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Si un neuroscientifique nie le libre arbitre, comment peut-il rédiger un texte de consentement éclairé volontaire et proposer de le faire signer ?

Cette question fait partie d'une étude récente (1er mai 2024*) publiée par un psychologue russe. Question qui est loin d'être anodine puisqu'elle laisse supposer qu'un neuroscientifique sceptique envers le libre arbitre n'aurait pas légitimité à faire signer un consentement éclairé à un patient. 

Ce qui revient à affirmer que le libre arbitre doit exister, faute de quoi un consentement réel du patient serait impossible (?).

C'est à nouveau un argument de la conséquence sous une forme des plus sournoises car le sceptique du libre arbitre ne s'adresse pas à la "volonté libre" inexistante du patient mais à son autonomie. Après avoir reçu et compris les bénéfices et risques d'un traitement, le patient doit pouvoir exprimer sa volonté, dans un sens ou l'autre. 

Certains diront oui, d'autres non, en fonction du poids des déterminants uniques de chacun (peur du traitement plus ou moins fort que la peur de la maladie / âge avancé / importance du risque / solitude / pression du conjoint, de la famille / expérience passée etc.). 

C'est donc l'autonomie du patient qu'il faut respecter, que la décision soit considérée comme rationnelle ou non pour un observateur extérieur comme le médecin, qu'il soit d'ailleurs sceptique ou non concernant un libre arbitre ontologique (à différencier de la sensation du libre arbitre que l'on perçoit tous et qui est une fonction sélectionnée par l'évolution). 

S'il n'est pas entravé, l'animal est autonome dans sa savane natale, sans besoin d'un libre arbitre, même pour les plus croyants dans cette chimère. L'animal-humain itou. Le déterminisme ne dit pas que tout est joué et que nous ne pouvons pas changer. Nous changeons en permanence du fait de l'environnement qui change, avec ou sans nous. Chaque nouveau déterminant - comme une nouvelle information montrant des effets indésirables plus importants qu'on ne le pensait - peut modifier l'acceptation d'u traitement... ou non.

Le Pr de neurobiologie Rober Sapolsky fait le point sur le libre arbitre et la possibilité d'évolution et de changements d'avis dans cette vidéo. 

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Autrement dit, quelle que soit la croyance du praticien dans le domaine philosophique, il se doit de fournir des informations les plus objectives possibles concernant la balance bénéfices / risques en l'état actualisé des données scientifiques. 

C'est seulement en cas de déficience cognitive (par exemple) que la question d'une réelle autonomie se pose. Un patient délirant porteur d'une tumeur cancéreuse galopante et qui refuse toute intervention qui pourrait le "sauver" (autant qu'on puisse le penser) fera généralement l'objet d'une décision collégiale incluant les soignants et sa famille dans un mélange chaotiques de déterminations personnelles diverses, de volontés parfois incompatibles au point de nécessiter le passage de la justice (débrancher un patient comateux depuis 10 ans ?). Soit la moins mauvaise des mauvaises solutions. 

Pour conclure, je dirais que je suis effondré de voir que des médecins en sont encore à se poser des questions sur la liberté de la volonté après tout le bagage scientifique accumulé depuis des dizaines d'années. 

Les illusions ont la vie dure. Ce ne serait pas bien grave si les conséquences n'étaient qu'accessoires.

*"Possibilities of Free Will in Different Physical, Social, and Technological Worlds: An Introduction to a Thematic Issue" - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38691214/

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Le côté obscur du libre arbitre

Le Pr de philosophie américain Greg Caruso ne croit plus au libre arbitre depuis bien longtemps.
Il en voit même les inconvénients majeurs pour notre société au point d'en convoquer presque l'argument de la conséquence ! Ce qu'il ne faut pas faire, évidemment (voir Argument de la conséquence) mais qui reste fichtrement tentant du fait des passions tristes, funestes, issues du concept de libre arbitre et qui se déploient tous les jours : haine*, vengeance, injustices, domination, mépris, punitions et guerres... avec pour chaque camp, de "bonnes raisons" de torturer et tuer enfants, femmes, hommes, sans même vérifier si ce sont réellement des ennemis. 
Gott mit uns... et Dieu reconnaîtra les siens... dans chaque camp... Bref, toute la panoplie du pire puisque l'Autre ne fait pas bien alors qu'il avait la liberté d'une volonté de faire bien ! Et chacun est certain de son bon droit puisque un libre arbitre tout puissant serait équitablement partagé (?).

Il faut bien réaliser que l'évolution n'est pas "parfaite" et laisse passer quelques erreurs (l'œil humain est moins efficace que celui du poulpe, de l'aigle / le larynx de la girafe est innervé de façon illogique etc.). Du point de vue de la culture, le bricolage évolutif est assez discutable de nos jours : que la punition, la honte et la culpabilité aient montré une certaine efficacité dans la gestion de la société humaine chez nos ancêtres, c’est très probable. Car les sanctions « externes » comme les punitions sont très coûteuses en temps et en ressources[1] (justice / prisons / gardiens / réinsertion etc.) et dans certaines situations, la culpabilité et la honte peuvent atteindre le même résultat à moindre coût pour la société. Il est plausible de supposer que ces émotions morales telles que culpabilité et honte ont pu apparaître dans l’évolution humaine pour minimiser les conflits entre les membres de groupes très unis. 
Mais rien ne dit que cela constitue la meilleure solution possible, à l’image de l’innervation du larynx de la girafe : l’évolution culturelle est continuellement en marche. La peine de mort qui constitue la punition ultime, radicale, a été abolie (dans certains pays) après des centaines de milliers d’années d’évolution humaine. Les milliers de sacrifices humains chez les Mayas qui pensaient s’attirer la bienveillance divine avaient bien une « utilité » sociale qui nous paraît maintenant aberrante du fait de notre évolution culturelle. A-t-on bien fait d’évoluer sur ces sujets ? Evidemment, oui. 
De même, la notion de culpabilité (« il aurait pu faire autrement ! ») ne veut plus rien dire dans un monde sans Libre Arbitre « réel » ontologique. Doit-on s’y accrocher pourtant au nom du « bon vieux temps » alors que tous les progrès dans la compréhension du monde et de ses lois naturelles s’y opposent ?

Comme l’indique fort justement la philosophe spécialisée en bioéthique Janet Radcliffe Richards :

« Si nous comprenons qu’il existe de bonnes raisons évolutives pour que nous voulions que les gens souffrent lorsqu’ils nous ont fait du mal directement ou indirectement, alors nous pouvons rendre compte de nos sentiments forts sur la justesse de la punition sans présupposer qu’ils sont un guide pour la vérité morale… Nous pourrions être capables de reconnaître nos sentiments punitifs comme un aspect profond et important de notre caractère - et les prendre au sérieux dans cette mesure - sans les approuver comme un guide pour la vérité, et commencer à repenser nos attitudes envers la punition sur cette base. »

Même l'intelligence artificielle (Mistral) - qui sait (presque) tout - va très exactement dans cette direction :

"Baser notre responsabilité sur les écarts possibles à la loi du moment et du lieu paraît être une approche beaucoup plus adaptée et cohérente, compte tenu de notre compréhension actuelle de la question du libre arbitre et du déterminisme. Penser et traiter les gens en tenant compte de ces éléments permettrait de construire un système judiciaire et pénal plus juste et empathique, axé sur la réhabilitation et la prévention des infractions plutôt que sur la simple sanction et la stigmatisation. Abandonner la culpabilité et les peines excessives pour les personnes qui enfreignent la loi, lorsqu'il est clair qu'elles n'avaient guère un choix libre, représenterait une attitude progressiste et scientifiquement informée. Au lieu de cela, il faudrait envisager des stratégies alternatives telles que l'écartement social temporaire, la thérapie, l'éducation, et le renforcement des structures familiales et communautaires, le tout en veillant scrupuleusement au respect des droits humains fondamentaux.

Les mesures disciplinaires traditionnellement utilisées dans les systèmes correctionnels, telles que l'isolement et la privation de liberté prolongée, posent de sérieuses questions sur leur impact négatif sur le bien-être mental et émotionnel des détenus, sans compter les difficultés supplémentaires engendrées par la surpopulation carcérale, les mauvaises conditions de détention, et la discrimination institutionnelle. Adopter des solutions centrées sur les causes profondes des comportements déviants et qui priorisent la transformation positive des individus et des milieux socio-environnementaux semble plus susceptible de produire des résultats durables et positifs.

Bref, replacer la responsabilité dans son contexte déterministe et adapter nos institutions juridiques et pénales en conséquence constitueraient des premiers pas vers une société plus équitable et compatissante, capable de tirer parti des dernières avancées scientifiques pour améliorer le fonctionnement global de nos relations interpersonnelles et de nos organisations sociales."

Difficile de faire plus clair. 

Reste à voir ce qu'en dit Greg Caruso dans la vidéo ci-dessous... (noter que dans la traduction, le mot "desert" doit être remplacé par "mérite").

Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo 
pour la voir en plein écran.


[1] Voir cet excellent documentaire sur les difficultés de la Justice en France et le dévouement des juges et magistrats aux prises avec une pénurie chronique de moyens : « Dans les yeux des juges » - Infrarouge - https://www.youtube.com/watch?v=ZsY6s2uX6wg   

* La haine fait partie des "Trois Poisons du bouddhisme" que sont par ailleurs l'ignorance et l'avidité.

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La science peut-elle aider à comprendre - voire infléchir - la moralité humaine ?

O tempora, O mores (« Quelle époque ! Quelles mœurs ! »)

En termes de "morale", il existe à la fois des universaux et des différences notables entre les communautés humaines comme le montre une large étude :

"Sur la base de 70 000 réponses à trois dilemmes, recueillies dans 10 langues et 42 pays, nous documentons un modèle qualitatif universel de préférences ainsi que des variations substantielles au niveau des pays dans la force de ces préférences. En particulier, nous documentons une forte association entre une faible mobilité relationnelle (où les gens sont plus prudents pour ne pas aliéner leurs partenaires sociaux actuels) et la tendance à rejeter les sacrifices pour le bien commun, ce qui peut s’expliquer par le signal social positif envoyé par un tel rejet."

Les mœurs évoluent constamment sous diverses influences et déterminants, dont les découvertes scientifiques. L'esclavage n'est plus ce qu'il était depuis que l'on sait, notamment, que les races n'existent pas du point de vue biologique*. 
On sait aussi que certaines hormones jouent un rôle clé dans la régulation des émotions, du comportement et, par extension, du jugement moral. Le cerveau, en particulier les régions telles que l'amygdale, le cortex préfrontal et l'hypothalamus, est directement impliqué dans le traitement des informations émotionnelles et morales, et les hormones (ocytocine, testostérone etc. étude) peuvent influencer l'activité dans ces régions.
L'impact de la pédophilie sur le vécu des jeunes victimes est pris en compte depuis peu :


Et l'arrivée du web avec des réseaux sociaux quasi sans modérateurs (X) ne simplifie guère les choses comme le précise cette autre étude :

"Tout comme la bombe atomique a changé la façon dont les nations font la guerre et la pilule contraceptive a changé la façon dont les gens ont des relations sexuelles, Internet a changé la psychologie morale. La tendance humaine à se soucier des questions morales telles que l’équité, la réciprocité et l’empathie s’est adaptée au cours de l’évolution pour mieux fonctionner dans des sociétés petites et soudées où les gens dépendaient directement de leurs liens sociaux étroits pour survivre. Aujourd’hui, l’environnement dans lequel vivent les gens subit un changement qui est sans doute plus important que celui de la révolution agricole il y a 12 000 ans (...) Nous expliquons comment Internet perturbe les instincts moraux fondamentaux de l’humanité. Notre analyse explique comment la psychologie morale évoluée des gens facilite leur exploitation au moyen d'algorithmes, de flux d'actualités sans fin et de contenus scandaleux."

Mais au fait, la morale humaine, abordée généralement en tant que concept exclusivement philosophique, aurait-t-elle en partie un fondement biologique naturel ? La morale : une explication évolutionniste ?
Question fort intéressante développée dans le livre "Comment nous sommes devenus moraux" (1) de Nicolas Baumard (Odile Jacob) que l'on peut compléter par celui de Stéphane Debove « Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal » (HumenSciences - 2021). Pour ces chercheurs spécialistes en psychologie évolutionnaire (Evopsy), dès la naissance les humains sont prédisposés à produire des jugements moraux, condition d’une coopération réussie au sein d’un groupe humain. Un peu comme le sens du goût qui n’existerait que parce qu’il nous fait absorber les nutriments non toxiques dont l’organisme a besoin. Or il n’y a de bonne coopération que si on y gagne plus que ce qu’on y perd et les partenaires qui « trahissent » représentent un risque de perte dans l’économie relationnelle (voir la tension entre coopération et trahison dans un sacré dilemme pour la morale). Nous serions donc naturellement portés à juger comme étant injuste et répréhensible toute action où une personne manifeste une tendance à ne pas payer sa "part" au sens large, la coopération l'emportant "naturellement" sur la trahison (dilemme du prisonnier).

Cette vidéo "récapitulative" de la chaîne Youtube "Homo Fabulus" de Stéphane Debove nous propose une vision naturaliste de la morale humaine, sans Kant, ni Hobbes, ni Rousseau... sans surnaturel et donc, sans dieu. Le visionnage de l'ensemble des vidéos de ce chercheur n'est assurément pas une perte de temps et sa position sur le concept de libre arbitre ontologique ne peut que me ravir.

On pourrait objecter que les comportements de prédation dans la nature (les lionnes mangent plus souvent les gazelles que l'inverse) et les inégalités généralisées entre humains (hiérarchie, accaparement par certains de ressources limitées, esclavage et domination...) pourraient remettre en question cette conception apparemment idéaliste d'une coopération qui l'emporterait sur le trahison, ; mais c’est une autre question qui n’invalide pas le concept dans la mesure où d’autres déterminants - tout aussi prégnants - sont à l’œuvre du point de vue évolutionnaire. Par exemple, la croyance (erronée mais largement entretenue) dans un libre arbitre ontologique humain (= volonté libre) soutient notamment un concept de méritocratie légitimant la domination et l'exploitation de ceux qui n’auraient pas « choisi » le « bon » libre arbitre, et - de manière pourtant dénuée de "mérite" - les « bons » parents, la « bonne » société, la « bonne » couleur de peau, la « bonne » nationalité etc. (voir le Libre Arbitre : QUEZACO ?), ce que l'on peut rapprocher de la sélection de parentèle "égoïste". Rien n'est simple, il faut en convenir.

D'ailleurs, la psychologie évolutionnaire (ou évolutionniste) est l’objet d’attaques argumentées de philosophes, biologistes, anthropologues... considérant que cette science serait vouée à l’échec. Ses détracteurs lui reprochent un" manque d'assise empirique et théorique", ainsi qu'une "propension à naturaliser les conduites et les rapports de domination entre groupes humains"... Peut-on vraiment affirmer que l'évopsy justifierait la domination ? Je n'en vois pas trace. 
Prenons un exemple connexe : le plaisir de manger du sucre et des graisses est probablement né de la rareté de ces ressources énergétiques dans l'environnement préhistorique. Aujourd'hui, ces denrées sont facilement accessibles et ce penchant naturel pour le sucre et les graisses persiste avec des conséquences délétères que l'on connait dans l'environnement actuel. Il n'est pas inutile de reconnaître cette détermination ancestrale afin de mieux adapter nos efforts éducatifs et politiques pour combattre ce nouveau fléau avec la nécessité - comme bien souvent - de "penser contre son cerveau". 

De la même manière, comprendre comment - et dans quels buts - se sont mis en place des catégories morales à connotation biologique peut permettre de rectifier le tir dans le cadre d'une évolution culturelle en marche : constater la prédation masculine durant des millénaires n'est pas justifier celle-ci de nos jours. Constater que les comportements religieux impliquent souvent des coûts significatifs en termes d'économie, de célibat, de rituels dangereux, de temps passé qui pourrait être utilisé à d'autres fins suggère que la sélection naturelle devrait agir contre les comportements religieux... à moins que ceux-ci - ou ce qui les cause - n'offrent un avantage significatif en termes de préservation de l'individu et/ou d'un groupe, au détriment bien souvent des autres individus et groupes (guerres de religion notamment).  Il n'y a pas ici raison suffisante pour croire en un dieu quelconque.

Il est bien difficile pour un profane de trancher définitivement entre ces avis divergents, la vision innéiste versus empirique, la validité ou non de la "grammaire morale" etc. mais je dois dire que je ne comprends pas bien cette lutte actuelle entre certains philosophes des sciences, biologistes de l’évolution ou chercheurs en sciences cognitives et ceux concernant la psychologie évolutionnaire : les éléments de la chaîne Biologie - Environnement - Culture et Socialisation sont en interaction permanente et devraient plutôt se nourrir les uns des autres dans un paradigme matérialiste scientifique. Voir Pourquoi la psycho évo paraît si absurde.

Remarquons que quelles que soient les hypothèses scientifiques actuelles concernant "l'origine de la morale humaine", il n'est plus jamais question de métaphysique, de monde des idées ou autres grimoires spiritualistes ou religieux, pas plus que de mérite, de talent, de libre arbitre personnel ou collectif ! On avance...

Sortons quelques instants de la morale et prenons un exemple concernant la couleur de peau et les préférences esthétiques fluctuantes au cours des temps. Un constat : la  peau des femmes partout dans le monde est relativement plus claire que celles des hommes ! Cette différence de pigmentation semble principalement due aux besoins accrus en UV qui permettent la formation de Vit D favorisant la fixation du calcium des femmes pendant la grossesse et l’allaitement ; soit un avantage en termes de reproduction débouchant sur des critères esthétiques comme le rapport taille / hanche ou la symétrie des corps, autant de marqueurs « honnêtes » de qualité génétique, le séquençage génétique étant indisponible... Socialement, la peau claire par ailleurs était souvent associée à la noblesse et à la richesse : dans de nombreuses cultures, avoir la peau claire signifiait que l’on n’avait pas besoin de travailler comme des esclaves sous le soleil, soit un signe de statut social plus élevé. Au Moyen Âge, la peau pâle était valorisée car associée à la pureté et à la vertu. Cette perception a perduré pendant des siècles, influençant les standards de beauté, notamment chez les Geisha depuis l’époque Heian (IXème siècle) ou actuellement chez les africaines prêtes à prendre des risques pour s'éclaircir la peau (hydroquinone, corticoïdes, dérivés mercuriels très nocifs). 

"Au sein d’une population africaine, la peau claire sera la référence esthétique. Elle rend belle, permet de se faire remarquer, admirer. Elle est préférée par les hommes et indicatrice d’une bonne santé, d’une aisance financière, et participe à la respectabilité. Par cette reconnaissance sociale, elle participe au phénomène du « colorisme » qui hiérarchise insidieusement la société africaine en fonction de la couleur de la peau." (https://shs.cairn.info/revue-corps-dilecta-2009-2-page-111?lang=fr)

Mais au XXème siècle, cette tendance s’est inversée pour des raisons sociales. L’attrait pour le bronzage a été popularisé par des figures de la mode comme Coco Chanel, qui a - dit-on - accidentellement bronzé lors d’un voyage et a ensuite déclaré que le bronzage était à la mode ! Le bronzage est devenu un symbole de santé, de richesse et de loisirs, car il suggérait que l’on pouvait se permettre de passer du temps à l’extérieur, en vacances perpétuelles. De plus, l’exposition au soleil est maintenant connue pour stimuler la production de vitamine D, ce qui a renforcé l’idée que le bronzage était bénéfique pour la santé. 

La "science" reprenant ses droits, bien que le bronzage soit encore populaire, il y a une prise de conscience croissante des risques pour la santé associés à l’exposition excessive au soleil, comme le vieillissement prématuré de la peau et le cancer de la peau. Malgré cela, beaucoup continuent de rechercher un teint bronzé pour des raisons esthétiques et culturelles.

Bref, tout semble chaotique entre biologie, mutations, sélection naturelle, médecine, reproduction, environnement social et culturel, mode esthétique... mais rien qui tombe du ciel.

Pour en revenir à la moralité : comme l’indique Michael Ruse, spécialiste dans la théorie de l’évolution et la philosophie de la biologie...

« La moralité, ou plus exactement notre croyance dans la moralité, n’est rien d’autre qu’une adaptation mise en place pour réaliser nos fins reproductives. La base de l’éthique ne réside donc pas dans la volonté de Dieu. »**

Au delà, on peut se demander si la science peut permettre de passer de la "simple" description de la morale humaine dans ses fondements biologiques en interaction avec l'environnement à une participation "normative" ou "prescriptive" désignant ce qu'il faudrait faire en termes de morale... Est-ce que faits scientifiques et valeurs font partie de deux monde différents comme l'ont soutenu nombre de philosophes (Hume, Kant, Ogien...) ou la science peut-elle permettre quelques inflexions bénéfiques

La découverte du trou dans la couche d'ozone (années 1970), dû à la production de chlorofluorocarbures (CFC) utilisés dans les réfrigérateurs et les sprays, a conduit à l'interdiction progressive des CFC et surtout à une prise de conscience de l'impact environnemental des activités humaines. Soit un sujet d'actualité brûlant conduisant à regarder d'un autre œil les transports en jet privé, pour ne prendre que cet exemple mineur.
Nous ne traitons plus par le mépris les douleurs des bébés sous prétexte qu'ils ne souffraient pas : ils peuvent souffrir - et c'est la science qui l'a montré -, avec toutes les conséquences délétères dans le développement de l'enfant si l'on ne traite pas correctement ses douleurs.
Peut-on affirmer que la contraception et l'IVG médicale, enfin efficaces, sûres et décidées par la femme elle-même, n'est pour rien dans son émancipation, dont les mouvements #MeeToo et autres refus d'une domination masculine aussi délétère que millénaire ? A part quelques machistes résiduels, tout le monde convient du bénéfice de cette évolution... en occident.

Le neuroscientifique naturaliste Sam Harris explique - de façon particulièrement convaincante dans cette vidéo - en quoi la science peut avoir un impact positif sur les règles morales humaines.

 En parlant de valeurs, nous parlons en fait... de faits !

Cliquer sur l'image... pieuse !

(1) Voir quelques pages du livre : https://www.google.fr/books/edition/Comment_nous_sommes_devenus_moraux/w8QS4_5Hb5UC?hl=fr&gbpv=1&printsec=frontcover

*Ecouter ++ les podcasts de Thomas Legrand : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-les-racismes

** « The Evolution of Ethics » - M. Ruse & E. O. Wilson - New Scientis - oct. 1985 - vol. 108 - p. 50.

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Sam Harris, un naturaliste spécialiste des neurosciences, dénonce la chimère d'un Libre Arbitre humain. Il écrit...

"La  question  du  libre  arbitre  touche  presque  tout  ce  qui  nous  intéresse.  Moralité,  droit,  politique,  religion,  politique  publique,  relations  intimes,  sentiments  de  culpabilité  et  accomplissement  personnel  -  la  plupart  de  ce  qui  est  distinctement  humain  dans  nos  vies  semble  dépendre  de  notre  perception  les  uns  des  autres  comme  des  personnes  autonomes,  capables  de  choisir  librement."  

Si  la  communauté  scientifique  devait  déclarer  que  le  libre  arbitre  est  une  illusion,  cela  précipiterait  une  guerre  des  cultures  bien  plus  belliqueuse  que  celle  qui  a  été  menée  au  sujet  de  l'évolution. 

Sans  le  libre  arbitre,  les  pécheurs  et  les  criminels  ne  seraient  rien  de  plus  qu'une  horloge  mal  calibrée,  et  toute  conception  de  la  justice  qui  mettrait  l'accent  sur  leur  punition  (plutôt  que  sur  leur  dissuasion,  leur  réhabilitation  ou  simplement  leur  confinement)  apparaîtrait  totalement  incongrue. 

Et  ceux  d'entre  nous  qui  travaillent  dur  et  suivent  les  règles  ne  «mériteraient»  pas  notre  succès  au  sens  profond  du  terme.  Ce  n'est  pas  un  hasard  si  la  plupart  des  gens  trouvent  ces  conclusions  odieuses.

Le  libre  arbitre  est  en  fait  plus  qu'une  illusion  en  ce  sens  qu'il  ne  peut  pas  être  rendu  conceptuellement  cohérent.  Soit  nos  volontés  sont  déterminées  par  des  causes  antérieures  et  nous  n'en  sommes  pas  responsables,  soit  elles  sont  le  produit  du  hasard  et  nous  n'en  sommes  pas  responsables (coupables).  Si  le  choix  d'un  homme  de  tirer  sur  le  président  est  déterminé  par  un  certain  schéma  d'activité  neuronale,  qui  est  à  son  tour  le  produit  de  causes  antérieures  -  peut-être  une  coïncidence  malheureuse  de  mauvais  gènes,  une  enfance  malheureuse,  une  perte  de  sommeil  et  un  bombardement  de  rayons  cosmiques  -  en quoi cela  peut-il  signifier  que  sa  volonté  est  « libre » ? 

Personne  n'a  jamais  décrit  une  manière  dont  pourraient  survenir  des  processus  mentaux  et  physiques  qui  attesteraient  de  l'existence  d'une  telle  liberté. Mais  la  vérité  plus  profonde  est  que  le  libre  arbitre  ne  correspond  même  à  aucun  fait  subjectif  nous  concernant  -  et  l'introspection  s'avère  bientôt  aussi  hostile  à  l'idée  que  le  sont  les  lois  de  la  physique.  Des  actes  apparents  de  volition  surviennent  simplement  spontanément  (qu'ils  soient  causés,  non  causés  ou  formés de  manière  probabiliste,  cela  ne  fait  aucune  différence)  et  ne  peuvent  pas  être  retracés  jusqu'à  un  point  d'origine  dans  notre  esprit  conscient.  Un  minimum d'auto-examen  sérieux,  et  vous  remarquerez  que  vous  ne  décidez  pas  de  la  prochaine  pensée  que  vous  aurez dans quelques secondes.

Le  libre  arbitre  est  une  illusion.  Nos  volontés  ne  sont  tout  simplement  pas  de  notre  fait.  Les  pensées  et  les  intentions  émergent  de  causes  d'arrière-plan  dont  nous  ne  sommes  pas  conscients  et  sur  lesquelles  nous  n'exerçons  aucun  contrôle  conscient. 

Nous  n'avons  pas  la  liberté  que  nous  pensons  avoir."

Réf. : « Free Will » » - 2012 - https://www.docdroid.net/f2ULGCh/sam-harris-free-will-free-press-2012-pdf

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L'émergence de LENIA

Sur la question des actions / réactions de masse d’individus partant à la guerre la fleur au fusil ou votant « comme un seul homme » pour un dictateur, je pense toujours à ces nuages d’étourneaux[1] ou de bancs de poissons que l’on voit évoluer brutalement dans telle ou telle autre direction de façon apparemment aléatoire, imprévisible, sans raison évidente pour un observateur humain. Les zoologistes nous affirment que ce ballet ne doit rien à la présence d'un mystérieux chef d'orchestre ou à un esprit surnaturel du groupe. D'après le biologiste Wayne Potts, chaque oiseau réagit à ce qui l'entoure, et uniquement à cela, probablement comme moyen évolutif de survie du groupe face aux prédateurs. 

Ces comportements grégaires complexes peuvent être modélisés en informatique où chaque individu ne réagit que par rapport à ses voisins selon trois 3 règles très simples : évitement ; cohésion ; alignement. Et bien évidemment, aucun libre arbitre dans tout ceci malgré l’autonomie « déterminée » des individus formant un ballet chaotique imprévisible et extraordinaire comme le montre une vidéo[2] dans le domaine du cinéma. 

De là à penser qu’il pourrait exister chez l’humain des mécanismes de cet ordre dans les mouvements de foule, la survenue des modes et autres évolutions culturelles dont les convictions du moment, le tout dans une auto-organisation propice à faire émerger de nouvelles propriétés... C'est ce que nous montre à la suite du "Jeu de la vie" de Conway, l'émergence de LENIA, soit des objets mathématiques qui "prennent vie", ressemblent fort à des bactéries, se multiplient, interagissent en remplissant l'espace disponible (vidéo ci-dessous à voir absolument). Et tout ceci sans la moindre parcelle d’un quelconque Libre Arbitre « réel » ontologique. 

Certains nous diront que « la vie ne peut pas se résumer à la matière" et qu'il existe nécessairement  un principe « créateur », une énergie transcendantale, un vitalisme, des divinités, un « esprit » ou une « conscience » comme moteur de l’évolution. Certains créationnistes poseront cette question : a-t-on déjà pu mettre en évidence « scientifiquement » l’émergence de la conscience à partir de la matière ? Non ? Alors, vous voyez bien que cette idée n’est pas scientifique et devrait être abandonnée ! CQFD (?) 

Non pas, car ce n’est qu’une autre façon de contester globalement l’émergence de propriétés « fines » à partir de matériaux de « base » plus simples comme nous le montre cette vidéo ; vieil argument du « dessein intelligent » qu'il va bien falloir finir par abandonner en rase campagne. 

Dans le cadre des curiosités concernant l'émergence, cette vidéo ci-dessous d'une expérience de petit chimiste en dit long sur les surprises des combinaisons d'atomes sous l'effet d'un peu d'énergie (feu). Comment quelques mélanges simples peuvent-ils aboutir à un tel résultat ? Pour ceux d'entre-vous qui n'ont que très peu apprécié le film "Alien" : s'abstenir. 
Pour les autres, remarquons que la forme précise de cette "émergence" est impossible à prédire du fait du chaos déterministe, évidemment, comme le montrent les deux expériences à la suite produisant des formes différentes du "serpent du Pharaon".

Au delà de cette curiosité qui en dit long sur la matière et ses mystères (sans même évoquer le champ quantique), le chaos des déterminants peut créer quelques merveilles à condition notamment de prendre le temps de faire jouer les mutations au sens large, le hasard et la sélection avec des résultats "miraculeux" comme dans les exemples de cette vidéo (notez le temps nécessaire à chaque prouesse, temps d'autant plus grand que le résultat est "pointu" comme l'est Homo Sapiens Sapiens)...

Pour en revenir à la conscience : dans la petite enfance, chacun a pu vivre l’expérience sensible de cette fameuse conscience qui émerge lentement au cours de la maturation du cerveau et qui nous permet notamment de nous reconnaître au « stade du miroir », propriété partagée avec d’autres animaux. Cette conscience disparaît sous l’effet des anesthésiants avant une intervention pour réapparaître ensuite en salle de réveil, quand tout s’est bien passé... et disparaît définitivement dans l’autre cas. Cette conscience est bien dépendante de l’activité cérébrale : pas de cerveau, pas de conscience. 

Comme nous le dit Michel Graziano, professeur de psychologie et de neurosciences à l'Université de Princeton, le "mystère" de la conscience... n'en est pas un : 

« Une explication logique de la conscience est connue depuis des décennies. Le cerveau doit construire un ensemble spécifique d’informations sur les sentiments conscients (informations de la théorie de l’esprit), ce qui amène les gens à croire, à penser et à prétendre avoir une conscience. Les théories qui proposent un sentiment réel et intangible ne sont pas explicatives. Elles ajoutent une fausse piste magique tout en laissant inexpliqués les phénomènes objectifs : la croyance, la pensée et la revendication. » (Réf.)

Les créationnistes sont persuadés que le dessein de Dieu est clair, direct, sans nécessité du fameux couple essais / erreurs... ce que la science vient perturber avec ses découvertes sur les tentatives successives du vivant rarement couronnées de succès : il y eut bien des "erreurs" avant d'arriver à Sapiens Sapiens par exemple (Homo neanderthalensis, Homo erectus, Homo habilis, Homo floresiensis, Homo naledi, Australopithecus afarensis, Paranthropus)

C'est ce que nous montre également cette vidéo du biologiste Olivier Hamant : en fait, tout est bricolage, inefficacité, incertitude, lenteur, redondance... dans cette très longue histoire du vivant.  Seule la robustesse compte ! Avec au passage quelques questions abyssales concernant l'injonction de performance dans laquelle nous baignons tous plus ou moins... 


Pour finir par la notion d'émergence au sens le plus primitif du terme, les créationnistes nous affirment que la meilleure preuve de l'existence de Dieu serait le réglage fins des constantes de l'univers ayant permis la vie. Les quelques arguments de cette vidéo déconstruisent rationnellement cet argument en réfutant la tentation habituelle d'un "Dieu bouche-trou" qui expliquerait tout, dont l'inexplicable...

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[1] « Les nuées d'étourneaux » - VIDEO Youtube - https://www.youtube.com/watch?v=WAA6sdWrV20&t 

[2] « Les effets spéciaux de foule au cinéma » - VIDEO Youtube - https://www.youtube.com/watch?v=w-Oy4TYDnoQ&t

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Et pour aller plus loin : le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Blog de Blob

L’intelligence, cette faculté que l’Humain s’approprie aisément du fait d’un cerveau « supérieur », semble pourtant exister chez d'autres créatures, même insignifiantes a priori. Tel est le cas du « Blob » (Physarum polycephalum), un génie sans système nerveux, une créature improbable formée d’une seule cellule, qui apprend, décide, transmet des informations et qui ne cesse de nous étonner.

Les Blobs sont différents selon les pays, avec des préférences marquées pour certaines nourritures d’un Blob à l’autre, et même des caractères différents : le japonais est rapide, l’australien beaucoup lent et « réfléchi ». A croire qu’ils ont des libres arbitres différents dans leurs choix et décisions : « Sinon quelle autre explication, je vous le demande ? » ; à moins qu’ils ne soient soumis plus simplement à des déterminants différents dans le cadre des règles universelles, comme le reste de l’univers.  

Il existe concernant cette créature extraordinaire une excellente conférence (vidéo ci-dessous) de la docteure en éthologie Audrey Dussutour. Cette dernière avait déjà montré que les fourmis peuvent apprendre de leurs erreurs, modifier leur comportement et s’adapter à des situations nouvelles... 

Bref, la science va continuer de nous surprendre dans la connaissance de ce que l’on considérait comme définitivement acquis, et il serait bien pertinent de tenir compte des découvertes et d’en déduire quelques conséquences.

Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo pour la voir en plein écran.


Et l'intelligence du bourdon ? On n'en parle pas assez de l'intelligence du bourdon !

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Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis... nous affirme "librement" Sartre

 Sartre et la liberté !

Sartre développe une théorie radicale de la liberté, où l’Humain est toujours libre, indépendamment des circonstances physiques et des influences extérieures.


Par exemple, à propos de l'amour qui ne "peut pas être déterminé", il écrit :

« Celui qui veut être aimé ne désire pas l’asservissement de l’être aimé. Il ne tient pas à devenir l’objet d’une passion débordante et mécanique. Il ne veut pas posséder un automatisme. Si on veut l’humilier, il suffit de lui représenter la passion de l’aimé comme le résultat d’un déterminisme psychologique : l’amant se sentira dévalorisé dans son amour et dans son être. Si Tristan et Iseult sont affolés par un filtre, ils intéressent moins...»[1]

Peut-être aurait-il pu en discuter avec Simone qui affirmait l'inverse : "On ne naît pas femme : on le devient." Simone de Beauvoir, compagne de Sartre, reconnaît, elle, l'importance des structures sociales et des conditions historiques dans la formation de l'identité, ce qui peut être vu comme une critique implicite de la liberté absolue. Ah ces couples qui s'écoutent peut-être mais ne s'entendent pas !

Plein de fougue en 1942, JP affirme dans un film à voir ci-dessous sa foi inébranlable pour cette liberté absolue ... avant de revenir finalement sur cette conviction que les expériences de la vie ont manifestement amendée très fortement. Merci Simone.
Ce qui n'empêche nullement d'entendre urbi et orbi que Sartre est le chantre même de la liberté, alors que lui-même avoue en fin de vie qu'il s'est lourdement fourvoyé sur ce sujet. 
Que l'on croie en la liberté absolue, pourquoi pas. 
Que l'on convoque Sartre pour se dédouaner de toute discussion, c'est beaucoup... de "mauvaise foi" comme aurait dit Jean-Paul.

[1] «  L’Être  et  le Néant » - édition de 1943 - https://www.bard.edu/library/arendt/pdfs/Sartre-Neant.pdf

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L'argument de la conséquence : conséquent ?

L'argument de (par) la conséquence (argumentum ad consequentiam) est un raisonnement fallacieux consistant à déduire une conséquence souhaitable d’une croyance que l’on cherche à prouver[1].

En voici l'un des plus beaux, très habituel concernant le sujet du Libre Arbitre, de la part de ses partisans qu'ils soient religieux - souvent - mais aussi parfois athées :

« si nous devons être tenus responsables (en fait coupables) de nos actes, il apparaît évident que nous devons pouvoir choisir entre différentes actions, que nous devons avoir un libre arbitre »[2]

Cet argument peut-il constituer une preuve concernant l'existence d'une liberté de la volonté, c'est-à-dire du libre arbitre ? Assurément pas. 
Pourtant, nombre de philosophes / théologiens qui connaissent parfaitement cette erreur logique nous la servent encore dans leurs professions de foi. Il est vrai qu'il faut à tout prix sauver le "soldat libre arbitre" si l'on ne veut pas mêler Dieu à toutes les saloperies terrestres. Seul l'Humain est coupable, aurait pu et dû faire autrement que de tuer son voisin, sa femme, abuser des enfants vulnérables, des pas-tout-blancs etc. 

Mais alors se pose un problème concernant ce fameux libre arbitre qui serait déficient chez certains : comment se fait-il (schéma ci-dessous) que nos prisons regorgent de mâles (95 % des incarcérations), âgés de 18 à 45 ans (pic autour de 30 ans), plutôt issus de milieux modestes ou défavorisés, voire issus de l'immigration avec cumul de tous les handicaps ? Soit de forts déterminants mettant à mal un "libre" arbitre qui serait théoriquement distribué équitablement chez l'humain. Un "mauvais libre arbitre" soumis à de "mauvais déterminants" ? Un libre arbitre déterminé donc. Donc pas de libre arbitre. 

Finalement, ces histogrammes ressemblent furieusement à une courbe de GAUSS, c’est-à-dire une courbe « normale » de distribution de caractéristiques déterminées dans une population, quel que soit le déterminant biologique étudié (taille / poids / pointure etc.)  N.B : la tranche 18-19 ans n'est pas équivalente aux autres tranches portant sur 4 ans, ce qui explique la déformation de la courbe de Gauss.

Est-ce que cela émeut quelqu'un que le fait d'aller en prison pour être puni soit déterminé par le sexe, l'âge, les hormones, le milieu social... soit autant de conditions non choisies "librement", excluant de fait toute culpabilité (sans absoudre toute responsabilité) ?
Reprenons l'argument de la conséquence qui dit que X (culpabilité) entraîne Y (punition), et que pour pouvoir punir il faut bien qu'il y ait culpabilité, sans quoi ce serait de la barbarie pure et simple. Ce qui me fait penser au cas des femmes décrétées sorcières car "possédées" par des hallucinations (Y) du fait du diable (X), et qu'il fallait donc brûler... Jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'elles souffraient d'ergotisme (maladie du pain infesté par un champignon parasite). Le lien médiéval diable-hallucination n'était pas plus assuré que le lien, toujours bien actuel celui-là et tout aussi erroné, entre libre arbitre et infraction.

Bien que fallacieux, cet argument de la conséquence est omniprésent dans les écrits de philosophes diplômés comme par exemple Alfred R. Mele qui, début 2010, a lancé le projet « Les grandes questions du libre arbitre » qui aboutira finalement après quatre ans. Mele croit au libre arbitre et nous confie avoir reçu de nombreux mails de ce type :

"Cher Dr Mele. J'ai récemment acheté un DVD du Dr Stephen Wolinsky... Il explique, du point de vue des neurosciences, qu'il n'existe pas de libre arbitre, car nous ne pouvons percevoir une action qu'après qu'elle a déjà eu lieu. Pouvez-vous m'aider à ce sujet ? Je peux comprendre que je ne sache pas quelle pensée surviendra ensuite. Mais que cela se soit déjà produit dépasse l'entendement. Merci, car je suis très désespéré."

L'objectif principal de Mele était de réunir des scientifiques et des philosophes pour explorer les grandes questions du libre arbitre. Le projet comportait également un volet théologique (?) qui traitait des questions relatives à la liberté divine et à l’influence possible d’un être suprême sur la liberté humaine. Ce projet a été financé par une subvention de 4,4 millions de dollars de la Fondation chrétienne John Templeton, ce qui permet de mieux comprendre le volet théologique... 


Au total, une cinquantaine de scientifiques, philosophes et théologiens y ont participé. 
Résultat ? RIEN. 
Et pour cause. On ne peut pas prouver l'existence ou l'inexistence de Dieu... Idem pour le libre arbitre.
Après avoir échoué à démontrer l'existence d'un libre arbitre quelconque, les auteurs concluent en toute simplicité :

"Afin de permettre la conscience et le libre arbitre, la science doit probablement s’étendre au-delà du hasard et de la nécessité, qui sont actuellement ses seuls modèles d’explication."

Bon courage !
Il serait temps que les neurosciences fassent connaître urbi et orbi qu'il n'y a pas de libre arbitre retrouvé dans le cerveau humain mais juste la sensation de liberté du fait d'un connectome réunissant la volonté (cortex cingulaire antérieur) et l'agentivité (précunéus)* dans cet organe merveilleux comportant neurones et synapses en interaction permanente avec le reste de l'organisme et l'environnement ; le tout soumis aux lois naturelles. Cette sensation de liberté est naturelle et plutôt positive au quotidien. Mais il n'est pas question d'ériger cette sensation en une réalité "ontologique" impossible à concilier avec les lois naturelles déterministes et indéterministes. 
Et ce n'est pas désespérant. 
Au contraire ! (voir Le côté obscur du libre arbitre).


[1] Autres exemples : « Dieu doit exister : s'il n'existe pas, alors de très nombreuses personnes prient pour rien ! Ce qui serait complètement idiot. Donc Dieu doit exister » ou bien "Dieu existe car sinon, tout est permis" ou encore « Copernic a tort, car à le suivre,  nous ne serions pas le centre de l’univers, ce qui est impossible selon les textes sacrés » ou encore "Les vaccinations sont inefficaces, car depuis qu'elles ont été introduites, certaines maladies infantiles persistent toujours" etc.

[2] « Consciousness, decision making, and volition: freedom beyond chance and necessity » - 2021 - https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9184456/ N.B : « Cette publication a été rendue possible grâce au soutien d'une subvention conjointe de la Fondation John Templeton et du Fetzer Institute » (deux structures religieuses)

*« Lesion network localization of free will » - 2018 -https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6196503/

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La sociologie, poil à gratter politique...

Le champ sociologique n’est pas vierge de conceptions philosophiques et idéologiques, ne serait-ce que parce que la sociologie prétend adopter une démarche scientifique et non une simple "description littéraire" de la société. 

Deux conceptions - toujours bien actuelles - s’affrontent depuis les pères fondateurs de la discipline : Max Weber versus Emile Durkheim. Ces deux figures emblématiques de la sociologie proposent des approches différentes de la structure sociale et du libre arbitre des individus, car on ne peut pas faire l’impasse sur les déterminants au sens large en relation avec un Libre Arbitre (LA)... éventuel. Si l’on croit en un LA "réel" (liberté de la volonté), quelle serait la répartition entre des déterminants purs et durs (génétiques / environnementaux au sens large) et une "liberté de pensée" (LA) supposée des acteurs, dans les sciences humaines en général, en sociologie plus particulièrement ?

D'un côté, Max Weber met l'accent sur l'action sociale et la compréhension subjective (Verstehen) des comportements humains. Selon lui, les individus agissent en fonction de leurs croyances et de leurs valeurs, ce qui impliquerait une certaine forme de libre arbitre.

Durkheim, en revanche, insiste sur le rôle des faits sociaux qui s'imposent aux individus de manière contraignante. Pour lui, la société exerce une influence déterminante sur les comportements individuels, limitant drastiquement les effets d’un libre arbitre... s’il existait.

De nos jours, le sociologue Gérald Bronner (tendance Weber) laisse une bonne place au LA dans sa conception de la sociologie :

« Les modèles déterministes ne peuvent pas rendre compte de la complexité du social parce qu'ils ignorent le libre arbitre des individus - même si ce dernier reste contraint par les structures sociales et l'avancée des neurosciences ».

Soit un LA en partie contraint mais existant, une position philosophique dite "compatibiliste", une singulière « liberté » de la volonté des individus, contrainte par les déterminants sociaux et biologiques, « mais pas que » ! Du coup, quelle serait cette part de liberté contrainte ? On ne saura pas. On peut se demander par ailleurs comment un « travail de reconstitution de l'imaginaire mental des individus » (Bronner) se passerait de déterminants. Causa sui (cause de soi-même) ?

A l'inverse, le sociologue Bernard Lahire semble considérer que déterminismes et Libre Arbitre sont incompatibles : il faut donc éliminer cette hypothèse de LA dans le travail sociologique. Les neurosciences retrouvent bien une "sensation" de volonté libre mais aucunement un LA "réel", ontologique, et pour cause... (voir Searle et libre arbitre). 

Ainsi, dans son manuel de résistance « Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue culture de l’excuse »[1], Bernard Lahire analyse parfaitement cette ineptie d’une soi-disant « culture de l’excuse » qui a envahi le cerveau de Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo avec son « Malaise dans l’inculture », ainsi que celui du Premier ministre de l’époque, Manuel Valls et son rejet des « excuses sociologiques » nous infligeant ces propos :

« J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé [i.e. les attentats du 13 novembre 2015]. »

« La culture de l’excuse c’est fini » nous assène 9 années plus tard un autre premier ministre - Gabriel Attal - dans un contexte de violences juvéniles graves (avril 2024). On dira qu’il a l’excuse de la jeunesse et de l’ignorance. L’idée lumineuse de punir les parents défaillants tente de masquer les conditions à l’origine de ces défaillances. On se demande d’ailleurs bien pourquoi les grands-parents seraient innocents, et de fil en aiguille, remonter jusqu’à l’australopithèque qui ne devait pas être au fait des conseils de Françoise Dolto. 

Une certaine sociologie (Durkheim, Bourdieu, Lahire...) analyse et dénonce des conditions sociales déterminantes et délétères, ce qui ne plaît pas aux politiques en responsabilité. Quitte à punir, ne serait-ce pas plutôt les gouvernants qu’il faudrait sanctionner pour leur incurie chronique sur ces sujets ? C’est l’éducation des premiers ministres qu’il faut revoir en priorité. 

Comme le note Frédéric Lebaron président de l’Association française de sociologie, qu’aurait-on pensé si Manuel Valls et Gabriel Attal avaient déclaré, suite à un séisme meurtrier :

« J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des explications géologiques aux tremblements de terre. »[2] 

Sur un sujet différent bien que connexe, le rapport sur les radicalisations demandé à l’époque par l’Etat Français était pourtant des plus limpides :

« Les enseignements des sciences sociales sont la meilleure façon de lutter efficacement contre toutes les formes de terrorisme. Leurs analyses et explications proposées par les chercheurs qui se consacrent à ce domaine sont essentielles à cet égard. Connaître les causes d’une menace est la première condition pour s’en protéger. »[3]

Point de volonté libre (libre arbitre) dans tout ceci. Bernard Lahire rappelle fort justement que chaque individu est trop multisocialisé et trop multisurdéterminé pour qu’il puisse être conscient de l’ensemble de ses propres déterminismes qui interagissent de façon chaotique et imprévisible pour l'individu lui-même. 

Ce que ne veulent pas (sa)voir, par ethnocentrisme de classe quand tout va bien pour eux, ceux qui se contemplent le nombril qu’ils se sont « choisi en toute liberté », et du coup, se privent d’un certain horizon. Il ne s’agit évidemment pas « d’excuser » la barbarie des frères Kouachi lors des assassinats de Charlie Hebdo, pas plus que les crimes perpétrés par Poutine et ses soldats, le Hamas ou Israël (etc. la liste est longue), mais de comprendre d’abord comment on peut en arriver là[4]. Sans ce travail de fond, il n'y aura jamais un quelconque espoir de contenir le risque de nouvelles saloperies de ce genre. Que la prévention soit difficile, c’est évident. Qu’elle nécessite d’importants moyens, sûrement... 

Sociologie, psychologie et psychiatrie réunies pourraient - peut-être - expliquer pourquoi Philippe Val, Manuel Valls, Gabriel Attal et tant d'autres tiennent de tels propos ; et ce ne serait pas une « excuse » pour autant.

Pour quelques éléments supplémentaires : https://librearbitre.eu/accueil/sociologie/

Enfin, l'ouvrage de B. Lahire "Les structures fondamentales des sociétés humaines" (La Découverte - 2023 - 972 p) offre une synthèse aussi ambitieuse que réussie d'une théorie globale de la société. Une boussole essentielle : "les structures des sociétés humaines n’apparaissent que lorsqu’on les compare aux sociétés animales".

A lire absolument.

Et si vous avez 1 h - non pas à perdre - mais à gagner :

Et enfin 2h passionnantes - pour les plus passionnés - avec Bernard Lahire et Joachim Müllner (voir article concernant J. Müllner, psychiatre : Un psychiatre sceptique du libre arbitre... à raison !) :


[1] Bernard Lahire, ancien professeur à l’École normale supérieure de Lyon - https://journals.openedition.org/sociologie/2943 et https://laviedesidees.fr/La-sociologie-sans-excuses.html

[3] « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » - https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/164000158.pdf#:~:text=Les%20recherches%20sur%20les%20radicalisations,%20les%20formes%20de%20violence%20qui

[4] « L’enfance misérable des frères Kouachi » - https://reporterre.net/L-enfance-miserable-des-freres-Kouachi

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