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Théorème du libre arbitre

Les mathématiciens John Conway et Simon Kochen ont publié en 2006 (actualisé en 2009) « le théorème du libre arbitre » (« The Free Will Theorem ») qui s’appuie sur trois axiomes liés à la mécanique quantique et à la relativité. Sur la base de ces axiomes, les auteurs démontrent que si un expérimentateur dispose du libre arbitre (LA), alors toutes les particules de l’Univers disposent également d’un libre arbitre[1]

C’est la loi du tout ou rien : ou un LA « réel » ne peut pas exister, ou chaque parcelle de l’Univers en dispose... 

Ce libre arbitre étant le fondement même de la culpabilité (car on aurait pu faire autrement que ce qu'on fait) et de la punition, reste à savoir comment traîner en justice des photons coupables d’un mélanome, un volcan irascible, un chien renversant un cycliste... Une sorte de démonstration par l’absurde que la volonté libre, propriété « exclusive » de l’Humain, est une totale ineptie.

Certains ont remis en cause les résultats de Conway et Kochen :

« Dans la manière dont le théorème du libre arbitre est formulé et démontré, il ne concerne que les modèles déterministes (...) et non les modèles stochastiques (càd calcul des probabilités) »[2]

Ce à quoi les auteurs du théorème font cette réponse cinglante :

« Certains pensent que la seule alternative au déterminisme est l’aléatoire de la théorie des probabilités et ajoutent pourtant qu’autoriser l’aléatoire dans le monde n’aide pas vraiment à comprendre le libre arbitre. »

Pour en revenir à notre théorème du LA, les particules, les rochers, les bactéries, les fourmis, les lions, les humains... auraient un libre arbitre entier, ou n’en auraient pas du tout ! De quoi en rabattre quelque peu concernant notre arrogance d’Homo Sapiens envers la fourmi.

En résumé, 3 possibilités :

1) univers déterministe : le cerveau animal - comme celui de l'humain - est constitué de neurones, neuromédiateurs, flux électriques le long des axones etc., le tout obéissant aux lois déterministes (causes => conséquences) de la nature, et le libre arbitre "réel", ontologique ne peut exister. La volonté elle-même est le résultat d'événements antérieurs remontant... au Big Bang (ou tout autre commencement, si commencement il y a eu...).

2) univers indéterministe, soumis aux aléas, au hasard "pur" : pour le cerveau animal - comme pour celui de l'humain - certaines molécules impliquées dans la transmission des signaux nerveux, comme les neurotransmetteurs, pourraient exister dans des superpositions quantiques de plusieurs états simultanément jusqu'à ce qu'elles soient mesurées (c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une synapse soit activée ?). Cela permettrait aux neurones de traiter plusieurs informations en parallèle plutôt que séquentiellement, offrant ainsi un potentiel d'accélération du traitement de l'information et de résolution de problèmes complexes. Malheureusement, une idée peu viable du fait que les systèmes quantiques ont tendance à se désintégrer rapidement lorsqu'ils interagissent avec leur environnement (décohérence quantique). Il serait très difficile de maintenir des états quantiques cohérents dans le cerveau, compte tenu de sa complexité et de son interaction constante avec l'environnement, sans compter la chaleur (37°C) peu propice au phénomènes quantiques. Par ailleurs, il n'existe pas de cadre théorique solide permettant d'expliquer comment les processus quantiques pourraient avoir un impact significatif sur le fonctionnement global du cerveau ; sans oublier le vide absolu côté preuve expérimentaleDes études suggèrent plutôt que les propriétés statistiques des réseaux de neurones peuvent s'expliquer entièrement par des modèles classiques sans recourir à la mécanique quantique. In fine, quel rapport entre un libre arbitre permettant théoriquement de décider en conscience et un processus de hasard pur ne donnant plus aucun sens à une délibération du sujet ?

3) univers mixte mélangeant déterminisme et indéterminisme : mais dans quelles proportions
Un mixte fixe (30 % de détermination + 70 % de hasard "pur"... ou l'inverse) ? 
Ou bien en fonction de la situation avec des proportions changeantes, aléatoires, selon que l'on choisit de se reposer ou de tuer son voisin ? Ce qui ressemble fort à la position philosophique "compatibiliste" qui fait se côtoyer déterminants et hasard dans des proportions jamais précisées ; pour cause. Cette position compatibiliste est dominante dans notre société et s'exerce tous les jours notamment dans le domaine de la justice. Ce qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques insolubles : ce dealer de banlieue, combien d'années de prison en proportion de sa "quantité" / "qualité" de LA (culpabilité), desquelles il faudrait retrancher ses déterminants éducatifs délétères d'origine ? Ce qui donne finalement... l'âge du capitaine, ou de son second ou ... (voir Les expertises psychiatriques).

Sur le fond : si le déterminisme strict n’autorise pas le LA, pas plus que l’indéterminisme strict (alea) ou même le mélange des deux, que reste-t-il pour croire à un libre arbitre « réel » à part une obsession axiomatique d’entités surnaturelles agissantes ? Ne reste que la première hypothèse - pas de libre arbitre "réel" possible - si l'on souhaite garder un peu de cohérence.

Au passage, remarquons qu’un certain indéterminisme peut être réfuté dans des cas précis, par exemple chaque fois que la science découvre un déterminisme inconnu auparavant. Les tempêtes, les ouragans et autres phénomènes météorologiques violents étaient généralement attribués à l'intervention directe des dieux , mais les sciences de l'atmosphère ont progressivement démystifié ces phénomènes en termes de pressions, vents et courants marins. Mais l’expérience montre que, pour des raisons psychologiques ou idéologiques, dès qu’une forme de déterminisme a été mise à jour par la science, on fait resurgir dès que possible l’indéterminisme ailleurs, dans l’un quelconque des « asiles de notre ignorance » où résident probablement les dieux. Comme l’écrit le médecin, biologiste et philosophe Henri Atlan[3] :

« Tant qu’il reste un “trou” dans le déterminisme, on s’y accroche en y voyant le fondement métaphysique de notre liberté humaine. »

Mais en fait, de l’indétermination apparente, on ne peut jamais conclure à l’indétermination réelle car il faudrait pour cela pouvoir exclure la possibilité de variables explicatives encore inconnues, cachées, ce qui est impossible. Et plus on explique par la méthode scientifique des phénomènes jusqu'alors inexpliqués, plus le spiritualisme (conscient ou non) déplace ses exigences de « preuves » matérialistes / naturalistes sur des phénomènes non encore expliqués, repoussant toujours un peu plus la frontière entre connu et inconnu, et ce probablement à l’infini puisque, très probablement, nous ne saurons jamais « tout ». 

Soit une objection bien pratique des spiritualistes... mais irrecevable.

Autre exemple : Alain Aspect dans une expérience de physique quantique a bien mis en évidence le phénomène d’intrication qui consiste à ce que deux particules partagent un état quantique commun, même si elles sont séparées par une grande distance. Cette expérience démontrant la non séparabilité quantique a eu des conséquences philosophiques importantes : elle a remis en question certaines notions classiques de la physique, comme la causalité, la localité et le réalisme puisque deux particules intriquées peuvent influencer instantanément leur état respectif, sans qu’il y ait de signal ou de mécanisme qui les relie. Ce qui viole la notion de localité car il y a une action à distance qui dépasserait la vitesse de la lumière, ce qui paraît impossible dans l'état des connaissances actuelles en physique. Enfin, ce résultat semble violer également le « réalisme », car il n’y a pas de réalité préexistante à l’observation. Certains y ont vu une preuve de l’existence d’une réalité cachée ou d’une dimension supplémentaire ; d’autres une manifestation de la conscience ou du libre arbitre ; d’autres encore une limite de la science ou une invitation à la métaphysique... En fait, un vrai test de Rorschach[4] qui parle plus de celui qui interprète que du dessin lui-même. 

Il serait peut-être urgent d’attendre d’en savoir un peu plus avant de rétablir Dieu dans tous ses attributs, dont la physique quantique et sa réalité non-locale ! 

Alain Aspect lui-même reste circonspect concernant ces extrapolations...

Pour le plaisir : quelques lumières sur le merveilleux monde quantique :



[2] « What Does the Free Will Theorem Actually Prove? » - https://www.ams.org/notices/201011/rtx101101451p.pdf

[3] « La liberté est un acquiescement actif et joyeux à la nécessité » - http://grit-transversales.org/archives/revue/001/pdf/dossier.pdf et « L’auto-organisation selon H. Atlan » - https://marzat-informatique.fr/sarlmedia/atlan4.mp3

[4] Test psychologique qui consiste à présenter au sujet une série de planches comportant des taches d’encre symétriques et ambiguës, en lui demandant ce qu’il y voit. Le but est d’analyser les associations d’idées, les sentiments, les fantasmes, les conflits ou les mécanismes de défense du sujet, en fonction de ses réponses.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous