Le fatalisme (de "fatum" = destin) est une croyance selon laquelle les événements sont prédestinés et que les efforts humains pour les influencer ou les changer sont voués à l'échec. Certes, la mort du vivant est certaine... mais quand et comment ? Même pour celui qui veut se pendre dans 5 minutes, la corde peut le trahir.
Cette croyance dans un fatalisme généralisé peut être attrayante pour certains, car elle offre un certain réconfort face à l'incertitude et à la complexité du monde, mais devient désespérante pour d'autres. Cependant, le fatalisme est incompatible avec le naturalisme scientifique, qui reconnaît que le monde est gouverné par des lois naturelles déterministes, mais pas nécessairement prédictibles. Car il faut compter avec le chaos déterministe, un concept clé en physique et en mathématiques, qui décrit les systèmes complexes qui sont sensibles aux conditions initiales. Même les plus petites différences dans les conditions initiales peuvent entraîner des résultats très différents à long terme, ce qui rend impossible de prédire avec certitude l'issue future d'un système complexe.
Un exemple classique de déterminisme chaotique est le système météorologique. Même avec les meilleurs modèles climatiques et les ordinateurs les plus puissants, il est impossible de prévoir avec certitude le temps qu'il fera plus d'une semaine à l'avance. Les petites perturbations dans l'atmosphère peuvent entraîner des changements radicaux dans la trajectoire des tempêtes et des systèmes météorologiques, ce qui rend toute prédiction à long terme impossible. C'est un système très sensible aux conditions initiales.
Et puis, tout ne se passe pas comme on pourrait l'espérer lors des interactions de déterminants dont certains - sortes de "variables cachées" - sont indétectables en pratique :
"Dans leur article sur les approches
évolutionnistes de l’étude de la santé publique, Wells et al. mettent en avant
les recherches de Gibson et Mace qui examinent l’impact de l’installation de
robinets d’eau sur une communauté située à Arsi, dans le sud de l’Éthiopie.
Avant l’installation, les femmes étaient souvent chargées de transporter l’eau
dans leur communauté dans des pots en argile. L’installation de robinets d’eau
éliminerait cette tâche longue et fastidieuse de leurs activités quotidiennes.
Alors que l’on pourrait supposer que ce changement de mode de vie hautement
souhaitable permettrait d’investir davantage dans la garde des enfants, ce qui
se traduirait par une meilleure qualité de vie pour les enfants, Gibson et Mace ont trouvé quelque chose de tout à fait différent. L'installation de
robinets d'eau a été associée à la malnutrition chez les enfants, tout en
prédisant une amélioration de la fertilité chez les femmes plutôt qu'une
amélioration de la santé. Les interprétations suggèrent que les ressources déjà
rares dont disposent les ménages ont été réparties entre un plus grand nombre
d'enfants, ce qui a facilité ce déclin de la nutrition des enfants !"*
Il fallait des robinets + une augmentation des apports nutritionnels.
Et puis, il y a la notion d'attracteur étrange, concept utilisé en théorie du chaos pour décrire l'ensemble des états limites auxquels peut tendre un système dynamique après un certain temps (le mieux est de voir la vidéo pour mieux visualiser ce concept).
Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo pour voir en plein écran
Le déterminisme chaotique a des implications importantes pour le débat sur le libre arbitre.
Bien que le monde soit gouverné par des lois déterministes / indéterministes, il est impossible de prédire avec certitude l'avenir en raison de cette sensibilité aux conditions initiales. Cela signifie que même si le passé a déterminé le présent, le présent ne détermine pas nécessairement l'avenir de manière prévisible. On pourrait d'ailleurs rapprocher les attracteurs étranges caractérisés par une complexité et une non-linéarité de ce qui se passe dans les comportements humains qui répondent rarement à des stimuli de manière linéaire mais sont influencés par une multiplicité de facteurs internes (souvent inconscients) et externes, aboutissant à des résultats imprévisibles et complexes. Ce qui donne en partie la sensation de volonté libre.
En outre, les attracteurs étranges peuvent présenter des propriétés auto-organisatrices et émergentes, avec de nouvelles structures apparaissant spontanément à partir d'interactions complexes entre les composants du système. De même, les comportements humains peuvent être influencés par des phénomènes d'auto-organisation et d'émergence, où des cultures, des modes de pensée et des tendances sociales se forment spontanément à partir d'interactions complexes entre les individus. Enfin, les attracteurs étranges peuvent alterner entre des phases de chaos et d'ordre, où les transitions entre ces phases peuvent être abruptes et imprévisibles. Cette dualité entre chaos et ordre peut être également observée dans les comportements humains où des périodes de stabilité et de routine peuvent être suivies par des moments de transition, de transformation, voire de basculeimprévisibles (révolution, chute du mur de Berlin, invasion de l'Ukraine, guerre à Gaza etc.).
Mais ces incertitudes fondamentales signifient que les humains ont toujours la possibilité de faire des choix et d'influer sur les événements. Bien que ces choix soient eux-mêmes déterminés par des facteurs tels que la biologie, l'environnement et l'expérience, ils ne sont pas nécessairement prévisibles ou prédestinés. Cela signifie que les humains ont la capacité de prendre des décisions et d'agir en fonction de leurs propres valeurs et objectifs dans le cadre d'une évolution culturelle permanente. Le fatalisme est donc une illusion qui ignore les complexités et ambiguïtés du monde naturel. Le naturalisme scientifique reconnaît que le monde est gouverné par des lois déterministes et indéterministes (quantique), mais reconnaît également que ces lois ne peuvent pas être utilisées pour prédire l'avenir avec certitude en raison de la sensibilité aux conditions initiales. Cette incertitude fondamentale signifie que les humains ont toujours la capacité de faire des choix et d'influer sur les événements, même si ces choix sont eux-mêmes déterminés par des facteurs externes et internes.
Comme le précise cette excellente étude** critiquant la méthodologie de certains travaux en philosophie expérimentale concernant les conceptions profanes du libre arbitre :
"Il existe une différence importante
entre le fait que quelque chose soit prédestiné et le fait qu’il soit déterminé.
Dans un univers fataliste, une action doit se produire indépendamment du passé
et des lois de la nature ; par conséquent, on ne peut éviter une action, quoi
qu’on fasse. Par exemple, si vous êtes prédestiné à tuer votre parent, vous le
tuerez quels que soient vos désirs, vos souhaits ou vos décisions, quel que
soit votre état mental ou les actions que vous effectuez. Le déterminisme n’est pas du fatalisme ; il n’implique pas qu’un
agent doive agir d’une certaine manière quel que soit son état mental. Le
déterminisme nécessite causalement une action particulière à un moment
particulier et exclut les alternatives, mais il n’implique pas qu’un agent
accomplisse cet acte quoi qu’il arrive, ou indépendamment des événements passés
ou des lois de la nature. Le
déterminisme et le fatalisme sont des notions différentes, bien que les
personnes peu familiarisées avec la philosophie aient tendance à les confondre.
Soit dit en passant, être prédestiné est différent d’être prévisible. Par
exemple, même si l’on prédit avec une précision de 100 % que son cancer sera
guéri et que la guérison est prévisible, cela ne signifie pas que sa guérison
est fatale. Cela n’équivaut pas à l’idée que son cancer sera guéri quoi qu’il
arrive."
La question n'est pas nouvelle. Elle se pose depuis que des philosophes et scientifiques ont commencé à douter de l'existence d'une liberté de la volonté (libre arbitre) du fait des lois naturelles universelles auxquelles l'Humain ne peut échapper. Plus récemment, des psychiatres et neuroscientifiques enfoncent le clou (voir https://librearbitre.eu/accueil/psychiatrie-neurosciences/).
En effet, si tout est déterminé (+ indéterminisme de la mécanique quantique) par ces lois naturelles, on ne voit pas très bien comment il pourrait exister un libre arbitre "au-dessus" de ces déterminations / indéterminations. La volonté serait donc déterminée / indéterminée comme le reste de l'univers. Exit donc culpabilité et punitions, ce qui remet en cause philosophiquement tout notre arsenal judiciaire pénal.
D'où des propositions comme celle de la « défense sociale » initiée par le juriste et
sociologue belge Adolphe Prins qui écrit dès 1910 :
« Le droit
pénal nouveau envisage des êtres sociaux qui ont des devoirs envers la
communauté, et il voir surtout dans le criminel l’individu qui porte atteinte à
l’ordre social (...) Le Moi est un mystère et l’on ne fonde pas le droit de
punir sur un mystère »[1]
Il proposait une nouvelle conception de la justice pénale,
fondée sur la défense de la société contre les individus dangereux, plutôt que
sur la répression des infractions. Il s’inspirait ainsi des théories de la
criminologie positiviste, de la psychiatrie et de la sociologie de l’époque,
pour réformer le droit pénal et la politique criminelle. Cette proposition a
été reprise par le juriste et magistrat Marc Ancel avec sa « défense
sociale nouvelle » qui tend à protéger la société dans un contexte plutôt
conséquentialiste[2]
en prévenant la récidive plutôt que de punir à tout-va... et - rajouterais-je -
du fait que punir n’a pas de sens en l’absence de LA[3] et
de culpabilité.
Pour Marc Ancel qui se rattache à la tradition chrétienne
dans le cadre doctrine sociale de l’Eglise catholique[4] :
« La peine a
pour fonction primordiale la réadaptation sociale du délinquant, seule
de nature à concilier la protection de la collectivité avec l'intérêt
véritable de l'individu à qui elle restituera sa pleine valeur de personne
humaine consciente de sa dignité et de sa responsabilité »[5]
Au passage, il semble exister - comme dans toute religion
d’ailleurs - une contradiction formelle entre d’un côté la doctrine sociale de
l’Eglise catholique qui promeut solidarité et compassion (l’Humain fils de
Dieu), et de l’autre l’affirmation de la liberté de la volonté (LA)[6]
de la créature qui permet la culpabilisation de celle-ci, car elle a fait mal
et aurait pu faire mieux. Ce mélange de chaud et froid donne finalement toutes
sortes de températures allant de l’Inquisition à sœur Thérésa, du petit Jihad
au Croissant Rouge.
Pour en revenir à la défense sociale nouvelle, il est certain
que le quantum de dangerosité ou le
risque de récidive - termes que l’on préfère utiliser actuellement - est
particulièrement difficile à apprécier, soumis qu’il est aux exigences sociales
sécuritaires du moment, aux influences de l’environnement d’un individu avec
ses propres fluctuations psychologiques. Certains - tel Pierre-Marie Sève
responsable de « l’institut pour la justice »[7] -
vouent aux gémonies cette « défense sociale nouvelle », considérée
comme laxiste du fait d’une « idéologie gauchiste » des magistrats
français dans leur ensemble. Comme si les convictions de Pierre-Marie Sève
échappaient à toute idéologie ! Entre le tout sécuritaire et un laxisme
généralisé, la place du curseur est difficile à fixer ; il ne peut l’être
que de façon provisoire dans une culture et une société donnée, une politique
et l’idéologie majoritaire du moment.
Quelques mots sur la détention lorsqu’elle est jugée
nécessaire, notamment dans le cadre d’une dangerosité détectée : sans LA
« réel », elle ne doit en aucun cas être « punitive ». Ni
humiliation, ni brimades, ni violences comme on peut actuellement le constater
vis-à-vis des détenus « pointeurs », exemple parmi d’autres. Ce terme
« pointeur » désigne dans le jargon pénitentiaire un condamné pour
viol ; ils sont de plus en plus nombreux en milieu carcéral du fait de
l’évolution des mœurs et sont la cible des autres détenus avec passage à
tabac ou lynchage, y compris lors des « promenades » sous les yeux
des représentants de l'administration pénitentiaire qui laissent faire ou
arrivent « trop tard »[8].
Les bonnes âmes vous diront que ne n’est pas bien grave ; que ces
pointeurs méritent quelque part leur sort... Soit une réaction stupide si ces
pointeurs n’ont pas plus de Libre Arbitre « réel » que les bonnes
âmes. Ces « pointeurs » devraient être regroupés et isolés du reste
de la population pénale, ce qui est loin d’être toujours le cas, notamment dans
les petits établissements. Dans le même ordre d'idée, les conditions du "mitard", punition dans la punition*, sanction profondément inhumaine et destructrice, constituent une honte quotidienne dans le pays des droits de l'humain. Il est vrai que les tentatives de suicide au cours du mitard
- quinze fois plus élevé qu’en détention ordinaire - ne peuvent que réjouir les
nostalgiques de la peine de mort encore très nombreux selon les sondages : plus d'1 français sur 2 la regrette cette bonne vieille guillotine (pour les autres ; enfin, en dehors de leur famille en tout cas). Que des braves gens, surtout à droite (RN pour 85 % et LR pour 71 %)**.
Plus généralement, en prison comme ailleurs, les droits de l’Humain
devraient être respectés. Ce qui signifie que chaque fois qu’il est possible,
un détenu devrait pouvoir travailler - ce qui est de moins en moins le cas ces
dernières années -, avoir droit à une certaine intimité dont des aménagements
concernant la sexualité, recevoir des visites, pouvoir communiquer... sauf
évidemment dans les cas où le délinquant pourrait en profiter pour continuer un
« business » délictuel ou effacer des preuves, suborner ou faire
pression sur des témoins etc. C’est la raison pour laquelle les téléphones
portables sont légalement interdits et pourtant très présents[9]
malgré les « brouilleurs » de fréquence qui sont de toute façon
actuellement inopérants avec la 5G...
Pour en revenir à la détention (maison d’arrêt[11],
centre de détention[12]
et maison centrale[13])
- qui peut être jugée nécessaire pendant un certain temps dans le contexte
d’une certaine dangerosité des prévenus ou des condamnés : elle doit être
respectueuse des droits humains. Un minimum de surface - à définir - pour une
« cellule » salubre, avec un confort certes minimal mais suffisant,
avec la possibilité d’être seul si souhaité, de s’exercer physiquement, d’avoir
accès à des activités culturelles et de bénéficier d'un enseignement visant au
meilleur épanouissement de la personnalité humaine, d’obtenir un emploi utile
et rémunéré, lequel facilitera la réintégration sur le marché du travail, de
bénéficier d’un service de santé digne de ce nom etc. Je ne vais pas faire ici
la liste de ce que devraient être les droits des détenus adoptés par
l'Assemblée générale des Nations Unies[14]
(1990). Cette détention, quand elle est nécessaire, ne devrait pas être
destinée à punir mais seulement à mettre en œuvre une évaluation régulière
de la dangerosité, fournir des soins psychologiques / psychiatriques jugés
nécessaires et préparer la réinsertion. La création de Centres de réintégration
dirigés par des pairs (ex-détenus) semble aller dans le bon sens[15].
Des associations comme « Wake up Café » aussi[16].
Il faudrait également investir la notion de désistance[17],
c’est-à-dire tout ce qui amène un individu à quitter la voie de la délinquance,
un champ d’études développé dans les pays anglo-saxons. Selon Jean-Claude
Bouvier, juge d'application des peines :
«C'est un
changement de paradigme. C'est un concept plus intéressant que celui de
récidive : on ne recherche plus pourquoi les gens récidivent dans une optique de
contrôle, mais pourquoi ils s'en sortent. Pas seulement parce qu'on les a
surveillés, mais parce qu'ils ont eux-mêmes choisi de changer de vie. »
Selon l'Association des juges d'application des peines,
« Ce qui semble
déterminant dans la capacité du condamné à ne pas récidiver, c'est la stratégie
individuelle qu'il est en mesure de mettre en place pour initier un changement
de vie.»
Notons qu'il existe depuis 2014 un observatoire de la récidive et de la
désistance[18].
Bref, du pain sur la planche avec nécessité de quelques subsides pour mettre en place un tel programme... qu'il faudrait dans un premier temps appliquer sur une zone test afin d'examiner à la loupe les conséquences dans une balance bénéfices/risques en rapport avec les coûts directs et induits.
Mais rien ne sera possible sans la remise en question préalable d'un libre arbitre délétère ; et là aussi, il y du pain sur cette planche.
[2] Théorie
selon laquelle ce sont les conséquences d'une action donnée qui doivent
constituer la base de tout jugement moral
[3] Marc
Ancel ne s’est pas prononcé sur l’existence ou non d’un Libre Arbitre
« réel » mais semblait en douter : « La défense sociale nouvelle postule philosophiquement le
libre-arbitre mais demeure réservée sur ce problème, extérieur aux données et
au domaine de la politique criminelle appliquée. » - « La défense
sociale nouvelle » - 2e éd. p. 226
[6]« Mais cette liberté n'est pas
illimitée : elle doit s'arrêter devant “l'arbre de la connaissance du bien et
du mal”, car elle est appelée à accepter la loi morale que Dieu donne à
l'homme. En réalité, c'est dans cette acceptation que la liberté humaine trouve
sa réalisation plénière et véritable » - Jean-Paul II, Encycl. Veritatis
splendor, 35: AAS 85 (1993) 1161-1162
[9]« Ce qui n'entre pas dans une prison,
c'est parce que la porte n'est pas assez grande » selon les propos
d'un directeur de prison...
[11] Accueille
les détenus qui ne sont pas encore jugés (détention provisoire) ou qui sont
condamnés à des peines inférieures à 2 ans
[12] Prisons
dans laquelle les détenus qui y séjournent présentent les meilleures
perspectives de réinsertion (travail, études, logement...) pour des condamnés à
des peines d'au moins 2 ans
[13] Accueille
les détenus les plus « difficiles »
Le libre arbitre (LA) - ou liberté de la volonté - est un concept central de notre société présent aussi bien dans notre vision de nos propres comportements que ceux des autres, au cœur de notre justice, notre économie, notre politique... Bref, partout.
Comme l’écrivait en 1885 le philosophe Charles Renouvier dans
ses réflexions sur le Libre Arbitre et le déterminisme :
« Le
nombre de conceptions réellement différentes en philosophie, est beaucoup plus
petit qu’on ne paraît généralement s’en apercevoir. Le nombre de questions
contradictoirement débattues depuis vingt-quatre siècles, j’entends de celles
dont la solution est d’une importance capitale pour l’homme et autour
desquelles toutes les autres gravitent, est lui-même très petit. »
L’existence ou non d’un Libre Arbitre « réel » fait partie
de ces quelques questions fondamentales, probablement l’une des plus
exigeantes.
La meilleure définition de ce LA me semble être celle du biologiste Anthony Cashmore[1] :
« Le
libre-arbitre est la croyance selon laquelle il existe une partie du
comportement biologique qui est la conséquence de quelque chose d’autre que
les inévitables influences de l’histoire génétique et environnementale d’un
individu, et des possibles lois stochastiques[2]
de la nature. »
Autre définition du Libre Arbitre : il y aurait chez
l’Humain une partie « biologique » qui dépendrait de très nombreux
déterminants génétiques en interaction avec l’environnement, auxquels
s’ajouterait « quelque chose » d’autre, de nature "surnaturelle" , la liberté de la volonté ou Libre Arbitre.
Ou encore : le
Libre Arbitre est le pouvoir indéterminé de se déterminer soi-même, soit
un jeté de dés que l’on ne peut contrôler mais qui permettrait de se contrôler
(?)
Une autre définition du
neuroscientifique Read Montague au CV impressionnant[3] :
« Le libre arbitre
est l’idée selon laquelle nous faisons des choix et avons des pensées
indépendantes de tout ce qui ressemble de loin à un processus physique. Le
libre arbitre est le cousin proche de l'idée de l'âme – le concept selon
lequel « vous », vos pensées et vos sentiments, dérivez d'une entité séparée et
distincte des mécanismes physiques qui composent votre corps. De ce point de
vue, vos choix ne sont pas causés par des événements physiques, mais émergent
plutôt entièrement formés d’un endroit indescriptible et en dehors du champ
des descriptions physiques. Cela
implique que le libre arbitre ne peut pas avoir évolué par sélection naturelle,
car cela le placerait directement dans un flux d’événements causalement
connectés. »
Une dernière petite définition pour la route : le
Libre Arbitre est la croyance générale que le comportement humain est libre
de contraintes internes et externes, et que nous aurions donc un
« contrôle intentionnel conscient » sur nos comportements et nos
actes.
Tel un arbitre de foot, le Libre Arbitre est à la fois le témoin d’une scène et celui qui dispose de
l’autorité pour faire appliquer ses décisions / jugements. Il se veut dans le même temps
distinct des joueurs - les déterminants des lois naturelles - et au-dessus d’eux. Avec une caractéristique de plus que l'arbitre de foot : c'est lui qui décide des comportements tactiques et stratégiques des joueurs (dribble, passe, tir, tacle, contrôle, roulette, petit pont, bicyclette, feinte...). Ce qui implique la notion de responsabilité, morale[4] et
de culpabilité chez l'humain (l'animal ne serait pas concerné...?) puisque le Libre Arbitre n’ayant aucune
contrainte interne ou externe devrait permettre de « faire
autrement », en préférant le bon dribble plutôt que le mauvais... et surtout le Bien plutôt que le Mal !
Autrement dit, placé « strictement » dans les mêmes conditions
déterminantes, je peux choisir blanc ou noir, bien ou mal, selon le « bon
vouloir » de mon Libre Arbitre. Petite expérience de pensée : si je me trouve strictement
dans la même situation une seconde fois - ce qui est proprement impossible à expérimenter
-, vais-je prendre la même décision ? Le naturaliste dira que oui, bien
évidemment : les mêmes conditions strictes donneraient la même décision. Le croyant
au Libre Arbitre dira que non, pas nécessairement, et d’ailleurs, il n’y a que
les imbéciles qui ne changent pas d’avis !
Mais là, problème de
taille : si un individu change d’avis alors que les déterminants sont
strictement identiques dans deux situations à un jour d’intervalle, c’est donc
que son Libre Arbitre aurait changé entre temps ? Selon quelles
modalités ? Modification du LA en qualité, en quantité, les deux ?
Car on ne peut pas faire jouer dans ce nouvel avis modifié, cette nouvelle décision, un quelconque
indéterminisme quantique qui détruirait ipso
facto la notion de Libre Arbitre ! Ne serait-ce pas plutôt un déterminant nouveau qui se
serait glissé entre temps (temps de réflexion / nuit qui « porte
conseil » / avis extérieur...). Le cerveau "travaille" en permanence, que l'on en soit conscient ou pas. Et les capacités de délibération consciente,
de pensée rationnelle et de maîtrise de soi ne sont pas des entités magiques
mais des interactions neuronales avec l’environnement.
Petite question : les sacrifices humains ont été pratiqués
dans de nombreuses cultures à travers l’Histoire (Egypte et Chine anciennes,
certaines cultures africaines, Aztèques et Incas...), souvent dans le but de
plaire ou d’apaiser les dieux, de garantir la prospérité ou de marquer des
événements importants. Ce qui semble barbare ou irrationnel aujourd’hui était
souvent perçu comme nécessaire et "sacré" à l’époque. Sans se risquer
à des jugements des plus anachroniques, il est clair que leur "libre
arbitre" était "différent" du nôtre pour trouver normal et bien
ce qui nous apparaît actuellement comme des horreurs. Les valeurs n'étaient pas
les mêmes ? Mais alors, ce sont les valeurs du moment, fluctuantes au cours de
l'Histoire, qui déterminent les actions et non pas un pseudo libre arbitre à
géométrie variable, bien fluctuant, s'il existait ?
Par ailleurs, ce libre arbitre, s'il existait, devrait être conscient... alors que les expériences sur les prises de décisions montrent un décalage très important entre les prémisses de décision cérébrales "prévues" à l'IRM et la décision "consciente" comme le montrent ces expériences :
Nombreuses sont les études montrant que nos choix ressentis comme libres ne le sont pas en fait. Les gens savent-ils
quand ils ont fait un choix conscient ? Par exemple, une étude montre que, sansquelesparticipantsensoientconscients,unévénementapparemmentultérieurainfluencédeschoixquiétaientvécuscommeseproduisantàunmomentantérieur.Cesrésultatssuggèrentque,commecertainesexpériencesperceptuellesdebasniveau,l’expérienceduchoixestsusceptibled’êtreinfluencéeparuneinfluence« postdictive »etquelespersonnespeuventsystématiquementsurestimerlerôlequejouelaconsciencedansleurcomportementchoisi(Illusion du choix libre conscient). L'auteur de l'étude précise :
« Peut-être qu'au
moment même où nous faisons l'expérience d'un choix, notre esprit réécrit
l'histoire, nous faisant croire que ce choix, qui a en fait été effectué après
que ses conséquences ont été perçues inconsciemment, était un choix que nous
avions fait depuis le début »
Dans une démarche naturaliste/matérialiste, rien n'est surprenant dans cette constatation. Les merveilleuses tribulations du cerveau nous font bien souvent prendre des vessies pour des lanternes comme en témoignent notamment les"post-vérités" et les dizaines de biais cognitfs dont nous usons au quotidien sans en prendre conscience, justement.
Mais des résultats qui ne peuvent être acceptés par un spiritualiste pour qui la volonté est nécessairement libre et consciente, et non "fabriquée" en amont par un "non conscient" quelconque.
Sur cette question comme bien d'autres, les religieux sont vent debout contre la vision scientifique au point de remettre sur la table la dualité, voire la physique quantique qui validerait la possibilité du libre arbitre, jusqu'à des sorties du type :
"Le mystère de l'Homme est incroyablement diminué par le réductionnisme scientifique et sa prétention matérialiste à rendre compte du monde de l'esprit en termes de simple activité neuronale. Une telle croyance ne peut être considérée que comme une superstition" (Evolution du cerveau et création de la conscience - p. 322 - J.C. Eccles prix Nobel de médecine - 1992 - Fayard).
Cet auteur passe de la conscience à l'âme, et de l'âme à Dieu. La boucle est bouclée (à propos de l'âme : Ame ?). Il est toujours réjouissant (consternant ?) de constater que les spiritualistes croyant dans un dieu qu'il n'ont jamais pu mettre en évidence traitent les scientifiques de superstitieux ! Voici l'étendue du désastre intellectuel :
Le chercheur et docteur en neuroscience Björn Brembs résume de façon nettement plus crédible :
« Aujourd’hui, le
concept métaphysique de libre arbitre est largement dépourvu de tout support,
empirique ou intellectuel (...) Bien sûr, tous ces neurobiologistes ont raison
de dire que le libre arbitre en tant qu’entité métaphysique est très probablement
une illusion. L'usage familier et historique du terme « libre arbitre » a été
inextricablement lié à l'une ou l'autre variante du dualisme ».*
Petite anecdote montrant les résistances à accepter cette idée que nous sommes des êtres biologiques gouvernés par les mêmes lois naturelles que le reste de l'univers. Lors d'une colloque mené par J.P. Changeux, une question lui est posée par la salle suite à son exposé : que fait-il donc du concept de libre arbitre dont il n'a parlé à aucun moment ? Le scientifique s'en est sorti avec quelque chose comme "il n'est pas interdit d'y croire"... Je lui ai demandé par la suite pourquoi il n'avait pas répondu plus précisément à cette question, lui qui a écrit par ailleurs dans son ouvrage « L’homme neuronal » (Fayard - 1983) :
« Pour
le neurobiologiste que je suis, il est naturel de considérer que toute activité
mentale, quelle qu’elle soit, réflexion ou décision, émotion ou sentiment,
conscience de soi…est déterminée par l’ensemble des influx nerveux
circulant dans des ensembles définis de cellules nerveuses, en réponse ou non à
des signaux extérieurs. J’irai même plus loin en disant qu’elle n’est que
cela. »
Il m'a répondu qu'il aurait été beaucoup trop difficile d'exposer ses idées sur le sujet, tant les présupposés profanes étaient ancrés... Dommage.
Mais il faut savoir que les résistances spiritualistes concernant l'existence du LA sont apparemment invincibles si l'on tient compte des publications scientifiques comme celle-ci :
"Certaines recherches suggèrent que le
comportement moral peut être fortement influencé par des caractéristiques
triviales de l’environnement dont nous n’avons aucune idée. Des philosophes,
des psychologues et des neuroscientifiques ont soutenu que ces résultats
remettent en cause nos notions de bon sens d’agence et de responsabilité, qui
mettent toutes deux l’accent sur le rôle du raisonnement pratique et de la
délibération consciente dans l’action. Nous présentons les résultats de quatre
études ... (N = 1 437) conçues pour examiner la façon dont
les gens pensent aux implications métaphysiques et morales des découvertes
scientifiques qui révèlent notre sensibilité à l’automatisme et aux influences
situationnelles. Lorsqu’on leur présente des récits ... sur ces
découvertes, les participants ne montrent aucune tendance à changer de jugement
sur la liberté et la responsabilité par rapport aux groupes témoins. Cela
suggère que les gens ne semblent pas disposés à adopter des attitudes
sceptiques à l’égard de l’agence sur la base de ces découvertes scientifiques."***
Face à l'évidence, nous restons pourtant attachés - pauvres humains - à nos conceptions erronées. Essayez donc de convaincre un platiste que la Terre est ronde alors que des religieux Hindous, donc des savants, ont rapporté sa vraie structure spatiale il y a plus de 2000 ans déjà !
Dan Gilbert, professeur de psychologie à Harvard avance que nous sommes dotés d’un « système immunitaire
psychologique » qu’il définit comme un "système de processus cognitifs (…) qui
nous permet d’altérer notre vision du monde afin de nous
réconforter face aux situations que nous vivons" : un équipement de l'évolution permettant une dissonance cognitive capable de nous convaincre de n'importe quoi pour le meilleur (bonheur) comme pour le pire (les noirs valent moins que les blancs) => voir Dan Gilbert(possibilité d'obtenir les sous-titres en français en cliquant sur l'icône juste avant la roue dentée en bas à droite de l'écran)
Certains pourraient croire qu'il n'est pas bien dangereux de croire en une Terre plate portée par trois étages animaliers. Pourtant, la multiplication de "croivances"**** hors sol, allant dans toutes les directions (fake news, théorie du complot etc.) sous prétexte qu'il n'y aurait pas de "vérité", c'est l'assurance de conflits permanents en l'absence d'un socle social commun.
Si tout peut être vrai, alors plus rien ne l'est.
Reste à comprendre à quoi peut bien servir cette "sensation" de volonté libre - que chacun ressent - amenant à une croyance en un libre arbitre "ontologique" dans le cade de l'évolution culturelle humaine. Plusieurs hypothèses sont avancées : la perception de la liberté de choix
peut encourager une plus grande flexibilité comportementale, ce qui permet aux
individus de s’adapter à des environnements changeants et de prendre des
décisions qui maximisent leurs chances de survie et de reproduction. Croire en
la volonté libre peut renforcer la motivation personnelle et le sens de la
responsabilité. Les individus peuvent être plus enclins à entreprendre des
actions positives et à éviter des comportements nuisibles s’ils se sentent
maîtres de leurs décisions. Langage et communication apportent une
certaine maîtrise sur notre environnement, et donc sur nos comportements. Grâce
au langage, nous sommes capables d’articuler nos pensées et actions sur le long
terme avec un objectif souhaité : ce n’est pas un « libre arbitre »
pour autant.
La notion de responsabilité
personnelle (à ne pas confondre avec la culpabilité) est cruciale pour le fonctionnement des
sociétés humaines. Elle sous-tend les systèmes de justice et de moralité,
facilitant la coopération et la cohésion sociale. Enfin, la sensation de contrôle peut réduire le
stress et l’anxiété, et augmenter le bien-être. Ces avantages
potentiels pourraient expliquer pourquoi cette sensation a persisté et s’est
développée au cours de l’évolution humaine mais il est nullement question de supprimer cette sensation, qui est, de toute façon irrépressible à l'exception de certaines pathologies (dépression...).
Prenons une analogie : certains ont avancé que la domination de l'homme sur la femme à travers les siècles aurait pu présenter un avantage évolutif concernant la division du travail basée sur le genre. Les hommes, souvent plus grands et plus forts
physiquement, étaient plus aptes à la chasse et à la protection du groupe,
tandis que les femmes se concentraient sur la cueillette et les soins aux
enfants. Des traits comme l'audace, la prise de risque chez les
hommes pouvaient être favorisés en augmentant les chances de succès dans
la compétition concernant les partenaires. Dans certaines cultures, la domination masculine
pouvait assurer une transmission plus stable des ressources et des
connaissances, ce qui pouvait être bénéfique pour la survie et la prospérité du
groupe...
Le combat du "c'était mieux avant" est perdu d'avance !
Pour en revenir à notre sujet, le libre arbitre ontologique - comme la domination homme / femme- , a pu être "utile" pour réguler une société primitive légitimant la punition physique et/ou psychique, la culpabilisation... ; mais tout cet arsenal est devenu caduque et délétère pour les mêmes raisons évolutives culturelles qui questionnent actuellement en profondeur la domination homme / femme.
D'autant que la "croivance" persistante dans un LA métaphysique (autre que la simple sensation) conduit aux conséquences dramatiques des passions tristes :haine, vengeance, injustices,
domination, mépris, punitions et guerres(voir Côté obscur LA).
Enfin, la société peut être régulée d'une autre manière (voir Que faire ?).
Sur le fond, le philosophe Miguel Espinoza peut conclure très justement :
"Un autre exemple de la cohérence de la métaphysique selon
laquelle la nature est un réseau compact et continu de causes multiples et
variées est l'absence de liberté."**
Quel serait donc un LA échappant aux lois de la nature, au déterminisme comme à l’indéterminisme ?
Une "croivance" ?
Une entité surnaturelle ?
Un miracle ?
La physicienne quantique Sabine Hossenfelder fait le point dans la 1ère vidéo ci-dessous, le Pr de biologie Robert Sapolsky dans la deuxième et la neuroscientifique Thalia Wheatley dans la dernière.
Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo pour la voir en plein écran.
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[4] Les termes d’éthique et de morale ont longtemps été synonymes. Aujourd’hui la morale renvoie à l’idée de devoir, l’éthique à l’idée de décision. La morale dicterait le devoir sans hésitation et sans exception. L’éthique, soucieuse des conséquences parfois imprévisibles d’une décision à prendre dans une situation comportant des déterminations multiples, insiste sur l’idée de choix et de responsabilité.
*"Towards a scientific concept of free will as a biological trait: spontaneous actions and decision-making in invertebrates" - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3049057/