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Le peuple a-t-il toujours raison en démocratie ?

Question de bac philo ? Quid du vote des français en faveur du R Haine aux européennes en 2024 ?

Gagnons du temps : la réponse est évidemment NON ! Le peuple n'a pas toujours raison en démocratie !

Pas plus que l'individu, le peuple ne peut avoir toujours raison. Je ne parle pas ici de la foule qui prend d’assaut le Capitole aux USA...

... mais bien du "peuple" défini comme un ensemble d’individus vivant en société sur un territoire déterminé, qui partagent le plus souvent une communauté d’origine et présentent une homogénéité relative de civilisation.

Les exemples d'errances dramatiques dans les décisions des peuples sont légions. Sans vouloir cultiver à tout prix la tendance Godwin, les allemands en 1933 se sont bien fourvoyés démocratiquement ; les russes sont majoritairement pour la guerre (pardon, l'opération spéciale) en Ukraine etc. CQFD ! 

Mais non ! Je viens de vous manipuler : la réponse est évidemment OUI. Le peuple a toujours raison en démocratie !

Le peuple est souverain et a donc toujours raison... sur le moment, quitte à ce que la suite lui donne tort. Quelle serait la légitimité d'une élite quelconque (philosophe-roi dans la République de Platon) pour gouverner "raisonnablement" un peuple irrationnel ? Certes le peuple a dit non à 55 % au référendum de 2005, et une constitution européenne lui sera imposée deux années plus tard par "l'élite" du moment. Certes, le peuple voulait conserver la peine de mort que Robert Badinter a pourtant fort heureusement fait abolir. 

Mais plutôt qu'épiloguer - comme il conviendrait de faire dans une copie du bac - sur les subtilités inhérentes aux définitions de "peuple", raison" ou "démocratie", c'est le mot "toujours" qui pose problème dans la question. L'individu comme les peuples peuvent ici prendre les "bonnes" décisions, et là se tromper en étant par exemple manipulés (Brexit)... Mais le propre du manipulé est qu'il ne sait pas qu'il est manipulé. Et s'il se trompe, ce n'est pas sans causes, individu comme peuple. L'Histoire, les intérêts des uns, minoritaires mais puissants, s'accaparant au nom d'une pseudo liberté de la presse des chaînes de télé, des journaux, des maisons d'édition... soit autant de leviers pour "former" l'opinion contre les croyants d'une religion "étrangère", convaincre qu'il ne faut surtout pas toucher aux rentes de situation, aux héritages faramineux et à la méritocratie des privilégiés qui sont juste nés dans de "bonnes" familles.

Si l'on ajoute au passage que le vieillissement de la population n'est pas pour rien dans les convictions politiques droitières (besoin de plus de sécurité quand on se sent plus vulnérable...)*. Brefs autant de déterminants formant une "mauvaise" opinion provisoire en attente des conséquences nécessairement délétères qui agiront rétroactivement trop souvent après des dégâts irréversibles. Le peuple russe va pouvoir vérifier tout cela dans les années qui viennent ; et pas que le peuple russe. 

L'élite n'a pas toujours tort ou raison ; le peuple non plus. Seule la suite chaotique est juge de paix.

C'est ici que le paradigme dans lequel nous sommes - spiritualisme versus naturalisme - prend une place prépondérante dans l'analyse et la réponse à la question initiale comme aux autres d'ailleurs (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/04/). 
Dans le cadre d'une idéologie matérialiste (naturalisme scientifique), il n'est pas question de "juger" la culpabilité d'un individu ou d'un peuple mais de travailler les déterminants à l'oeuvre pour placer au mieux le curseur de (sur)vie entre intérêt personnel - toujours présent - et intérêt collectif - toujours prégnant. Faim du mois versus fin du Monde.
Il est toujours inquiétant de voir le curseur se rapprocher un peu trop du côté intérêt personnel (groupe culturel compris) menant notamment au nationalisme identitaire, source de conflits divers, voire de guerre. 


Dans le petit jeu des différences entre les acquis sociétaux et politiques de la gauche versus la droite, on peut constater que les valeurs de gauche sont à l'origine :
  • Des droits sociaux, tels que le droit au logement, à l'éducation et à la santé pour tous, ainsi qu'un filet de sécurité sociale solide pour protéger les personnes défavorisées ou marginalisées ;
  • Des droits du travail, y compris un salaire minimum décent, des conditions de travail équitables et la protection contre le licenciement abusif ;
  • Des droits civils et libertés individuelles, telles que l'égalité des sexes, l'égalité raciale et ethnique, et la protection des minorités ;
  • De la protection de l'environnement et le développement durable, avec une attention particulière portée aux questions climatiques et à la préservation de la biodiversité ;
  • D'une approche progressiste en matière de justice pénale, axée sur la réhabilitation plutôt que sur la punition, avec opposition à la peine de mort.
De l'autre côté, les acquis sociétaux et politiques fréquemment associés à la droite comprennent :
  • Le libre marché et la limitation de l'intervention de l'État dans l'économie... afin de permettre de faire des affaires sans entrave (évasion dans les paradis fiscaux, pollution, profits illégitimes par effet d'aubaine, pillage des ressources communes...) ; 
  • Des baisses d'impôts - en faveur des plus riches principalement - et une réduction de la taille de l'État afin de renouer avec le bon temps du Far Ouest ;
  • Un accent mis sur la loi et l'ordre, y compris une position plus ferme contre la criminalité (autre que financière), avec plus de prisons et de punitions au lieu de modifier les déterminations sociales menant à la transgression sociale ;
  • Une vision traditionaliste de la famille et des rôles de genre... au mépris de la liberté de chacun que l'on devrait pourtant protéger tant qu'elle n'empiète pas sur celle des autres citoyens ;
  • Une méfiance à l'égard de l'immigration et une volonté de restreindre l'accès à certaines prestations sociales pour les immigrants... soit des atteintes constantes aux droits des humains que l'on espère déconsidérer en parlant des "droits-de-l'hommisme"**.

Notons au passage que les réformes sociales importantes promues par la gauche ne sont pratiquement jamais « détricotées » lorsque la droite reprend le pouvoir. Qui, de droite ou d’extrême droite, oserait revenir sur le droit au divorce, le droit de se syndiquer, le droit de grève, les congés payés, l’abolition de l’esclavage, la peine de mort, les lois sur la laïcité, l’IVG, la discrimination (ethnie, nation, race, religion), le PACS, le « mariage pour tous » etc. ? Il est toujours étonnant de voir que la droite récupère les avancées sociétales issues de la gauche qu’elle avait honnies et rageusement combattues quelques années plus tôt. Des responsables de droite comme Christophe Béchu, Gérald Darmanin, Damien Abad ou François Copé ont « regretté » dix ans plus tard de s’être opposés au « mariage pour tous ». C’est ce qu’on appelle l’effet « cliquet » dans la marche du progrès : les avancées sociales venues de la gauche politique et syndicale deviennent la normalité acceptée par la majorité des citoyens. De là à considérer que la droite - conservatrice et/ou réactionnaire - est un boulet qui entrave la marche du progrès...

La plupart des "valeurs" de droite - conservatrices voire réactionnaires - fournissent la base idéologique d'une frange de "dominants" souhaitant ardemment conserver leurs avantages acquis au cours de l'Histoire, auxquels se joignent des "dominés" effrayés par le progressisme des mœurs (divorces, athéisme, transgenres, LGBT, droits des homosexuels, des femmes, des minorités etc.). Nostalgie du triptyque travail / famille / patrie, soit la Révolution Nationale de Pétain considérant les juifs, les protestants, les étrangers, les francs-maçons comme des "mauvais Français". Mais l'époque a changé : ce sont maintenant les musulmans, les athées, les étrangers (là ça ne change pas !), les "gauchistes" qui menacent la grandeur de la France.

L'assise populaire de l'extrême droite se nourrit de la souffrance d'un peuple qui le mène à agir contre ses propres intérêts, guidé, encouragé par ceux qui - eux - ne souffrent pas du fait de l'héritage, du mérite supposé (mais illégitime en l'absence de libre arbitre), et qui sont à la tête de médias formant l'opinion dans leur sens. 
Mais le repli sur soi, "la France aux français", le nationalisme brun ou rouge-brun ne "valent" pas les efforts de coopération (l'altruisme est un égoïsme intelligent : https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/search?q=prisonnier) et de solidarité qui sont au cœur de la survie, humaine comme animale. 

Et la démocratie est elle-même en jeu. Nous en serions réduits à souhaiter la moins pire des solutions politiques comme nous le dit en se bouchant le nez le philosophe Pierre-Henri Tavoillot qui se dit « libéral conservateur » :

"Si le RN arrive en tête, on ne peut exclure une mise en péril de l’État de droit [et mouche dans l'lait] la moins pire des solutions – qui reste mauvaise en soi, j’insiste – serait donc que le RN obtienne une majorité absolue...".*** 

Ce souhait, cette prise de position - qui plus est émanent d'une "figure d'autorité philosophique" - dans des moments politiquement tendus ne souffre pas l'approximation d'une fiction politique adoubant un R Haine soi-disant meilleur car moins pire. J'espère qu'il n'engage pas par ces déclarations  l'ensemble du Collège de Philosophie - dont il est l'actuel Président -, Collège qui gagnerait à le démissionner sur le champ.

Finalement, la question initiale n'a pas grand sens : nous ne sommes co-coupables de rien et co-responsables de tout.
Il ne sert à rien de chouiner : nous sommes tous embarqués comme disait Blaise Pascal. Nous sommes forcés à l'engagement, une action exigeante en termes de culture et d'énergie. 

Si l'on ne s'occupe pas de la politique, la politique s'occupe de nous.
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*« What Matters Most in Life? A German Cohort Study on the Sources of Meaning and Their Neurobiological Foundations in Four Age Groups » - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8671042/