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Le peuple a-t-il toujours raison en démocratie ?

Question de bac philo ? Quid du vote des français en faveur du R Haine aux européennes en 2024 ?

Gagnons du temps : la réponse est évidemment NON ! Le peuple n'a pas toujours raison en démocratie !

Pas plus que l'individu, le peuple ne peut avoir toujours raison. Je ne parle pas ici de la foule qui prend d’assaut le Capitole aux USA...

... mais bien du "peuple" défini comme un ensemble d’individus vivant en société sur un territoire déterminé, qui partagent le plus souvent une communauté d’origine et présentent une homogénéité relative de civilisation.

Les exemples d'errances dramatiques dans les décisions des peuples sont légions. Sans vouloir cultiver à tout prix la tendance Godwin, les allemands en 1933 se sont bien fourvoyés démocratiquement ; les russes sont majoritairement pour la guerre (pardon, l'opération spéciale) en Ukraine etc. CQFD ! 

Mais non ! Je viens de vous manipuler : la réponse est évidemment OUI. Le peuple a toujours raison en démocratie !

Le peuple est souverain et a donc toujours raison... sur le moment, quitte à ce que la suite lui donne tort. Quelle serait la légitimité d'une élite quelconque (philosophe-roi dans la République de Platon) pour gouverner "raisonnablement" un peuple irrationnel ? Certes le peuple a dit non à 55 % au référendum de 2005, et une constitution européenne lui sera imposée deux années plus tard par "l'élite" du moment. Certes, le peuple voulait conserver la peine de mort que Robert Badinter a pourtant fort heureusement fait abolir. 

Mais plutôt qu'épiloguer - comme il conviendrait de faire dans une copie du bac - sur les subtilités inhérentes aux définitions de "peuple", raison" ou "démocratie", c'est le mot "toujours" qui pose problème dans la question. L'individu comme les peuples peuvent ici prendre les "bonnes" décisions, et là se tromper en étant par exemple manipulés (Brexit)... Mais le propre du manipulé est qu'il ne sait pas qu'il est manipulé. Et s'il se trompe, ce n'est pas sans causes, individu comme peuple. L'Histoire, les intérêts des uns, minoritaires mais puissants, s'accaparant au nom d'une pseudo liberté de la presse des chaînes de télé, des journaux, des maisons d'édition... soit autant de leviers pour "former" l'opinion contre les croyants d'une religion "étrangère", convaincre qu'il ne faut surtout pas toucher aux rentes de situation, aux héritages faramineux et à la méritocratie des privilégiés qui sont juste nés dans de "bonnes" familles.

Si l'on ajoute au passage que le vieillissement de la population n'est pas pour rien dans les convictions politiques droitières (besoin de plus de sécurité quand on se sent plus vulnérable...)*. Brefs autant de déterminants formant une "mauvaise" opinion provisoire en attente des conséquences nécessairement délétères qui agiront rétroactivement trop souvent après des dégâts irréversibles. Le peuple russe va pouvoir vérifier tout cela dans les années qui viennent ; et pas que le peuple russe. 

L'élite n'a pas toujours tort ou raison ; le peuple non plus. Seule la suite chaotique est juge de paix.

C'est ici que le paradigme dans lequel nous sommes - spiritualisme versus naturalisme - prend une place prépondérante dans l'analyse et la réponse à la question initiale comme aux autres d'ailleurs (voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/04/). 
Dans le cadre d'une idéologie matérialiste (naturalisme scientifique), il n'est pas question de "juger" la culpabilité d'un individu ou d'un peuple mais de travailler les déterminants à l'oeuvre pour placer au mieux le curseur de (sur)vie entre intérêt personnel - toujours présent - et intérêt collectif - toujours prégnant. Faim du mois versus fin du Monde.
Il est toujours inquiétant de voir le curseur se rapprocher un peu trop du côté intérêt personnel (groupe culturel compris) menant notamment au nationalisme identitaire, source de conflits divers, voire de guerre. 


Dans le petit jeu des différences entre les acquis sociétaux et politiques de la gauche versus la droite, on peut constater que les valeurs de gauche sont à l'origine :
  • Des droits sociaux, tels que le droit au logement, à l'éducation et à la santé pour tous, ainsi qu'un filet de sécurité sociale solide pour protéger les personnes défavorisées ou marginalisées ;
  • Des droits du travail, y compris un salaire minimum décent, des conditions de travail équitables et la protection contre le licenciement abusif ;
  • Des droits civils et libertés individuelles, telles que l'égalité des sexes, l'égalité raciale et ethnique, et la protection des minorités ;
  • De la protection de l'environnement et le développement durable, avec une attention particulière portée aux questions climatiques et à la préservation de la biodiversité ;
  • D'une approche progressiste en matière de justice pénale, axée sur la réhabilitation plutôt que sur la punition, avec opposition à la peine de mort.
De l'autre côté, les acquis sociétaux et politiques fréquemment associés à la droite comprennent :
  • Le libre marché et la limitation de l'intervention de l'État dans l'économie... afin de permettre de faire des affaires sans entrave (évasion dans les paradis fiscaux, pollution, profits illégitimes par effet d'aubaine, pillage des ressources communes...) ; 
  • Des baisses d'impôts - en faveur des plus riches principalement - et une réduction de la taille de l'État afin de renouer avec le bon temps du Far Ouest ;
  • Un accent mis sur la loi et l'ordre, y compris une position plus ferme contre la criminalité (autre que financière), avec plus de prisons et de punitions au lieu de modifier les déterminations sociales menant à la transgression sociale ;
  • Une vision traditionaliste de la famille et des rôles de genre... au mépris de la liberté de chacun que l'on devrait pourtant protéger tant qu'elle n'empiète pas sur celle des autres citoyens ;
  • Une méfiance à l'égard de l'immigration et une volonté de restreindre l'accès à certaines prestations sociales pour les immigrants... soit des atteintes constantes aux droits des humains que l'on espère déconsidérer en parlant des "droits-de-l'hommisme"**.

Notons au passage que les réformes sociales importantes promues par la gauche ne sont pratiquement jamais « détricotées » lorsque la droite reprend le pouvoir. Qui, de droite ou d’extrême droite, oserait revenir sur le droit au divorce, le droit de se syndiquer, le droit de grève, les congés payés, l’abolition de l’esclavage, la peine de mort, les lois sur la laïcité, l’IVG, la discrimination (ethnie, nation, race, religion), le PACS, le « mariage pour tous » etc. ? Il est toujours étonnant de voir que la droite récupère les avancées sociétales issues de la gauche qu’elle avait honnies et rageusement combattues quelques années plus tôt. Des responsables de droite comme Christophe Béchu, Gérald Darmanin, Damien Abad ou François Copé ont « regretté » dix ans plus tard de s’être opposés au « mariage pour tous ». C’est ce qu’on appelle l’effet « cliquet » dans la marche du progrès : les avancées sociales venues de la gauche politique et syndicale deviennent la normalité acceptée par la majorité des citoyens. De là à considérer que la droite - conservatrice et/ou réactionnaire - est un boulet qui entrave la marche du progrès...

La plupart des "valeurs" de droite - conservatrices voire réactionnaires - fournissent la base idéologique d'une frange de "dominants" souhaitant ardemment conserver leurs avantages acquis au cours de l'Histoire, auxquels se joignent des "dominés" effrayés par le progressisme des mœurs (divorces, athéisme, transgenres, LGBT, droits des homosexuels, des femmes, des minorités etc.). Nostalgie du triptyque travail / famille / patrie, soit la Révolution Nationale de Pétain considérant les juifs, les protestants, les étrangers, les francs-maçons comme des "mauvais Français". Mais l'époque a changé : ce sont maintenant les musulmans, les athées, les étrangers (là ça ne change pas !), les "gauchistes" qui menacent la grandeur de la France.

L'assise populaire de l'extrême droite se nourrit de la souffrance d'un peuple qui le mène à agir contre ses propres intérêts, guidé, encouragé par ceux qui - eux - ne souffrent pas du fait de l'héritage, du mérite supposé (mais illégitime en l'absence de libre arbitre), et qui sont à la tête de médias formant l'opinion dans leur sens. 
Mais le repli sur soi, "la France aux français", le nationalisme brun ou rouge-brun ne "valent" pas les efforts de coopération (l'altruisme est un égoïsme intelligent : https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/search?q=prisonnier) et de solidarité qui sont au cœur de la survie, humaine comme animale. 

Et la démocratie est elle-même en jeu. Nous en serions réduits à souhaiter la moins pire des solutions politiques comme nous le dit en se bouchant le nez le philosophe Pierre-Henri Tavoillot qui se dit « libéral conservateur » :

"Si le RN arrive en tête, on ne peut exclure une mise en péril de l’État de droit [et mouche dans l'lait] la moins pire des solutions – qui reste mauvaise en soi, j’insiste – serait donc que le RN obtienne une majorité absolue...".*** 

Ce souhait, cette prise de position - qui plus est émanent d'une "figure d'autorité philosophique" - dans des moments politiquement tendus ne souffre pas l'approximation d'une fiction politique adoubant un R Haine soi-disant meilleur car moins pire. J'espère qu'il n'engage pas par ces déclarations  l'ensemble du Collège de Philosophie - dont il est l'actuel Président -, Collège qui gagnerait à le démissionner sur le champ.

Finalement, la question initiale n'a pas grand sens : nous ne sommes co-coupables de rien et co-responsables de tout.
Il ne sert à rien de chouiner : nous sommes tous embarqués comme disait Blaise Pascal. Nous sommes forcés à l'engagement, une action exigeante en termes de culture et d'énergie. 

Si l'on ne s'occupe pas de la politique, la politique s'occupe de nous.
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*« What Matters Most in Life? A German Cohort Study on the Sources of Meaning and Their Neurobiological Foundations in Four Age Groups » - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8671042/

Esthétique, éthique et toc (TikTok ?)

Le narcissisme, la distinction, la réputation, une petite part d'hubris... sont au cœur de la "nature" humaine (pour peu qu'elle existe vraiment), probablement en lien avec la survie en groupe au cours de l'évolution. 

Il faut bien constater que la télévision, les réseaux sociaux et ses "filtres", TikTok et compagnie permettent d'exacerber cette tendance naturelle à fédérer virtuellement autour de soi un maximum de "followers" : regardez ce que je vais manger à midi, ma nouvelle coupe de cheveux, ma liposuccion, moi, moi, moi... quand ce n'est pas de l'ordre d'une exhibition intime. Un(e) gamin(e) harcelé(e) sur les réseaux en vient à se suicider plutôt que de fermer son compte. Dramatique déficit d'éducation.

La médecine et la chirurgie esthétiques sont fort heureusement là pour combler les souhaits d'adolescent(e)s dont on sait que le cerveau n'a pas fini son développement avant l'âge de 30 ans. La peau, les lèvres, les seins, les cuisses, le ventre, les hanches, le sexe... rien ne va. Le rapport taille sur hanche devrait approcher le chiffre magique de 0,7 pour une meilleure fécondité chez la femme ! Sans oublier le fameux nombre d'or (0,618...) censé gouverner l'harmonie physique (= les gènes sont donc bons), ce qui permet enfin de comprendre l'expression vintage du désespoir amoureux : "il (elle) ne m'a même pas calculé(e)". La calculette darwinienne que nous avons dans la tête est sensible au bug.

De quoi combler quelques médecins peu scrupuleux - et de plus en plus de non médecins - qui injectent des produits divers et variés, voire pratiquent des techniques "personnelles" sauvages qui n'ont fait l'objet d'aucune étude digne de ce nom. Quand on connaît les difficultés de demander des comptes dans le cadre de "ratages" du fait notamment d'une signature sur un contrat de consentement "éclairé" incomplet, ambigu, mais qui permet heureusement de se défausser devant le tribunal... Dramatique déficit d'éducation et démission des pouvoirs publics.

"Mais après tout, il existe aussi des techniques sérieuses, éprouvées. Puisque c'est possible, pourquoi ne ferait-on pas ?" 

Parce que pouvoir n'est pas devoir. On peut tuer son voisin mais on ne le fait (généralement) pas. 

Autant la chirurgie reconstructrice prise en charge financièrement par la communauté (SS) ne pose pas de problème d'éthique car il s'agit ici de retrouver une "normalité" autant qu'il est possible techniquement, autant la chirurgie et la médecine esthétiques n'existent que pour "améliorer" ce qui est statistiquement "normal" dans une société donnée. On veut être "mieux" que la moyenne afin d'augmenter ses chances de trouver un(e) meilleur(e) partenaire, un travail plus épanouissant, mieux payé... là où le choix vestimentaire et le maquillage semblent ne plus suffire. De fait, la médecine et la chirurgie esthétiques sont de mauvaises solutions à un vrai problème qui est de se sentir mal dans sa peau. Avant toute intervention esthétique, une consultation avec un psy afin de faire le point, voire dépister des pathologies comme la dysmorphopathie* ou un simple déficit d'estime de soi, devrait être obligatoire mais ne l'est pas. Dramatique déficit d'éducation et démission des pouvoirs publics.

Ce besoin d'amour, de reconnaissance, de réputation afin d'augmenter ses chances de survie dans le groupe va jusqu'à intégrer les injonctions sociétales du moment dans la fabrication artificielle d'un handicap (talons hauts instables, pieds bandés en Chine, corset comprimant la taille et limitant la respiration, prothèses de fesses gênant la position assise, voiture de sport montant à 220 sur des routes limitées à 110/130 km/h...) : c'est ce qu'on appelle le handicap de Zahavi (1975), un éminent ornithologue et biologiste évolutionniste israélien qui nous dit que...

« de nombreuses manifestations sexuelles, sinon toutes, mettent en danger leurs interprètes. Beaucoup d'entre eux semblent avoir été conçus spécifiquement à cet effet. »

Zahavi affirme que nous pouvons supposer que les femelles sont attirées par les parades sexuelles mâles parce que ces traits permettent aux femelles d'obtenir des partenaires de haute qualité et d'améliorer la qualité génétique de leur progéniture (voir Art, créativité, esthétique et naturalisme). En simplifiant, si un mâle est capable d’autant d’énergie pour bâtir un superbe nid, doté éventuellement d'un plumage très coloré (donc très visible pour un prédateur), et qu’il est toujours en vie... c’est que ses gènes sont performants. Autant de gages d’une excellente descendance = séduction assurée ! Il en va de même concernant la queue des hirondelles : on a pu vérifier que des queues postiches de plus grande longueur favorisaient la séduction des mâles chez qui on les posait. Chez l’animal, les exemples de ce type sont nombreux, laissant supposer que certaines caractéristiques physiques attirent les partenaires sexuels parce qu’elles sont paradoxalement encombrantes, voire dangereuses.

Creusons l'exemple cité précédemment un peu hâtivement. Chez l’homme, l’achat d’une voiture de sport de prix, n’ayant que deux places, un coffre minuscule, circulant à 220 km/h sur des routes limitées à 110 km/h (voire 80), d’une belle couleur rouge éclatante et difficile à piloter de préférence... montre à tous la richesse, la puissance du bonhomme qui ne peut qu’avoir d’excellents gènes pour arborer ainsi toutes ces simagrées censées attirer certaines partenaires. 

Une publicité (1993) mettait en scène ce beau rituel animalier :

« Il a l’argent, il a le pouvoir, il a la voiture, il aura la femme... Une belle voiture sert à montrer la beauté de son âme ! »

Rien que ça : la beauté de son âme ! Cette publicité fut rapidement interdite, tant elle était explicite d’un machisme bas du front (le mâle alpha peut s’avérer être un peu bêta). Parmi de nombreux exemples, la mode actuelle des tatouages pourrait s’interpréter de cette façon** (à l'exception de Philippe Caverivière que je mets - je l'avoue - arbitrairement hors concours ici).

Le voile intégral pour les femmes ne semble pas profiter aux intéressées dans un premier temps vu les handicaps associés, dont l’inconfort en plein été... En revanche, certaines (et certains) considèrent que c’est la marque d’une vertu bien plus précieuse que le « petit » handicap vestimentaire. Un réel atout de séduction pour celles et ceux « déterminés » à en voir l’intérêt...

Bref, nous sommes des animaux-humains présentant de sérieuses difficultés à basculer un peu plus du côté humain, soit une humanité qui pourrait peut-être prendre conscience de tous ses déterminants "utiles" à une époque, débiles actuellement..

Finalement, un problème de vulnérabilité individuelle traversée par un déficit d'éducation et de culture, encore, toujours.

*La dysmorphopathie, plus communément appelée dysmorphophobie ou trouble dysmorphique corporel (TDC), est un trouble psychiatrique caractérisé par une préoccupation excessive pour un défaut physique perçu. Les personnes atteintes peuvent être obsédées par une imperfection réelle, souvent mineure, ou imaginaire, et peuvent prendre des mesures extrêmes pour la cacher ou l’améliorer.

** https://www.pourlascience.fr/sd/psychologie/les-genes-du-tatoue-10613.php

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Pour aller plus loin : le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Combien de Mondes ? 8 milliards !

La génétique, l'épigénétique, le climat, la culture locale, l'Histoire... soit des centaines de milliers (millions ? milliards ?) de déterminants dans des proportions différentes d'un individu à l'autre, avant même la naissance.

Bref, chacun est unique dans sa perception du monde, ses valeurs, ses préoccupations pour la survie de lui-même, de son groupe, de ses croyances... 8 milliards de Mondes différents sur une seule Terre.

Comme l'exprime dans cette vidéo le psychologue et Prix Nobel d'économie qui vient de nous quitter Daniel Kahneman (mars 2024), nous sommes littéralement farcis de biais divers, préjugés trop souvent insurmontables, partis pris menant à l'injustice etc.


Et pourtant, il nous faut trouver un terrain commun acceptable pour tous... Nous ne pouvons pas continuer à nous affronter périodiquement ("guerre de territoire et/ou de civilisation"), à accepter la domination des tous par quelques-uns, à attendre que les autres fassent des efforts sur les émissions de CO2 avant de s'y mettre nous-mêmes etc.

Une utopie ou une question de vie et de mort ?
Mais la démocratie, l'abolition de l'esclavage, les droits de l'Humain - dont ceux des femmes - étaient des utopies il n'y a pas si longtemps, même si leur généralisation n'est pas totalement acquise pour l'instant. La coopération est en marche - malgré quelques soubresauts de trahisons ici ou là - car la survie est à ce prix comme le montre notamment le jeu du dilemme du prisonnier (https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-sacre-dilemme-pour-la-morale.html) et l'utopie serait de croire que l'on peut continuer comme ça sans remettre en cause nos croyances par défaut.

Tout semble se passer comme si chacun vivait dans son bunker culturel identitaire (religion / rituels / morale / valeurs du lieu et du moment...) avec quelques sorties punitives erratiques contre le bunker voisin. 


En poussant la métaphore, tous ces bunkers encerclent une place commune (agora ?) formée des besoins humains - et plus généralement du vivant -, d'une nécessaire coopération, d'une plus grande tolérance (sans tout tolérer)... soit le plus Grand Commun Diviseur (PGCD) des bunkers. D'après une étude des plus sérieuses (la mienne), 99,32 % des discussions dans les médias et les foyers concernant la "communauté humaine" (politique / économique etc.) sont du même niveau que les discussions sur les goûts et les couleurs.

Parlant de couleurs, prenons l'exemple de la "préférence nationale" (priorité nationale), concept  théorisé et promu par certains groupes politiques, notamment d’extrême droite ; soit une politique visant à donner la priorité aux nationaux d'un pays dans l'attribution de certains droits, prestations ou services, par opposition aux non-ressortissants. Cette politique peut s'appliquer à différents domaines tels que l'emploi, le logement, l'accès aux soins ou encore l'allocation de ressources financières afin de protéger - selon la droite -  la cohésion sociale et la stabilité politique du pays, lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale en limitant l'immigration économique, en freinant la course au moins-disant salarial et social et en incitant les employeurs à embaucher en priorité des travailleurs locaux...

Soit. Mais en accordant des traitements différenciés selon la nationalité, la préférence nationale crée des discrimination illégales, injustifiables et contraires aux principes garantis par les conventions internationales et les constitutions nationales. Du point de vue économique cette fois, certaines études* montrent que la restriction de l'immigration et la limitation de l'accès aux marchés du travail et du logement peuvent entraîner des pertes de productivité et de croissance économique, ainsi qu'une augmentation des prix et une baisse de la qualité des biens et des services proposés. En opposant les nationaux aux étrangers, la préférence nationale contribue à creuser les clivages identitaires et à alimenter les discours xénophobes et racistes, minant ainsi le vivre ensemble et la solidarité entre les citoyens.

Toujours cette question de la place du curseur entre d'un côté le "moi d'abord" (America first) et ma survie personnelle, et de l'autre l'égalité des droits humains et la survie du groupe : dilemme entre trahison et coopération si l'on se réfère au dilemme du prisonnier sus-cité. 
Et tout ceci est histoire d'idéologie car s'il existe 8 milliards de Mondes, il n'existe en fait que deux visions concurrentes possibles : la vision spiritualiste (idéaliste) et la vision matérialiste (naturaliste scientifique), chacune se déclarant légitime pour réguler l'agora commune (justice / économie / politique etc.). 

Ce qui revient à poser un question princeps à toute discussion : d'où parle-t-on quand on émet un avis, une conviction, une injonction normative ? Avez-vous souvenir d'un débat de fond sur le sujet ? Une émission ? Un article ?

C'est tout l'objet de la vidéo ci-dessous... avec une décision / responsabilité personnelle à prendre si l'on souhaite gommer en partie le défaut... de penser par défaut, ce qui engage parfois à devoir penser "contre son cerveau" ( voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_06_23_archive.html).

Un libre arbitre... nécessaire ?

Le professeur de philosophie Saul Smilansky, qui se déclare athée laïc, est partisan d’un nouveau « dualisme fondamental » impliquant à la fois compatibilisme (lois naturelles et libre arbitre sont compatibles) et déterminisme dur (tout est déterminé par les lois naturelles), ce qui semble pour le moins contradictoire, tout en insistant sur le rôle primordial et positif de l'illusion du Libre Arbitre sans laquelle l’enfer social s’ouvrirait sous nos pieds. 

Il ose écrire :

« Nous ne pouvons pas nous permettre que les gens intériorisent la vérité sur le libre arbitre ».

Les humains sont sans doute trop débiles pour comprendre ces subtilités. Smilansky va jusqu’à prôner la duperie de soi-même en légitimant le fait de croire quelque chose parce qu'on a simplement envie d’y croire, et ce en dépit de fortes preuves contraires. 

Selon lui, la croyance en un libre arbitre doit être maintenue même si ces « croyants » ont connaissance du paradigme déterministe en science et des découvertes sur le cerveau démontrant que nos processus cognitifs sont totalement influencés par des facteurs génétiques et environnementaux en constante interaction. L’illusion du libre arbitre est ainsi considérée par Smilansky comme une instance de duperie de soi nécessaire pour sauvegarder la morale et la justice[1]. Sic. Et il donne des exemples :

« Imaginez que je me demande si je dois faire mon devoir, comme sauter en parachute en territoire ennemi, ou quelque chose de plus banal, comme risquer mon travail en signalant un acte répréhensible. Si tout le monde accepte qu'il n'y a pas de libre arbitre, alors je saurai que les gens se diront : « Quoi qu'il ait fait, il n'avait pas le choix, nous ne pouvons pas le blâmer. Je sais donc que je ne serai pas condamné pour avoir choisi l'option égoïste. » Ceci est très dangereux pour la société ; et plus les gens accepteront le paradigme déterministe, plus les choses vont empirer ».[2]

Une belle question de fond à poser aux soldats russes qui désertent pour ne pas servir de « chair à canons » avec des raisons assez bien "déterminées" mais incompréhensibles pour Smilansky (qui n'a pas fait le Vietnam). Faut-il les fusiller ceux-là, « car c’est très dangereux pour la société » russe ? Les "bons russes" montent au front Ukrainiens bourrés d’un patriotisme décérébrant et sont prêts à se faire tuer pour obéir aux « ordres » façon expérience de Milgram : c’est bien pour Smilansky ? 

Pour lui le libre arbitre est donc une illusion dont « il faudrait essayer de se libérer dans une certaine mesure » (quelle mesure ??)... mais que la société doit défendre à tout prix ! C’est tout de même assez fort de café pour un intellectuel, un philosophe, d’affirmer qu’il faut se détourner de la vérité. J’avais cru naïvement que la recherche de la vérité était la première préoccupation d’un intellectuel : on m’aurait menti ? 

Mais je crois que le plus naïf des deux est Smilansky : croire qu’on pourra éternellement berner ses semblables est un comportement aussi méprisant qu’immature. 

D’autant qu’il n’est point besoin de duperie ou de mensonge : les neurones du cortex cingulaire antérieur et du précunéus* se chargent de nous faire croire à la liberté de nos choix et nous donnent le sentiment subjectif d’en être l’agent. 

Et c’est très bien ainsi - en tout cas c’est un constat - dans le cadre de l’adaptation évolutionniste. De là à ériger ce sentiment en fausse vérité concernant un LA « réel » avec ses conséquences pour réglementer la vie humaine commune comprenant sceptiques et croyants dans le LA, il y a un grand pas que tout ce que l’on connait scientifiquement du monde (déterminisme et indéterminisme stochastique ou quantique) interdit de franchir. 

Ne pas croire dans un LA « réel » n’implique pas le reniement des règles sociales en constante évolution. En revanche, la croyance dans ce LA « réel » ontologique justifie la violence, la guerre, la vengeance et la haine toxique, comme on peut le voir tous les jours chez des individus persuadés de l’existence de cette chimère. En suivant Smilansky et sa pente obscurantiste, on pourrait également « protéger » le profane en revenant à la Terre plate, située au centre de l’univers, supprimer la théorie de l’évolution des programmes scolaires et mettre l’inconscient à l’index.

Certains juristes criminologues comme Franck Czerner reprennent à leur compte les inepties de Smilansky :

« Même si des expérimentations avaient montré le caractère déterminé des décisions humaines, elles ne devraient pas forcément opérer un changement conceptuel de paradigme du concept normatif de culpabilité, car du fait de l'auto-attribution, de l'expérience intra- et inter-subjective de la liberté de la volonté, ces éléments rendent la simple « illusion de liberté » suffisante pour attribuer à un individu le sens approprié des responsabilités, qui est également accepté par lui. »[3]

Ceci ne sera accepté qu’autant que la simple « illusion de liberté » soit elle-même acceptée. Mais suffirait-il que tout le monde soit persuadé que la terre est plate pour qu’elle soit réellement plate ? Ou bien faut-il accepter misérablement dans un "souci d'apaisement" de convenir qu'elle est ovale cette Terre ? Soit une défaite conjointe en rase campagne de la raison et de la science comme l'acceptent sans sourciller les compatibilistes assurant que déterminisme et liberté de la volonté font bon ménage ? 

Encore et toujours la confusion entre, d’une part, l'auto-attribution et l'expérience intra- et inter-subjective de la sensation de LA, et d’autre part la réalité « normative » d’un concept métaphysique de LA « réel » surplombant nos décisions. Le sentiment amoureux sélectionné par l’évolution pour permettre la reproduction[4] n’implique pas l’existence « métaphysique » d’un Cupidon « réel » avec son arc et ses flèches.

Petite traduction du texte précédent de Franck Czerner appliquée aux relations femmes / hommes :

« Même si la société considère actuellement que les hommes et les femmes sont égaux en droit, il ne faudrait pas forcément opérer un changement conceptuel de paradigme du concept normatif de la supériorité des hommes sur les femmes, car du fait de l'auto-attribution, l'expérience intra- et inter-subjective de cette différence rend la simple « illusion de supériorité » suffisante pour attribuer à un homme le sens approprié de sa supériorité, qui est également accepté par lui »

Ben voyons. Accepté par l’homme, certes ; et par les femmes ? Cela peut « marcher » jusqu’à ce que celles-ci remettent justement en cause cette illusoire « supériorité de l’homme » ! Un changement de paradigme est en cours du côté de l’égalité des sexes, comme cela se produira un jour du côté de l’illusion d’un Libre Arbitre « réel ».

Pour la psychiatre et psychanalyste Anne Loncan :

« L’illusion du libre arbitre correspond au fait que je ne peux pas haïr autrui si je ne le crois pas libre : comprendre que son comportement est déterminé par « les lois de la nature » dépassionne mon rapport à lui. Le fantasme du libre arbitre d’autrui est nécessaire pour qu’il soit objet de haine ; la haine tomberait d’un ou plusieurs crans si la liberté qu’on a supposée à son objet n’était qu’illusion. »[5]

Anne Loncan a fondamentalement raison : perdre la foi dans un pseudo Libre Arbitre « réel » pulvérise la haine sans pour autant devoir tout tolérer.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous


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[1] « Le scepticisme à propos du libre arbitre » - Julien Ouellet - 2016 - voir surtout à partir de la page 84https://corpus.ulaval.ca/server/api/core/bitstreams/d2e05c95-a290-41b1-a362-4137eb035d30/content

[2] « There’s no such thing as free will - But we’re better off believing in it anyway » - https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2016/06/theres-no-such-thing-as-free-will/480750/

[3] « The normative concept of guilt in criminal law between freedom of will and neurobiological determinism » - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17217181/  

[4] Sans aucune téléologie ou « intention » de la nature

[5] « La haine - Préfigurations philosophiques de ses implications en psychanalyse familiale» - https://www.cairn.info/revue-le-divan-familial-2013-2-page-15.htm

*« Lesion network localization of free will » - 2018 - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6196503/

Délibération, décision... des preuves de libre arbitre ?

on croit pouvoir faire intervenir un Libre Arbitre « réel » au moment de choisir, de décider de choses d’importance comme divorcer ou non, changer de travail ou non, acheter une maison etc. C’est ici que la délibération est la plus difficile, la plus longue, la plus risquée dans ses conséquences. C’est dans ce contexte de tension du fait des enjeux de survie au sens large que la notion de volonté prend tout son sens comme le souligne le professeur de neurosciences et de psychologie Antonio Damasio[1] :

« La volonté n'est qu'un autre nom pour l'idée de choisir en fonction des résultats à long terme plutôt qu'à court terme ».


La volonté existe ! Peut-elle être libre de toute détermination ?

Une idée qui « mérite » quelques réflexions : on ne peut pas penser quelque chose avant d'y penser. Combien de fois a-t-on pu se dire : « mais pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt » ? Tout simplement parce qu’on ne choisit pas librement les idées qui nous viennent à l’esprit. Nous ne faisons que constater leur irruption. Si les idées font irruption sans contrôle, si ce matériau idéique avec lequel nous pesons le pour et le contre dans la délibération décisionnelle est d’origine inconsciente, non libre, comment peut-on affirmer que la pondération finale devrait être elle-même « libre » ?

Et il ne faudrait pas oublier dans cet inventaire de déterminants à la Prévert  tout ce qui est désirs, pulsions, affects, peurs, passions plus ou moins répressibles. La balance mentale se fait alors entre les « pour » et les « contre » telle décision, tel comportement. 

Sans prendre pour exemple le choix majeur lors de la dernière guerre entre résistance, neutralité[2] et collaboration, prenons une situation plus récente non dénuée de conséquences importantes - suite à la COVID notamment - comme celle d’une alternative possible entre garder son emploi urbain ou partir vivre à la campagne, loin des virus... 

Dans les arguments « pour la campagne » : vie plus saine, plus authentique, contact avec la Nature etc. Mais pari risqué du point de vue professionnel, éloignement des repères familiaux, amicaux... On pèse d’un côté et de l’autre, en donnant à chaque critère un certain poids qui fluctue au cours de la réflexion qui dure d’autant plus longtemps que la décision est perçue comme grave : on ne veut rien oublier d’important qui pourrait fausser à terme notre jugement. Le calcul final est censé donner la décision la plus « rationnelle », bien que l’affect ne soit jamais très loin : le désir de campagne peut être en rapport étroit avec le souvenir des merveilleuses vacances estivales passées chez papy et mamie ! Mais au fait, suis-je vraiment libre de ce qui ne me vient pas à l’esprit comme argument pour ou contre à mettre dans la balance ? Combien de fois a-t-on pu se dire qu’on aurait fait un autre choix si telle pensée était parvenue à la conscience au moment crucial ? Est-on « coupable » de ne pas avoir pensé à tel critère de jugement ? Quel est le poids, dans mes décisions, des « variables cachées » comme on dirait en physique quantique ? Et serait-on « coupable » de notre « non conscient » ?

L’attribution du « poids » de ces différents critères - en tout cas ceux qui viennent à l’esprit (plus précisément le cortex orbitofrontal, support de notre système de valeurs) - est intimement liée au passé de chacun ; passé unique, singulier. Je peux donner un poids positif de 5 au critère « vie plus saine pour élever mes enfants » loin des virus citadins et de la pollution, mais 12 en négatif au critère « je vais devoir changer de métier »... ou seulement 2 à ce même critère si je peux travailler en visioconférence ! Et lorsque nous ne savons pas encore ce que nous voulons, c’est parce que nous ne voyons pas vers où nous penchons le plus ; au point de jouer (rarement) la décision à pile ou face, en désespoir de cause. Une pincée d’indéterminable (hasard) pour déterminer l’indéterminable.

Plus généralement, lors de la prise de décision parmi plusieurs alternatives possibles, il semble bien que le cerveau utilise des modèles statistiques de type bayésien comme le montre le neuroscientifique Stanislas Dehaene[3] pour évaluer les conséquences potentielles de chaque action, en fonction des informations disponibles et des objectifs à atteindre. Par exemple, si on doit choisir entre deux restaurants, le cerveau va estimer la probabilité que chacun soit satisfaisant, en tenant compte de ses préférences, de ses souvenirs, des avis d’autres personnes, etc. Il va aussi prendre en compte les coûts et les bénéfices associés à chaque option, tels que le prix, la distance, le temps d’attente... Le cerveau va ensuite pondérer, comparer ces estimations et sélectionner l’action qui maximise son utilité espérée. Un « simple » calcul, plus ou moins urgent selon les situations, à partir des déterminants connus, sans LA « réel ». Quand nous délibérons, c’est sur ce que l’on va faire, pas sur ce que l’on va vouloir !

Et la plupart du temps, nous n’avons évidemment pas en tête la totalité des déterminants à l’œuvre dans nos décisions, quitte à bidouiller notre propre logique. Pour Freud :

« Une formation intellectuelle nous est inhérente, qui exige de tous les matériaux qui se présentent à notre pensée un minimum d’unité, de cohérence et d’intelligibilité; et elle ne craint pas d’affirmer des rapports inexacts, lorsque, pour certaines raisons, elle est incapable de saisir les rapports corrects » (Totem et tabou 3 , 1913, p. 111).

On ne connaît pas l’avenir comme le rappelle Petit Gibus de la « Guerre des boutons » : « si j’aurais su, j’aurais pas v’nu »... Œdipe tue son père, épouse sa mère, en toute méconnaissance de cause. Mais le « destin » et le « fatalisme » n’existent pas pour autant dans un monde déterministe imprévisible puisque chaotique. Et rien n’est écrit dans un grand livre englobant passé, présent et avenir.

Comme conclut fort chrétiennement le philosophe Cyrille Michon :

« Si le choix est libre, il doit être inexplicable ».[4]

On ne peut être plus clair sur la nécessité d’un « acte de foi » pour croire au Libre Arbitre ; mais on est plus proche ici d’une apologie aporétique que d’un argument apodictique* ! Je plaisante. Si l’on trouve quelques explications, quelques déterminants de nos choix, c’est bien que ce choix n’est pas si « libre » que ça. Et si l’on ne trouve pas d’explication, ceci ne prouve pas pour autant la liberté du choix : notre méconnaissance (provisoire ?) des mécanismes d’un phénomène naturel n’est en rien la porte ouverte au surnaturel. Et que dire lorsqu’on vient de faire quelque chose sans comprendre pourquoi on l’a faite, ce qui arrive un jour ou l’autre, souvent avec l’âge qui avance...

Quand le docteur en neuropsychologie Philippe Allain aborde la « mécanique » de nos choix et prises de décisions, il en précise plusieurs formes dont la prise de décision « sous risque » et la prise de décision « sous ambiguïté », sans jamais faire intervenir un quelconque LA « réel »[5].

Le neuroscientifique Mathias Pessiglione résume ainsi le processus de motivation/décision, sans faire appel à une « volonté libre » : notre expérience subjective du libre arbitre est souvent biaisée par notre incapacité à percevoir les processus cognitifs inconscients qui ont précédé notre prise de décision. Notre cerveau génère une « illusion rétrospective » dans laquelle nous avons l'impression d'avoir choisi consciemment une option parmi plusieurs, alors que notre décision a déjà été influencée par des facteurs préexistants[6].

Le concept de prise de décision semble plus accessible d’un point de vue expérimental en neuroscience plutôt qu’un Libre Arbitre qui ressemble à une entité fantomatique. Selon les neuroscientifiques spécialistes de la décision Abbas Khani et Gregor Rainer[7], la prise de décision...

« est un comportement adaptatif qui prend en compte plusieurs variables d’entrée internes et externes et conduit au choix d’un plan d’action plutôt que d’autres alternatives disponibles et souvent concurrentes ».

On retrouve l’idée d’inférence statistique Bayésienne précédemment évoquée concernant le « calcul » algorithmique cérébral de la prise de décision.

Notons que nos idées ont quelque chose à voir avec nos sens et nos expériences passées. Ces idées apparaissent et s’associent en formant un chapelet pratiquement ininterrompu le jour, et jusque dans nos rêves la nuit. Ainsi, dans le cas d'une personne aveugle de naissance, les images dans les rêves ne sont pas basées sur des souvenirs visuels qu’elle ne peut avoir, mais plutôt sur des sensations, des émotions et des concepts abstraits. Une personne aveugle de naissance peut rêver de se déplacer dans un environnement, mais ses sensations seront basées sur des sens comme le toucher, l'ouïe ou l'odorat, c’est-à-dire ce qu’il connait ; il ne peut « inventer » des images dans ses rêves inconscients du fait qu’il ne sait pas ce que c’est de « voir » d’un point de vue phénoménal. Où l’on voit bien, ici comme partout, le continuum de déterminants auquel rien ne peut échapper.

Pour finir, deux spécialistes en neurosciences nous parlent des interactions entre raison et émotions dans nos prises de décision, sans aucune trace de libre arbitre ontologique.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous


*Autrement dit, la position exposée est loin d'être claire et indiscutable ; elle est au contraire empreinte d'incertitudes et d'ambiguïtés

[1] « L'Erreur de Descartes » - 1994 - https://journals.openedition.org/osp/748

[2]  Le philosophe Vladimir Jankélévitch a fustigé l’inaction durant la seconde guerre mondiale de ses collègues Sartre et Merleau-Ponty (« Merleau-Ponty, ce n'est vraiment rien du tout ! Un petit caractère »)

[3] « Le cerveau statisticien : La révolution Bayésienne en sciences cognitives » - Stanislas Dehaene - https://www.youtube.com/watch?v=Q0AO6GmqzSQ et https://www.youtube.com/watch?v=91INXTG4-uY et généralités : « Inférence bayésienne » - https://fr.wikipedia.org/wiki/Inf%C3%A9rence_bay%C3%A9sienne

[4] « Qu’est-ce que le libre arbitre » - p. 122 - 2011- VRIN

[5] « La prise de décision : aspects théoriques, neuro-anatomie et évaluation » - https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2013-2-page-69.htm

[6] « Subliminal Instrumental Conditioning Demonstrated in the Human Brain » - 2008 -https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2572733/  et “Les Vacances de Momo Sapiens : notre cerveau entre raison et déraison  » - 2021 - Odile Jacob

https://www.google.fr/books/edition/Les_Vacances_de_Momo_Sapiens/EZAmEAAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&printsec=frontcover

Théorème du libre arbitre

Les mathématiciens John Conway et Simon Kochen ont publié en 2006 (actualisé en 2009) « le théorème du libre arbitre » (« The Free Will Theorem ») qui s’appuie sur trois axiomes liés à la mécanique quantique et à la relativité. Sur la base de ces axiomes, les auteurs démontrent que si un expérimentateur dispose du libre arbitre (LA), alors toutes les particules de l’Univers disposent également d’un libre arbitre[1]

C’est la loi du tout ou rien : ou un LA « réel » ne peut pas exister, ou chaque parcelle de l’Univers en dispose... 

Ce libre arbitre étant le fondement même de la culpabilité (car on aurait pu faire autrement que ce qu'on fait) et de la punition, reste à savoir comment traîner en justice des photons coupables d’un mélanome, un volcan irascible, un chien renversant un cycliste... Une sorte de démonstration par l’absurde que la volonté libre, propriété « exclusive » de l’Humain, est une totale ineptie.

Certains ont remis en cause les résultats de Conway et Kochen :

« Dans la manière dont le théorème du libre arbitre est formulé et démontré, il ne concerne que les modèles déterministes (...) et non les modèles stochastiques (càd calcul des probabilités) »[2]

Ce à quoi les auteurs du théorème font cette réponse cinglante :

« Certains pensent que la seule alternative au déterminisme est l’aléatoire de la théorie des probabilités et ajoutent pourtant qu’autoriser l’aléatoire dans le monde n’aide pas vraiment à comprendre le libre arbitre. »

Pour en revenir à notre théorème du LA, les particules, les rochers, les bactéries, les fourmis, les lions, les humains... auraient un libre arbitre entier, ou n’en auraient pas du tout ! De quoi en rabattre quelque peu concernant notre arrogance d’Homo Sapiens envers la fourmi.

En résumé, 3 possibilités :

1) univers déterministe : le cerveau animal - comme celui de l'humain - est constitué de neurones, neuromédiateurs, flux électriques le long des axones etc., le tout obéissant aux lois déterministes (causes => conséquences) de la nature, et le libre arbitre "réel", ontologique ne peut exister. La volonté elle-même est le résultat d'événements antérieurs remontant... au Big Bang (ou tout autre commencement, si commencement il y a eu...).

2) univers indéterministe, soumis aux aléas, au hasard "pur" : pour le cerveau animal - comme pour celui de l'humain - certaines molécules impliquées dans la transmission des signaux nerveux, comme les neurotransmetteurs, pourraient exister dans des superpositions quantiques de plusieurs états simultanément jusqu'à ce qu'elles soient mesurées (c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une synapse soit activée ?). Cela permettrait aux neurones de traiter plusieurs informations en parallèle plutôt que séquentiellement, offrant ainsi un potentiel d'accélération du traitement de l'information et de résolution de problèmes complexes. Malheureusement, une idée peu viable du fait que les systèmes quantiques ont tendance à se désintégrer rapidement lorsqu'ils interagissent avec leur environnement (décohérence quantique). Il serait très difficile de maintenir des états quantiques cohérents dans le cerveau, compte tenu de sa complexité et de son interaction constante avec l'environnement, sans compter la chaleur (37°C) peu propice au phénomènes quantiques. Par ailleurs, il n'existe pas de cadre théorique solide permettant d'expliquer comment les processus quantiques pourraient avoir un impact significatif sur le fonctionnement global du cerveau ; sans oublier le vide absolu côté preuve expérimentaleDes études suggèrent plutôt que les propriétés statistiques des réseaux de neurones peuvent s'expliquer entièrement par des modèles classiques sans recourir à la mécanique quantique. In fine, quel rapport entre un libre arbitre permettant théoriquement de décider en conscience et un processus de hasard pur ne donnant plus aucun sens à une délibération du sujet ?

3) univers mixte mélangeant déterminisme et indéterminisme : mais dans quelles proportions
Un mixte fixe (30 % de détermination + 70 % de hasard "pur"... ou l'inverse) ? 
Ou bien en fonction de la situation avec des proportions changeantes, aléatoires, selon que l'on choisit de se reposer ou de tuer son voisin ? Ce qui ressemble fort à la position philosophique "compatibiliste" qui fait se côtoyer déterminants et hasard dans des proportions jamais précisées ; pour cause. Cette position compatibiliste est dominante dans notre société et s'exerce tous les jours notamment dans le domaine de la justice. Ce qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques insolubles : ce dealer de banlieue, combien d'années de prison en proportion de sa "quantité" / "qualité" de LA (culpabilité), desquelles il faudrait retrancher ses déterminants éducatifs délétères d'origine ? Ce qui donne finalement... l'âge du capitaine, ou de son second ou ... (voir Les expertises psychiatriques).

Sur le fond : si le déterminisme strict n’autorise pas le LA, pas plus que l’indéterminisme strict (alea) ou même le mélange des deux, que reste-t-il pour croire à un libre arbitre « réel » à part une obsession axiomatique d’entités surnaturelles agissantes ? Ne reste que la première hypothèse - pas de libre arbitre "réel" possible - si l'on souhaite garder un peu de cohérence.

Au passage, remarquons qu’un certain indéterminisme peut être réfuté dans des cas précis, par exemple chaque fois que la science découvre un déterminisme inconnu auparavant. Les tempêtes, les ouragans et autres phénomènes météorologiques violents étaient généralement attribués à l'intervention directe des dieux , mais les sciences de l'atmosphère ont progressivement démystifié ces phénomènes en termes de pressions, vents et courants marins. Mais l’expérience montre que, pour des raisons psychologiques ou idéologiques, dès qu’une forme de déterminisme a été mise à jour par la science, on fait resurgir dès que possible l’indéterminisme ailleurs, dans l’un quelconque des « asiles de notre ignorance » où résident probablement les dieux. Comme l’écrit le médecin, biologiste et philosophe Henri Atlan[3] :

« Tant qu’il reste un “trou” dans le déterminisme, on s’y accroche en y voyant le fondement métaphysique de notre liberté humaine. »

Mais en fait, de l’indétermination apparente, on ne peut jamais conclure à l’indétermination réelle car il faudrait pour cela pouvoir exclure la possibilité de variables explicatives encore inconnues, cachées, ce qui est impossible. Et plus on explique par la méthode scientifique des phénomènes jusqu'alors inexpliqués, plus le spiritualisme (conscient ou non) déplace ses exigences de « preuves » matérialistes / naturalistes sur des phénomènes non encore expliqués, repoussant toujours un peu plus la frontière entre connu et inconnu, et ce probablement à l’infini puisque, très probablement, nous ne saurons jamais « tout ». 

Soit une objection bien pratique des spiritualistes... mais irrecevable.

Autre exemple : Alain Aspect dans une expérience de physique quantique a bien mis en évidence le phénomène d’intrication qui consiste à ce que deux particules partagent un état quantique commun, même si elles sont séparées par une grande distance. Cette expérience démontrant la non séparabilité quantique a eu des conséquences philosophiques importantes : elle a remis en question certaines notions classiques de la physique, comme la causalité, la localité et le réalisme puisque deux particules intriquées peuvent influencer instantanément leur état respectif, sans qu’il y ait de signal ou de mécanisme qui les relie. Ce qui viole la notion de localité car il y a une action à distance qui dépasserait la vitesse de la lumière, ce qui paraît impossible dans l'état des connaissances actuelles en physique. Enfin, ce résultat semble violer également le « réalisme », car il n’y a pas de réalité préexistante à l’observation. Certains y ont vu une preuve de l’existence d’une réalité cachée ou d’une dimension supplémentaire ; d’autres une manifestation de la conscience ou du libre arbitre ; d’autres encore une limite de la science ou une invitation à la métaphysique... En fait, un vrai test de Rorschach[4] qui parle plus de celui qui interprète que du dessin lui-même. 

Il serait peut-être urgent d’attendre d’en savoir un peu plus avant de rétablir Dieu dans tous ses attributs, dont la physique quantique et sa réalité non-locale ! 

Alain Aspect lui-même reste circonspect concernant ces extrapolations...

Pour le plaisir : quelques lumières sur le merveilleux monde quantique :



[2] « What Does the Free Will Theorem Actually Prove? » - https://www.ams.org/notices/201011/rtx101101451p.pdf

[3] « La liberté est un acquiescement actif et joyeux à la nécessité » - http://grit-transversales.org/archives/revue/001/pdf/dossier.pdf et « L’auto-organisation selon H. Atlan » - https://marzat-informatique.fr/sarlmedia/atlan4.mp3

[4] Test psychologique qui consiste à présenter au sujet une série de planches comportant des taches d’encre symétriques et ambiguës, en lui demandant ce qu’il y voit. Le but est d’analyser les associations d’idées, les sentiments, les fantasmes, les conflits ou les mécanismes de défense du sujet, en fonction de ses réponses.

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