Wikipedia

Résultats de recherche

Traduction

Du chaos déterministe au hasard quantique : que reste-t-il du libre arbitre ?

L'un des arguments des croyants dans le libre arbitre (LA) ontologique (on ne parle pas ici du sentiment de LA) est de considérer que tout in fine est quantique, et que "l'incertitude quantique" serait à l'œuvre dans l'existence "réelle", ontologique du libre arbitre. Il est vrai que si tout ce qui existe est déterminé par l'état antérieur de l'univers, on ne voit pas très bien comment un libre arbitre humain survolant les déterminants génétiques et environnementaux au sens large pourrait exister (sauf à croire au surnaturel, peut-être).

Quelques réflexions sur ce sujet complexe dans lequel physiques classique et quantique sont opérantes sans pouvoir se réunir (si vous avez la solution de la symbiose physique possible, postulez pour le Prix Nobel) :

Concernant le chaos déterministe auquel est confronté tout scientifique : la sensibilité exponentielle aux conditions initiales (effet papillon) et l'ignorance pratique infinie de celles-ci amène à un hasard qualifié d'épistémique (lié à notre connaissance). Les lois d'évolution déterministes (par exemple, équations de Newton etc.) sont intrinsèquement réversibles, mais le chaos introduit une irréversibilité pratique de la prédiction. La prédictibilité est impossible à long terme pour les trajectoires individuelles, mais excellente pour les propriétés statistiques (température, pression, etc.) en raison des propriétés d'ergodicité et de mélange. C'est ce que nous annonce la météo avec la probabilité de 70 % de "chance" d'avoir de la pluie demain.

Du côté quantique : il existe un indéterminisme fondamental de la nature (interprétation "majoritaire" de Copenhague mise en cause par celle de Bohm qui reste déterministe), confirmé par la violation des inégalités de Bell avec rejet des variables cachées locales. Le hasard est ici ontologique (lié à la nature même du réel). Ainsi, les lois de l’évolution sont déterministes pour la fonction d'onde (ψ) selon l'équation de Schrödinger, mais l'acte de mesure (effondrement de ψ) introduit un résultat intrinsèquement probabiliste. L'équation de Schrödinger est certes réversible, mais la réduction du paquet d'onde (la mesure) est un processus irréversible et probabiliste dans les résultats de mesures sur des systèmes individuels.

Pour simplifier : la loi de la gravité (classique) fait que le verre lâché se casse dans 99,2 % des cas (mesure) selon l'angle d'arrivée au sol, la qualité du verre etc. Idem pour la position du chat de Schrödinger (mort ou vivant / 0 ou 1) ou la position probable à 78 % (mesure) d'une particule (quantique). 

Les statistiques sont décidément partout.

Bref. Du point de vue de la pratique physique et de l'ingénierie, la différence entre l'imprévisibilité radicale du chaos déterministe et l'indéterminisme fondamental de la mécanique quantique (MQ) peut sembler mince, car dans les deux cas, on doit se contenter d'une description statistique ou probabiliste du futur. Le résultat pour l'observateur est une incertitude absolue sur la trajectoire individuelle d'une particule (MQ) ou d'un système déterministe chaotique (classique) à court, moyen ou long terme. 

Pour les tenants du LA ontologique, certains processus cérébraux (déclenchement de potentiels d'action ou la libération de neurotransmetteurs...) pourraient être affectés par l'aléa fondamental quantique (un véritable "jet de dés" ontologique). Une décision n'est plus une conséquence nécessaire des événements passés, car elle contiendrait un élément de hasard irréductible (l'absence de variables cachées locales).

Le problème est que le libre arbitre nécessite d'être libre et responsable / coupable (ce que faisait très efficacement la guillotine). Mais le hasard quantique crée de l'aléa, pas un LA ontologique. Un choix dicté par un événement aléatoire quantique est accidentel, et non contrôlé par la volonté de l'agent. Et personnes chez les partisans du LA ontologique (pas juste le sentiment de LA) ne répond à cette question primordiale. Pour cause. Le cerveau est un système chaud, humide et bruyant : conditions idéales pour que la décohérence se produise en un temps extrêmement court (de l’ordre de10⁻¹³ à 10⁻²⁰ secondes selon les estimations). Les neurones, synapses et réseaux cérébraux fonctionnent donc à un niveau classique : signaux électriques, potentiels d’action, neurotransmetteurs. 

Cependant, certains chercheurs explorent l’idée que des effets quantiques résiduels pourraient intervenir dans des structures particulières (par ex. microtubules intracellulaires, hypothèse Penrose-Hameroff). Ces théories restent très controversées et non confirmées expérimentalement. En fait, la majorité des neuroscientifiques considèrent que la conscience et le traitement de l’information cérébrale émergent de processus classiques, même si la matière de base (atomes, électrons) obéit à la MQ.

Sans compter que la charge de la preuve incombe aux partisans du LA... et que le rasoir d'Ockham les contredit.

Dans le cadre de la survie à tout prix, cette incertitude - quelle que soit la réalité sous-jacente (déterministe ou indéterministe) - est insupportable et nécessite d'entrevoir les conséquences éventuellement péjoratives de nos décisions (délibérations plus ou longues). D'où l'émergence de la notion de choix supposés libres alors qu'ils sont soit déterminés (chaos / physique classique), soit indéterminés (MQ) dans le cadre d'une conscience jouant aux dés. 

La belle liberté de pensée que voilà ! 

A laquelle on s'accroche désespérément pour des raisons "sociales" de responsabilité - qui perdurent dans tous les cas de figure -, mais aussi de culpabilité (punition / on pouvait faire autrement que ce qu'on a fait...), culpabilité qui ne peut pourtant exister dans aucun des cas décrits précédemment (MC ou MQ). Et ce avec tous les dégâts et passions tristes que cette conception de l'humain implique (voir Sam Harris, un naturaliste spécialiste des neurosciences et Le côté obscur du libre arbitre).

Si vous souhaitez en savoir plus sur le hasard quantique en écoutant notre Prix Nobel Alain Aspect :

________________________________

Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous