Penchons-nous sur un jeu de la Théorie des jeux, discipline des mathématiques et de l'économie qui étudie les situations stratégiques et les interactions entre agents rationnels, permettant d'examiner les tensions
entre coopération et trahison chez des agents rationnels : le dilemme du prisonnier.
Il met en scène deux détenus soupçonnés d’un vol et emprisonnés dans des cellules
séparées. Ne disposant pas de preuve, la police fait à chacun des deux le
marché suivant :
"Tu as le
choix entre dénoncer ton complice ou non. Si tu le dénonces et qu'il te dénonce
aussi, vous aurez une remise de peine d'un an tous les deux. Si tu le dénonces
et que ton complice te couvre, tu auras une remise de peine de 5 ans, mais ton
complice tirera le maximum. Mais si vous vous couvrez mutuellement, vous aurez
tous les deux une remise de peine de 3 ans."
N.B : Les récompenses et pénalités associées aux différentes combinaisons de stratégies peuvent varier selon les sources. Ces valeurs numériques ne représentent qu'un scénario hypothétique utilisé pour expliquer les principes fondamentaux de la théorie des jeux. L'essence du dilemme du prisonnier réside dans les incitations contradictoires des protagonistes.
Dans
cette situation, il est considéré que si les deux s'entendent, ils s'en
tireront globalement mieux que si l'un des deux dénonce l'autre. Mais
justement, l'un des deux peut être tenté de s'en tirer encore mieux en
dénonçant son complice, ce qui permet un meilleur gain dans cette configuration.
Craignant cela, l'autre risque aussi de dénoncer son complice pour ne pas être
le dindon de la farce. Le dilemme est donc : faut-il accepter de couvrir
son complice (donc coopérer avec lui) ou le trahir ?
Lorsque ce jeu n’est joué
qu’une seule fois, le plus rentable est de trahir. Ce sont par exemple
certains restaurants pour touristes, chers et mauvais, dont la préoccupation
n’est pas tant de fidéliser une clientèle que de profiter au maximum de la
manne des touristes qui ne font que passer. Mais tout change si le jeu comporte plusieurs sessions (= dilemme du prisonnier répété ou
itéré) ; car chacun a vu comment le complice s’est comporté aux tours
précédents, ce qui peut faire changer de stratégie pour un meilleur
« rendement ». Pour reprendre l’exemple, on ne retourne pas dans un
restaurant qui a « trahi » sur la qualité et/ou le prix !
Un concours international a confronté différentes stratégies
dans le cadre de ce jeu. Résultat des courses : c’est la stratégie
« Donnant donnant » (« œil pour œil » ou « Tit for Tat » en anglais)
qui est l’une des plus efficaces dans le cadre du dilemme du prisonnier répété[1].
Elle consiste à coopérer au premier coup puis à systématiquement copier le
comportement de son complice à la session précédente. Une variante, « œil pour
œil avec pardon », s'est révélée un peu plus efficace encore : en cas de
trahison de l'adversaire, on coopère parfois (de 1 à 5 %) au coup suivant. Cela
permet d'éviter de rester bloqué dans un cycle négatif. Le meilleur réglage
dépend des autres participants. En particulier, « œil pour œil avec pardon »
est plus efficace si la communication est brouillée, c'est-à-dire s'il arrive
qu'un autre participant interprète à tort un coup. Dans ce cas, je commence par
coopérer, et si je suis trahi, je coopère à nouveau, mais une seule fois.
Notons qu’Il est possible de jouer à ce jeu sur certains serveurs internet.[2]
Les recherches et publications concernant ce jeu sont
florissantes du fait de nombreuses stratégies et variantes possibles. La
conclusion la plus simple de ce jeu est que les stratégies de coopération
l’emportent en termes de gains personnels sur les stratégies de trahison.
Pour le docteur en psychologie et en philosophie Tal
Ben-Shahar :
« Celui qui
contribue au bien-être d’autrui en tire tant de bénéfice personnel que, à mes
yeux, il n’y a pas plus égoïste qu’un geste généreux. Non seulement
l’humeur est améliorée, mais aussi l’image de soi : les circuits de la
récompense reçoivent une activation des plus plaisantes. Somme toute, on se
fait du bien aussi à soi - bénéfice secondaire non négligeable - quand on fait
du bien aux autres ».[3]
Quelles sont les « bonnes » stratégies ? Selon
les chercheurs en informatique Jean-Paul Delahaye et Philippe Mathieu :
« Les
bonnes stratégies sont les stratégies réactives qui répondent quand on
les trahit, qui prennent le risque de coopérer (elles commencent par
coopérer et face à un adversaire qui coopère, elles ne tentent pas de trahir),
et savent être indulgentes (après une trahison de l’adversaire elles
finissent par pardonner pour renouer la coopération). Les résultats obtenus par
des calculs qui modélisent la sélection naturelle à travers ce jeu conduisent à
une conclusion surprenante : bien qu’il n’y ait pas d’autorité de contrôle et
que la tentation de la trahison soit présente à chaque coup joué, l’évolution
favorise les stratégies qui ne prennent jamais l’initiative de trahir (...)
À partir d’une définition élémentaire, le dilemme du prisonnier crée un
problème d’une étonnante difficulté dont nous ne réussissons à comprendre les
règles que progressivement, ce qui illustre encore une fois que du simple
peuvent naître des comportements et des dynamiques d’une richesse sans limite.»[4]
Autrement dit, dans le cadre d’interactions
répétées (famille / voisins / étrangers / collègues etc.), d’un point de vue
strictement « comptable » et dans mon propre intérêt
« égoïste », je devrais toujours coopérer d’emblée, puis ajuster
la relation, c’est-à-dire la stratégie, en fonction de la réponse de l’autre.
L’altruisme est un égoïsme intelligent.
Mais comme tout le monde n’a pas bien compris son propre intérêt à moyen / long
terme, il faut s’accommoder bon gré mal gré des nombreuses petites trahisons du
quotidien, mensonges et autre mauvaise foi : photos « grand angle » des agences
immobilières afin de magnifier la maison à vendre, miroir amincissant des
boutiques de prêt à porter (« cette
robe vous amincit tellement ! »), sans compter les très nombreux
produits en vente à X,99 euros : ce prix ne peut pas être le
« vrai » prix, évidemment... Et en plus on vous prend pour une
buse qui n’aurait pas vu l’arnaque !
On peut allonger la liste avec
l’homéopathie, les poudres de perlimpinpin pour soigner l’arthrose, la fatigue,
la cellulite, les rides profondes etc., le tout sans aucune preuve d’efficacité
réelle en dehors d’un effet placebo plus ou moins « optimisé » par la
blouse blanche du médecin ou du pharmacien. En revanche, le prix à payer n’est
pas une illusion.
Plus largement, on peut constater que les grandes religions - des sectes qui ont "réussi" - prônent globalement la coopération, l'amour du prochain, reprenant en quelque sorte les résultats du dilemme du prisonnier sans le savoir. Il faut dire que les sectes qui choisissent la trahison comme concept (Thugs en Inde, la Famille Manson, l'Ordre du Temple Solaire, la secte Aum Shinrikyo...) ne font pas de vieux os ; soit une sélection naturelle qui s'applique également à la culture. Ceux qui ne coopèrent pas (au sens large) disparaîtront.
Et ce ne sont pas les religions qui sont à l'origine de la morale qui - certes de façon plus primitive que la nôtre - a réglé les interactions entre individus bien avant les premières "grandes" religions. Il suffit pour s'en convaincre d'étudier les interactions animales dans un groupe quelconque : les "règles" de vie en bonne société sont partout présentes, sans religion ni Libre Arbitre... (voir La science peut-elle aider à comprendre - voire infléchir -la moralité humaine ?).
Qui plus est, les "textes sacrés" sont évidemment datés et en conflit ouvert avec notre morale qui a évolué comme il en est question dans cette vidéo aussi amusante qu'effrayante... à la "foi".
[1] Deux
autres stratégies ont été identifiées comme tout aussi intéressantes : Pavlov
et Gradual :
1) Pavlov : lors du premier coup, je coopère ;
ensuite si au dernier coup joué, j’ai gagné 3 points ou plus je rejoue la même
chose, sinon je change.
2) Gradual : je coopère au premier coup; ensuite,
lorsque mon adversaire me trahit, je le punis le coup suivant (comme dans la
stratégie « donnant-donnant »), mais je suis plus sévère car je punis
mon adversaire en jouant la trahison pendant X coups consécutifs, où X est le
nombre de trahisons passées de mon adversaire (mes punitions sont donc
graduelles). Après une telle phase de rétorsion, je coopère deux fois de suite pour
tenter de rétablir la paix.
La génétique, l'épigénétique, le climat, la culture locale, l'Histoire... soit des centaines de milliers (millions ? milliards ?) de déterminants dans des proportions différentes d'un individu à l'autre, avant même la naissance.
Bref, chacun est unique dans sa perception du monde, ses valeurs, ses préoccupations pour la survie de lui-même, de son groupe, de ses croyances... 8 milliards de Mondes différents sur une seule Terre.
Comme l'exprime dans cette vidéo le psychologue et Prix Nobel d'économie qui vient de nous quitter Daniel Kahneman (mars 2024), nous sommes littéralement farcis de biais divers, préjugés trop souvent insurmontables, partis pris menant à l'injustice etc.
Et pourtant, il nous faut trouver un terrain commun acceptable pour tous... Nous ne pouvons pas continuer à nous affronter périodiquement ("guerre de territoire et/ou de civilisation"), à accepter la domination des tous par quelques-uns, à attendre que les autres fassent des efforts sur les émissions de CO2 avant de s'y mettre nous-mêmes etc.
Une utopie ou une question de vie et de mort ?
Mais la démocratie, l'abolition de l'esclavage, les droits de
l'Humain - dont ceux des femmes - étaient des utopies il n'y a pas si longtemps, même si leur généralisation n'est pas totalement acquise pour l'instant. La coopération est en marche - malgré quelques soubresauts de trahisons ici ou là - car la survie est à ce prix comme le montre notamment le jeu du dilemme du prisonnier (https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-sacre-dilemme-pour-la-morale.html) et l'utopie serait de croire que l'on peut continuer comme ça sans remettre en cause nos croyances par défaut.
Tout semble se passer comme si chacun vivait dans son bunker culturel identitaire (religion / rituels / morale / valeurs du lieu et du moment...) avec quelques sorties punitives erratiques contre le bunker voisin.
En poussant la métaphore, tous ces bunkers encerclent une place commune (agora ?) formée des besoins humains - et plus généralement du vivant -, d'une nécessaire coopération, d'une plus grande tolérance (sans tout tolérer)... soit le plus Grand Commun Diviseur (PGCD) des bunkers.D'après une étude des plus sérieuses (la mienne), 99,32 % des discussions dans les médias et les foyers concernant la "communauté humaine" (politique / économique etc.) sont du même niveau que les discussions sur les goûts et les couleurs.
Parlant de couleurs, prenons l'exemple de la "préférence nationale" (priorité nationale), concept théorisé et
promu par certains groupes politiques, notamment d’extrême droite ; soit une politique visant à donner la priorité aux nationaux d'un
pays dans l'attribution de certains droits, prestations ou services, par
opposition aux non-ressortissants. Cette politique peut s'appliquer à
différents domaines tels que l'emploi, le logement, l'accès aux soins ou encore
l'allocation de ressources financières afin de protéger - selon la droite - la cohésion sociale et la stabilité politique du
pays, lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale en limitant
l'immigration économique, en freinant la course au moins-disant salarial
et social et en incitant les employeurs à embaucher en priorité des travailleurs
locaux...
Soit. Mais en accordant des traitements différenciés selon la
nationalité, la préférence nationale crée des discrimination illégales, injustifiables
et contraires aux principes garantis par les conventions internationales et les
constitutions nationales. Du point de vue économique cette fois, certaines études* montrent que la restriction de
l'immigration et la limitation de l'accès aux marchés du travail et du logement
peuvent entraîner des pertes de productivité et de croissance économique, ainsi
qu'une augmentation des prix et une baisse de la qualité des biens et des
services proposés. En opposant les nationaux aux étrangers, la préférence
nationale contribue à creuser les clivages identitaires et à alimenter
les discours xénophobes et racistes, minant ainsi le vivre ensemble et la
solidarité entre les citoyens.
Toujours cette question de la place du curseur entre d'un côté le "moi d'abord" (America first) et ma survie personnelle, et de l'autre l'égalité des droits humains et la survie du groupe : dilemme entre trahison et coopération si l'on se réfère au dilemme du prisonnier sus-cité.
Et tout ceci est histoire d'idéologie car s'il existe 8 milliards de Mondes, il n'existe en fait que deux visions concurrentes possibles : la vision spiritualiste (idéaliste) et la vision matérialiste (naturaliste scientifique), chacune se déclarant légitime pour réguler l'agora commune (justice / économie / politique etc.).
Ce qui revient à poser un question princeps à toute discussion : d'où parle-t-on quand on émet un avis, une conviction, une injonction normative ? Avez-vous souvenir d'un débat de fond sur le sujet ? Une émission ? Un article ?
C'est tout l'objet de la vidéo ci-dessous... avec une décision / responsabilité personnelle à prendre si l'on souhaite gommer en partie le défaut... de penser par défaut, ce qui engage parfois à devoir penser "contre son cerveau" ( voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_06_23_archive.html).
Manger du porc, c'est pas bien pour le cochon, mais bien pour le ténia, mais mal pour l'humain infesté, mais bien pour le médecin qui gagne une consultation, mais mal pour la sécurité sociale qui rembourse consultation et médicaments, mais bien pour le laboratoire qui vend le traitement idoine...
Le mal pour l'un est le bien pour un autre. Un truisme. Mais il ne faudrait pas confondre "banalité du mal" et "banalisation du mal".
Le concept de "banalité du mal" a été développé par Hannah
Arendt dans son ouvrage "Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal" en 1963. Adolf Eichmann, haut fonctionnaire nazi responsable de la logistique de la Solution finale,
n'était pas motivé selon la philosophe par la méchanceté ou la cruauté, mais plutôt par son
obéissance aux ordres et son manque de réflexion sur les conséquences morales
de ses actions. Une victime produisant des victimes ?
Pour Arendt, la "banalité du mal" n'est pas un concept
théorique, mais une constatation issue de son expérience personnelle et de son
observation du procès Eichmann : les personnes ordinaires peuvent
commettre des actes horribles lorsqu'elles sont immergées dans un système
totalitaire qui normalise et légitime de telles actions. Arendt n'a jamais eu l'intention de minimiser la gravité
des crimes nazis ou de décharger les coupables de leur responsabilité. Elle a plutôt cherché à mettre en lumière les dangers des systèmes
totalitaires transformant des personnes ordinaires en instruments de
destruction massive. On retrouve par exemple cette idée
dans le film de Louis Malle "Lacombe Lucien"* qui montre la facilité
avec laquelle un individu "ordinaire" peut basculer dans l'ignominie, un peu par
hasard, sans vraiment prendre conscience de ce qu'il fait.
Les expériences de Milgram et de Standford ont exploré cette face sombre de l'humain concernant plus particulièrement la soumission à l'autorité.
L'expérience de Milgram, menée à l'université Yale en
1961, visait à étudier le degré d'obéissance d'individus lambda lorsqu'ils
étaient amenés à infliger des décharges électriques à une tierce personne, sur
instruction d'une autorité perçue comme légitime. Les participants étaient
invités à administrer des chocs croissants à un autre participant (en réalité
un comédien) s'il donnait une mauvaise réponse à une question posée. L'objectif
était d'évaluer jusqu'à quel niveau de douleur les participants étaient
disposés à aller, uniquement parce qu'on leur demandait. Les résultats ont
montré que beaucoup de participants allaient jusqu'à causer des blessures
sérieuses, simplement parce qu'ils avaient été fortement priés de le faire.
Quant à l'expérience de Stanford, elle a été dirigée par Philip Zimbardo en 1971. Cette étude visait à observer le comportement des gens placés dans des rôles de geôlier et de prisonnier, dans le cadre d'une simulation de prison. Les participants ont été divisés en deux groupes aléatoires, assignés respectivement aux fonctions de geôlier et de prisonnier. Zimbardo a observé que les simulations de hiérarchie, de pouvoir et d'obéissance à l'autorité instituée avaient un effet profond sur les participants qui endossaient rapidement leurs rôles et adoptaient des comportements violents et sadiques envers les détenus. Face à la tournure dramatique des événements, Zimbardo a finalement été obligé d'arrêter l'expérience prématurément.
Ces études semblent donc montrer qu'une part importante des individus lambda d'une population en régime démocratique lambda sont capables du pire. Résultats fort intéressants... sachant que
plusieurs des cobayes humains qui se sont prêtés
volontairement à cette expérience en sont ressortis avec des séquelles
psychologiques importantes et injustifiables de nos jours du point de vue éthique.
Point final ?
Non pas, comme le montre cette vidéo de David Louapre (chaîne "ScienceEtonnante", toujours très intéressante https://www.youtube.com/watch?v=7Vy1Cg5O5Pc) qui nous propose quelques interrogations légitimes sur la méthodologie et les quelques "cachotteries" relevées.
Les critiques sont cohérentes, mais un point me paraît crucial : les tortionnaires nazis n'étaient pas des citoyens lambda d'un régime démocratique (bien qu'Hitler ait été "élu" dans le cadre d'un accord de coalition en 1933) mais subissaient - ou étaient acteurs convaincus - d'une idéologie particulière, une dictature totalitaire, où certains humains étaient considérés depuis nombre d'années comme des "sous-hommes" (untermenschen) parce que juifs, homosexuels, malades mentaux, tziganes** etc.
Par ailleurs, les SS dépositaires des basses besognes étaient recrutés selon certaines modalités ; en fait des candidats soigneusement sélectionnés en fonction
de leur origine ethnique, leur allégeance au parti Nazi, leur situation
financière, leur âge, leur statut marital et leur santé physique. Les
recrues devaient réussir une série de tests physiques et
psychologiques et, dans la foulée, ces nouveaux membres SS étaient
soumis à une intense formation aveclavage de cerveau idéologique. Ils étaient "instruits" sur les principes de la pureté raciale, de l'obéissance
aveugle et de la loyauté envers Adolf Hitler et le parti Nazi. On est ici très loin du sujet américain des expériences décrites. De là à penser que certaines recrues SS étaient de véritables psychopathes ou pervers narcissiques trouvant dans ces circonstances l'occasion de montrer leur talent... (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_05_12_archive.html).
Ce qui nous ramène également à l'altricité et à la dépendance des humains dans leur enfance avec nécessité d'obéir à l'autorité pour la survie (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_05_09_archive.html), ce qui continue adulte avec la dépendance - sans hiérarchie - au plombier, médecin, banquier, épicier, impôts, curé, place de parking, numérique et IA... Les positions d'autorité et de dépendance forment un couple infernal que l'on retrouve au cœur des affaires de mœurs dans l'Eglise, l'entreprise, au sein de la famille et du couple etc. Il n'est pas besoin de convoquer un point Godwin pour constater la banalité du mal.
Quelles que soient les critiques que l'on peut formuler, les expériences de Milgram et Standford illustrent comment des forces extérieures,
telle que l'autorité perçue comme légitime, peuvent modeler nos comportements
et nous amener à agir contre notre conscience, notre volonté, nos valeurs. Elles posent la
question de la responsabilité personnelle et collective face aux pressions
exercées par les structures de pouvoir, ainsi que l'importance de reconnaître
et de résister aux schémas de manipulation et de contrainte sociale. Ce qui montre toute l'importance de la vulnérabilité humaine dans certaines conditions, dont les régimes politiques que l'on se donne (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_07_03_archive.html).
On peut également remarquer que tout repose sur la culpabilité supposée de cet autre qu'il faudrait punir puisqu'il est juif, homosexuel... ou simplement ne répond pas correctement à des questions, une raison plus que suffisante pour obéir à l'autorité supposée et punir par une décharge électrique mortelle !
Mais la dépendance à une autorité n'est pas le seul déterminant d'un "mauvais comportement". L'affaire "Pélicot et les 50
violeurs" de Mazan" nous a montré qu'un mâle lambda (alpha ? bêta ?)
peut violer une inconnue droguée à l'invite internet du mari. A part quelques
exceptions, ce sont des bons pères de famille, le voisin au bout du couloir, le
pompier bénévole... tous héritiers d'un patriarcat ancestral pour lequel la
femme est objet. Le mari est décrit par les psychiatres / psychologues comme
manquant d'empathie, un pervers narcissique égocentrique avec des fantasmes de
nécrophilie... Bien normal tout ça ?
Non si l'on s'en réfère à l'OMS qui
définit la santé comme suit :
Un état complet de bien-être physique, mental et socialet pas seulement
l'absence de maladie ou d'infirmité.
Or, les troubles de la personnalité affectent
plusieurs dimensions de la santé, notamment sur le plan mental et social. Peut-on affirmer que les accusés de Mazan ne sont pas "affectés" du point de vue mental et social ? Existerait-il un zone grise entre santé et pathologie mentale, zone dans laquelle on trouverait les "troubles de personnalité" graves ? Pas plus que le reste, ces troubles ne tombent pas du ciel mais "sont le résultat d’une interaction
génétique et environnementale. Ainsi, certaines personnes naissent avec une
tendance génétique à souffrir d’un trouble de la personnalité et cette tendance
est ensuite effacée ou renforcée par des facteurs environnementaux, tels que
des expériences ou des sources de stress ou de bien-être." (https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-de-la-personnalit%C3%A9/pr%C3%A9sentation-des-troubles-de-la-personnalit%C3%A9)
Mais il faudra autre chose que des condamnations, pourtant de plus en plus sévères, et plutôt comprendre cette trop fréquente asymétrie femme / homme qui tient à la biologie peut-être, aux rapports ancestraux de domination masculine et à une éducation déficiente, sûrement. Il semble qu'une partie de la réponse se trouve dans les traumatismes de l'enfance qu'il faudrait pouvoir prévenir ou traiter à temps. En tout cas, en quoi ces comportements ignobles et "déviants" seraient la preuve d'un libre arbitre déficient ? Bref, un sacré chantier pour notre génération et celles qui suivent, dont quelques précisions sur la notion de consentement...
Car si la punition a pu constituer à moindre frais un élément de la gestion des clans et autres groupes humains à une certaine époque, il est pitoyable d'en être encore là malgré toutes les études montrant par exemple que la punition dans l'éducation des enfants a des effets négatifs, telles que la diminution des performances cognitives
et la réduction de la motivation à apprendre. Une étude
britannique a ainsi révélé que l'utilisation de la punition corporelle par les
parents était associée négativement aux réalisations scolaires des enfants
d'âge maternel. Aux États-Unis, une étude a montré que la punition corporelle
prédit des niveaux plus faibles de compréhension linguistique chez les enfants
de cinq ans***. Et la "simple" humiliation ne fait pas mieux.
De plus, la recherche suggère que les techniques de
discipline verbale, telles que l'explication et l'appel à la raison, sont plus
susceptibles de stimuler cognitivement les enfants que les punitions
corporelles. Par conséquent, les parents qui optent pour la punition physique
sont moins susceptibles d'utiliser des méthodes de discipline
inductives, ce qui peut entraver la croissance cognitive des enfants. Alors même que l'on sait depuis des années que ces punitions sont néfastes pour l'enfant, elles resteraient bénéfiques pour l'adulte sans aucune justification scientifique ni philosophique ?
Enfin, haine et punition sont des aberrations totales dans le cadre du naturalisme scientifique, position philosophique incompatible avec l'existence d'un libre arbitre ontologique servant de
fondement inique à toute forme de punition et de haine.
** "Mein Kampf" expose
une rhétorique virulente anti-juive, accusant les Juifs de conspirer pour
affaiblir et dominer la société allemande et européenne. Hitler soutient que les Juifs forment une race inférieure, parasitaire et
destructrice qui représente une menace existentielle pour la pureté
aryenne et l'identité nationale allemande. Le livre appelle explicitement à
l'expulsion des Juifs d'Allemagne et à leur ségrégation.
Concernant les homosexuels : Hitler considère l'homosexualité comme une déviance
sexuelle et une menace pour la vitalité et la force de la nation allemande. Il assimile l'homosexualité à une forme de corruption morale et dénonce les "vices" qui saperaient la cohésion sociale et la famille traditionnelle.
Par ailleurs, l'euthanasie des malades mentaux et des
personnes handicapées serait une solution pour préserver la santé et la pureté de
la race aryenne car ces personnes seraient un fardeau pour la société et un obstacle à la
réalisation de la société idéale nazie.
Quant aux Tsiganes, ce seraient des nomades sans attaches représentant
une menace pour l'ordre social et la sécurité. L'auteur affirme que les
Tsiganes ne peuvent pas être assimilés et qu'ils doivent être exclus de la
société allemande. Hitler justifie cette exclusion en invoquant la
prétendue criminalité et la moralité inférieure de cette population.
On pense avec les mots ! Changeons les mots pour changer la réalité ?
Dans certains cas, ce n'est pas si mal de modifier quelques désignations.
Parler de "personnes en situation de..." mobilité réduite, petite taille, surpoids, détresse psychologique, dépendance... vaut peut-être mieux que de parler d'handicapés, de nains, de gros, de fous, de drogués etc. avec toutes les connotations négatives associées. Mettre en exergue que ce sont des personnes à part entière - et non entièrement à part - a une importance qui n'est pas cosmétique. Désigner les vieux (pas bien) par le terme de seniors (la classe !) entre dans la même catégorie - plutôt positive - qui ne fait de mal à personne. Tout au plus pourrait-on sourire - si l'on est pas concerné - par la désignation d'une "personne en situation de tuer en série", "en situation de dire des conneries" ou de "mal comprenants", "en situation de griller les feux rouges" etc.
Et puis - moins sympathique - il y a quelque chose comme une "novlangue" (langue officielle
d'Océania inventée par George Orwell pour son roman d'anticipation 1984 publié
en 1949), - soit une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée
à dissoudre l'expression des idées potentiellement subversives et éviter ainsi toute formulation critique vis-à-vis de l’État. A dessein éminemment politique...
Extrait démonstratif avec cette anecdote de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT (vidéo entière) :
Un licenciement collectif (pas bien) devient un plan social de sauvegarde de l'emploi (bien)
La fragilisation des parcours professionnels (pas bien) devient de la flexisécurité (bien)
Une récession économique (pas bien) n'est plus qu'une croissance négative (pas si mal, il y a toujours la notion de croissance)
Un exploité (pas bien) est en fait un défavorisé (il n'a simplement pas de chance ; personne n'est responsable)
Les massacres localisés ne sont en fait que des frappes chirurgicales (du médical en somme) et les dégâts collatéraux font partie du traitement (pas d'omelette sans casser des œufs, des vies "innocentes", des familles...)
Hommes et femmes de ménage (pas bien) sont enfin reconnus comme techniciens de surface (bien), ce qui est censé compenser largement la maigre rétribution d'un travail ingrat
L'analphabète (pas bien) devient une "personne en situation d'illettrisme" ou "personne en difficulté de lecture et d'écriture" qui est nécessairement coupable de n'avoir pas travaillé en classe
Le "sans-abri" ou "clochard" (pas bien) est une "personne en situation d'itinérance" ou
"personne sans résidence fixe (SDF)", un statut qu'il a bien évidemment "choisi" en toute liberté
Idem pour le "pauvre" ou "misérable" (pas bien) qui est plutôt une personne en difficulté" ou "en
situation de pauvreté" dont il est responsable, en fait coupable
Le prisonnier ou détenu (pas bien) n'est en fait qu'une "personne simplement privée
de liberté", un peu comme si l'on privait de dessert un enfant qui s'est mal conduit. Savoir comment on en arrive là est bien secondaire.
Le chômeur (pas bien car feignant) est un "demandeur
d'emploi" ou une "personne en recherche d'emploi", soit la promesse d'un nouvel horizon radieux... s'il trouve...
Les prostitué(e)s ne sont rien d'autre que des "travailleurs du sexe" comme on est travailleur du BTP, un choix libre de toute contrainte, évidemment
Sur cette lancée, le fascisme devient une simple option idéologique concurrente de la démocratie.
"Mal nommer les choses, c'est ajouter au
malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité." (Camus)
Il faut "se dépêcher d'en rire de peur d'être obligé d'en pleurer" ( Barbier de Séville), avec le sketch de Franck Lepage :
Tout ceci sans oublier la langue de bois dont on fait les Totems à droite, à gauche... voire les deux "en même temps" (Franck Lepage à nouveau) :
Cette expression idiomatique provient du poète latin Juvenal qui critiquait un peuple romain se satisfaisant uniquement de
pain gratuit et de spectacles somptueux offerts par les dirigeants, ignorant
ainsi les affaires politiques cruciales et les valeurs morales fondamentales.
En sommes-nous toujours là ? Pas tout à fait, heureusement, même s’il persiste
quelques stigmates délétères.
Ainsi, la concurrence et la compétition sont toujours des éléments centraux de la survie au sens large, de l’économie capitaliste au sport de "haut niveau".
Concernant le pain
Chaque individu, chaque groupe passe son temps - de tous temps - à s'accaparer des ressources limitées au détriment du voisin éventuellement. Dans ce concours de prédation, le plus "fort" de la tribu - généralement un homme - s'est accaparé ainsi en priorité la nourriture, les femmes, les droits... ce qui s'est poursuivi avec des régimes politiques plus sophistiqués, la population augmentant ayant nécessité une organisation complexe (seigneurs, rois de "droit divin", états...), jusqu'au capitalisme dont la naissance est diversement analysée*.
Côté face : la concurrence est un pilier fondamental de l’économie capitaliste. Cette concurrence est généralement vue comme un moyen positif d’encourager l’innovation, d’améliorer la qualité des produits, réduire les prix pour les consommateurs... Quelques garde-fous ont été légitimement instaurés : lois antitrust, protection sociale et droits des travailleurs, politiques fiscales redistributives etc.
Côté pile : ce même capitalisme favorise l'exploitation des travailleurs en minimisant les
coûts de production et en maximisant les profits. Les salariés sont trop souvent
soumis à des pressions excessives et ne bénéficient pas suffisamment des fruits
de leur labeur malgré des gains de productivité très conséquents. Il engendre par ailleurs des crises cycliques, récessions, dépressions provoquant parfois un chômage massif, une pauvreté accrue et une instabilité politique. Il nous conduit, comme on peut le voir depuis quelques dizaines d'années, à une concentration de richesses extrême et à une
augmentation de la pauvreté relative.Privilégiant les gains
immédiats, les industries polluent
massivement les sols, l'eau et l'air, fragilisant ainsi gravement l'équilibre
écologique global. Enfin, la concurrence économique impitoyable et permanente alimente les
antagonismes nationaux et internationaux, pouvant conduire à des conflits
armés. Des nations cherchent à imposer leur domination par tous les moyens
possibles, dont l'espionnage industriel, les embargos commerciaux, voire les
invasions militaires...
Certains ont cru voir dans la concurrence entre tous et la compétition économique mondialisée la simple continuité de ce que l'on croit constater chez le vivant en étudiant l'évolution darwinienne : le capitalisme validé par la science du vivant en quelque sorte... Il en est même qui, refusant le paradigme capitaliste, en viennent à remettre en cause Darwin en amont afin de réfuter l'inférence. Mais on peut être anticapitaliste - comme l'est le philosophe Daniel Milo - sans aller chercher des arguments scientifiquement "foireux" comme il les collectionne dans son livre « La survie des médiocres. Critique du darwinisme et du capitalisme » - 2024 - Gallimard), publication qui a déclenché à raison une levée de boucliers du côté des spécialistes de l'évolution**. Car la logique du philosophe du genre "le capitalisme est délétère", donc "la compétition dans l'évolution" est une erreur d'analyse de Darwin, présente une fragrance sophistique de l'ordre de l'argument de la conséquence (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/quelles-consequences-de-largument-de-la.html). Et ce n'est pas parce que l'idée est reprise par toute une presse anticapitaliste séduite par cette pseudo contre-analyse de l'évolution qu'elle devient vraie pour autant. En revanche, considérer que l'évolution culturelle - toute aussi Darwinienne - a mis en place des concepts de solidarité, d'égalité, de remise en cause de la compétition à tout va chez l'animal comme l'animal-humain est source d'analyses et de réflexions comme on peut le voir par exemple dans le jeu du dilemme du prisonnier (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-sacre-dilemme-pour-la-morale.html). Il n'est pas nécessaire de tuer Darwin pour critiquer le capitalisme ; ou alors, il faudrait des arguments scientifiques d'une autre portée.
Concernant les jeux
Les jeux olympiques 2024 ont montré, comme toute rencontre sportive "au sommet", la quintessence même de la compétition acharnée, préparée par des sportifs qui s'entraînent tous les jours, des heures durant, depuis des dizaines d'années parfois, pour une médaille, une reconnaissance mondiale de leur supériorité qui se joue souvent à quelques secondes, voire millièmes de secondes (0,005 seconde entre l'or et l'argent au 100 m pendant les JO 2024) ? La belle affaire ! De toute façon, les records à battre sont appelés nécessairement à disparaître.
On peut trouver ces efforts admirables ou pathétiques. Admirables pour ce qui concerne la ferveur d'une communauté rassemblée
autour des héros, des gagnants de son camp, du drapeau et des émotions fortes que tout cela suscite. Une reconnaissance, une distinction
internationale qui fait du bien à l'ego personnel et collectif de la nation. Ce qui rassure un peu : les efforts et le courage payent !
Et puis toute une religiosité qui rassemble autour des idoles du moment, de l'autel des podiums.Les Jeux Olympiques de la Grèce
antique étaient dédiés à Zeus, les jeux isthmiques à Poséidon. Les athlètes
croyaient que les dieux octroyaient la victoire. De nos jours, les athlètes continuent
de pratiquer des rituels tels que se signer, prier, ou embrasser la pelouse
après un but. L’apôtre Paul utilisait des métaphores
sportives pour illustrer la vie chrétienne, comparant le chrétien à un athlète
qui court pour Dieu. Sport
et religion se rejoignent dans leur capacité à unir les individus, à
inspirer la dévotion, à promouvoir un sentiment de communauté, d'identité, d'appartenance. C'est aussi un terrain commun pour le fanatisme sous toutes ses formes, des conflits entre groupes de supporters aux guerres opposant les confessions religieuses.
D'ailleurs, les termes employés par les divers commentateurs sportifs sont bien ceux d'une guerre - certes "pacifique" - qui ne dit pas son nom : "on a gagné, les doigts dans l'nez ; ils son perdus, les doigts dans l'c..." / "il a rendu coup sur coup" / "c'est une vraie machine de guerre" / le tennisman Rafael Nadal décrit comme le "roi déchu" face à Novak Djokovic / untel a "pulvérisé" son adversaire quand il ne l'a pas "humilié" / attention, là c'est un "tueur" / "demain je vais le taper" / phase de "mort subite" en escrime / "qu'un sang impur abreuve nos sillons"etc. A tout le moins, un environnement hostile source de stress chez les participants, à l'instar
de conditions assez proches durant les périodes de guerre.
Pour George Orwell, "le sport, c'est la guerre, les fusils en moins". Cette formulation illustre bien la perception du sport de "haut niveau" comme une activité
conflictuelle et compétitive, très proche de la guerre avec ses "victoires", ses "défaites", ses fiertés, ses blessures, ses vengeances...
Et ce n'est pas le cri de guerre Haka - une danse chantée rituelle pratiquée par les Maoris lors de conflits, de manifestation, de cérémonies ou de compétitions amicales "viriles" - qui pourrait contredire cette impression générale ! Impressionner l'adversaire pour mieux le battre.
Dans le cadre de l'égalité des sexes, les femmes s'y mettent aussi en ayant soin de prendre ce qu'il y a de mieux chez l'homme, sous les acclamations des spectateurs. Scrutez les visages pleins de compassion pour les adversaires que l'on va écraser ; le sport comme source de paix entre les peuples.
Le Haka, juste un folklore anodin ?
Tout ceci vient de loin. On en connaît même le modèle.
Et je ne parle même pas du MMA (Arts Martiaux Mixtes) et de son octogone en plein essor, ou même du "noble art" qu'est la boxe consistant à abrutir l'adversaire à coups de poing (Traumatismes
crâniens et commotions cérébrales / Perte de vision partielle ou totale / Surdité / Syndrome de chronicité cognitive postcommotionelle / Encéphalopathie chronique
traumatique / Maladie de Parkinson...).
Après s'être bien frappés, il est convenu que les adversaires rejouent "Embrassons-nous, Folleville" en fin de match pour que tout un chacun comprenne bien que c'était pour du beurre et qu'il est temps de revenir à la vie "civile".
Plusieurs sportifs de haut niveau ont
exprimé des regrets, voire des plaintes, concernant le fait d’avoir commencé leur
carrière sportive très (trop) tôt en raison des désirs ardents de leurs parents. Et pas seulement des sportifs puisque l'on retrouve ces mêmes regrets chez d'autres "joueurs" comme pour le jeu d'échec, l'apprentissage forcé du solfège et d'un instrument etc. :
André Agassi, célèbre joueur de tennis, a souvent parlé de la pression intense qu’il
a subie de la part de son père pour devenir un champion de tennis dès son plus
jeune âge, ce qui a conduit à un sentiment de ressentiment envers le sport.
Jennifer Capriati, est devenue
professionnelle à l’âge de 13 ans et a ressenti une pression immense pour
réussir, ce qui a finalement conduit à des problèmes personnels ; de même que Mary
Pierce - joueuse de tennis franco-américaine - qui a décrit des entraînements
intenses et un environnement familial difficile, avec un impact sur sa
santé mentale et émotionnelle.
En fait, la liste est longue des champions
qui ont souffert des projections parentales : Tiger Woods (Golf) - Michael
Phelps (Natation) - Nadia Comăneci (Gymnastique) - Lionel Messi (Football)... Nos célèbres frères et champions de
tennis de table ont commencé ce sport dès l’âge de... 3 ans ! Kasparov (champion du monde des échecs) regrette de n'avoir pas profité d'une enfance insouciante et libre... mais il fallait que Moscou montre sa "supériorité" intellectuelle sur les USA (B. Fischer) en pleine guerre froide.
Bref, des parents qui pensent faire le bonheur de leurs enfants en les matraquant dès que possible avec leurs névroses personnelles . L'éducation religieuse est également concernée par ces dérives de domination parentale (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_05_09_archive.html)
Ces exemples montrent que la pression
parentale pour réussir dans le sport peut avoir des conséquences négatives sur
les athlètes, même s’ils atteignent le succès, ce qui n’est même pas la norme
pour ces enfants « programmés » qui n'atteignent pas tous, loin s'en faut, les sommets. L'excellence à tout prix... a un prix souvent exorbitant. Le bien-être et le bonheur des enfants devraient toujours être la priorité, quitte à ce que les parents trop ambitieux pour leur progéniture aillent consulter...
Finalement, les analogies sont légions entre la guerre économique capitaliste et la guerre à fleurets mouchetés du sport de haut niveau. Les ressorts guerriers sont identiques et l'interpénétration évidente : le sport business a commencé à envahir les clubs amateurs (recherche de sponsors, mise en place de partenariats...), avec les joies du spectacle et les dégâts collatéraux. Les héros du stade interviennent d'ailleurs - il faut bien vivre - pour "entraîner" les équipes marketing et commerciales des grandes entreprises : la "gagne" et la "niaque" sont à l'honneur. Les droits média, les maillots de joueurs à des prix prohibitifs... tout est bon. Et je ne dirai pas un mot sur les revenus indécents de certaines idoles que je ne citerai pas, comme Kylian Mbappé, ayant émargé selon Forbes à 30 millions d'euros entre mai 2021 et mai 2022. Quand on a compris que - sans libre arbitre ontologique possible - mérite et talents sont des leurres... (voir https://librearbitre.eu/accueil/sociologie/).
La performance serait le but ultime de l'humanité comme l'affirme la docteure en psychologue et chercheuse Fanny Nussbaum qui en
vient à critiquer violemment ce qu’elle appelle la « dictature des
humanistes » empêchant les individus de chercher l’excellence et
la perfection... qu’elle-même a manifestement trouvées dans sa conception
toute personnelle d’un existentialisme narcissique "embelliste" :
« La
performance est le plus beau joyau de l’intelligence humaine. Elle est le
fruit d’une quête incessante de dépassement de soi, d’une volonté
farouche de se différencier, d’une ambition démesurée de créer et d’innover
(...) Nous avons forgé un monde qui interdit tout comportement conquérant
(...) (j’ai) un dédain pour l’humanisme et sa
philosophie de l’essence (...) mon objectif est de faire de ma vie une œuvre
d’art. » ("L’Art de l’excellence - En finir avec la
dictature des humanistes - 40 commandements pour agir avec grandeur" - 2023
-Alisio + vidéo https://www.youtube.com/watch?v=GHagPY0XGqw)
Sacrifier la communication non violente et l'humanisme des "Lumières"- pas assez "conquérants" - sur l'hôtel d'un ego boursouflé : joli programme.
Et elle n'est pas seule. Dans la même veine, le psychologue canadien Jordan Peterson fustige le laisser-aller des gros, des transgenres, des adeptes du wokisme etc. et publie des livres sur
de développement personnel centré autour de l’idée qu’il faut commencer par se surpasser soi-même (???) avant de vouloir changer
l’ordre des choses dans la vie politique. Se dépasser ou se taire. Ce qui soulève des questions sur la manière dont nous percevons la réussite et
la compétition avec soi-même et les autres dans une société universelle mondialisée et, si possible un jour, paisible.
Paraphrasant Clausewitz, le sport de haut niveau est la continuation de la politique selon d'autres moyens (JO de Berlin en 1936, Moscou en 1980 avec le boycott de 65 pays pour protester contre l'invasion soviétique en Afghanistan, délégation officielle russe absente des JO 2024 du fait de la guerre en Ukraine...). On a même pu décréter une trêve olympique - très politique - en repoussant aux calendes grecques la nomination d'un premier ministre qui ne plaît pas.
Finalement, le sport est une excellente activité pour la santé (jeux) sans nécessité de se transformer en stakhanovistes de la performance ; et l'innovation scientifique et technique permet de mieux vivre (pain). Les différents avis portent sur la place du curseur, ici entre une saine émulation pour améliorer notre santé et nos conditions de vie, et là un burn-out parfois suicidaire. Entre des travailleurs qui gagnent des points de productivité et les retours qu'ils en ont (revenus / reconnaissance sociale etc.). La méritocratie capitaliste n'est pas l'organisation "naturelle" indépassable issue d'une évolution biologique de compétition qu'il faudrait appliquer stricto sangsue, mais un aspect culturel que l'on peut mettre en cause au même titre que l'on a remédié à la fatalité "biologique" des naissances (IVG / pilule...), renoncé à la raison du plus fort (Droits de l'Humain et des citoyens), à l'exploitation sans limite des ressources qu'on commence - péniblement - à mieux réguler etc.
Et le sport ne nécessite pas la glorification de quelques-uns (individus ou nations) et l'humiliation de tous les autres, pas plus que la nécessité de se droguer pour améliorer sans cesse les chronos, les sauts en longueur ou en hauteur. Les injonctions du toujours plus, "plus fort, plus vite, plus loin", sont nécessairement limitées par la biologie et le "mental" de chacun... qui fait au mieux de ce qu'il peut, en permanence. Et que deviennent tous ces athlètes - la plupart - qui échouent à percer et se retrouvent souvent sans débouchés réels après leur carrière sportive malheureuse...
Encourager l'autonomie et la croissance personnelles plutôt que l’obsession de la victoire favoriserait probablement des valeurs plus positives au sein de la société.
Quant à se dépasser soi-même : c'est une belle illusion, un vestige de la dualité qui ne peut pas exister dans un monde matérialiste. Un conseil en cas de dépassement : pensez à mettre le clignotant pour éviter tout claquage, chute, overdose d'amphétamines, de stéroïdes, d'EPO, de diurétiques ou d'hormones de croissance.
Regardant la cérémonie de clôture des JO au stade de France, je voyais cette immense foule de spectateurs et d'athlètes confondus, heureux, célébrant la paix des peuples dans leur diversité... alors que le nombre estimé des morts en Ukraine (auquel il faut ajouter 3 fois plus de blessés, d'handicapés à vie) est d'environ deux fois plus important (180.000) que ce que les images du stade nous ont montré.
Les JO sont peut-être nécessaires pour réduire la bêtise des rapports de forces entre humains et nations, mais ils restent bien insuffisants.
Pour terminer sur une note optimiste, il existe au moins trois points très positifs concernant ces JO :
l'impact significatif sur les vocations sportives en France : la ministre des Sports a ainsi mentionné qu’on pourrait s’attendre à l'inscription de 2 à 3 millions de licenciés supplémentaires ;
la diversité des origines et couleurs de peau des athlètes montrant l'universalité de l'humanité et la profonde bêtise meurtrière qu'est la guerre, la "vraie" (et ce n'est pas Miss France qui dira le contraire).
la visibilité des "personnes en situation de handicap" lors des jeux paralympiques. Habituellement cachés, oubliés, subissant une forme d'apartheid insidieux, on a pu voir toute leur humanité et leur force. A ne pas oublier après les jeux !
_____________________________________________
* Ainsi la thèse de l'éthique protestante proposée par le sociologue Max Weber, affirmant que l'ascension du capitalisme moderne trouve ses racines dans la mentalité calviniste axée sur le travail, l'épargne et la discipline personnelle. Parallèlement, Werner Sombart relie l'émergence du capitalisme moderne au monde juif ashkénaze, tandis que d'autres théories mettent en lumière des facteurs tels que la Révolution industrielle, les changements agraires, le commerce extérieur et la colonisation. Certains analystes soulignent aussi l'importance des mutations démographiques, techniques et idéologiques ayant contribué à façonner le capitalisme. De plus, Fernand Braudel distingue différentes phases dans l'expansion du capitalisme, telles que le capitalisme commercial basé sur les échanges à longue distance, le capitalisme marchand associé aux activités urbaines et le capitalisme industriel reposant sur la production de biens manufacturés.
Dans les quelques philosophes libertariens ayant écrit sur le Libre Arbitre (LA), RobertKane est peut-être le plus connu.
Le courant libertarien considère que seule la
liberté de la volonté (= libre arbitre) est aux commandes dans les
comportements humains. Les déterminants internes et externes - que les libertariens contestent, qu'ils soient biologiques ou environnementaux - ne font
pas le poids face à une liberté totale triomphante que l'on pourrait rapprocher de la conception Sartrienne. Nous aurions cette propriété extraordinaire dans l'univers d'être "cause de nous-mêmes" (causa sui), affirmation insoutenable abandonnée par les scientifiques mais encore bien vivace en philosophie et en politique (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/moi-moi-moi-ayn-rand-la-libertarienne.html).
C'est le cas de Robert Kane qui soutient (depuis 60 ans !) que les agents (humains !) dans un monde indéterminé peuvent
posséder un Libre Arbitre, et ont ainsi "le pouvoir de faire des
choix dont ils ont la responsabilité ultime", pouvoir qui ne peut être expliqué qu'en
fonction de leur propre volonté (c'est-à-dire leur caractère, leurs motifs et
leur volonté). Plus une profession de foi qu'un raisonnement rationnel, d'autant que Kane considère que ses positions ne sont pas en contradiction avec la notion de déterminisme et le corpus scientifique qui en découle.
Mais comme d'habitude avec les tenants de l'hypothèse libertarienne, Kane ne se demande à aucun moment d'où viendrait la volonté X plutôt qu'Y... L'animal n'aurait-il pas de "volonté" (chasse / reproduction / survie au sens large) sans posséder pour autant de Libre Arbitre selon Kane et l'ensemble des libertariens ?
Et comment l'indéterminisme au cœur de la doctrine libertarienne pourrait-il contribuer
à la culpabilité (faute) morale ?
Un lancer de dés en dehors de la conscience ?
Une déviation des atomes dans leur course dépendante des lois naturelles ?
Et par quelle "force" ? Le clinamen* d'Epicure ? Qui viendrait d'où si ce n'est des lois naturelles déterministes et indéterministes alors que les lois de la thermodynamiques interdisent toute déviation des atomes non causée par une force préalable ?
Ou bien la "force" d'un "Monsieur Plus", super héros non détecté malgré nos études de plus en plus poussées (IRM...) ?
Enfin, la responsabilité morale dépendrait de la fausseté du déterminisme, alors que le déterminisme est infalsifiable (non réfutable / impossibilité de prouver sa "fausseté") et sert de base théorique (axiomatique) à toute tentative scientifique. Pour un naturaliste scientifique déterministe, l'indétermination du monde est en relation avec le chaos déterministe et non l'indéterminisme quantique qui ne peut de toute façon pas agir à l'échelle des neurones (chaleur / humidité...).
Chez ce philosophe américain comme pour beaucoup d'autres, il existe une confusion systématique entre responsabilité et culpabilité. Ainsi, un individu ivre qui écrase un enfant est responsable : c'est bien lui qui est à l'origine du drame. Mais est-il coupable, c'est-à-dire aurait-il pu faire autrement ? Si une IRM montre qu'il est porteur d'une tumeur frontale, est-ce que cette tumeur peut être la "cause" de l'infraction ? Ou est-ce le fait d'être ivre ? Car si la seule cause est la tumeur, il est responsable mais non coupable : il faut le soigner et ce chauffard n'ira pas en prison. Si l'ivresse est seule en cause, il est "théoriquement" coupable : Kane vous dira que le conducteur ne pouvait peut-être pas faire autrement sur le moment, mais qu'il est coupable d'avoir commencé à boire exagérément des années auparavant... A moins de reconnaître que, comme la tumeur frontale, l'alcoolisme est une maladie comme une autre : ce qui est effectivement le cas... Et dans le cas où l'on admettrait que l'accident est déterminé par les deux "causes mélangées", tumeur + alcool : dans quelles proportions respectives ???
Mais Kane avance qu'une certaine science - à défaut d'une science certaine - va bien dans son sens puisque des études ont montré que les gens se comporteraient mal s'ils ne croyaient plus dans ce fameux libre arbitre, avec pour conséquence une augmentation des comportements antisociaux tels que la
tricherie (Martin, Rigoni, et Vohs, 2017; Vohs et Schooler, 2008), le racisme
(Zhao, 2014), et l’agressivité envers les autres (Baumeister et al, 2009),
ainsi qu’une diminution des attitudes prosociales exprimées dans les
comportements altruistes (Baumeister, 2009) et coopératifs (Protzko, Ouimette,
et Schooler, 2015). Donc, sans croyance dans un LA "réel" (et non la simple sensation de volonté libre), point de salut nous montrerait cette
avalanche de résultats scientifiques. Sans la croyance profane dans le LA, la
morale s’effondrerait au profit du plus fort, du plus agressif, du plus
raciste.
Ces résultats méritent qu’on s’y attarde un peu.
Regardons par exemple la méthodologie de l’étudeBaumeister :les participants lisent et
intériorisent une série d'énoncés qui encouragent ou rejettent explicitement le
sens du choix personnel libre (volonté libre ou Libre Arbitre
« réel ») et de la responsabilité de ses actions dans le cadre d’une
procédure de type Velten[1].
Autrement dit, on crée deux groupes « sous influence » dont l’un est
renforcé dans la responsabilisation / culpabilisation de ses actes (croyance
dans le LA « réel »), alors que l’autre groupe est
« déresponsabilisé » de ses actes (du fait d’un déterminisme absolu)
et donc, agir dans son propre intérêt égoïste deviendrait moralement acceptable.
Malheureusement, cette méthodologie présente plusieurs
biais ; au moins 3 que j’appellerai pour simplifier, le biais
d’induction, d’immunité et de population :
1) Biais d’induction concernant la procédure de
type Velten employée, procédure qui est loin d’être parfaite :
« les
chercheurs continuent de débattre à propos de l’origine des changements
d’humeurs observés après induction : sont-ils dus aux items présentés ou à des effets
de demande, c’est-à-dire la volonté des sujets de se conformer aux
attentes de l’expérimentateur ? »[2]
En fait, on ne sait pas si les « cobayes » de
l’étude sont persuadés des arguments des deux inductions opposées -
responsabilité (culpabilité) de ses actes versus
absence de responsabilité (culpabilité) -, ou s’ils répondent à l’examinateur
en fonction des attentes perçues par cette « autorité » comme on l’a
vu dans l’expérience de Milgram ; voire tout simplement pour faire plaisir à la
blouse blanche.... Soit un biais qui fausserait considérablement les résultats.
2) Biais d’immunité impliqué dans toutes les
études citées plus haut : en fait, le « match » est truqué dès le
début. Car convaincre les membres d’un groupe qu’ils peuvent faire ce qu’ils
veulent et qu’il n’y aura aucune conséquence réelle à leur conduite dans le
cadre de ce « jeu », c’est leur donner pendant le temps de
l’expérience une immunité qui n’a rien à voir avec « la
vraie vie ». On peut rapprocher ce scénario du jeu du dilemme du
prisonnier en un seul coup : on sait que trahir est alors la stratégie la
plus rentable comme l’ont bien compris les restaurateurs (pas tous !)
d’une station balnéaire quelconque qui proposent une fausse bouillabaisse pour
le prix d’une vraie. Comme ils ne reverront pas ces clients de passage, autant
en profiter ! Cependant, il n’est pas impossible que sans immunité
artificielle (par ex. : amende en cas de tricherie, de comportement
raciste etc. c’est-à-dire ce que l’on risque dans « la vraie vie »),
les comportements auraient pu être tout autres !
3) Biais de population : toujours dans cette
étude, les cobayes étaient « des
adultes intelligents et dévoués, dont environ la moitié étaient actifs dans
l'Église mormone »[3].
Et l’on sait que la notion de libre arbitre n'est pas sans importance pour les
religieux en général, et les mormons en particulier. Les auteurs ont juste
« oublié » de mentionner ce « détail » dans l’énoncé du
protocole de leur étude, ce qui est pour le moins scabreux quand on entend
faire de la science.
Si l’on avait plutôt montré au groupe « le LA réel
n’existe pas » que tout être humain est déterminé par ses gènes, son
environnement, et que, dans cet environnement justement, tout n’est pas
possible pour autant car il faut compter avec les autres qui ont leur
propre intérêt respectable, avec d’éventuelles sanctions de leur part en cas de
manquement à une certaine morale, fruit de l’évolution... On se retrouverait
alors plutôt dans un dilemme du prisonnier itéré (répété), ce qui
ressemble déjà plus à la « vraie vie » (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-sacre-dilemme-pour-la-morale.html). On aurait alors évité ce
biais qui rend les résultats des études mis en avant par Kane... terriblement discutables.
En fait, comme le montre
l’excellent article de Miles[4], philosophe et spécialiste des sciences sociales, Baumeister ne parle même pas
de déterminisme mais de fatalisme, ce qui fausse totalement ses résultats
au-delà des biais énoncés précédemment.
Miles précise :
« En Grande-Bretagne,
et très probablement en Amérique, 69 à 83 % de la population pourrait utiliser
le mythe du libre arbitre pour excuser l’indifférence à l’égard des pauvres. Le
libre arbitre n’est peut-être que l’excuse principale que beaucoup utilisent pour
légitimer un mépris pour les pauvres qui existerait indépendamment de leur
croyance déclarée dans le libre arbitre, mais l’affirmation du libre arbitre
fournit néanmoins une feuille de vigne éthique pour un tel mépris qui serait
bien plus difficile à rationaliser (et donc tolérer) sans le mythe du libre
arbitre. Par conséquent, le mythe du libre arbitre n’excuse pas
seulement l’indifférence à l’égard de la pauvreté, il crée et entretient en
premier lieu une grande partie de cette pauvreté. »
Ne serait-il pas plus simple, et plus sûr d’un point de vue scientifique,
de trouver des cobayes qui pensent déjà que le LA est une illusion versus des croyants dans le LA sans
avoir à « fabriquer » de façon artificielle et discutable des convictions
probablement précaires ? Les auteurs pourraient faire ainsi l’économie de bien
des biais précédents. Faut-il incriminer un manque de moyens ? Peu
crédible. Une certaine incompétence ? Je n’ose y croire. Une
« volonté libre » ? Ma foi...
Plus sérieusement, une question n’est jamais abordée dans ces
travaux : les spiritualistes et autres croyants du LA « réel »
sont majoritaires dans la population et généralement croyants dans le LA par
défaut. Ils n’ont pas eu la chance d’investir le sujet et ont adopté le
« sens commun » sans autre forme de procès. En revanche, les
sceptiques du LA se recrutent plutôt du côté des philosophes et des
scientifiques (psychologues, psychiatres, neurobiologistes, physiciens,
anthropologues, sociologues...). Ces chercheurs, intellectuels et autres BAC +
6 à 12, incrédules du LA, seraient donc - si l’on en croit les études
précédentes - plus souvent racistes, antisociaux, tricheurs, escrocs, agressifs
etc. Ils formeraient donc des cohortes de délinquants et de prisonniers que
l’on nous cache sans doute dans des geôles reculées.
Pourtant, Robert Sapolsky (biologiste) semble mener une vie honorable et gratifiante malgré
sa désillusion sur le libre arbitre, et il en est de même pour des philosophes et scientifiques sceptiques
du LA comme Spinoza, Diderot, d’Holbach, Pereboom, Caruso, Pinker, Churchland,
G. Strawson, Wegner, Honderich, Balibar, Atlan, Changeux,
Dupuy, Ogien, Waller, Harris, pour n’en citer que quelques-uns. Je tiens à préciser que mon casier judiciaire est actuellement
vierge.
Je crois que quelque chose ne tourne pas bien rond dans ces études
destinées à montrer que la croyance dans un LA « réel » serait
socialement nécessaire pour ne pas s'entretuer. Depuis toujours, les
gens s’entretuent en croyant au libre arbitre(sous l'œil bienveillant d'un dieu quelconque puisque chacun a dieu de son côté) ; LA qui donne de belles justifications
pour découper, ébouillanter, saigner, écarteler, enfermer, punir son
prochain... puisqu’il aurait pu (dû) faire autrement cet infidèle, ce mécréant,
ce délinquant, ce meurtrier !
Et puis il existe des études plus récentes qui relativisent très
nettement, voire inversent totalement les résultats précédents qui semblaient
prouver qu’on se conduirait mal si l’on ne croyait pas au LA ontologique :
Une
étude[5]
de 2020 regroupant 5 sous-études tente de reproduire l’étude princeps conduite
par Vohs et Schooler (2008). Cette dernière avaient montré que ne pas croire au
LA augmentait notamment les comportements de tricherie. Patatras ! La
nouvelle étude ne retrouve pas du tout les résultats princeps et précise même :
« Nos
efforts ont été largement infructueux. Nous suggérons que la manipulation des
croyances du libre arbitre d'une manière robuste est plus difficile que ce qui
a été suggéré par des travaux antérieurs, et que le lien proposé avec un
comportement immoral peut ne pas être aussi cohérent que les travaux précédents
le suggèrent (...) Les inquiétudes concernant la prétendue érosion des mœurs
de la société à la suite des récentes avancées scientifiques sont probablement
déplacées. »
Cerise sur le gâteau, cette étude précise également :
« Il
convient de souligner qu'à ce jour, plusieurs autres tentatives pour
reproduire et étendre conceptuellement les découvertes de base de Vohs et
Schooler ont abouti à des résultats incohérents - soit en échouant à
manipuler avec succès les croyances du libre arbitre, soit en n'ayant pas
réussi à trouver que leur manipulation réussie influence systématiquement les
croyances du libre arbitre sur le comportement moral. »
Une autre étude[6]
a utilisé des chocs électriques (intensité non dangereuse) - avec petite
rémunération à la clé - sur des cobayes consentants qui étaient tour à tour
agent déclenchant des chocs, puis victime subissant des chocs. Résultats :
"Nos résultats montrent que les participants qui ont été préparés avec un texte défendant le déterminisme neuronal – l’idée que les humains ne sont qu’un simple amas de neurones guidés par leur biologie – ont administré moins de chocs électriques et se sont montrés moins vindicatifs envers l’autre participant (...) Nous avons observé que la non-croyance au libre arbitre avait un impact positif sur la moralité des décisions envers autrui."
Soit tout l’inverse des résultats démontrant la soi-disant immoralité
des sceptiques du LA.
Autant de résultats qui ne confortent absolument pas les propos de Kane concernant le risque social d'un scepticisme dans le LA !
Il est merveilleux de voir à quel point on peut tordre les choses en philosophie : Robert Kane croit au LA ontologique et utilise l'argument de la conséquence pour nous convaincre quand Saul Smilansky, autre philosophe d'importance, ne croit pas au LA ontologique mais nous affirme qu'il faut y croire en utilisant le même argument de la conséquence (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-libre-arbitre-necessaire.html).
[1]
Cette procédure repose sur la présentation de films, d’images ou de musique
ayant une tonalité émotionnelle spécifique. Le sujet utilise activement ce
matériel en imaginant une période de sa vie où il a pu faire l’expérience de
l’état émotionnel évoqué pour se mettre dans cet état. Dans sa version
originale, il s’agit pour le sujet, de lire et d’essayer de ressentir l’humeur
suggérée par 60 phrases décrivant aussi bien des autoévaluations positives ou
négatives (par exemple : « je ne suis pas sûr(e) d’être une personne digne
d’intérêt », « c’est super, je me sens vraiment bien, je me réjouis des choses
»), que des états somatiques (« je me sens plutôt mou »), ou encore des
situations dont l’intensité émotionnelle évolue de manière croissante.
[5] « Does encouraging a belief in determinism increase cheating? Reconsidering the value of believing in free will» - Thomas Nadelhoffer - 2020 - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32593841/
*Le clinamen est un concept de la
physique épicurienne, souvent attribué à Épicure et développé par Lucrèce dans
son œuvre De rerum natura. Il désigne une déviation "spontanée" et "aléatoire" des
atomes par rapport à leur chute dans le vide. Cette déviation permet aux
atomes de s'entrechoquer, ce qui est essentiel pour la formation des corps et
la liberté humaine dans un cadre matérialiste. Mais pour cela, il faudrait introduire une force qui viendrait... de nulle part.
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Et pour aller plus loin : le livre "La dernière
blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en
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