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Mais alors, sans culpabilité ni punition possible... que faire ?

La question n'est pas nouvelle. 

Elle se pose depuis que des philosophes et scientifiques ont commencé à douter de l'existence d'une liberté de la volonté (libre arbitre) du fait des lois naturelles universelles auxquelles l'Humain ne peut échapper. Plus récemment, des psychiatres et neuroscientifiques enfoncent le clou (voir https://librearbitre.eu/accueil/psychiatrie-neurosciences/).

En effet, si tout est déterminé (+ indéterminisme de la mécanique quantique) par ces lois naturelles, on ne voit pas très bien comment il pourrait exister un libre arbitre "au-dessus" de ces déterminations / indéterminations. La volonté serait donc déterminée / indéterminée comme le reste de l'univers. Exit donc culpabilité et punitions, ce qui remet en cause philosophiquement tout notre arsenal judiciaire pénal.

D'où des propositions comme celle de la « défense sociale » initiée par le juriste et sociologue belge Adolphe Prins qui écrit dès 1910 :

« Le droit pénal nouveau envisage des êtres sociaux qui ont des devoirs envers la communauté, et il voir surtout dans le criminel l’individu qui porte atteinte à l’ordre social (...) Le Moi est un mystère et l’on ne fonde pas le droit de punir sur un mystère » [1]

Il proposait une nouvelle conception de la justice pénale, fondée sur la défense de la société contre les individus dangereux, plutôt que sur la répression des infractions. Il s’inspirait ainsi des théories de la criminologie positiviste, de la psychiatrie et de la sociologie de l’époque, pour réformer le droit pénal et la politique criminelle. Cette proposition a été reprise par le juriste et magistrat Marc Ancel avec sa « défense sociale nouvelle » qui tend à protéger la société dans un contexte plutôt conséquentialiste[2] en prévenant la récidive plutôt que de punir à tout-va... et - rajouterais-je - du fait que punir n’a pas de sens en l’absence de LA[3] et de culpabilité.

Pour Marc Ancel qui se rattache à la tradition chrétienne dans le cadre doctrine sociale de l’Eglise catholique[4] :

« La peine a pour fonction primordiale la réadaptation sociale du délinquant, seule de nature à concilier la protection de la collectivité avec l'intérêt véritable de l'individu à qui elle restituera sa pleine valeur de personne humaine consciente de sa dignité et de sa responsabilité »[5]

Au passage, il semble exister - comme dans toute religion d’ailleurs - une contradiction formelle entre d’un côté la doctrine sociale de l’Eglise catholique qui promeut solidarité et compassion (l’Humain fils de Dieu), et de l’autre l’affirmation de la liberté de la volonté (LA)[6] de la créature qui permet la culpabilisation de celle-ci, car elle a fait mal et aurait pu faire mieux. Ce mélange de chaud et froid donne finalement toutes sortes de températures allant de l’Inquisition à sœur Thérésa, du petit Jihad au Croissant Rouge.

Pour en revenir à la défense sociale nouvelle, il est certain que le quantum de dangerosité ou le risque de récidive - termes que l’on préfère utiliser actuellement - est particulièrement difficile à apprécier, soumis qu’il est aux exigences sociales sécuritaires du moment, aux influences de l’environnement d’un individu avec ses propres fluctuations psychologiques. Certains - tel Pierre-Marie Sève responsable de « l’institut pour la justice »[7] - vouent aux gémonies cette « défense sociale nouvelle », considérée comme laxiste du fait d’une « idéologie gauchiste » des magistrats français dans leur ensemble. Comme si les convictions de Pierre-Marie Sève échappaient à toute idéologie ! Entre le tout sécuritaire et un laxisme généralisé, la place du curseur est difficile à fixer ; il ne peut l’être que de façon provisoire dans une culture et une société donnée, une politique et l’idéologie majoritaire du moment.

Quelques mots sur la détention lorsqu’elle est jugée nécessaire, notamment dans le cadre d’une dangerosité détectée : sans LA « réel », elle ne doit en aucun cas être « punitive ». Ni humiliation, ni brimades, ni violences comme on peut actuellement le constater vis-à-vis des détenus « pointeurs », exemple parmi d’autres. Ce terme « pointeur » désigne dans le jargon pénitentiaire un condamné pour viol ; ils sont de plus en plus nombreux en milieu carcéral du fait de l’évolution des mœurs et sont la cible des autres détenus avec passage à tabac ou lynchage, y compris lors des « promenades » sous les yeux des représentants de l'administration pénitentiaire qui laissent faire ou arrivent « trop tard »[8]. Les bonnes âmes vous diront que ne n’est pas bien grave ; que ces pointeurs méritent quelque part leur sort... Soit une réaction stupide si ces pointeurs n’ont pas plus de Libre Arbitre « réel » que les bonnes âmes. Ces « pointeurs » devraient être regroupés et isolés du reste de la population pénale, ce qui est loin d’être toujours le cas, notamment dans les petits établissements. 

Dans le même ordre d'idée, les conditions du "mitard", punition dans la punition*, sanction profondément inhumaine et destructrice, constituent une honte quotidienne dans le pays des droits de l'humain. Il est vrai que les tentatives de suicide au cours du mitard - quinze fois plus élevé qu’en détention ordinaire - ne peuvent que réjouir les nostalgiques de la peine de mort encore très nombreux selon les sondages : plus d'1 français sur 2 la regrette cette bonne vieille guillotine (pour les autres ; enfin, en dehors de leur famille en tout cas). Que des braves gens, surtout à droite (RN pour 85 % et LR pour 71 %)**.

Plus généralement, en prison comme ailleurs, les droits de l’Humain devraient être respectés. Ce qui signifie que chaque fois qu’il est possible, un détenu devrait pouvoir travailler - ce qui est de moins en moins le cas ces dernières années -, avoir droit à une certaine intimité dont des aménagements concernant la sexualité, recevoir des visites, pouvoir communiquer... sauf évidemment dans les cas où le délinquant pourrait en profiter pour continuer un « business » délictuel ou effacer des preuves, suborner ou faire pression sur des témoins etc. C’est la raison pour laquelle les téléphones portables sont légalement interdits et pourtant très présents[9] malgré les « brouilleurs » de fréquence qui sont de toute façon actuellement inopérants avec la 5G...

Pour en revenir à la détention (maison d’arrêt[11], centre de détention[12] et maison centrale[13]) - qui peut être jugée nécessaire pendant un certain temps dans le contexte d’une certaine dangerosité des prévenus ou des condamnés : elle doit être respectueuse des droits humains. Un minimum de surface - à définir - pour une « cellule » salubre, avec un confort certes minimal mais suffisant, avec la possibilité d’être seul si souhaité, de s’exercer physiquement, d’avoir accès à des activités culturelles et de bénéficier d'un enseignement visant au meilleur épanouissement de la personnalité humaine, d’obtenir un emploi utile et rémunéré, lequel facilitera la réintégration sur le marché du travail, de bénéficier d’un service de santé digne de ce nom etc. Je ne vais pas faire ici la liste de ce que devraient être les droits des détenus adoptés par l'Assemblée générale des Nations Unies[14] (1990). 

Cette détention, quand elle est nécessaire, ne devrait pas être destinée à punir mais seulement à mettre en œuvre une évaluation régulière de la dangerosité, fournir des soins psychologiques / psychiatriques jugés nécessaires et préparer la réinsertion. La création de Centres de réintégration dirigés par des pairs (ex-détenus) semble aller dans le bon sens[15]. Des associations comme « Wake up Café » aussi[16].

Il faudrait également investir la notion de désistance[17], c’est-à-dire tout ce qui amène un individu à quitter la voie de la délinquance, un champ d’études développé dans les pays anglo-saxons. Selon Jean-Claude Bouvier, juge d'application des peines :

«C'est un changement de paradigme. C'est un concept plus intéressant que celui de récidive : on ne recherche plus pourquoi les gens récidivent dans une optique de contrôle, mais pourquoi ils s'en sortent. Pas seulement parce qu'on les a surveillés, mais parce qu'ils ont eux-mêmes choisi de changer de vie. »

Selon l'Association des juges d'application des peines,

« Ce qui semble déterminant dans la capacité du condamné à ne pas récidiver, c'est la stratégie individuelle qu'il est en mesure de mettre en place pour initier un changement de vie.»

Notons qu'il existe depuis 2014 un observatoire de la récidive et de la désistance[18].

Et puis, il existe et existera toujours des cas "résistants" à toute intervention aussi bienveillante soit-elle, comme par exemple celui de Tommy Recco, un tueur en série (7 meurtres probablement) présentant une dangerosité persistante et un refus de traitement, avec un fort risque de récidive en raison de son refus de reconnaître ses crimes et de son état psychique rigide. Puisqu'il n'a pas décidé "librement" d'être dans cet état, qu'il est malade (voir Limite entre santé mentale et pathologie mentale), il faut évidemment protéger la société en le gardant en prison... à condition de lui laisser des conditions d'existence humaines, sans punition.

Bref, du pain sur la planche avec nécessité de quelques subsides pour mettre en place un tel programme... qu'il faudrait dans un premier temps appliquer sur une zone test afin d'examiner à la loupe les conséquences dans une balance bénéfices/risques en rapport avec les coûts directs et induits de cette "défense sociale".

Mais rien ne sera possible sans la remise en question préalable d'un libre arbitre délétère ; et là aussi, il y a du pain sur cette planche.

Dans l'article "Que reste-t-il de la défense sociale nouvelle ?" (https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penal-compare-2017-2-page-261.htm) et le podcast ci-dessous, Vincent SIZAIRE (magistrat) nous parle de Marc ANCEL et des bases d'une criminologie humaniste.

Voir également des propositions connexes comme celle cet auteur ( https://librearbitre.eu/static/pdf/Borbonfr.pdf) et un point plus général sur la justice dans le cadre du naturalisme scientifique (https://librearbitre.eu/accueil/justice/).



[2] Théorie selon laquelle ce sont les conséquences d'une action donnée qui doivent constituer la base de tout jugement moral

[3] Marc Ancel ne s’est pas prononcé sur l’existence ou non d’un Libre Arbitre « réel » mais semblait en douter : « La défense sociale nouvelle postule philosophiquement le libre-arbitre mais demeure réservée sur ce problème, extérieur aux données et au domaine de la politique criminelle appliquée. » - « La défense sociale nouvelle » - 2e éd. p. 226

[5] « La défense sociale nouvelle » - https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1954_num_6_4_9111

[6] « Mais cette liberté n'est pas illimitée : elle doit s'arrêter devant “l'arbre de la connaissance du bien et du mal”, car elle est appelée à accepter la loi morale que Dieu donne à l'homme. En réalité, c'est dans cette acceptation que la liberté humaine trouve sa réalisation plénière et véritable » - Jean-Paul II, Encycl. Veritatis splendor, 35: AAS 85 (1993) 1161-1162

[7] « Face à Rioufol - Intervention de Pierre-Marie Sève » - VIDEO Youtube - https://www.youtube.com/watch?v=JD183qn0LZ0

[9] « Ce qui n'entre pas dans une prison, c'est parce que la porte n'est pas assez grande » selon les propos d'un directeur de prison...

[11] Accueille les détenus qui ne sont pas encore jugés (détention provisoire) ou qui sont condamnés à des peines inférieures à 2 ans

[12] Prisons dans laquelle les détenus qui y séjournent présentent les meilleures perspectives de réinsertion (travail, études, logement...) pour des condamnés à des peines d'au moins 2 ans

[13] Accueille les détenus les plus « difficiles »

[14] « Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus » - https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/basicprinciplestreatmentofprisoners.aspx

[15] « Finding help and hope in a peer-led reentry service hub near a detention centre: A process evaluation » - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36800339/

[16] « Réinsertion des ex-détenus - Barthélemy - SPEAK UP » - VIDEO Youtube - https://www.youtube.com/watch?v=JNmoKnq0dqk

[17] « Les Sorties de délinquance» sous la direction de Marwan Mohammed - 2012 - La Découverte https://www.franceculture.fr/oeuvre/les-sorties-de-delinquance-theories-methodes-enquetes

[18] Processus par lequel l’auteur d’une infraction sort de la délinquance ou de la criminalité (par opposition à la récidive) - http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/observatoire-de-la-recidive-et-de-la-desistance-12918/ - Rapport annuel de 2017 : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_ord_def_2017.pdf

Libre arbitre : KEZAKO ?

Le libre arbitre (LA) - ou liberté de la volonté - est un concept central de notre société présent aussi bien dans notre vision de nos propres comportements que ceux des autres, au cœur de notre justice, notre économie, notre politique... Bref, partout.

Comme l’écrivait en 1885 le philosophe Charles Renouvier dans ses réflexions sur le Libre Arbitre et le déterminisme :

« Le nombre de conceptions réellement différentes en philosophie, est beaucoup plus petit qu’on ne paraît généralement s’en apercevoir. Le nombre de questions contradictoirement débattues depuis vingt-quatre siècles, j’entends de celles dont la solution est d’une importance capitale pour l’homme et autour desquelles toutes les autres gravitent, est lui-même très petit. »

L’existence ou non d’un Libre Arbitre « réel » fait partie de ces quelques questions fondamentales, probablement l’une des plus exigeantes.

La meilleure définition de ce LA me semble être celle du biologiste Anthony Cashmore[1] :

« Le libre-arbitre est la croyance selon laquelle il existe une partie du comportement biologique qui est la conséquence de quelque chose d’autre que les inévitables influences de l’histoire génétique et environnementale d’un individu, et des possibles lois stochastiques[2] de la nature. »

Autre définition du Libre Arbitre : il y aurait chez l’Humain une partie « biologique » qui dépendrait de très nombreux déterminants génétiques en interaction avec l’environnement, auxquels s’ajouterait « quelque chose » d’autre, de nature "surnaturelle" , la liberté de la volonté ou Libre Arbitre.

Ou encore : le Libre Arbitre est le pouvoir indéterminé de se déterminer soi-même, soit un jeté de dés que l’on ne peut contrôler mais qui permettrait de se contrôler (?)

Une autre définition du neuroscientifique Read Montague au CV impressionnant[3] :


« Le libre arbitre est l’idée selon laquelle nous faisons des choix et avons des pensées indépendantes de tout ce qui ressemble de loin à un processus physique. Le libre arbitre est le cousin proche de l'idée de l'âme – le concept selon lequel « vous », vos pensées et vos sentiments, dérivez d'une entité séparée et distincte des mécanismes physiques qui composent votre corps. De ce point de vue, vos choix ne sont pas causés par des événements physiques, mais émergent plutôt entièrement formés d’un endroit indescriptible et en dehors du champ des descriptions physiques. Cela implique que le libre arbitre ne peut pas avoir évolué par sélection naturelle, car cela le placerait directement dans un flux d’événements causalement connectés. »

Une dernière petite définition pour la route : le Libre Arbitre est la croyance générale que le comportement humain est libre de contraintes internes et externes, et que nous aurions donc un « contrôle intentionnel conscient » sur nos comportements et nos actes. 

Il existe bien des malentendus concernant la définition de libre arbitre. Par exemple, NeuroRights Initiative a établi récemment 5 "neurodroits" afin de protéger les humains des manipulations techniques d'ordre neurologique. Ce qui est en soit légitime. L'un de ces droits de NeuroRights Initiative est "Le droit au libre arbitre : les individus devraient avoir le contrôle ultime de leurs propres décisions, sans manipulations externes." Mais il ne s'agit pas de libre arbitre ici. Il s'agit de protéger la volonté de l'individu des manipulations externes seulement, et non des influences internes amenant à telle ou telle volonté puis volition (= acte concret par lequel la volonté se met en œuvre). NeuroRights Initiative confond ici allègrement liberté d'action (absence d'entrave) et liberté de la volonté (libre arbitre) qui intervient en amont de la liberté d'action, et qui est soumise aux contraintes internes génétiques et biologiques (tumeur frontale par ex.), souvenirs, expériences plus ou moins douloureuses etc.

Tel un arbitre de foot, le Libre Arbitre serait pour le commun des mortels à la fois le témoin d’une scène et celui qui dispose de l’autorité pour faire appliquer ses décisions / jugements. Il se veut dans le même temps distinct des joueurs - les déterminants des lois naturelles - et au-dessus d’eux. Avec une caractéristique de plus que l'arbitre de foot : c'est lui - libre arbitre - qui déciderait des comportements tactiques et stratégiques des joueurs (dribble, passe, tir, tacle, contrôle, roulette, petit pont, bicyclette, feinte...). Ce qui implique la notion de responsabilité, morale[4] et de culpabilité chez l'humain (l'animal ne serait pas concerné...?) puisque le Libre Arbitre n’ayant aucune contrainte interne ou externe devrait permettre de « faire autrement », en préférant le bon dribble plutôt que le mauvais... et surtout le Bien plutôt que le Mal ! 

Autrement dit, placé « strictement » dans les mêmes conditions déterminantes, je peux choisir blanc ou noir, bien ou mal, selon le « bon vouloir » de mon Libre Arbitre. Petite expérience de pensée : si je me trouve strictement dans la même situation une seconde fois - ce qui est proprement impossible à expérimenter -, vais-je prendre la même décision ? Le matérialiste / déterministe / naturaliste dira que oui, bien évidemment : les mêmes conditions strictes donneraient la même décision. Le croyant au Libre Arbitre dira que non, pas nécessairement, que l'on pourrait faire autrement en partant des mêmes conditions externes comme internes ; et d’ailleurs, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! 

Mais là, problème de taille : si un individu change d’avis alors que les déterminants sont strictement identiques dans deux situations à un jour d’intervalle, c’est donc que son Libre Arbitre aurait changé entre temps ? Selon quelles modalités ? Modification du LA en qualité, en quantité, les deux ? Car on ne peut pas faire jouer, dans ce nouvel avis modifié, cette nouvelle décision, un quelconque indéterminisme quantique qui détruirait ipso facto la notion de Libre Arbitre ! Ne serait-ce pas plutôt un déterminant nouveau qui se serait glissé entre temps (réflexion qui est tout autant déterminée que le reste de l'univers / nuit qui « porte conseil » / avis extérieur...). Le cerveau "travaille" en permanence, que l'on en soit conscient ou pas. Et les capacités de délibération consciente, de pensée rationnelle et de maîtrise de soi ne sont pas des entités magiques mais des interactions neuronales avec l’environnement. 

Petite question : les sacrifices humains ont été pratiqués dans de nombreuses cultures à travers l’Histoire (Egypte et Chine anciennes, certaines cultures africaines, Aztèques et Incas...), souvent dans le but de plaire ou d’apaiser les dieux, de garantir la prospérité ou de marquer des événements importants. Ce qui semble barbare ou irrationnel aujourd’hui était souvent perçu comme nécessaire et "sacré" à l’époque. Sans se risquer à des jugements des plus anachroniques, il est clair que leur "libre arbitre" était "différent" du nôtre pour trouver normal et bien ce qui nous apparaît actuellement comme des horreurs. Les valeurs n'étaient pas les mêmes ? Mais alors, ce sont notamment les valeurs du moment, fluctuantes au cours de l'Histoire, qui déterminent les actions et non pas un pseudo libre arbitre à géométrie variable, s'il existait ?

Par ailleurs, ce libre arbitre, s'il existait, devrait être conscient... alors que les expériences sur les prises de décisions montrent un décalage très important entre les prémisses de décision cérébrales "prévues" à l'IRM et la décision "consciente" comme le montrent ces expériences :

Nombreuses sont les études montrant que nos choix ressentis comme libres ne le sont pas. Les gens savent-ils quand ils ont fait un choix conscient ? Par exemple, une étude montre que, sans  que  les  participants  en  soient  conscients,  un  événement  apparemment  ultérieur  a  influencé  des  choix  qui  étaient  vécus  comme  se  produisant  à  un  moment  antérieur.  Ces  résultats  suggèrent  que,  comme  certaines  expériences  perceptuelles  de  bas   niveau,  l’expérience  du  choix  est  susceptible  d’être  influencée  par  une  influence  « postdictive »  et  que  les  personnes  peuvent  systématiquement  surestimer  le  rôle  que  joue  la  conscience  dans  leur  comportement  choisi (Illusion du choix libre conscient). L'auteur de l'étude précise :

« Peut-être qu'au moment même où nous faisons l'expérience d'un choix, notre esprit réécrit l'histoire, nous faisant croire que ce choix, qui a en fait été effectué après que ses conséquences ont été perçues inconsciemment, était un choix que nous avions fait depuis le début »

Au fait : avant d'agir, il nous faut former généralement une intention qui elle-même fait suite à une idée (on évacue ici les actions "réflexes"). Chaque humain élabore chaque jour des milliers d'idées, bonnes ou mauvaises, petites ou grandes (parfois), qui aboutiront à une action ou non. D'où proviennent ces idées ? D'un monde transcendant (Platon) constitué de milliards de milliards d'idées qui seraient distribuées ici ou là - une seule à la fois - chez tel humain plutôt que tel autre, au hasard ? Qui peut croire à une telle ineptie du point de vue scientifique ? 

Les idées naissent d’abord dans le cerveau, fruit de l’activité neuronale (pas de cerveau, pas d'idée). Le cortex préfrontal, associé à la pensée abstraite, et l’hippocampe, lié à la mémoire, jouent un rôle clé. Chaque jour, le cerveau traite des millions de stimuli sensoriels (vue, ouïe, etc.) et les combine avec des souvenirs, des émotions et des connaissances plus ou moins assurées. Les neurosciences montrent que les connexions synaptiques se modifient constamment (plasticité cérébrale), permettant l’émergence de nouvelles associations d’idées. Les neurotransmetteurs comme la dopamine (liée à la curiosité et à la récompense) stimulent la créativité et la génération d’idées (mais qui peut contrôler la formation de dopamine ?). Les idées surgissent souvent de façon spontanée via le réseau par défaut (Default Mode Network), actif lorsque l’esprit "divague", par exemple lors de moments de repos ou de rêverie. Les idées ne viennent pas de nulle part : elles sont souvent des recombinaisons de ce que nous avons déjà vécu ou appris, le produit d’un mélange complexe entre biologie (activité cérébrale), expérience (mémoire, apprentissage), environnement (culture, interactions) en passant par le tamis de la non-conscience avant de rejoindre la conscience. Elles surgissent comme des étincelles, souvent imprévisibles : Eureka ! Aucune trace de libre arbitre dans tout ceci puisqu'on ne choisit pas librement ses idées.
On se dit souvent qu'on aurait dû faire ceci ou cela... mais on n'en a pas eu l'idée sur le moment... et on s'en veut, ce qui est une autre ineptie : comment se reprocher de ne pas avoir eu telle ou telle idée puisqu'on n'exerce aucun contrôle sur la survenue de nos idées !

L'idée est arrivée : qu'en faire ? Une délibération plus ou moins longue se met en place avec des considérations soupesant - lors d'une délibération sur une sorte de paperboard psychique - les plus et les moins afin de former (ou non) une intention et une action ciblant... une meilleure survie au sens très large. Cette délibération ne fait que mettre en jeu les mêmes éléments que ceux vus précédemment : génétiques, environnementaux et statistiques notamment Bayésiennes (voir ci-dessous "Le cerveau statisticien : la révolution Bayésienne en sciences cognitives" dans cette vidéo de Stanislas Dehaene).


Dans une démarche naturaliste/matérialiste, rien n'est surprenant dans ces constatations. Les merveilleuses tribulations du cerveau nous font bien souvent prendre des vessies pour des lanternes comme en témoignent notamment les"post-vérités" et les dizaines de biais cognitifs dont nous usons au quotidien... sans en prendre conscience, justement.

Mais des résultats qui ne peuvent être acceptés par un spiritualiste pour qui la volonté est nécessairement libre et consciente, et non "fabriquée" en amont par un "non conscient" quelconque. 

Sur cette question comme bien d'autres, les religieux sont vent debout contre la vision scientifique au point de remettre sur la table la dualité, voire la physique quantique qui validerait la possibilité du libre arbitre, jusqu'à des sorties du type :

"Le mystère de l'Homme est incroyablement diminué par le réductionnisme scientifique et sa prétention matérialiste à rendre compte du monde de l'esprit en termes de simple activité neuronale. Une telle croyance ne peut être considérée que comme une superstition" (Evolution du cerveau et création de la conscience - p. 322 - J.C. Eccles prix Nobel de médecine - 1992 - Fayard). 

Cet auteur passe de la conscience à l'âme, et de l'âme à Dieu. La boucle est bouclée (à propos de l'âme : Ame ?). Il est toujours réjouissant (ou consternant) de constater que les spiritualistes croyant dans un dieu qu'ils n'ont jamais pu mettre en évidence traitent les scientifiques de superstitieux ! Voici l'étendue ci-dessous du désastre intellectuel : 

Le chercheur et docteur en neuroscience Björn Brembs résume de façon nettement plus crédible :

« Aujourd’hui, le concept métaphysique de libre arbitre est largement dépourvu de tout support, empirique ou intellectuel (...) Bien sûr, tous ces neurobiologistes ont raison de dire que le libre arbitre en tant qu’entité métaphysique est très probablement une illusion. L'usage familier et historique du terme « libre arbitre » a été inextricablement lié à l'une ou l'autre variante du dualisme ».* 

Petite anecdote montrant les résistances à accepter cette idée que nous sommes des êtres biologiques gouvernés par les mêmes lois naturelles que le reste de l'univers. Lors d'une colloque mené par J.P. Changeux, une question lui est posée par la salle suite à son exposé : que fait-il donc du concept de libre arbitre dont il n'a parlé à aucun moment ? Le scientifique s'en est sorti avec quelque chose comme "il n'est pas interdit d'y croire"... Je lui ai demandé par la suite pourquoi il n'avait pas répondu plus précisément à cette question, lui qui a écrit par ailleurs dans son ouvrage « L’homme neuronal » (Fayard - 1983) :

« Pour le neurobiologiste que je suis, il est naturel de considérer que toute activité mentale, quelle qu’elle soit, réflexion ou décision, émotion ou sentiment, conscience de soi…est déterminée par l’ensemble des influx nerveux circulant dans des ensembles définis de cellules nerveuses, en réponse ou non à des signaux extérieurs. J’irai même plus loin en disant qu’elle n’est que cela. »

Il m'a répondu qu'il aurait été beaucoup trop difficile d'exposer ses idées sur le sujet, tant les présupposés profanes pro-libre arbitre étaient ancrés... Dommage.

Mais il faut savoir que les résistances spiritualistes concernant l'existence du LA sont apparemment invincibles si l'on tient compte des publications scientifiques comme celle-ci :

"Certaines recherches suggèrent que le comportement moral peut être fortement influencé par des caractéristiques triviales de l’environnement dont nous n’avons aucune idée. Des philosophes, des psychologues et des neuroscientifiques ont soutenu que ces résultats remettent en cause nos notions de bon sens d’agence et de responsabilité, qui mettent toutes deux l’accent sur le rôle du raisonnement pratique et de la délibération consciente dans l’action. Nous présentons les résultats de quatre études ... (N = 1 437) conçues pour examiner la façon dont les gens pensent aux implications métaphysiques et morales des découvertes scientifiques qui révèlent notre sensibilité à l’automatisme et aux influences situationnelles. Lorsqu’on leur présente des récits ... sur ces découvertes, les participants ne montrent aucune tendance à changer de jugement sur la liberté et la responsabilité par rapport aux groupes témoins. Cela suggère que les gens ne semblent pas disposés à adopter des attitudes sceptiques à l’égard de l’agence sur la base de ces découvertes scientifiques."***

Face à l'évidence, nous restons pourtant attachés - pauvres humains - à nos conceptions erronées. Essayez donc de convaincre un platiste que la Terre est ronde alors que des religieux Hindous, donc des "savants",  ont rapporté sa vraie structure spatiale il y a plus de 2000 ans déjà : 4 éléphants, une tortue et un serpent.


















Dan Gilbert, professeur de psychologie à Harvard avance que nous sommes dotés d’un « système immunitaire psychologique » qu’il définit comme un "système de processus cognitifs (…) qui nous permet d’altérer notre vision du monde afin de nous réconforter face aux situations que nous vivons" : un équipement de l'évolution permettant une dissonance cognitive capable de nous convaincre de n'importe quoi pour le meilleur (bonheur) comme pour le pire (les noirs valent moins que les blancs) => voir Dan Gilbert (possibilité d'obtenir les sous-titres en français en cliquant sur l'icône juste avant la roue dentée en bas à droite de l'écran)

Certains pourraient croire qu'il n'est pas bien dangereux de croire en une Terre plate portée par trois étages animaliers. Pourtant, la multiplication de "croivances" hors sol, allant dans toutes les directions (fake news, théorie du complot etc.) sous prétexte qu'il n'y aurait pas de "vérité", c'est l'assurance de conflits permanents en l'absence d'un socle social commun. 
Si tout peut être vrai, alors plus rien ne l'est.

Reste à comprendre à quoi peut bien servir cette "sensation" de volonté libre - que chacun ressent - amenant à une croyance en un libre arbitre "ontologique" dans le cade de l'évolution culturelle humaine. Plusieurs hypothèses sont avancées : la perception de la liberté de choix peut encourager une plus grande flexibilité comportementale, ce qui permet aux individus de s’adapter à des environnements changeants et de prendre des décisions qui maximisent leurs chances de survie et de reproduction. Croire en la volonté libre peut renforcer la motivation personnelle et le sens de la responsabilité. Les individus peuvent être plus enclins à entreprendre des actions positives et à éviter des comportements nuisibles s’ils se sentent maîtres de leurs décisions. Langage et communication apportent une certaine maîtrise sur notre environnement, et donc sur nos comportements. Grâce au langage, nous sommes capables d’articuler nos pensées et actions sur le long terme avec un objectif souhaité... mais ce n’est pas un « libre arbitre » pour autant.

La notion de responsabilité personnelle (à ne pas confondre avec la culpabilité) est cruciale pour le fonctionnement des sociétés humaines. Elle sous-tend les systèmes de justice et de moralité, facilitant la coopération et la cohésion sociale. Enfin, la sensation de contrôle peut réduire le stress et l’anxiété, et augmenter le bien-être. Ces avantages potentiels pourraient expliquer pourquoi cette sensation a persisté et s’est développée au cours de l’évolution humaine mais il est nullement question de supprimer cette sensation, qui est, de toute façon irrépressible à l'exception de certaines pathologies (dépression...).

Prenons une analogie : certains ont avancé que la domination de l'homme sur la femme à travers les siècles aurait pu présenter un avantage évolutif concernant la division du travail basée sur le genre. Les hommes, souvent plus grands et plus forts physiquement, étaient plus aptes à la chasse et à la protection du groupe, tandis que les femmes se concentraient sur la cueillette et les soins aux enfants. Des traits comme l'audace, la prise de risque chez les hommes pouvaient être favorisés en augmentant les chances de succès dans la compétition concernant les partenaires. Dans certaines cultures, la domination masculine pouvait assurer une transmission plus stable des ressources et des connaissances, ce qui pouvait être bénéfique pour la survie et la prospérité du groupe...
Peut-être... Mais les choses ont changé et les évolutions culturelles conjointes philosophiques, psychologiques, scientifiques, morales... font que ces "bonnes raisons" ancestrales de domination homme / femme, citoyen libre / esclave... ne sont plus défendables, sauf pour les "masculinistes" et quelques conservateurs retardataires (https://www.youtube.com/watch?v=0h2UnaD2b1g et https://shs.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2016-5-page-345?lang=fr.). 
Le combat "c'était mieux avant" est perdu d'avance mais certains s'y accrochent comme les courants d'extrême droite machistes type AfD en Allemagne qui préfèrent le bikini au burkini. Vous ne pouvez pas comprendre : c'est de l'humour allemand.

 2025

Pour en revenir à notre sujet, le libre arbitre ontologique - comme la domination homme / femme- , a pu être "utile" pour réguler une société primitive légitimant la punition physique et/ou psychique, la culpabilisation... ; mais tout cet arsenal est devenu caduque et délétère pour les mêmes raisons évolutives culturelles qui questionnent actuellement en profondeur la domination homme / femme. 
D'autant que la "croivance" persistante dans un LA métaphysique (autre que la simple sensation) conduit aux conséquences dramatiques des passions tristes : haine, vengeance, injustices, domination, mépris, punitions et guerres (voir Côté obscur du LA). 

Enfin, la société peut (doit !) être régulée d'une autre manière (voir Que faire ?).

Sur le fond, le philosophe Miguel Espinoza peut conclure très justement :

"Un autre exemple de la cohérence de la métaphysique selon laquelle la nature est un réseau compact et continu de causes multiples et variées est l'absence de liberté."**

Certains diront que ce n'est pas parce qu'on ne voit que des cygnes blancs (lois naturelles) depuis toujours qu'un cygne noir (le surnaturel, Dieu, des extraterrestres sur Mars, un libre arbitre "réel" etc.) ne peut pas exister, et que l'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence...

Certes, mais c'est juste une forme de sophisme logique connue sous le nom d'appel à l'ignorance. Ce sophisme se produit lorsque l'on affirme qu'une proposition est vraie (le libre arbitre existe) simplement parce qu'elle n'a pas été prouvée fausse. Comme on sait bien que que prouver l'inexistence de quelque chose est pratiquement impossible, c'est pain béni pour les sophistes de tout poil. Si l'on s'accroche indéfiniment à l'idée que l'absence de preuve n'est jamais une preuve de l'absence, on risque de continuer à croire en des choses sans aucun fondement empirique ou logique, même après des recherches approfondies. Cela peut entraver le progrès de la connaissance et encourager la pensée non critique.

Finalement, quel serait le statut d'un LA échappant aux lois de la nature, au déterminisme comme à l’indéterminisme ? 

Une "croivance" ?

Une entité surnaturelle ? 

Un miracle ?

Le neuroscientifique Stéphane Charpier est des plus clairs dans ce podcast
La physicienne quantique Sabine Hossenfelder fait le point dans la 1ère vidéo ci-dessousle Pr de biologie Robert Sapolsky dans la deuxième et la neuroscientifique Thalia Wheatley dans la dernière. 

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[1] « The Lucretian swerve: The biological basis of human behavior and the criminal justice system » - https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.0915161107

[2] Stochastique : traitement des données statistiques, par le calcul des probabilités

[4] Les termes d’éthique et de morale ont longtemps été synonymes. Aujourd’hui la morale renvoie à l’idée de devoir, l’éthique à l’idée de décision. La morale dicterait le devoir sans hésitation et sans exception. L’éthique, soucieuse des conséquences parfois imprévisibles d’une décision à prendre dans une situation comportant des déterminations multiples, insiste sur l’idée de choix et de responsabilité.

*"Towards a scientific concept of free will as a biological trait: spontaneous actions and decision-making in invertebrates" 

**https://www.academia.edu/105450436/La_continuit%C3%A9_causale_de_la_nature?email_work_card=view-paper

*** Commonsense morality and the bearable automaticity of being - sep. 2024

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous