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Traduction

Sapolsky ! Enfin !!!!!!!!!!!!!!!!!!

Mieux vaut tard que jamais. Le dernier ouvrage de cet éminent scientifique - Robert Sapolsky - est enfin disponible en traduction française.

Il devient difficile de résister aux arguments implacables développés dans l'ouvrage (voir descriptif de l'ouvrage ci-dessous). Le seul moyen est probablement d'éviter de telles lectures ou de faire preuve d'une mauvaise "foi" absolue. 

Un livre à obligatoirement examiner, disséquer, discuter en cours de philo !

Pour les (trop rares) curieux du fonctionnement humain : excellente lecture 😏 de 582 pages...

Descriptif de l'ouvrage 

Ce livre propose une exploration approfondie de l'idée que le libre arbitre est une illusion, basée sur des preuves scientifiques issues des neurosciences, de la génétique, de la psychologie et de la sociologie. 

Sapolsky, neuroscientifique et professeur à Stanford, soutient que nos pensées, sentiments et comportements sont entièrement déterminés par des facteurs biologiques (génétique, neurobiologie) et environnementaux (expériences, culture, contexte socio-économique), sur lesquels nous n'avons aucun contrôle au sens de libre arbitre ontologique (à ne pas confondre avec la sensation de volonté libre). Le livre combine une synthèse scientifique rigoureuse avec une réflexion philosophique et éthique sur les implications de cette vision. 

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Première partie : La science du déterminisme

Sapolsky commence par poser les bases scientifiques de son argument contre le libre arbitre, en s'appuyant sur des décennies de recherches en neurosciences et en biologie comportementale. Cette partie est dense en explications scientifiques, mais accessible grâce au style clair et souvent humoristique de l'auteur.

Introduction : L'illusion du libre arbitre

Sapolsky introduit l'idée centrale : tout ce que nous faisons est le résultat d'une chaîne causale de facteurs biologiques et environnementaux. Il utilise l'analogie des "tortues jusqu'en bas" (turtles all the way down) pour illustrer que chaque action humaine peut être expliquée par des causes antérieures, sans espace pour une intervention "libre".

Il pose la question : si nos actions sont prédéterminées, qu'est-ce que cela signifie pour notre compréhension de la responsabilité, de la moralité et de la justice ?

Les mécanismes biologiques du comportement

Neurosciences : Sapolsky explique que nos décisions sont prises par le cerveau avant que nous en soyons conscients. Des études montrent que l'activité neuronale précède la prise de conscience d'une décision, suggérant que notre esprit conscient rationalise des choix déjà faits par des processus inconscients.

Génétique : Nos gènes influencent notre personnalité, notre intelligence, nos comportements à risque et même nos préférences. Par exemple, des variations génétiques peuvent prédisposer à l'agressivité ou à la dépression.

Hormones et neurobiologie : Les niveaux d'hormones comme le cortisol (lié au stress) ou la testostérone modulent nos comportements. Sapolsky s'appuie sur ses recherches sur les babouins pour montrer comment les hiérarchies sociales influencent les niveaux de stress et, par extension, les comportements.

L'impact de l'environnement

Les expériences, notamment celles de l'enfance (traumatismes, éducation, pauvreté), façonnent profondément nos comportements. Par exemple, l'exposition à la violence peut altérer les circuits cérébraux liés au contrôle des impulsions. Le contexte socio-économique, la culture et les interactions sociales jouent un rôle déterminant. Sapolsky insiste sur l'interaction entre gènes et environnement : aucun des deux n'agit isolément.

Chaos et complexité

Sapolsky aborde la théorie du chaos pour montrer que, bien que les systèmes biologiques et sociaux soient déterministes, leur complexité rend la prédiction des comportements humains pratiquement impossible. Cela ne contredit pas le déterminisme, mais souligne ses limites pratiques.

Il démystifie l'idée que l'indéterminisme quantique pourrait offrir un espace pour le libre arbitre, arguant que les processus quantiques n'ont pas d'impact significatif sur les comportements macroscopiques.

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Seconde partie : Les implications du déterminisme

La seconde moitié du livre explore les conséquences philosophiques, éthiques et sociales de l'absence de libre arbitre ontologique. Sapolsky ne se contente pas de démontrer scientifiquement le déterminisme ; il propose une vision humaniste pour repenser notre société.

Repenser la responsabilité et la moralité

Sans libre arbitre ontologique, les notions traditionnelles de responsabilité et de blâme perdent leur fondement éthique. Sapolsky argue que punir quelqu'un pour ses actions n'a de sens que dans une perspective instrumentale (par exemple, protéger la société), mais pas morale.

Il propose un modèle de "quarantaine sanitaire" pour le système judiciaire : au lieu de punir, il s'agirait de réhabiliter ou de protéger, en reconnaissant que les comportements criminels sont le résultat de facteurs hors du contrôle de l'individu (par exemple, des troubles neurologiques ou des environnements toxiques).

Une société plus humaine

Sapolsky soutient que reconnaître l'absence de libre arbitre peut mener à une société plus empathique et équitable. Si personne n'est fondamentalement "coupable" de ses succès ou de ses échecs, cela encourage à réduire les jugements moraux et à se concentrer sur la prévention des comportements nuisibles (par exemple, en améliorant les conditions sociales).
Il donne des exemples concrets : une meilleure compréhension des causes biologiques et environnementales des troubles mentaux ou de la criminalité pourrait orienter les politiques publiques vers la réhabilitation plutôt que la punition.

Vivre sans libre arbitre

Sapolsky reconnaît que vivre en acceptant le déterminisme est difficile, car notre biologie nous pousse à croire en notre agency (agentivité). Cependant, il argue que cette perspective peut être libératrice : elle réduit la haine, le blâme et la culpabilité, et favorise le pardon.

Il partage des anecdotes personnelles, comme son expérience avec la dépression, pour illustrer comment comprendre les causes biologiques de nos états mentaux peut apporter du soulagement.

Structure et style

Le livre est divisé en deux grandes parties : la première se concentre sur les preuves scientifiques, la seconde sur les implications. Les chapitres sont thématiques, avec des titres évocateurs comme "Des tortues jusqu'en bas" ou "D'où vient l'intention ?".

Sapolsky est connu pour son écriture vivante, mêlant rigueur scientifique, humour décalé et humanité. Il rend les concepts complexes accessibles et engageants, tout en intégrant des références culturelles et des anecdotes tirées de ses recherches sur les babouins ou de sa vie personnelle.

Idées principales (synthèse des 8 points clés selon StoryShots)

  1. Les décisions sont prises par le cerveau avant que nous en soyons conscients.
  2. L'esprit conscient rationalise souvent des choix déjà faits inconsciemment.
  3. Les gènes influencent la personnalité, l'intelligence et les comportements à risque.
  4. Les expériences (traumatismes, éducation) ont un impact profond sur nos pensées et actions.
  5. Les interactions entre biologie et environnement déterminent nos comportements.
  6. Les preuves scientifiques montrent que nos actions sont dictées par des facteurs hors de notre contrôle.
  7. Sans libre arbitre, il faut repenser la punition, la responsabilité et la moralité.
  8. Un monde sans libre arbitre pourrait être plus humain, avec moins de blâme et plus d'empathie.

Réception et critiques

  • Éloges : Le livre a été salué pour son érudition, son style captivant et sa capacité à rendre des idées complexes accessibles. Il a été sélectionné parmi les meilleurs livres de 2023 par The Washington Post et The Wall Street Journal, et décrit comme une "performance magistrale" par The Guardian.
  • Critiques : Certains, comme le philosophe Adam Piovarchy, reprochent à Sapolsky de réduire le libre arbitre à une question purement scientifique, négligeant les dimensions métaphysiques et morales (voir  les arguments de Piovarchy et ma réponse en fin d'article). D'autres trouvent que les implications pratiques de sa vision (par exemple, pour le système judiciaire) resteraient floues ou utopiques (ce qui n'est absolument pas mon avis !)
  • Controverses : Le déterminisme radical de Sapolsky suscite des résistances, car il remet en question des croyances profondément ancrées sur l'autonomie individuelle. Certains craignent que cette vision mène à une forme d'amoralité, alors même que Sapolsky insiste sur le contraire !
Quelques titres et récompenses :
- Bourse MacArthur
- Prix Lewis Thomas pour l'écriture scientifique
- Prix Carl Sagan pour la vulgarisation scientifique
- Prix " Emperor Has No Clothes "
- Prix de la Société Américaine de Physiologie
- Bestseller du New York Times
- Sélection parmi les meilleurs livres de l'année (The Washington Post, The Wall Street Journal)
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Adam Piovarchy nous dit : 
"Tant que vos actions viennent de vous de manière pertinente (même si « vous » avez été « déterminé » par d'autres facteurs), vous êtes considéré comme doté du libre arbitre. Lorsque vous êtes attaché par une corde, la décision de ne pas sauver l'enfant qui se noie ne vient pas de vous. Mais lorsque vous ne vous souciez tout simplement pas de l'enfant, elle vient de vous."
Mais d'où sort-il  que le fait qu'une décision vienne de "nous" doit être lié à un libre arbitre que Piovarchy ne définit d'ailleurs pas ? 
Attaché sur la chaise ? On parle de liberté d'action / politique... alors que sans entrave, on parle d'un choix qui serait "libre" (liberté de la volonté). 
Dans les deux cas, il s'agit bien de "nous", entravé ou pas, déterminé dans tous les cas par notre passé au sens large ; entrave comprise dans un cas et non dans l'autre.

Comme pour tout philosophe fâché avec la science, Piovarchy affirme que "Le libre arbitre n’est pas une question scientifique". Ah bon ? Que des études scientifiques montrent que la moralité humaine ne tombe pas du ciel mais est en lien avec des déterminants ancestraux (voir "Un sacré dilemme pour la "Morale" !) : c'est à mépriser parce que non "métaphysique" ? 

Piovarchy : un philosophe spiritualiste qui s'ignore ? 

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous