qui reçoit le ballon doit garder les mains jointes et ne les ouvrir que si le ballon est réellement envoyé. Si le joueur qui envoie le ballon fait semblant de l’envoyer, le receveur a tendance à ouvrir les mains, car son cortex pariétal et son cortex moteur ont préparé l’intention pour le cas où le ballon partirait. Voyant qu’il ne part pas, le cortex frontal doit mettre son veto au mouvement, et il ne dispose pour cela que de 200 millisecondesLes mains s’ouvrent bien souvent. C’est aussi le problème auquel sont confrontés les athlètes devant éviter de prendre un faux départ. (...) Ce fonctionnement requiert l’intégrité des lobes frontaux, et la présence de schémas inhibiteurs puissants, inculqués par l’éducation, la société, la loi. Certains psychopathes sont caractérisés par des défaillances des lobes frontaux : si les schémas moteurs engageant des gestes violents sont «proposés », il se peut que les inhibitions préalables soient absentes pour les refréner. Dès lors, il est particulièrement difficile de déclarer si une personne est, ou non, responsable (en fait coupable) de ses actes ».

Donc cette idée de veto est réfutée notamment pour une question de temps : le veto tel que l’envisageait Libet requiert la mise en route d’une décision consciente qui devrait elle-même être précédée d’un processus non conscient dont la durée excéderait le temps disponible[7]. Et puis, dans le cas de cet adolescent schizophrène qui a poignardé à mort sa professeure d’Espagnol à cause de voix angéliques « dans sa tête », on se demande bien où se trouvait cette faculté de veto... 

Quittons les anges pour en revenir à Libet. Ses résultats ont été considérés comme les preuves d'un déterminisme neuronal, avec toutes ses conséquences concernant le débat sur le Libre Arbitre en philosophie, psychologie et neuroscience ; Libre Arbitre qui semble donc ne pas exister, en tout cas qu’on ne trouve pas, et qui serait incompatible avec les résultats décrits et les lois naturelles. Autrement dit, nos décisions font partie d’un processus cérébral inconscient précédant nettement notre prise de conscience de ces mêmes décisions, et l’éventuel droit de veto ne change rien à l’affaire ! 

Ce soi-disant droit de veto me rappelle la réflexion de Cormery dans le roman de Camus « Le premier homme », quand il s’emporte contre la barbarie de la guerre :

« Un homme ça s'empêche »

S’empêcher de quoi ? De violer, de mutiler, de tuer ? Encore faut-il le pouvoir. Si possibilité de veto il y a, ce n’est pas la chose la mieux partagée lorsqu’on consulte les nouvelles du jour. Alors, droit de veto pour certains, pas pour d’autres, en fonction de quoi ? Ce « droit de veto » ne fait que de remettre un peu d’eau dans la machine à brouillard.

Ces expériences de Libet et consorts - dont celles de Fried[8] sur des neurones uniques - sont à ce point gênantes pour les tenants du LA que certains n’hésitent pas à s’affranchir de toute logique. Ainsi, la philosophe spécialisée dans la neuroéthique Kathinka Evers qui se déclare pourtant « matérialiste éclairée » (!) nous confie :

« Même si les méthodes expérimentales de Libet sont suffisamment adéquates pour montrer que les décisions conscientes d’agir sont précédées par ce « potentiel de préparation » non-conscient, elles ne prouvent pas que la conscience n’est pas instrumentale à une étape antérieure, d’une manière qui conserve au libre arbitre un rôle qui va bien au-delà du pouvoir de déclenchement / empêchement. »[9]

Il y aurait donc la conscience qui agirait sur l’inconscient pour fournir une conscience qui agirait sur l’inconscient qui... C’est vrai qu’on peut penser qu’il y a des nains de jardin au centre de la Terre car personne n’a prouvé le contraire. La charge de la preuve, encore et toujours... La même Kathinka Evers retrouve une part de conscience et de bon sens un peu plus loin :

« Il n’est à mon sens pas possible que nos institutions sociales soient fondées sur des présuppositions qui seraient en contradiction totale avec la connaissance scientifique ou qui feraient appel à des mystères métaphysiques. Il serait absurde et perversement injuste de maintenir un système social sophistiqué de récompense et de punition si nous pensions qu’il n’y a pas de vérité ou de réalité correspondant aux notions de mérite et de culpabilité. Si effectivement la science prouvait[10], ou rendait très probable, le fait que nous sommes des créatures strictement déterminées et dénuées de tout pouvoir d’influence volontaire sur notre destin, il ne serait alors plus possible de justifier ni l’éloge moral, ni le blâme moral, et nos institutions sociales devraient être reconstruites en conformité avec cela. »

Nous sommes au cœur du sujet ! Mais qui dit que nous serions « dénuées de tout pouvoir d’influence volontaire sur notre destin » dans le cas d’un déterminisme strict ? Ce dernier dit simplement que volonté il y a, tous les jours, tout le temps, chez l’animal comme chez l’humain, avec évidemment un pouvoir « d’influences volontaires ». Mais ces influences volontaires sont déterminées par des facteurs inconscients en amont jusqu’à 10 secondes avant la prise de conscience comme l’a montrée l’étude Soon[11].

Mais je ne tiens pas ces expériences comme susceptibles de trancher définitivement le sujet. Une étude[12] usant d’une autre méthodologie cherchant à regarder ce qui se passe en cas de décision « délibérée » - et non plus de décision « arbitraire » comme dans les expériences de Libet - donne des résultats un peu différents. 

Par ailleurs, une méta-analyse récente des expériences de Libet conclut :

« La présente méta-analyse à effets aléatoires a produit un schéma temporel qui est en grande partie conforme à celui trouvé par Libet et ses collègues (Libet et al., 1983). Étonnamment, la base de preuves est remarquablement mince. Cela est particulièrement vrai pour la différence de temps cruciale entre le début de l'activité cérébrale inconsciente et l'intention consciente de bouger (...) De plus, il existe un degré élevé d'incertitude associée au début de cette activité cérébrale. Ainsi, même après presque 40 ans, certaines découvertes de Libet et al. apparaissent plus fragiles que prévu à la lumière des travaux scientifiques substantiels qui se sont appuyés sur eux. »[13]

Ce qui ne peut que satisfaire les croyants du Libre Arbitre : pour eux, le modèle de décision dans les expériences de type Libet serait « peut-être compatible » avec un Libre Arbitre « réel », et l'activation cérébrale précédant les décisions conscientes refléterait simplement le processus de décision plutôt que la décision elle-même[14] ! Comme l’épluchage de légumes reflète simplement le processus de préparation du pot-au-feu plutôt que le pot-au-feu lui-même ? Mais enfin, on sent bien un lien fort de causalité entre les deux : pas d’épluchage de légumes causa sui (= cause de soi-même). La décision semble bien intervenir en amont de la prise de conscience, hors de portée d’un quelconque Libre Arbitre « réel » qui nécessite la conscience. Car hors contrôle de la conscience, le LA ne signifie plus rien.

Le docteur en philosophie Neil Lévy considère que les partisans du LA croient en la magie :

« Nos décisions sont probablement le produit de longues chaînes de causes, peut­-être des chaînes qui remontent à avant notre naissance (...) Il est difficile de voir comment des événements sans cause ou des causes sans cause nous rendraient libres. Les décisions libres, si elles existent, sont prises pour des raisons, et ces raisons doivent être parmi ses causes. Nous ne sommes pas libres si nos décisions sont sans cause, conscientes ou non. Dans ce cas, nous répondons au hasard, et une décision au hasard n'en est pas une en vertu de laquelle nous sommes responsables, dont nous devrions être fiers ou honteux. Certains philosophes, et implicitement les neuroscientifiques qui ont suggéré que le libre arbitre dépend d'une décision consciente qui est en quelque sorte intrinsèquement libre, ­une décision libre qui n'est pas causée par des événements antérieurs, et donc pas causée par nos raisons­ ont demandé de la magie (...) Il n'y a pas de magie dans le cerveau ou le monde, mais l'univers impressionnant révélé par la science est un remplacement plus satisfaisant. »[15]

« Plus satisfaisant » pour moi et quelques-uns... Mais pas pour l’astrophysicien Roger Penrose (prix Nobel de physique 2020 et fervent partisan du LA) qui suggère que les résultats de Libet « pourraient être expliqués » par une sorte de rétro-causalité (« retro-causation ») ou une action avancée (« advanced action ») permise par la physique quantique...[16] 

« Pourraient être expliqués », peut-être... mais ne sont pas expliqués pour l'instant. Et une « retro-causalité » (rétro-action) reste une causalité jusqu’à preuve du contraire. Enfin, quel rapport avec la physique quantique ? Ou alors il faut préciser (il évoque certes la présence de microtubules dans les neurones du cerveau comme étant à l’origine quantique de la conscience...[17] sans preuve d'aucune sorte, d'autant que la chaleur du cerveau est peu propice aux manifestations quantiques). Penrose défend ainsi une vision platonicienne des Mathématiques dans son livre ("L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique") :

« J'imagine que chaque fois que l'esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde platonicien des idées [...] Quand nous "voyons" une idée mathématique, notre conscience pénètre dans ce monde des idées et prend directement contact avec lui. »

Transcendance, quand tu nous tiens... (voir wikipedia)

Sceptique, la philosophe Patricia Churchland écrit : « La poussière de lutin dans les synapses est à peu près aussi puissante sur le plan explicatif (du libre arbitre) que la cohérence quantique dans les microtubules. »

En poussant toujours un peu plus loin le bouchon, pourquoi ne pas supposer - comme certains l’avancent - l’existence d’un Libre Arbitre préconscient ? Se rapprochant de cette hypothèse, une étude[18] avance qu’il pourrait exister un contrôle cognitif conscient des aires motrices primaires et supplémentaires inconscientes qui préparent l’action. Et alors ? Admettons que ce soit le cas. En quoi des allers-retours entre conscient et inconscient au moment de la prise de décision de l’action échapperaient au déterminisme / indéterminisme global ? Il faudrait supposer à nouveau un dualisme conscience (indéterminée) / corps (déterminé), soit la conception cartésienne abandonnée depuis longtemps.

En résumé, acceptons le fait que Libet n’a montré ni l’existence, ni l’inexistence du LA, soit le même statut que celui de la licorne, des farfadets, de dieu, des fantômes... ce qui, pour un naturaliste, est assez évident. 

Trois remarques s’imposent toutefois :

1) Cette polémique montre qu’il est pratiquement impossible de démontrer l’inexistence de quelque chose, ce qui rappelle incidemment que c’est aux croyants du Libre Arbitre de nous donner quelques preuves de cette chimère (= fardeau de la preuve). Et prouver l’existence de manifestations surnaturelles nécessite des preuves particulièrement fortes ; inexistantes jusqu’à présent.

2) Ces expériences montrent à tout le moins que des éléments inconscients sont convoqués dès le début du processus de décision : comment concilier ces déterminants inconscients avec la notion de Libre Arbitre « réel » telle que définie « classiquement » ? Le « surplomb » théorique du Libre Arbitre sur des déterminants de toute sorte semble donc être « contaminé » par des influences inconscientes que l’on peut parfois repérer par ailleurs dans les actes manqués, lapsus, oublis, maladresses diverses... Nombreuses sont les manifestations à ciel ouvert de l’inconscient que la conscience n’a pu contrôler à temps, droit de veto éventuel compris. Alors, arbitre peut-être (choix, prise de décision), mais de là à être libre... 

3) Que veut dire l’objection « l'activation cérébrale précédant les décisions conscientes reflèterait simplement le processus de décision plutôt que la décision elle-même » ? Que met-on précisément entre « le processus de décision » et « la décision elle-même » ? Un composant surnaturel ? Tout ceci ressemble fort à un argument captieux proche du sophisme dans la mesure où l’amorce de la décision est non seulement inconsciente mais s’effectuerait plusieurs secondes avant la prise de conscience de la décision... 

Libet a cherché le Libre Arbitre dans le cerveau et, à son grand désespoir, ne l’a pas trouvé. Et nous en sommes toujours là !

Comme il ne faut surtout pas céder la place aux mécréants sceptiques du LA, certains ont pensé pouvoir réduire le pied pour qu’il rentre enfin dans la chaussure. Le professeur de philosophie Alfred Mele[19] est ainsi partisan d’une définition plus « modeste »[20] du LA qui correspondrait à la fois « aux situations ordinaires de l’existence et à l’idée que s’en fait la grande majorité des gens ». Il abandonne donc le statut métaphysique du LA pour se contenter de ce qu’en pense le profane. Après cette contorsion, il en conclut que...

« la science ne réfute pas le Libre Arbitre (...) et l’illusion est de penser qu’il existe des preuves scientifiques solides de son inexistence ».

C’est vrai. La science dit simplement qu’elle ne voit pas trace de cette entité mystérieuse et que cette absence correspond bien à un naturalisme où tout est déterminé / indéterminé dans la nature. Et comme la charge de la preuve incombe évidemment aux partisans de la licorne, nous attendons toujours cette preuve avec le plus grand intérêt. Quant à réduire le LA au point d’adopter l’idée que s’en fait la majorité des profanes : on en voit toute la misère lorsque nous abordons la philosophie expérimentale.

Incidemment, je suis impressionné par le nombre d’auteurs qui sont englués dans ces erreurs de raisonnement basiques comme celui-ci émanant de la professeure Liad Mudrik, spécialiste de la conscience :

« Pour réfuter l'existence générale du libre arbitre, il faudrait montrer que les agents ne sont jamais capables de répondre à des raisons ou qu'ils manquent de contrôle sur leur comportement. Ceci, bien sûr, n'a été démontré par aucune des expériences passées en revue. Cependant, en adoptant la notion de degrés de liberté, ces expériences montrent comment le contrôle ou la réactivité aux raisons sont compromis ou imparfaits. Ils peuvent ainsi nous aider à délimiter à la fois les limites et l'étendue de notre liberté, en distillant les contributions des facteurs liés et non liés aux raisons sur les décisions. »[21]

S’il en était besoin, petite traduction après quelques légères modifications :

« Pour réfuter l'existence générale de Dieu, il faudrait montrer que les miracles n’existent jamais. Ceci, bien sûr, n'a été démontré par aucune des expériences passées en revue. Cependant, en adoptant la notion de miracles partiels, cela pourrait nous aider à délimiter à la fois les limites et l'étendue des miracles... »

Restons sur le concept de miracle. Je peux dire (arbitrairement évidemment) que retrouver mes clés perdues de voiture...

  • dans la poubelle du voisin qui s’est renversée du fait du vent : 0,59 miracle
  • dans les égouts de la ville : 0,84 miracle... mais seulement 0,42 si je suis égoutier de métier
  • sur  le gâteau que mon épouse vient de cuire : 0,07 miracle 


Qui donc serait capable de rationaliser, vérifier ces chiffres ? Personne. Idem pour les degrés de LA. Qui plus est, les miracles - comme le LA - n’existant pas, ce sont plutôt les causes amenant à ces diverses trouvailles « miraculeuses » qui méritent d’être étudiées ; ne serait-ce que pour éviter de perdre à nouveau mes clés. Avant de parler de miracles partiels (ou de « degrés de liberté », ce qui revient au même), il serait nécessaire de prouver l’existence de Dieu, et dans la foulée celle des miracles.

On retrouve ces mêmes « degrés » de liberté chez l’agrégée de philosophie et psychologue Joëlle Proust, pourtant « naturaliste », qui prend position du côté compatibilisme (il existe des déterminants... mais pas que). Pour cela, elle doit abandonner une définition trop forte de la liberté : pour l’auteure, cette liberté ne doit pas être envisagée comme une possibilité métaphysique, mais comme une « possibilité logique » par laquelle l’individu parvient à moduler sa volonté. Elle met l’accent sur la « volition », événement par lequel l’individu « se met en mesure d’agir » en vue d’un résultat, interne ou externe[22]. Il en ressort une conception gradualiste de la liberté dans laquelle un individu peut être plus ou moins libre, en fonction de « l’étendue du répertoire de réponses ouvert par les nouvelles boucles de contrôle cognitif » : ainsi, « l’individu parvient à moduler sa volonté »... Mais par quel miracle, quelle magie autre que l’action des déterminants à l’œuvre, ici comme partout ? Quelle serait cette force interne capable de modifier sa propre volonté ? Encore une entorse au premier principe de la thermodynamique ? Une volonté « primaire » (degré 1) initiant une volonté « secondaire » (degré 2) ? Et pourquoi pas une volonté de la volonté de la volonté etc., une volonté à n degrés, jusqu’à l’infini ? Soit une nouvelle branche du corpus philosophique ; un oxymore originel original, une sorte de naturalisme transcendantal. 

Ou peut-être en suivant Freud et son célèbre aphorisme « Là où le ça était, le moi adviendra », la nécessité d’une psychanalyse à vie alors même que Freud condamnait sévèrement le concept de LA ? 

Il faudrait argumenter : l'inintelligibilité du Libre Arbitre n’en fait pas sa vertu.


[3] Selon Platon, le démon (daimonion) de Socrate lui souffle ses réponses lorsqu'il s'exprime sur un sujet, surtout concernant... ce qu'il ne devrait pas faire !

[4] Toujours la même erreur : il ne peut pas surgir une preuve de l’absence de LA car on ne pourra jamais avoir une preuve de l’absence des fantômes, des licornes, des dieux... C’est une preuve de présence dont on aurait besoin !

[5] Libet - 1999 - pages 56-57 

[8] Cette étude montre l’activité préconsciente de petits assemblages de neurones individuels dans le lobe frontal médian précédant non seulement la volition, mais pouvant également prédire la volition et son moment d’apparition - « Internally generated preactivation of single neurons in human medial frontalcortex predicts volition » 

[10] La science devrait prouver l’inexistence encore une fois !!!!

[13] « A meta-analysis ofLibet-style experiments » - Moritz Nicolai Braun - 2021 

[14] « Why neuroscience does notdisprove free will » - Brass - 2019 - 

[15] « Free will in the brain? » - 2021 

[17] Cette théorie de Penrose est controversée et critiquée par de nombreux scientifiques qui estiment qu’elle n’est pas fondée sur des preuves expérimentales et qu’elle viole les principes de la thermodynamique et de la décohérence quantique : les microtubules sont trop chauds et trop humides pour maintenir une cohérence quantique suffisamment longue pour être pertinente concernant la conscience. Ce qui n’empêche pas certains de continuer de labourer ce terrain stérile : « Quantum propensities in the brain cortex and free will » 

[19] « Pourquoi la science n’a pas réfuté le Libre Arbitre » - 2014 et « Le libre arbitre à l'épreuve de la science » - 2022

[20] Il faudrait adopter selon Mele une conception « modeste » du libre arbitre : « ne pas exiger de l’agent qu’il se détermine absolument, mais seulement pour partie, relativement à tel ou tel élément du contexte de l’action et étant données ses dispositions de caractère »... Comme si les dispositions de caractères de l’agent n’étaient pas déterminées, avec un « petit » Libre Arbitre à géométrie variable dont il faudrait nous donner pour chaque action sa force réelle. Un bout de chimère reste une chimère !

[22] « La nature de la volonté » - 2005 - Folio

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Phénoménologie : une arnaque phénoménale ?

La phénoménologie - une branche de la philosophie - cherche à comprendre les structures de l'expérience vécue et à décrire les phénomènes tels qu'ils se présentent à la conscience sans recourir à des interprétations ou des théories préconçues. Elle met l'accent sur la subjectivité et l'intentionnalité, c'est-à-dire le fait que la conscience est toujours dirigée vers quelque chose.

Cela dit, parvenir au cœur de la (des) phénoménologie(s)[1] est à peu près aussi simple que d’avoir une vision exhaustive et cohérente de la mécanique quantique, sans aucune excuse de scientificité. 

D’autant que la visée de la phénoménologie, qui se veut scientifique sans daigner s’abaisser pour autant aux contraintes énoncées par Karl Popper[2], est élevée. Très élevée.

Selon Hegel, le but serait de décrire en totalité « l’essence intégrale de l’homme », c'est-à-dire toutes ses possibilités cognitives et affectives. 

Edmund Husserl

Mais c’est surtout avec Edmund Husserl que la phénoménologie acquière ses lettres de noblesse. Pour lui, la phénoménologie est le « lieu d'une intelligence finale de l'humanité par elle-même ». Fichtre ! Elle se donne pour tâche de « rechercher le fondement transcendantal de toute connaissance » en se posant elle-même comme « science de la conscience ». Une lévitation philosophique transcendantale.

Face à ce projet des plus grandioses, peut-on se risquer à quelques remarques qui ne seront probablement pas à la hauteur des ambitions poursuivies. Mais les notions « d’essence »[3], « d’idéalisme transcendantal », de « transcendance et immanence qui s'articulent dans le même acte », de « religion comme facteur d’épanouissement », « d’irréductibilité de la conscience »... semblent bien éloignées du naturalisme. Naturalisme que la phénoménologie considère du haut de son piédestal avec le plus grand mépris comme étant une approche « matérialiste réductrice » car « la science ne pense pas ! »

Heidegger s’est ainsi opposé au rationalisme de toutes ses forces :

« Je sais aujourd’hui qu’une philosophie de la vie vivante a le droit d’exister - que j’ai le droit de déclarer au rationalisme une guerre à couteaux tirés - sans subir l’anathème de la non-scientificité - j’en ai le droit - je le dois. »[4]

Selon l’agrégé et docteur en philosophie Claude Vishnu Spaak, féru de phénoménologie :

« La philosophie phénoménologique de la nature n’aurait guère de sens si l’on s’en tenait au cadre des sciences de la nature et de leur scientificité héritée du naturalisme. »[5]

Une variante sauvage pourrait donner : « la théologie n’aurait guère de sens s’il fallait prouver tout ce que l’on affirme à propos de Dieu ». Je ne suis pas certain que « la philosophie phénoménologique de la nature » ainsi que la « théologie » s’en trouvent renforcées. Comme le dit Jean Beaufret, lecteur assidu et fin connaisseur d’Heidegger, à propos de « l’être » et de « l’étant » :

« Les choses s’éclairent de plus en plus, c’est-à-dire... demeurent de plus en plus nébuleuses ! »[6]

En ce qui me concerne, chaque fois que je me désespère de comprendre les propos d’Heidegger, je me rappelle cet aveu attendrissant du même Jean Beaufret qui, pendant trente ans, à plusieurs reprises, déclare avoir presque été sur le point de comprendre - peut-être - cette sentence :

« Le péril est la menace de l’être par l’étant ».

On ne sait si son espoir a pu se concrétiser. Pour ma part, je verrais bien cette interprétation de la sentence d’Heidegger - qui sera jugée « réductrice » à n’en point douter par les zélotes phénoménologistes : les notions d’essence et de transcendance de « l’être » ont effectivement quelques soucis à se faire dans leur confrontation à l’existence ici et maintenant de « l’étant ». Le surnaturel n’est pas des plus certains !

A la lecture des phénoménologistes, j’ai souvent l’impression (phénoménale évidemment) qu’ils enfoncent quelques portes ouvertes et complexifient à l’envi. Carl Stumpf - philosophe qui a été le professeur de Husserl et a dirigé la thèse de ce dernier - avait déjà quelques inquiétudes à ce sujet :

« Pour les lecteurs désireux de comprendre ses Idées directrices, Husserl a rendu la tâche extraordinairement difficile dans la mesure où des exemples adéquats, susceptibles d’éclaircir le type de connaissances qu’il a en vue, font tout bonnement défaut. On est obligé de les chercher soi-même selon les instructions de la théorie générale qui y est soutenue pour s’en représenter ainsi le sens et les intentions, ce qui ne va pas, naturellement, sans quelques incertitudes. »[7]

Une sorte de « phénoménologie sans phénomènes » dira même Stumpf.[8]

Dans l’ouvrage « Le concept scientifique du libre arbitre »[9], le docteur en philosophie Albert Dechambre illustre assez bien le galimatias conceptuel « neurophénoménologique » dans un effort assez désespéré pour sauver le Libre Arbitre (il fallait bien que j'y vienne) :

« Le modèle neurophénoménologique montre que le libre arbitre est possible grâce à la dynamique des synchronisations, des trajectoires et des attracteurs, qu’il se réalise grâce à leur plasticité et leur sensibilité à l’analyse phénoménologique réflexive (la causalité circulaire entre niveaux). Il offre ainsi sa sensibilité à la causalité symbolique opérant au sein des flux de conscience des individus et des communautés. Nous pouvons ainsi réécrire le schéma de la causalité symbolique en termes de causalité circulaire et de cogénération entre le monde phénosymbolique et le système des inscriptions neuronales (assemblées, attracteurs, trajectoires) grâce au sujet énacté dans son environnement phénosymbolique et l’énaction des symboles et rapports symboliques dans l’activité neurologique. »

On se retrouve avec la « causalité circulaire », une causalité sans cause, qui tourne en rond. 


Avec la « Preuve du libre arbitre » du même Albert Dechambre, nous sommes très excités à l’idée d’avoir enfin une certitude, une preuve concernant l’existence de la liberté de la volonté. 
Conclusion de l’auteur :

« Nous sommes parfois libres. Cette conclusion modeste suffit car elle est la garantie que cette liberté peut s’accroire si nous veillons sur la richesse et la flexibilité de nos outils symboliques. Elle nous engage dans un processus dynamique autoréflexif : de plus en plus d’actions ne sont pas précédées de causes qui nous échappent… Cette conclusion faible peut apparaître comme une concession faite aux sceptiques (qui ne croient pas à la liberté de la volonté), et c’est bien le cas au sens où dans la vie quotidienne, peu de choix sont réellement libres. »[10]

Patatras ! Cruelle déception. La conclusion est à la fois « modeste » et « faible » ; et pas que la conclusion. Mais alors il faudrait modifier drastiquement le titre de cet article « Preuve du libre arbitre » par quelque chose comme : « Nous sommes peut-être libres, enfin, parfois, enfin je ne sais pas trop pour tout dire ». Ce serait moins marketé mais plus honnête. Le même précise concernant les sceptiques du LA comme le psychosociologue Daniel Wegner ou Libet avec son expérience princeps :

« Il faut convenir qu’ils ont déjà manifesté leur libre arbitre en ayant choisi le type d’expérience avec lequel ils pensaient pouvoir réfuter le libre arbitre. »[11]

Sophisme, quand tu nous tiens... Wegner ne « réfute » pas le LA « réel » ; il ne le voit nulle part et demande la preuve de son existence avant toute chose, preuve qui ne vient évidemment pas. Quant à faire coïncider choix et LA, l’animal effectuant également des choix, celui-ci est donc également doté du Libre Arbitre ? Quant à Libet, le pauvre, il voulait au contraire démontrer par son expérience la réalité du LA !

Je comprends fort bien que l’on puisse être fasciné par une tablette phénoménologique d’écriture cunéiforme promettant le Graal de la connaissance et de la conscience. Le décryptage de sentences ésotériques ne peut que passionner tous les Champollion en herbe qui se sont égarés en philosophie. Je n’ai pas reçu cette grâce, tout comme le philosophe Jean-François Revel qui constate...

« Le caractère rigoureusement tautologique de la démarche de Heidegger qui, lorsqu’il traite de l’être, se borne à nous dire que l’étant y surgit, et, lorsqu’il traite de l’étant, nous dit qu’il ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’être (...)  Ce qui est à prouver se transforme insensiblement au bout de quelques lignes en preuve de l’idée qui devait lui servir de preuve. »[12]

Sophisme, quand tu nous tiens... Les agrégés de philosophie Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau[13] n’ont malheureusement pas plus de chance que Revel : tous ceux-là considèrent la phénoménologie comme l'une des impostures intellectuelles majeures des XXème et XXIème siècles. Prônant une méthode qui se voudrait « rigoureuse » fondée sur la description des phénomènes tels qu'ils apparaissent à la conscience[14], la phénoménologie ne débouche, pour ces auteurs, sur aucun résultat probant. Cette branche de la philosophie singerait la profondeur à l'aide d'un jargon aussi incompréhensible que ridicule ; une entreprise dogmatique et autoritaire, qui impose sa vision du monde sans la soumettre à la critique, et qui méprise le lecteur en le noyant sous des formules absconses.

« Le jargon donne l'illusion de participer à une réalité supérieure : plus on l'emploierait, plus on s’élèverait au-dessus du niveau des simples mortels. Mais le plus souvent il ne s’agit que de sudation intellectuelle en vase clos. »[15]

Nicolas Rousseau cite à ce propos La Bruyère qui nous étonne avec une prescience proprement « phénoménale » :

« Une chose vous manque, c’est l’esprit. Ce n’est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. »[16]

Bref, la phénoménologie pourrait bien être un avatar de l’idéalisme (spiritualisme), une obstination dans l’invérifiable.

Pour le philosophe Michel Onfray, préfacier de l’ouvrage « La phénoménologie des professeurs » :

« Il s’agit encore et toujours de vendre des arrières-monde - ce qui, après Nietzsche, devrait pourtant être une occupation aussi caduque que celle de fabriquer en série des haches en pierres polies (...) Des fumées pour dissiper des fumées »...

Et puis, une certaine promiscuité, voire une promiscuité certaine de Heidegger avec le nazisme et l’antisémitisme[17] n’est pas de nature à arrondir les angles, même s’il est de bon ton de séparer l’œuvre de l’homme qui adhéra à l’idéologie nationale-socialiste et au délire antisémite des « Protocoles des sages de Sion », un faux fabriqué par la police secrète tsariste[18]

Le même Heidegger qui a noté dans ses « cahiers noirs » récemment édités :

« L’une des formes les plus dissimulées du gigantesque, sa forme peut-être la plus ancienne, est la coriace habileté à calculer, trafiquer, embrouiller, en quoi se fonde l’acosmisme[19] du judaïsme. Le judaïsme mondial, excité par les émigrants qu’on a laissés sortir d’Allemagne est partout insaisissable et peut déployer sa puissance sans prendre part à aucune action guerrière - contre quoi il ne nous reste qu’à sacrifier le meilleur sang des meilleurs de notre propre peuple. »

Bigre ! Enfin une pensée claire... qu’on regrette aussitôt d’avoir compris. Certains y verront juste une « grosse bêtise » quand d’autres y détectent l’incurie éthique et politique de la pensée de Heidegger qui mobilise les concepts fondamentaux de sa pensée (dasein, oubli de l’Être, puissance efficiente de la technique) pour les fondre, les amalgamer dans les clichés antisémites de l’idéologie nazie. Jusqu’en avril 1942, Heidegger était membre de la « Commission pour la philosophie du droit », une instance nazie dirigée par Hans Frank, « le boucher de la Pologne »[20]

Et ce n’est pas l’ancien professeur de philosophie Vincent Cespedes qui dira le contraire, lui qui a fait pétition pour supprimer Heidegger de la liste des philosophes recommandés en Terminale[21]. Cinq mille signatures ; sans suite. Mais doit-on se plier à la « cancel culture » ou plutôt reconnaître l’existant et former un jugement ? (voir Wokisme et cancel culture)

Mêmes critiques chez le philosophe Stéphane Domeracki[22] auteur de « Heidegger et sa solution finale ». Certains diront joliment que la phénoménologie est essentiellement une question de « chemins ». D’autres complètent : des chemins qui ne mènent nulle part. 

Quoi qu’il en soit, la phénoménologie n’apporte rien de fondamental au sujet qui nous occupe (vous vous souvenez : le libre arbitre), même s’il existe des recherches recueillant des données subjectives dites « en première personne » (phénoménales) couplée à des données objectives dites « en troisième personne »[23] (scientifiques) dans le cadre notamment de la neurophénoménologie initiée par Francisco Varela[24]Reste à vérifier que la première personne apporte effectivement une aide à la troisième, comme, par exemple, la possibilité d’identifier des sensations « subjectives » prédictrices d’une crise d’épilepsie « objective » à venir[25]

Le neuroscientifique Stanislas DEHAENE ne semble guère plus convaincu :

« Transformer un mystère philosophique en un simple phénomène de laboratoire [...] Une fois que nous aurons clarifié comment l’acte de perception transforme certaines des informations qui frappent notre rétine en pensées conscientes, la montagne philosophique que nous nous faisons du caractère ineffable de l’expérience subjective accouchera d’une souris... de laboratoire. »

Trente après le début de la neurophénoménologie, je n’ai pas eu le bonheur de vérifier la pertinence de cette approche[26] dont on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une simple confusion avec la neuropsychologie, une spécialité de la psychologie qui se concentre sur la relation entre les fonctions cognitives, le comportement et le cerveau...

De même, la « philosophie de la psychiatrie » est une tentative de lier phénoménologie et psychiatrie dans un attelage des plus improbables[27].

Mais laissons les portes ouvertes !


[2] Philosophe épistémologue, Popper a établi un critère de démarcation entre les sciences expérimentales et les autres savoirs. Il a mis l'accent sur l'idée de réfutabilité par l'expérimentation pour caractériser le savoir scientifique. La phénoménologie n’est en aucune manière « refutable ».

[3] « Phénoménologie de la perception » - Maurice Merleau-Ponty : « La phénoménologie, c'est l'étude des essences, et tous les problèmes, selon elle, reviennent à définir des essences : l'essence de la perception, l'essence de la conscience, par exemple (...) C'est une philosophie transcendantale qui met en suspens pour les comprendre les affirmations de l'attitude naturelle... » - http://philotextes.info/spip/IMG/pdf/merleau-ponty-phenomenologie-de-la-perception.pdf

[4] « Mein liebes Seelchen! » lettre à sa future épouse - 1916

[5] « Vers une philosophie phénoménologique de la nature » - Claude Vishnu Spaak https://journals.openedition.org/alter/582?lang=de#tocto1n2

[8] « Avec ou sans Phénomènes ? La Phénoménologie entre Stumpf et Husserl » - https://sciendo.com/pdf/10.2478/phainomenon-2017-0006

[11] Ibid

[12] « Pourquoi des philosophes » - 1965 - Pauvert - p.52

[13] « La phénoménologie des professeurs - L'avenir d'une illusion scolastique » - 2020 - L’Harmattan

[14] N’y a-t-il pas une grande difficulté, voire une impossibilité majeure, à être à la fois acteur, observateur et analyste de son expérience « consciente » ?

[17] A quelques exceptions près : des amis juifs, Hannah Arendt... Soit des affects à géométrie variable, comme pour nous tous...

[18] « Les Protocoles des Sages de Sion » - https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Protocoles_des_Sages_de_Sion et « Lecture d’un faux ou l’endurance d’un mythe : les Protocoles des Sages de Sion » - https://www.erudit.org/en/journals/crs/1989-n12-crs1516226/1002060ar.pdf

[19] Terme appliqué par Hegel au système de Spinoza (par opposition à athéisme) parce qu'il fait rentrer le monde en Dieu plutôt qu'il ne nie l'existence de celui-ci. L'acosmisme est la théorie qui, par contraste avec le panthéisme, nie la réalité de l'univers, ne le considérant finalement que comme illusoire.

[23] Données dites "en troisième personne", c'est-à-dire observables et reproductibles à l’identique par un observateur neutre

[24] Rappelons que Husserl était des plus critiques concernant les tentatives de « naturaliser » la philosophie

[25] « Anticipating seizure: Pre-reective experience at the center of neuro-phenomenology » - https://clairepetitmengin.fr/AArticles%20versions%20finales/Co%20&%20Co%20-%20Anticipation.pdf

 [26] « Francisco Varela’s neurophenomenology of time: temporality of consciousness explained? » - https://www.actaspsiquiatria.es/repositorio//15/84/ENG/15-84-ENG-253-262-516323.pdf

[27] « Heidegger, psychiatre malgré lui ? » 

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous