« La créativité (...) et l’imagination signifient un commencement nouveau de l’activité consciente. Mais il ne faudrait pas tomber dans le travers, assez courant, de considérer ce nouveau commencement comme un départ absolu - rien ne vient de rien. L’imagination n’est pas un commencement absolu de la conscience mais sa capacité à combiner inconsciemment ou consciemment, d’une nouvelle manière, les éléments qu’elle maîtrise ou qui la conforment. »
Ce qui semble évident pour Salvador Dali :
« Le modèle probabiliste de la théorie du chaos cérébral ne se définit pas comme une désorganisation hasardeuse du système nerveux central, mais par une limite de prédictibilité de ses réactions et de son fonctionnement. Il n’affirme pas que le cerveau est indéterminé ou aléatoire, bien au contraire, mais que son extrême sensibilité aux variations de ses conditions initiales rend ses comportements tout simplement impossibles à anticiper avec exactitude. A l’image d’un nuage, d’une goutte d’eau sur la membrane d’un haut-parleur, des entrelacements de vaisseaux sanguins ou des galaxies, le cerveau dessine des formes qui, bien que répondant à un ordre statistique global, manifestent à une échelle microscopique un chaos local, échappant, au moins en partie, à la prévision. » Réf.
Ce que l'on peut mettre en évidence dans des expériences comme celle-ci : le musée Mauritshuis de La Haye a présenté les résultats d’une recherche en neuroscience menée sur son chef d’œuvre “La Jeune Fille à la Perle” de Vermeer. Cette étude récente montre que regarder un "vrai" tableau au musée Mauritshuis active le cerveau différemment par rapport à une reproduction du même tableau. La réaction émotionnelle du spectateur est dix fois plus forte lorsqu’il se trouve face à face avec le tableau dans le musée. Les chercheurs ont utilisé des électroencéphalogrammes (EEG) pour révéler que les œuvres d’art réelles, dont “La Jeune Fille à la perle”, suscitent une réaction positive puissante bien supérieure à celle des reproductions. Le secret de l’attraction de la « Fille » repose également sur un phénomène neurologique unique. Contrairement à d’autres peintures, elle parvient à « captiver » le spectateur, dans une « boucle d’attention soutenue ». Comme pour la plupart des visages, les visiteurs regardent d’abord les yeux et la bouche de la Fille, mais leur attention se déplace ensuite vers la perle, qui ramène ensuite l’attention sur les yeux et la bouche, puis sur la perle, et ainsi de suite. Un autre résultat frappant de l’étude est le fait que, lorsque quelqu’un regarde la Fille, c’est le précunéus qui est de loin la partie la plus stimulée de son cerveau (le précunéus est impliqué dans le sens de soi, l’introspection et les souvenirs épisodiques) Réf.
Le développement de la technique photographique à la même époque remet en cause ce qui jusqu'alors avait été l'une des fonctions principales de l'art : la représentation la plus fidèle possible de la réalité. Ces éléments, et d’autres, ont amené les impressionnistes à explorer d’autres sujets, d’autres façons de peindre qui privilégient la vision de l'artiste, son impression face au réel, et non la simple description « photographique » du réel. Un Monet au XVème siècle est improbable, et de toute façon nullement en adéquation avec ce qui était attendu d’un peintre à cette époque. Il a peut-être ouvert la voie à l’abstraction du fait de ses problèmes de cataracte[1], un déterminant dont il se serait bien passé. Un peintre cubiste au XIIIème siècle ne serait qu’un enfant ou un fou ; pas un Picasso. Faire écouter Mozart à des peuples "premiers" n'aurait peut-être pas grande signification pour les membres de ces communautés qui n’ont pas le contexte culturel musical préalable pour apprécier ce type de musique. Il serait bien difficile d’interpréter objectivement leurs réactions et l'on ne peut affirmer qu'il existerait une transcendance esthétique musicale universelle devant laquelle on devrait se prosterner. Il semble bien exister selon les contextes culturels des différences de perception émotionnelle.
Ainsi, une étude menée auprès du peuple Tsimané en Bolivie a révélé que, contrairement aux auditeurs occidentaux, ils ne faisaient pas de distinction significative entre les accords consonants (jugés "agréables") et les accords dissonants (jugés "désagréables") de la musique occidentale. Pour eux, les deux types d'harmonies étaient considérés comme aussi plaisants. Cela suggère que notre préférence pour la consonance est en grande partie une construction culturelle et non une réaction universelle. Certains témoignages, bien qu'anecdotiques, rapportent que des tribus africaines ont pu percevoir la musique classique occidentale comme "stressante, rigide et désordonnée". La complexité de l'orchestration et la structure rigide des compositions occidentales peuvent entrer en conflit avec les traditions musicales locales, souvent basées sur la polyrythmie et l'improvisation.
Je connais même un dissident qui préfère Salieri à Mozart : c'est dire !
On peut également voir l’art comme une fonction
sociale complexe comme le proposait magistralement le sociologue Pierre Bourdieu :
« La
pratique culturelle sert à différencier les classes et les fractions de classe,
à justifier la domination des unes par les autres. »[2]
Le bon goût, le mauvais goût, le dégoût du goût des autres[3]... plus généralement, la culture, comme le reste du vivant, semble obéir aux mêmes exigences de l’évolution Darwinienne[4], et individuellement, de la classe sociale.
Pour Pierre Bourdieu :
« Le privilège du sociologue, s’il y en a un, n’est pas de se tenir en survol au-dessus de ceux qu’il classe, mais de se savoir classé et de savoir à peu près où il se situe dans les classements. À ceux qui, croyant s’assurer ainsi une revanche, me demandent quels sont mes goûts en peinture ou en musique, je réponds - et ce n’est pas un jeu - : ceux qui correspondent à ma place dans le classement. »[5]
Un exemple très personnel : le tableau ci-dessous du peintre
Bruno TESSIER* est « horrible » pour une frange de la population, mais
terriblement parlant pour moi : c’est le spectateur qui "fait aussi" le
tableau.
Cet enfant doit porter, tel Atlas portant le Monde, une tête d’adulte avec ses propres souffrances et celles du Monde (maladies, guerres, massacres divers...). Le tout sur un fond cosmologique goudronneux de physique classique mâtinée de quantique, soit autant d’impossibilité de connaître et de comprendre réellement ce que nous faisons là...
Pour moi, voici l’Homme (Ecce homo).
Et le cadre doré n’est pas arbitraire : il fait référence (toujours pour moi seulement peut-être) au contraste entre les conventions d’encadrement classique mettant en valeur des scènes bibliques ou autres sujets convenus et un contenu qui renvoie intensément aux questions de la connaissance, de la métaphysique et de l’humilité qui devrait être la nôtre.
Le naturalisme scientifique ne sous-entend pas que seule la science est digne d’intérêt et que les autres activités, dont les arts, seraient inutiles ou futiles.
Esthétique ou non, tout plaisir comme celui de déguster un croissant chaud dans un bol de chocolat au lait est essentiel, évidemment. Nul besoin d’analyser les particules élémentaires du croissant à cet instant, mais elles sont bien là. Nul besoin d’analyser au microscope les pigments du tableau « Salvator Mundi » pour en apprécier la beauté mystique, à moins de vouloir vérifier qu’il est bien de Léonard, ce qui est un autre sujet, scientifique cette fois ! La beauté du monde s'impose à notre sensibilité mais elle est sérieusement mise en doute en cas de maladie, de handicap, de deuil, de catastrophe.
En tout cas, la production artistique humaine n’est pas en lien avec une transcendance quelconque, ni un argument contre le matérialisme comme certains voudraient nous le faire croire. Il suffit de voir ce que certains oiseaux sont capables de faire du point de vue fonctionnel et esthétique pour s’en convaincre...
La beauté et l’architecture du nid construit par le mâle est une indication précieuse intervenant dans le choix de la femelle en montrant la capacité du mâle à construire un abri solide, confortable et sécurisé pour la reproduction et la sauvegarde des oisillons. Un « beau » nid peut protéger les œufs et les jeunes des intempéries, des parasites et des prédateurs, attestant la santé, l’intelligence et la créativité du mâle ; soit autant de qualités recherchées par la femelle.
Mais pourquoi des objets en plastique de couleur bleu ? Peut-être parce que cette couleur est assez rare dans la nature. Ce qui est rare est cher ! Une façon de montrer ses compétences, sa capacité d'investissement, sa "distinction" comme nous dirait le sociologue Pierre Bourdieu... Ainsi, l’esthétique d’un nid peut être considérée comme un "signal honnête" de la qualité génétique du mâle, ce qui augmente ses chances d’être choisi par la femelle et de transmettre ses gènes à la génération suivante : c’est ce qu’on appelle la sélection sexuelle, un mécanisme évolutif qui favorise l’apparition et le maintien de certains traits dans le cadre de la reproduction.
On retrouve chez l’humain cette même tendance naturelle, mais à un plus haut degré de sophistication : tous les ados mâles savent bien qu’il est important de chanter en s’accompagnant à la guitare pour séduire une belle ou un beau.
L’artiste en herbe semble être - peut-être à tort - beaucoup plus intéressant qu’un(e) étudiant(e) en comptabilité qui ne joue pas de la guitare ou du piano. Seul l'avenir le dira, de façon chaotique...
Pour conclure, voici quelques avis sur l'importance et le sens de l'art par quelques intellectuels bien connus :
•
« Nous avons l'art afin de ne pas mourir
de la vérité. »
Friedrich Nietzsche
• « L'essence de l'art, c'est la vérité se mettant elle-même en œuvre. »
Martin Heidegger
•
« L'art ne reproduit pas le visible ; il
rend visible. »
Paul Klee
•
« L'art lave notre âme de la poussière du
quotidien. »
Pablo Picasso
•
« L'art est la seule forme de révolte qui
vaille. »
Albert Camus
•
« La beauté est dans l’œil de celui qui
regarde. »
Oscar Wilde
« Les arts favorisent le développement de l’enfant en contribuant au lien mère-enfant, à l’acquisition du langage et à la réussite scolaire(...) Les arts influencent les déterminants sociaux de la santé tels que la cohésion sociale et la réduction des inégalités et iniquités sociales. »
____________________
*1) Short and long term outcomes for culturally and
linguistically diverse (CALD) and at-risk communities in participatory music
programs: A systematic review
2) Musical training as an alternative and effective method for neuro-education and neuro-rehabilitation
3) The Restorative and Transformative Power of the Arts in Conflict Resolution
[1]
« La Cataracte opérée de Monet » - http://peintresetsante.blogspot.com/2012/09/la-cataracte-operee-de-monet.html
[2]
« La Distinction » - 1979
[3]
« Bacri vs Bourdieu : le (dé)
goût des autres » - VIDEO Youtube https://www.youtube.com/watch?v=bz_P7Rz7K5g
[4] On pourrait considérer que le « passage de relais » culturel d’une génération sur l’autre serait plutôt de type Lamarckien, beaucoup plus rapide que la lente évolution Darwinienne, grâce notamment aux neurones miroirs - cf. « The neurons that shaped civilization » - https://www.ted.com/talks/vilayanur_ramachandran_the_neurons_that_shaped_civilization
[5] « Questions de sociologie » - 1980 - Les Editions de Minuit -https://monoskop.org/images/4/47/Bourdieu_Pierre_Questions_de_sociologie_2002.pdf
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Pour aller plus loin : le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous





