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Experts, compétence et idéologie

Dans notre monde moderne, la notion d'expertise est cruciale pour guider les décisions et les politiques dans divers domaines (justice / médecine / changement climatique / diplomatie / capitalisme versus socialisme etc.). 

Un expert est une personne censée posséder des connaissances et des compétences approfondies dans un domaine particulier. Cette expertise est souvent reconnue par des diplômes académiques, des publications scientifiques et une reconnaissance par les pairs. Les experts jouent un rôle essentiel dans la société en fournissant des analyses et des recommandations "théoriquement éclairées".

Cependant, les avis des experts peuvent varier considérablement, souvent influencés en fait par des idéologies - systèmes de croyances et de valeurs sous-jacentes - qui façonnent les perspectives de ces experts et peuvent conduire à des avis divergents sur un même sujet. 

Quelques exemples bien connus :

  • Galilée et Newton ont remis en question les croyances religieuses et philosophiques de leur époque en introduisant des idéologies scientifiques basées sur l'observation et l'expérimentation.
  • Charles Darwin a révolutionné notre compréhension de la vie avec sa théorie de l'évolution par sélection naturelle, en conflit à nouveau avec les croyances religieuses traditionnelles et les "experts" de la Bible.
  • Les économistes ont soutenu différentes idéologies économiques, telles que le capitalisme et le socialisme, chacune proposant des visions distinctes concernant le développement industriel et les attentes humaines. 
    • D'un côté la position (néo)libérale, libertarienne, conservatrice (voire réactionnaire) qui considère que l'impôt est un vol du travail et "qu'on paye déjà assez d'impôts comme ça" (voir Moi, moi, moi... Ayn Rand, la libertarienne adorée de Trump). L'Autre n'a qu'a se débrouiller pour survivre. La redistribution se doit d'être la plus minime qui soit. Les "riches" font marcher l'économie et si on les taxe "trop", ils vont s'exiler et l'économie nationale s'effondrera pour le malheur de tous, dont les pauvres. D'ailleurs, pour les économiste de ce bord, la courbe de Laffer démontre bien que "trop d'impôt tue l'impôt". Ce qui est FAUX (en tout cas jamais prouvé, bien au contraire) :

    • A l'opposé, les "progressistes" de gauche considèrent que la (re)connaissance des déterminants génétiques et sociaux est essentielle pour comprendre et agir sur le monde ; que personne ne "vaut" 100, 500, 1000 fois son voisin en termes de revenus ; que les inégalités criantes actuelles sont illégitimes ; que les plus riches volent de façon légale (tout ce qui est légal n'est pas forcément moral) et doivent donc être taxés en définissant un maximum de revenu global (il me semble que 20 fois le SMIC permettrait une aisance financière suffisante pour ceux dont les efforts et compétences sont les plus "pointus", sans oublier les métiers à risque). Même réflexion concernant capitaux et héritages.
    • En fait, la lutte des classes continue de plus belle. Comme l’a déclaré en 2005 Warren Buffett, l’une des premières fortunes mondiales  :

      « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Et c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. »

      Les récentes élections aux US donnant le pouvoir à une douzaine de milliardaires est la réalisation la plus éclatante de cette prophétie. Sans doute des experts à la mode américaine puisqu'ils ont fait fortune ! Jusqu’au Pape Léon XIII qui reconnaissait en 1891 l'existence de classes sociales :

      « La violence des bouleversements sociaux a divisé le corps social en deux classes et a creusé entre elles un immense abîme. D’une part, une faction, toute puissante par sa richesse. Maîtresse absolue de l’industrie et du commerce, elle détourne le cours des richesses et en fait affluer vers elle toutes les sources. Elle tient d’ailleurs en sa main plus d’un ressort de l’administration publique. De l’autre, une multitude indigente et faible, l’âme ulcérée, toujours prête au désordre. »

Plus généralement, chacun a "son" avis sur à peu près tout (cf. les réseaux sociaux !), et ce plus ou moins en cohérence avec sa propre idéologie et sa vision du monde le plus souvent inconsciente.

S'ajoutent à ceci des biais cognitifs nombreux, comme l'effet Dunning-Kruger montrant que les individus ayant peu de compétences ou de connaissances dans un domaine tendent à surestimer leur niveau de compétence. 


N.B : non pas "aveugle" mais "invisible", vous l'aviez compris... Tout le monde n'a pas des compétences médicales pointues ? Ici, il s'agit en fait de ne pas confondre simple lapsus et véritable incompétence...

Cet effet Dunning-Kruger peut avoir des implications importantes dans le contexte de l'expertise :

  • Sous-estimation des véritables experts : ceux qui sont moins compétents peuvent ne pas reconnaître l'expertise des véritables spécialistes et ignorer leurs avis.
  •  Excès de confiance des incompétents : les individus moins qualifiés peuvent prendre des décisions importantes en se basant sur leur confiance boursouflée, ce qui peut entraîner des erreurs ou des échecs.

Ainsi, des personnes qui ne comprennent pas bien les méthodes scientifiques peuvent pourtant se considérer comme compétentes pour évaluer les théories scientifiques, menant à des rejets de preuves bien établies. On connait tous dans notre entourage des fervents de l'homéopathie dont on sait que ses bienfaits éventuels sont équivalents au placebo, ce qui certes n'est pas rien mais "juste" un placebo qui devrait se cantonner à la bobologie. 

C'est fou le nombre de médecins autodidactes ayant soutenu un "expert" qui a bien déraillé comme le Pr Raoult dont les travaux ont été invalidés et qui a probablement provoqué des centaines, voire des milliers de décès (effets indésirables cardiovasculaires de l'hydroxychloroquine). Pourtant, Mark Twain nous avait bien prévenu : 

"Sois prudent dans la lecture de livres de médecine. Tu pourrais mourir d'une faute d'impression."

Concernant Raoult, on est bien au delà de la simple erreur d'impression, même si l'ubris du personnage pouvait faire "mauvaise impression". Il est même surprenant qu'il ne soit pas poursuivi pour homicides involontaires.

Pour rester dans le domaine médico-judiciaire, il est terrifiant de voir la légèreté scientifique de nombre de psychiatres experts décidant du tri des criminels entre la prison et l'hôpital  (voir Les expertises psychiatriques en justice pénale : un scandale permanent ?).

C'est inquiétant de voir des experts en climatologie avec des avis divergents sur l'ampleur et les solutions au changement climatique en fonction de leurs idéologies politiques et économiques. Le fait d'être soutenu ou influencé financièrement par quelques lobbies pétroliers (les 5 plus grandes compagnies pétrolières mondiales ont dépensé 250 millions d’euros depuis 2010 en lobbying auprès de l’Union européenne) ou encore agrochimiques ne rend pas les "experts" et décideurs politiques plus clairvoyants concernant l'évolution du climat ou les dégâts des pesticides.

Comme déjà évoqué, les économistes keynésiens (gauche) et néolibéraux (droite) peuvent interpréter des données économiques identiques de manière différente en raison de leurs croyances sous-jacentes sur le rôle de l'État, du marché etc. 

La question générale pourrait être : mais qui donc n'est pas expert ? Comme le montre cette excellente vidéo belge (une fois) : le meilleur expert est celui qui se trompe le moins.

Toutes les opinions et analyses d'experts partent nécessairement d'une idéologie, d'une vision du Monde qui détermine secondairement toute notre existence à travers nos convictions morales, économiques, politiques, de notre idée de la justice jusqu'aux goûts artistiques (voir Les 2 visions du Monde).

Et comme nous sommes 8 milliards d'individus, c'est autant d'agencements différents entre les déterminants génétiques et environnementaux dont aucun n'est "choisi librement", et ce, depuis la conception (voir Combien de Mondes ? 8 milliards !). Une sorte de jeu du Fakir dont les boules génétiques sont de couleur différente, se heurtent et passent le crible de l'environnement du lieu et du temps, le tout dans un chaos déterministe ne laissant que peu de place à la prévision / prédiction des comportements humains et, plus grave, météorologiques.


Se forment ainsi les visions matérialistes (tout est "matière" en interaction) ou spiritualistes (la matière certes... "mais pas que") qui gouvernent ensuite nos prises de position, opinions, valeurs etc. 

Ce qui se résume, que l'on soit "expert" ou "vulgum pecus", par cette question essentielle : d'où parle-t-on ?

"Dire d’où l’on parle, c’est alors poser les conditions de recevabilité et de validité des discours, en les référant à un principe supérieur commun qui constitue à la fois, un enjeu de légitimation, une mise en jeu de sa légitimité, et une entrée dans le jeu de la médiatisation, définie comme la construction d’une représentation légitime du réel." (« Mais d’où ils parlent ? ». L’enjeu du titre à parler dans la presse comme lien entre le social et le discursif.)
Sans compter que dans le contexte d'un certain "choix" idéologique, d'autres paramètres se superposent : la position géographique, culturelle et sociale d'un individu ou d'un groupe peut influencer sa perception des problèmes sociaux et politiques. Les préoccupations environnementales peuvent ainsi varier en fonction du lieu et de l'impact direct de la dégradation de l'environnement sur les communautés locales. L'expérience personnelle et la proximité avec les problèmes discutés peuvent accroître la crédibilité et l'authenticité de la voix de quelqu'un. Un militant pour les droits des travailleurs qui a lui-même vécu les difficultés du travail précaire peut apporter une perspective plus nuancée et plus crédible que quelqu'un qui n'a pas connu ces expériences etc.

Finalement, l'expert est nécessairement influencé par son idéologie sous-jacente. Ces idéologies, combinées à des biais cognitifs comme l'effet Dunning-Kruger, peuvent conduire à des avis divergents sur un même sujet. Comprendre ces influences est crucial pour évaluer les opinions des experts - en fait de chacun - de manière critique et informée. En reconnaissant ces dynamiques, nous pouvons mieux naviguer dans les débats et les décisions éclairées dans notre société, à la condition de trouver un socle commun de légitimation du réel qui ne peut passer, pour moi, que par le naturalisme scientifique.

Quelques références :

  • Noam Chomsky, "Necessary Illusions" : Chomsky examine comment les médias et les politiques utilisent la propagande pour influencer l'opinion publique, soulignant l'importance des idéologies sous-jacentes.
  • Thomas Kuhn, "La Structure des Révolutions Scientifiques" : Kuhn explore comment les paradigmes scientifiques et les idéologies peuvent influencer la progression des connaissances.
  • Amartya Sen, "Development as Freedom" : Sen discute de la manière dont les valeurs et les croyances influencent les politiques de développement économique.
  • Dunning, D. & Kruger, J. (1999). "Unskilled and unaware of it" : Cette étude fondatrice décrit l'effet Dunning-Kruger et ses implications dans divers contextes.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous