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Mais comment peut-on être de droite ?

Plus exactement, comment peut-on être de l'une des deux droites puisqu'il y en a au moins deux : la droite libérale conservatrice versus la droite réactionnaire, soit respectivement Laetitia Strauch-Borfart versus Eric Zemmour dans cette vidéo. 

Ils ne sont pas d'accord sur tout, loin s'en faut ; et moi, pour tout dire - en tant que matérialiste -, je suis en accord sur rien.

Par exemple, petite incise concernant le cadre des débats "Esprits Libres" du Figaro : dans un univers déterministe et indéterministe, l'esprit est aussi libre que la pierre qui roule à gauche ou à droite en fonction de son poids, de sa forme et des obstacles qu'elle rencontre (voir Délibération, décision... des preuves de libre arbitre ?).

Mais bon, passons.

Concernant la "gratitude" - titre du livre de la dame - que l'on devrait avoir envers nos anciens : oui et non. Sans entrer dans les polémiques autour de l'anachronisme des jugements, oui envers ceux qui ont permis des avancées majeures (abolition de la peine capitale, congés payés, droit de vote pour les femmes, égalité et parité hommes/femmes etc.), et non pour les collabos et colonialistes, pour ne prendre que ces exemples (voir Histoire : ni fierté, ni honte).

Le "maître à penser" de Laetitia Strauch-Borfart - le très conservateur Roger Scruton - pense que les croyances qui apparaissent comme des préjugés sont utiles et importantes :

 « nos croyances les plus nécessaires peuvent être à la fois injustifiées et injustifiables, de notre point de vue, et la tentative de les justifier ne pourrait que mener à leur perte » (Scruton, Roger, Gentle Regrets, p. 142)

Un préjugé est souvent décrit comme un jugement formé avant d'avoir une connaissance approfondie du sujet. Cependant, cette définition suppose qu'il existerait des jugements par ailleurs totalement objectifs ou dépourvus de contexte culturel ou personnel, ce qui peut être illusoire. Certains préjugés sont enracinés dans des schémas cognitifs nécessaires à la survie (ex. : associer un rugissement à un danger). En ce sens, la critique pourrait souligner que le concept de préjugé tend à confondre des biais cognitifs naturels avec des attitudes sociales négatives. Et ce serait faire siennes les idées reçues sans les passer au crible de la raison raisonnante, c'est-à-dire la capacité de la raison à remettre en question ses propres hypothèses et chercher à comprendre ses propres limites* (voir Penser contre son cerveau). L'inverse serait la raison dogmatique - comme le préconisent Sruton et Laetitia Strauch-Borfart - consistant à accepter des principes et des pseudo vérités sans les remettre en question malgré les évolutions culturelles.

Un point critique est que la notion de préjugé est profondément ancrée dans un contexte historique. Ce qui est considéré comme un préjugé à une époque peut être perçu différemment dans une autre. Cela soulève la question : à quel moment un jugement cesse-t-il d’être un préjugé pour devenir une norme ou une intuition légitime ? Un préjugé en faveur de la pudeur chez les femmes et de la galanterie chez les hommes, pourrait stabiliser les relations sexuelles et améliorer l’éducation des enfants, même si ces effets ne fournissent pas une justification a priori du préjugé. Il serait alors aisé de montrer que le préjugé est irrationnel, mais qu’on y perdrait à l’abandonner selon ces libéraux conservateurs.

Ah oui ? Alors parlons des nombreux préjugés qui ont été remis en question grâce à la science ou aux évolutions sociales et culturelles. 

Préjugés remis en cause par la science (liste qui est loin d'être exhaustive) :

  • La forme de la Terre : Dans l'Antiquité, beaucoup croyaient que la Terre était plate. Les travaux scientifiques de Pythagore, puis de Copernic et Galilée, ont démontré qu'elle était sphérique.
  • Différences entre les races humaines : Le préjugé selon lequel certaines races étaient "supérieures" à d'autres a été démenti par la génétique. Tous les humains partagent une immense majorité de leur ADN, confirmant l'unité de l'espèce humaine.
  • Le rôle des femmes dans les sciences : Longtemps, on a cru que les femmes étaient moins aptes à exceller dans les disciplines scientifiques ou intellectuelles. Des figures comme Marie Curie ou Rosalind Franklin ont prouvé le contraire, et des études montrent que cette différence est culturelle, non biologique.

Préjugés remis en cause par l'évolution sociale et culturelle :

  • Les droits des femmes : Pendant des siècles, un préjugé plaçait les femmes en situation d'infériorité par rapport aux hommes dans la société. Les mouvements féministes et les études sociologiques ont démontré leur potentiel d'égalité.
  • L'orientation sexuelle : Les préjugés contre les orientations non hétérosexuelles, considérées autrefois comme "anormales", ont été largement remis en question grâce à la recherche en psychologie et à une meilleure compréhension des faits sociétaux.
  • Les maladies mentales : Autrefois vues comme des signes de faiblesse morale ou même de possession, elles sont désormais reconnues comme des pathologies médicales nécessitant des traitements adaptés.

Sans oublier le préjugé insensé concernant l'existence d'un libre arbitre ontologique humain, cœur battant de ce blog.

Ces quelques exemples montrent à quel point les sciences et évolutions culturelles peuvent transformer notre compréhension du monde et fort heureusement briser des préjugés enracinés, ce qui invalide l'argument selon lequel les préjugés se suffisent à eux-mêmes et doivent être respectés a priori. Ce serait continuer de labourer le terrain des "c'était mieux avant""on a toujours fait comme ça", appliqués à la fessée pour les enfants turbulents, la domination économique / sexuelle des hommes sur les femmes, le traitement des délinquants par une incarcération méprisant les droits de l'humain, le retour aux injonctions morales des textes soi-disant sacrés etc. Les préjugés sont par définition instables et vulnérables, confrontés qu'ils sont à la progression scientifique, technique et culturelle en marche. 

A l'inverse de certaines positions de la droite classique ou "extrême", le progressisme ne souhaite pas invalider le passé en faisant table rase de la République, de la Démocratie, de l'Etat de droit, du Conseil Constitutionnel, des Droits de l'Humain etc. Les attaques répétées de la droite conservatrice et réactionnaire contre un supposé gouvernement des juges - qui ne font qu'appliquer les lois votées par les représentants du peuple - montre l'intention de fragiliser les contre-pouvoirs afin de mieux magouiller entre copains, frauder le fisc, abroger certains droits fondamentaux, déréguler comme le fait Trump... Avec toutefois une exception notable à droite du côté de Xavier Bertrand :

"On ne peut pas s’en prendre aux institutions comme on le fait aujourd’hui. Quand les responsables politiques chauffent tout le monde à blanc, vous risquez d’avoir une fin de mandat qui pourrait un jour ressembler à celle de Trump, aux États-Unis."

Dans le cadre progressiste, pour ne prendre que cet exemple : l'Intelligence Artificielle (IA) est une avancée formidable qui n'est pas sans risque comme l'est l'énergie nucléaire, le couteau, la voiture... Faut-il arrêter l'IA sous prétexte des risques encourus (Biais et discrimination / Perte d'emplois / Manipulation et mésinformation / Manque de transparence / Problèmes de sécurité / Dépendance excessive / Conséquences environnementales) ? Il nous faut évidemment encadrer cette innovation pour éviter ou contrôler suffisamment les dérives potentielles, mais aucun pays ne se résoudra à s'en passer. Seules quelques petites communautés encadrées par les textes bibliques comme celle des Amish  peuvent rejeter les technologies modernes considérées comme des distractions de leur foi et de leur communauté. Mais les Amish ne sont pas l'avenir de l'humanité, pas plus que le conservatisme. Notons au passage que les réformes sociales importantes promues par le progressisme de gauche ne sont pratiquement jamais « détricotées » lorsque la droite reprend le pouvoir (voir Le peuple a-t-il toujours raison en démocratie ?). Un hasard ?

On apprend avec stupeur qu'Eric Zemmour était de gauche (sic)... jusqu'à l'affaire du voile en 1989 qui lui a fait virer sa cuti. Il semble que ses convictions de gauche étaient bien fragiles. Il est tout à fait possible de ne pas apprécier telle ou telle autre position de son camp, argumenter, combattre ce qui nous paraît être une erreur, mais de là à filer à l'extrême droite... Zemmour précise que son programme est celui de Trump, laissant entendre sous forme de boutade (?), que ce dernier aurait pu le copier (immigration, combat contre le wokisme... (voir Wokisme et cancel culturemais il n'a pas la grosse tête pour autant ! Il ferait bien de se méfier de certains rivaux - sur sa droite -, qui poussent le bouchon encore un peu plus loin : Curtis Yarvin, idéologue du trumpisme et de la fin de la démocratie.

Les neurosciences nous disent également des choses surprenantes sur ces sujets (voir Neuro... politique). Quand les peuples souffrent, les arguments démagogiques mobilisant les affects et les peurs plus que la raison (déclassement, immigration etc.) produisant des replis sur soi, la trahison plutôt que la coopération, soit des catastrophes économiques, voire guerrières en devenir. Le Brexit - malgré ses déboires - fait école avec un USexit qui se retire du Monde pour mieux s'acoquiner avec Poutine. Dans les deux cas, mensonges et manipulations diverses (les pêcheurs anglais sont dépouillés par l'Europe, les immigrés mexicains mangent vos chiens !!!) sont pris au premier degré par les populations.

Il est tellement plus facile d'être de droite...

Un seul remède : l'éducation... dont Trump veut supprimer le Ministère, évidemment. 

Vidéo sur le désastre du Brexit en cliquant sur l'image ci-dessous.


Pour les conservateurs qui pensent qu'il y a un ordre de la Nature dans les différences de statut et de comportements des un(e)s et des autres, ce que l'évolution elle-même montrerait de façon immuable,  voir Peut-on être de gauche et aimer la biologie du comportement humain ?
Il est vrai que lorsqu'on est du bon côté du manche, on voudrait que ça dure le plus longtemps possible ; surtout que rien ne change. On est (naît) ou on devient "conservateur", notamment avec l'âge...

Une tite récréation avec Didier Bénureau dans son "Petit portrait de l'homme de droite" ?

*Ce que l'on pourrait rapprocher de la pensée Kantienne : la raison (Vernunft) comme une faculté supérieure qui organise les concepts et cherche l'unité du savoir, par opposition à l'entendement (Verstand), qui s'occupe des données empiriques.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous