Selon les responsables de la droite et
de l'extrême droite, le « wokisme » était au centre de la cérémonie d’ouverture
des Jeux olympiques en France...
Et c'est pas bien !
Le terme “wokisme” dérive
de l’anglais “woke” qui signifie littéralement “éveillé”. Il désigne un
mouvement social et politique visant à sensibiliser et à lutter contre les
injustices et les discriminations systémiques basées sur la race, le genre, la
classe sociale, et autres axes de marginalisation.Sans libre arbitre « réel » (ontologique), il est évident que toute
discrimination de minorités est foncièrement injuste. Et il n'est pas besoin d'être d'extrême gauche pour constater que les "hommes blancs hétérosexuels" subissent globalement moins de discriminations que
les autres groupes humains.
Et les discriminations se cumulent comme l’indique la juriste
féministe américaine Kimberlé Crenshaw[1] :
dans notre société, il est plus difficile d’être homosexuel qu’hétérosexuel, et
encore plus difficile d’être homosexuel noir que blanc. Ce n’est qu’en
combattant pied à pied par la législation, l’éducation - dont sa composante
philosophique -, les débats dans les médias, les manifestations éventuelles...
que nous changerons les mentalités : c’est la marche de l’évolution
culturelle humaine, tout simplement.
Par exemple, il est compréhensible que
les discussions actuelles sur le genre suscitent des inquiétudes. Il y avait les femmes, les hommes, et rien entre les deux ; c'était plus simple, surtout du côté de ceux pour qui le genre de naissance ne posent pas problème, soit la majorité des humains.
Mais ce n'est pas une "mode" de changer de sexe comme on l'entend parfois ; c'est un sujet particulièrement douloureux qui peut amener au suicide. Imaginez-vous dans un corps d'homme alors que vous vous "sentez" femme (ou l'inverse) depuis presque toujours. Ce n'est pas non plus un sujet nouveau, mais on n'en parlait pas ouvertement. Tabou cette "incongruence de genre". Le genre est une construction biologique (XX, XY, XXY, XO etc.), neurobiologique* et sociale qui n'est pas "choisie librement", au même titre que l'orientation sexuelle d'ailleurs.
Dans une vision matérialiste, chaque individu a le droit de vivre selon son identité de genre et il est irrationnel de culpabiliser ceux qui ne seraient pas dans la norme statistique, quelque part dans le spectre entre femme et homme. Les religieux et les partisans de droite (pléonasme ?) sont généralement incapables d'accepter cette réalité scientifique : Dieu n'a pas pu se tromper si lourdement. Femme et homme, Yin et Yang, noir et blanc, OK ; mais gris clair ou gris foncé... Pas assez binaire sans doute.
Pourtant, permettre
aux gens de changer de prénom ou de genre est une question de respect des
droits humains fondamentaux. Le fait de pouvoir vivre selon son identité de genre peut
considérablement améliorer la santé mentale et émotionnelle des personnes
transgenres, permettant de réduire les taux de dépression, d’anxiété et de
suicide, tout en respectant une justice sociale.
Mais pas n'importe comment quand il s'agit de changer "définitivement" de genre avec l'aide de la médecine. La prescription de "bloqueurs de puberté" (accord parental nécessaire avant 18 ans) doit être évaluée - voire peut-être interdite si l'on considère que la croissance physique et psychique est loin d'être terminée à ces âges (entre 8 et 14 ans)**. Par ailleurs, avant de procéder à une chirurgie de réassignation sexuelle, il
est essentiel que la personne soit évaluée par des professionnels de la santé,
y compris des psychiatres et des endocrinologues. Cela garantit que la personne
est bien informée et prête pour les changements physiques. Les
personnes qui souhaitent changer de sexe doivent suivre un traitement hormonal
sous la supervision d’un endocrinologue. Ce traitement aide à développer les
caractéristiques physiques du sexe souhaité, mais il comporte aussi des risques
et des effets secondaires devant être surveillés. Après une chirurgie de réassignation sexuelle, un suivi médical régulier est
crucial pour surveiller la santé physique et mentale de la personne.
Pour en revenir au wokisme, il n’y a à mon sens aucun conflit entre cette démarche de justice sociale et l'universalisme républicain qui est bien plus mis à mal par les discriminations
que par le wokisme. Les "anti-wokistes" rassemblent des
conservateurs de droite et d'extrême droite aussi recommandables que le républicain américain
Ron DeSantis, le russe Poutine, le brésilien Bolsonaro, le RN[2], Éric Zemmour, le sociologue Mathieu Bock-Côté ou Alain Finkielkraut, ce dernier nous expliquant que le wokisme...
"est l'idéal égalitaire. On pourchasse les discriminations et ça montre bien que le wokisme... est un véritable vandalisme."
Bizarrement, cet aréopage ne peut que me donner "foi" dans le wokisme... à la
condition essentielle de ne pas aboutir à une polarisation excessive de la
société - une sorte de wokisme intégriste - avec éclatement du « vivre
ensemble » et des valeurs fragiles d’un universalisme cher à la
France.
Par exemple, il n’est pas question de remplacer la médecine scientifique
par des remèdes indigènes sous prétexte de reconnaissance des minorités ; ni de faire
du wokisme une nouvelle secte / religion comme semble s’en inquiéter le philosophe J.F.
Braunstein...
Les outrances verbales et humiliations grotesques des étudiants envers l'administration et les professeurs que l'on peut voir dans la vidéo ci-dessous - tournée à la faculté Evergreen et commentée par un partisan de droite (extrême ?) - sont condamnables, sinon débiles... Mêmes critiques à propos de certains excès dénoncés dans la vidéo Jusqu'où va le wokisme à Sciences Po.
Mais cette haine ressentie par certains wokes est à la hauteur des ressentiments accumulés dans l'Histoire (colonisation / esclavage / Ku Klux Klan / humiliations / ségrégation / massacres...) et trop souvent réactualisés (George Floyd tué par des policiers le 25 Mai 2020...). Si le wokisme partage
les humains entre dominants et dominés, on peut difficilement ne pas être
d'accord sur ce point dès lors qu'on regarde le monde passé et actuel, bien
qu'il s'agisse d'une grille de lecture forte mais nécessairement incomplète.
Notons que les partisans de gauche ne sont pas en accord - pour la plupart d'entre-eux heureusement - avec les outrances woke de la vidéo ci-dessus.
Le wokisme semble être - pour la droite (extrême) - l'idéologie à abattre, non pas du fait de ses excès, mais parce qu'il met en cause l"hégémonie masculine ancestrale et plus largement la domination des uns sur les autres.
Exemple. Campus de Sciences PO de Grenoble avec les propos suivants du professeur Klaus Kinzler : "l'islamophobie est une propagande extrémiste, à ne pas mettre dans le même sac que le racisme et l’antisémitisme." Propos considérés comme islamophobes et fascisants par certains étudiants mais revendiqués par le professeur dans la presse nationale comme simple exercice de la liberté d'expression... en y ajoutant quelques coups de griffe à l'institution dont il fait partie. Institution qui a réagi à ce qu'elle considère constituer une diffamation... et suspend le professeur Klaus Kinzler.
Laurent Wauquiez (et la droite dans son ensemble) s'indigne de cette décision de l'institution et lui retire les subventions de la région !***
Cependant, confondre dans le terme "islamophobie" à la fois le rejet légitime de l'islamisme mortifère avec celui des musulmans paisibles dans leur grande majorité revient à confondre l'antisémitisme avec les massacres de Netanyahu. Sans oublier que les palestiniens musulmans et les juifs sont des sémites ; c'est dire s'il faudrait nuancer tous ces idiomes !
Cette guerre wokisme / anti-wokisme a pris des proportions planétaires, tout particulièrement aux USA... mais aussi en France. Nouvel épisode dans cette guérilla : les Presses universitaires de France (PUF) ont décidé de suspendre
la publication, début avril 2025, d’un livre sur « l’obscurantisme woke ». Dommage, ne serait-ce que pour voir l'argumentation déployée. Cela dit, on peut avoir un petit aperçu du fond au travers du Programme de résistance intellectuelle contre le wokisme qui se veut "neutre", a-politique... comme si c'était possible. Ce document émane de l'Observatoire d'éthique universitaire. Et là, problème de fond : de quel droit cet "observatoire" prétend être une référence de l'éthique universitaire ? Le terme "éthique" est nécessairement lié à des valeurs qui, elles-mêmes, sont inévitablement de nature politique. L'éthique, les valeurs et les conséquences politiques correspondantes sont en évolution constante à travers les siècles et les civilisations. Rien n'est neutre ici. D'autant que certains auteurs du livre anti-woke censuré ont montré une certaine proximité (certaine) avec Pierre-Édouard Stérin, milliardaire activiste de la "droite extrême" (voir Vous ne trouvez pas qu'il commence à faire un peu chaud ?). Emmanuelle Hénin - qui a collaboré à ce livre censuré - nous explique longuement dans cette vidéo ses critiques concernant le "déconstructivisme" et le "wokisme", tout en prenant ses distances officielles avec le Trumpisme, ce qui en dit long... en creux. Un observatoire et un livre neutres, a-politiques ? Vraiment ?
Emmanuelle Hénin souhaite peut-être instrumentaliser la fameuse "neutralité axiologique" (Wertfreiheit) du sociologue Max Weber ? Mais, comme l'écrit l'encyclopédie :
"L'autorité de Max Weber était invoquée à l'appui d'une
orientation idéologique, la « neutralité », qui était très étrangère au
sociologue allemand mais se chargeait au contraire d'enjeux décisifs dans le
contexte d'une progression de l'engagement marxiste des intellectuels dans les
décennies de l'après-guerre. En France, la promotion de la notion de «
neutralité axiologique » permit d'apporter la caution fictive de Max Weber à
une épistémologie antimarxiste, dans le contexte de forte polarisation idéologique
des années 1960 et 1970.
Loin de prôner une quelconque neutralité politique du savant,
Max Weber (1864-1920) songea toute sa vie à délaisser sa carrière scientifique
pour briguer des positions de responsabilité publique ; il fut l'un des
universitaires allemands les plus prompts à exposer ses vues politiques dans la
presse (avec une moyenne de six interventions par an entre 1915 et 1920) ;
enfin, il participa à la fondation d'un parti, le D.D.P. (Deutsche
demokratische Partei, Parti démocratique allemand en français), en novembre
1918, et à la genèse de la constitution de la République de Weimar. La
propension de Weber à l'engagement n'était pas davantage mise entre parenthèses
dans le domaine de la science, où il dénonçait l'attrait pour les « voies
moyennes » et les compromis de la pensée : « Le "juste milieu" n'est pas le
moins du monde une vérité plus scientifique que les idéaux les plus extrêmes
des partis de droite ou de gauche », notait-il ainsi en 1904."
Patatras. De là à censurer un ouvrage... qui va de toute façon être édité...
Dans une vision matérialiste sans libre arbitre possible, il n'est pas question de
se flageller en permanence de façon anachronique mais de prendre nos responsabilités historiques,
sans fierté ni honte (voir Histoire : ni fierté, ni honte !). Nos règles
républicaines et démocratiques devraient chapeauter l’ensemble des mouvements sociétaux, le combat
contre toute discrimination, qu'on soit "woke" ou pas ; mais la place du curseur,
ici comme ailleurs, doit faire l’objet d’une délibération commune qui ne sera toujours
que provisoire.
Autre aspect controversé, la « cancel culture » - ou culture de l’effacement - est
souvent associée au wokisme.
Il peut sembler légitime de ne plus "honorer" actuellement certaines figures historiques comme dans cet exemple concernant le général Louis Juchault de Lamoricière qui se serait très mal conduit durant la colonisation de l'Algérie :
La droite n'est pas la dernière à vouloir effacer ce qui gêne. Ainsi, le Journal du dimanche (Boloré) écrit à propos de Trump :
« Du récit de l’esclavage aux spectacles de drag-queens
pour enfants, le président veut purger l’Amérique de cet endoctrinement
idéologique. »
Le récit de l'esclavage : "un endoctrinement idéologique" ? Les esclaves définis comme des "meubles" dans le Code noir (1685) : "un endoctrinement idéologique" ? La traite négrière globale (toutes traites confondues) aurait
causé la déportation de 28 à 100 millions de personnes, selon les sources, en
tenant compte des victimes collatérales (morts lors des captures, marches
forcées, ou détention). Une paille à oublier.
La guerre idéologique fait rage. Mais si je suis contre les violences de toutes sortes qui
se réclameraient de cette culture de l’effacement, il me semble totalement idiot de
déboulonner des statues et autres plaques de nom de rue, à la condition de préciser en quoi les propos ou actes de telle figure historique sont devenus insupportables de nos jours. Avec quelques
garde-fous cependant : pour ne prendre qu’un exemple limite de reductio ad Hitlerum, baptiser
actuellement en France une rue au nom d'Hitler ou de Staline serait
évidemment une provocation insupportable, comme le serait de créer une chaîne de magasins à la gloire de Vladimir Poutine...
... à moins qu'il ne s'agisse que d'un plat emblématique du Canada particulièrement populaire au Québec.
Décidément, rien n'est simple.
Sur le fond, nous devrions autant que possible sauvegarder le patrimoine historique et culturel au sens large, aussi bien dans ses lumières que dans ses ombres (voir Séparer l'Homme de l'Oeuvre ?).
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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière
blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en
cliquant sur l'image ci-dessous