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Philosophie "expérimentale"

Il existe depuis quelques années une nouvelle approche sur la question du Libre Arbitre, celle de la "philosophie expérimentale" s’inspirant de la méthode des sciences cognitives.

Les philosophes expérimentaux font le pari que le sens commun a une incidence sur les questionnements philosophiques « classiques ». Pour eux, la question n’est pas de savoir si le Libre Arbitre existe ou non, mais de savoir ce « qu’en pense le commun des mortels » ; et, partant de ces avis (croyances), ils envisagent de refonder une pensée plus pertinente que celle qualifiée - avec une once de perfidie - de « philosophie de fauteuil »... 


... par ces « nouveaux » philosophes expérimentaux, qui ne s'assoient sans doute jamais. Selon ces derniers, en l’absence de références à l'expérience « réelle », la plupart des « vieux » philosophes auraient mouliné à vide pendant plus de deux mille ans ! Rien que ça !!
Que cette philosophie expérimentale se veuille scientifique est une bonne nouvelle. Qu’elle y parvienne est une autre histoire : cette nouvelle "branche" de la philosophie n’est pas sans poser quelques problèmes conceptuels et méthodologiques[1]
Pour le professeur de philosophie et de sciences cognitives Kirk Ludwig :

« La méthode d'enquête pour mener des expériences de pensée philosophique n'est pas sans valeur mais se heurte à des difficultés méthodologiques considérables et ne représente pas une méthode supérieure aux méthodes traditionnelles de la philosophie. »[2]

D’autres se demandent à quoi d'autre - en dehors d’une l'amélioration de la pédagogie philosophique - cette philosophie expérimentale serait-elle « bonne » ? Elle ressemble à s’y méprendre à de la psychologie sociale ou cognitive ; pas à de la philosophie.

Mais bon. Regardons de plus près cette approche philosophique particulière. Cherchant à comprendre ce que nous entendons par « liberté de la volonté » et « Libre Arbitre », ces nouveaux philosophes ont donc enquêté auprès d’un large public. Ils ont découvert sans surprise que la plupart des gens ont une conception compatibiliste de la liberté, c’est-à-dire qu’ils admettent certes l’existence de déterminants, mais ces déterminants seraient compatibles avec une liberté de la volonté ce qui légitimerait la culpabilité car « on pourrait faire autrement que ce qu’on a fait ». Il existe une longue tradition philosophique de ce compatibilisme depuis notamment les stoïciens il y a plus de 2000 ans.

Une formule résume assez bien ce point de débat : les compatibilistes sont matérialistes jusqu'au cou et spiritualistes au-dessus. Ou encore, les compatibilistes sont déterministes concernant tout l’univers - dont le corps humain, les animaux, les végétaux etc. -, mais libertariens juste pour la pensée humaine (voir Moi, moi, moi... Ayn Rand) .

Mais, comme l’énonce clairement Olivier Collard-Bovy, docteur en sociologie et agrégé de psychologie :

« Défendre, conjointement, la thèse du déterminisme et celle du libre-arbitre - c’est-à-dire deux conceptions métaphysiques se niant mutuellement - revient à vouloir défendre un postulat et sa négation, ce qui constitue indubitablement une ineptie au sens logique. Qu’autant d’efforts soient déployés pour tenter de soutenir celle-ci est difficilement compréhensible, à moins de considérer la velléité compatibiliste non pas comme la thèse métaphysique qu’elle prétend être, mais plutôt comme un stratagème - un subterfuge, pour employer le mot de Kant - dont le seul objectif, qui se lit, d’ailleurs, en filigrane de toute la défense compatibiliste, est d’instituer - et, ce faisant, de légitimer - la responsabilité morale d’un agent que les libertariens sont seuls à considérer comme véritablement doué de libre-arbitre » (...) Mais pourquoi les compatibilistes persistent-ils à produire des principes de justice illogiques et incohérents, donc foncièrement injustes ?»[3].

Excellente question !

Même auteur, même pertinence :

« La persévérance de nombre de philosophes épris de liberté, puisque ceux-ci tentent, dans une manœuvre aussi désespérée que populaire, de réintroduire, dans leurs théories de la justice le libre-arbitre sous une forme frelatée mais compatible, selon eux, avec la métaphysique déterministe. Ces auteurs (compatibilistes) cherchent ainsi, par des moyens qui souvent défient la logique, à établir que la liberté socio- anthropologique (i.e. la liberté pratique) et, avec elle, la responsabilité morale peuvent exister dans un univers déterministe, c’est-à-dire dans un univers au sein duquel l’individu n’est pas causalement responsable de ses actes. »

Mais revenons à notre philosophie expérimentale. Dans une étude, les scénarii proposés aux participants (profanes) sont par exemple du type : un homme doit tuer quelqu’un sous contrainte absolue. Dans ce cas les participants ont considéré majoritairement que l’individu « strictement déterminé » à tuer... aurait pu ne pas tuer. Etonnant, non ? Ou bien la méthodologie de ces études pose problème, ou bien c’est le « sens commun » qui n’a pas bien compris l’antagonisme formel, l’incompatibilité entre détermination stricte et liberté de la volonté. Comme le souligne le philosophe Tamler Sommers concernant la difficulté de ce type d’étude :

 « Le défi de décrire le déterminisme à des sujets peu familiers avec le concept est pour le moins intimidant. La description doit : (1) rendre le déterminisme suffisamment saillant, mais (2) ne pas déclencher d'interprétations fatalistes, ou (3) poser des questions sur la façon d'interpréter des mots comme « peut » et « possibilité » et des termes comme « devait arriver ». On peut au moins soutenir que fournir une description non biaisée et non technique du déterminisme en une demi page est une tâche impossible[4]

Quand on voit toutes les difficultés et objections rencontrées lors de l’exposition de la thèse d’un déterminisme strict, une demi page afin de mettre au clair 2000 ans de questionnements philosophiques et scientifiques paraît effectivement une démarche... quelque peu osée. 

On ne naît pas déterministe (scientifique), on le devient.

Une étude montre d'ailleurs que :

"La philosophie expérimentale du libre arbitre a révélé que les réponses des individus au débat sur le libre arbitre varient : elles dépendent de la description de l'expérimentateur, de la compréhension du déterminisme par le participant, et même de facteurs tels que les caractéristiques personnelles des participants. De toute évidence, les intuitions populaires n'ont pas été pleinement découvertes, et il existe de nombreuses possibilités quant à leur nature réelle (ou leur existence)."

Une autre étude (méta-analyse) montre les limites des « manipulations » des cobayes concernant la croyance dans le libre arbitre ou le déterminisme :

« Nous montrons que l'exposition des individus à des manipulations anti-libre arbitre diminue la croyance au libre arbitre (...) et augmente la croyance au déterminisme (...) Nous trouvons peu de preuves de l'idée que la manipulation de la croyance au libre arbitre a des conséquences en aval après avoir pris en compte le petit échantillon et le biais de publication. Ensemble, nos résultats ont des implications théoriques importantes pour la recherche sur les croyances du libre arbitre et contribuent à la discussion sur la question de savoir si la réduction de la croyance des gens au libre arbitre a des conséquences sociétales. »[5]

Il est certain que si les cobayes de ces études n’ont pas la possibilité de cerner avec précision le sujet, les résultats seront très probablement biaisés. Par exemple, il peut exister une confusion entre la notion métaphysique, ontologique (philosophique) de liberté de la volonté (Libre Arbitre) et la notion psychologique. Cette erreur apparaît dans nombre d’arguments compatibilistes. Ils détournent le sens de la discussion de « est-ce qu’un agent est libre » vers « est-ce qu’un agent pense qu'il est libre ». Après cette distorsion, ils définissent une action libre comme une action sans aucune contrainte externe. Mais dans ce cas, le critère de l'action libre a changé : on n’est plus dans « ma volonté (sa genèse) est-elle libre », mais plutôt dans « suis-je libre d’exercer ma volonté sans contrainte externe », ce qui n’a strictement rien à voir puisque l’on disqualifie alors les contraintes internes pourtant bien présentes. 

En simplifiant, on pourrait reformuler en différenciant « liberté de penser » - soit la liberté ontologique / philosophique, c’est-à-dire le commencement d’une série causale - et « liberté de faire » ceci ou cela (liberté d'exercice de la volonté) qui est seconde par rapport à la liberté de la volonté.

Même pour certains philosophes expérimentaux, il semble qu’il y ait confusion entre ces deux concepts de liberté puisque l’un d’entre eux, fervent partisan d’un LA « réel », conclut[6] :

« Autrement dit, pour vous et moi, il n’y a pas de contradiction entre les résultats des expériences de Libet (voir Libet...) et notre conception ordinaire du Libre Arbitre. Voilà qui pourrait bien donner du fil à retordre aux adversaires déclarés du Libre Arbitre, dont les démonstrations se révèlent philosophiquement impuissantes à réfuter le sens commun. »

Ah bon ? N’y aurait-il pas une petite manipulation dans le «pour vous et moi » ? Il est périlleux de vouloir m’associer de force, en tant que lecteur, à ce qui est pour moi, justement, une grossière erreur. Par ailleurs, la charge de la preuve ici est à nouveau indûment déversée sur les sceptiques du LA alors que ce sont les partisans du LA qui devraient apporter des éléments de preuve ; et des preuves très fortes étant donné le caractère hautement surnaturel de leur conviction. Enfin, si l’on remplaçait, suite à un sondage favorable à la peine de mort[7], « Libre Arbitre » par « peine de mort », on aurait :

« Voilà qui pourrait bien donner du fil à retordre aux adversaires déclarés de la peine de mort, dont les démonstrations se révèlent philosophiquement impuissantes à réfuter le sens commun. »

Remplacez « la peine de mort » par « Dieu » suite à un sondage en Pologne[8], et nous aurons un autre exemple de l’ineptie philosophique de l’argument.

Remplaçons une fois pour toute la philosophie par des sondages Ipsos

Pendant des années, les philosophes expérimentaux ont tenté de discerner si les profanes déclaraient le Libre Arbitre compatible avec une compréhension scientifiquement déterministe de l'univers, mais aucun consensus n'a pu émerger. Une étude[9] fournit une explication potentielle :

« Les gens sont fortement motivés pour préserver le libre arbitre et la responsabilité morale, et n'ont donc pas de notions stables et logiquement rigoureuses du libre arbitre (...) Ces résultats suggèrent que les profanes n'ont pas d’intuition quant à savoir si le libre arbitre est compatible avec le déterminisme. Au lieu de cela, les profanes rapportent que le libre arbitre est compatible avec le déterminisme lorsqu'il s'agit de défendre la responsabilité morale. »

Toujours l’argument de la conséquence (voir L'argument de la conséquence : conséquent ?). Il faut pouvoir punir, donc il faut croire au LA « réel ». Et toujours la confusion entre responsabilité (qui a fait quoi et doit en répondre) et culpabilité (il aurait pu faire autrement).

Par ailleurs le « sens commun » n'a jamais été gage de vérité, et celle-ci, pas plus que la « réalité », ne se vote ni se sonde autrement que pour connaître le sens commun qui pense de façon "évidente" que l'enclume et la plume tombent plus ou moins vite du fait de la gravité et de leur poids respectifs... alors que la différence n'est due qu'à la résistance de l'air. 

La plupart des questions philosophiques et scientifiques se battent justement contre ce sens commun souvent bien souvent erroné. Les grandes découvertes sont toujours en contradiction avec notre intuition, sans quoi elles seraient simplement des évidences partagées par tous, sans aucune nécessité d’investigation...

La question du Libre Arbitre entre dans cette catégorie (voir Libre Arbitre : KESAKO ?).


[1] « The Rise and Fall of Experimental Philosophy » - Kauppinen - Philosophical Explorations 10 (2), pp. 95–118.- 2007 - https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13869790701305871 / « Survey-Driven Romanticism » - Cullen - European Review of Philosophy 1:275-296 -2010 - https://www.researchgate.net/publication/226826157_Survey-Driven_Romanticism

[2] « The Epistemology of Thought Experiments: First vs. Third Person Approaches » - Ludwig - Midwest Studies in Philosophy. 31:128-159. – 2007

[3] « L'institution du libre-arbitre : critique sociale du jugement métaphysique » - Olivier Collard-Bovy, docteur en sociologie et agrégé de psychologie - https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:133753

[4] « Experimental Philosophy and Free Will » - Philosophy Compass 5/2 (2010): 199-212 - https://uh.edu/class/philosophy/people/sommers/experimental%20phil%20and%20free%20will.pdf

[5] « Meta-analysis on belief in free will manipulations » - 2021 - https://www.sciencegate.app/document/10.31234/osf.io/quwgr

[8] Environ 93 % des polonais seraient « croyants » - https://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_en_Pologne

[9] « Forget the Folk: Moral Responsibility Preservation Motives and Other Conditions for Compatibilism » - 2019 - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30792683/

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Une Liberté à géométrie variable

Liberté, Liberté chérie !

Vaste sujet. 

La liberté est un concept fondamental qui a été au cœur de nombreuses réflexions philosophiques, politiques et sociales tout au long de l'histoire. Elle est souvent considérée comme l'un des droits les plus précieux de l'humanité, car elle permet aux individus de prendre des décisions, d'agir et de vivre leur vie de manière autonome.

Il n'est guère possible de faire autre chose que d’effleurer ce concept, tant cette question de la liberté humaine est - tout d'abord - au centre des systèmes philosophiques classiques. Au sens philosophique courant, la liberté est « perçue comme l'absence de contrainte (liberté "politique") qui accompagnerait la conscience d'un pouvoir indéterminé (libre arbitre / liberté de pensée) et la capacité d'un commencement absolu (sans cause précédente, causa sui). » 
Ce serait, comme nous le propose Nietzsche, la possibilité illusoire - selon les lois naturelles - de se hisser hors de l'eau en se tirant sur les cheveux.
Soit un mélange gloubi-boulga difficile à digérer en l'état (voir Le Libre Arbitre : QUEZAQUO ?)

Question liminaire : dans ce conflit que nous avons déjà évoqué entre déterminants et liberté, si nous annulons par une expérience de pensée les déterminants de l’équation, que se passe-t-il ? C’est la fameuse fable attribuée au philosophe Buridan et son âne : cet âne a « strictement » aussi faim que soif et se trouve à une distance « strictement » équivalente d’un seau d’avoine d’un côté, et d’un seau d’eau de l’autre. Les déterminants étant strictement les mêmes, il ne reste plus que l’exercice de sa « liberté ». Quel seau choisir ? Va-t-il se laisser mourir de faim et de soif car il ne peut choisir une voie plutôt que l’autre ? C’est ce qu’on appellera la liberté d’indifférence chère à Molina[1] et que Descartes désignera comme le « degré zéro de la liberté » (sans rejeter pour autant cette liberté d’indifférence). On remarquera que s’il existe pour Descartes un degré zéro de la liberté, c’est qu’il existerait différents degrés de liberté (degré 1, degré 2 etc.), plus ou moins « efficients ». Mais Descartes - pas plus que les autres philosophes de la volonté libre - ne va jusqu’à révéler une échelle de mesure qui nous serait pourtant bien utile. Cette expérience de pensée asinienne est de toute façon extrêmement fumeuse dans la mesure où la soif et la faim ne peuvent être de force identique. Et même à force identique initialement, l’hésitation sera courte car la soif va rapidement l’emporter du fait des besoins en eau plus prégnants du point de vue biologique que les besoins en nourriture. Et même s’il commence par l’avoine, rien n’empêche cet âne d’aller se désaltérer ensuite. Où l’on constate que tenter d’annuler les déterminants est une entreprise bien stérile, et qu’il faudrait de nouveaux déterminants plus forts pour contrer les précédents.

De son côté, un jésuite théologien Gabriel Vazquez[2] n’hésite pas à affirmer que l’indifférence de la volonté suffit à fonder la liberté car...

« même si une chose est présentée avec vérité comme bonne, la capacité que j’ai de ne pas la choisir garantit ma liberté. »

Je peux savoir qu’une chose est bonne, comme arrêter de fumer ; et pourtant je peux ne pas choisir ce qui est bon et continuer de fumer : c’est bien la preuve que je suis libre nous dit Vazquez. Mais il ne savait pas à l’époque que l’on peut tout à la fois être convaincu que fumer est dangereux, et pourtant continuer de fumer du fait de déterminants biologiques internes de la dépendance (multiplication des récepteurs à la nicotine) que l’on ne contrôle pas aussi facilement. Est-on si « libre » que ça de s’arrêter de fumer, de boire, de jouer frénétiquement à la roulette etc. ? Que fait Vazquez du circuit de la récompense au cœur de nombre de nos comportements, même les plus irrationnels, suicidaires comme criminels?

Pour Emmanuel Kant, on ne peut pas démontrer que l’humain est libre, comme on ne peut pas démontrer qu’il n’est pas libre.

Ainsi...

« Il n’y a pas de liberté, dit l’étude scientifique de la Nature et de toute réalité empirique, car les choses ne sont connaissables que pour autant qu’elles sont soumises à la nécessité de la légalité naturelle. Toute connaissance nouvelle restreint encore la liberté (...) On ne peut pas démontrer que l’humain est libre, comme on ne peut démontrer qu’il n’est pas libre. »[3]

Mais les deux parties de cette dernière assertion ne sont pas symétriques. On ne peut généralement pas démontrer l’inexistence de quelque chose : la charge de la preuve n’est pas de ce côté. Par ailleurs, l’affirmation de l’existence d’une volonté libre ontologique nécessiterait de robustes preuves ! Poursuivons avec le joyeux drille de Königsberg :

« La liberté existe par le fait du devoir qui dit ce qui est bien ou mal et donc, ou bien la Nature n’a pas de cohésion causale irrémédiable (i.e il y aurait des « trous » dans la causalité) ou la responsabilité est une illusion. »[4]

Alors qu’il doute très nettement de la réalité d’une liberté de la volonté, Kant opte tout de même pour l’existence de cette même liberté car l’être humain se caractérise par un comportement éthique. Et, pour qu’un comportement éthique soit possible (choix entre Bien et Mal), l’être humain doit être libre. 

Na, un point c'est tout ! 

Ce qui n'est pas l'avis du philosophe déterministe Bruce Waller :

« Entamer la réflexion philosophique sur le concept de Libre Arbitre avec l’idée selon laquelle celui-ci doit justifier absolument la responsabilité morale, c’est à peu près aussi pertinent que de soutenir que la recherche des origines de notre espèce doit justifier une supériorité morale des humains sur les autres animaux ou que notre enquête sur les aspects biologiques et psychologiques de la différence entre les sexes doit adhérer à l'hypothèse selon laquelle les femmes devraient être au service des hommes."

En effet, il faudrait montrer que le choix éthique est libre de tout déterminant... alors que la coopération qui l'emporte sur la trahison en terme de survie (voir Un sacré dilemme pour la "Morale" !) est précisément un formidable déterminant de nos lois communes. En particulier, le choix du mal systémique / systématique aboutirait à la disparition des "traîtres", donc de tous. La guerre pour un oui ou un non remplirait les cimetières, définitivement. 

C'est ce qu'ont subi les Anasazis, les Mayas, les Khmers, les Olmèques, les Rapa Nui, les Assyriens... tous disparus pour ne pas avoir suffisamment pris en compte l'impératif de coopération que l'on peut assimiler à une loi du vivant et de la nature. Ne restent que les "plutôt gentils" que nous sommes globalement quand on voit à quel point les individus de notre espèce sont capables de vivre spontanément les uns sur les autres, ce qu'aucune autre espèce ne supporterait, sauf par la contrainte justement (batteries d'élevage...).

Et puis, il y a le chantre de la liberté absolue, irrémédiable, constitutive de la "nature" humaine : Jean-Paul Sartre qui reviendra cependant au soir de sa vie sur cette vision idéaliste de sa jeunesse (voir Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis). Ce qui n'empêche pas les professeurs de philosophie de continuer à asséner sans vergogne la "liberté sartrienne absolue".

L'analyse la plus fine est probablement celle de l'écrivain-philosophe Paul Valéry :

« La liberté, c'est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu'ils ne parlent, qui demandent plus qu'ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique ; mots très bons pour la controverse, la Dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fin de phrases qui déchaînent le tonnerre. »

On pourrait ainsi allonger sans grande difficulté la liste des positions et autres citations sur la liberté tant le sujet enflamme les esprits.
Et l'on a bien raison d'y tenir quand on a vu et voit toujours tant d'humains sous le joug de pouvoirs totalitaires, fascisants, tyranniques. Mais de quoi parle-t-on plus précisément ?

Le sens commun du mot concerne la faculté de se déplacer, d'entreprendre, de choisir son mode de vie, d'expression, de confession, d'association, en permettant de subvenir à ses besoins matériels, affectifs, culturels, artistiques etc. Soit une liberté synonyme d'absence d'entrave quelle qu'elle soit, ce que nous dit à peu près le philosophe John Locke : 
"la liberté est la possibilité de faire ce que l'on veut, sans être contraint par les autres".

Qui est contre ? Personne, et surtout pas les jeunes iraniennes... notamment. 
A condition toutefois de la borner : la liberté de conduire "bourré" n'est pas une liberté mais un délit. Le retrait du permis de conduire à un individu présentant un défaut de champ visuel (glaucome...) n'est pas une sanction ou une entrave à sa liberté, mais une précaution indispensable pour lui-même et les autres. 

La liberté ne peut être absolue en société. Nous voulons la liberté relative la plus large possible sachant qu'elle est finalement bien étroite du fait des milliers de déterminants qui l'encadrent : je ne ferai jamais le 100 mètres en moins de 8 secondes ; une visite sur Mars est actuellement impossible, même pour Elon Musk ; nous ne sommes pas éternels et - plus grave encore - mon patron me refuse l'augmentation que je "mérite" etc. Les lois qui interdisent la discrimination ou la violence sont nécessaires pour protéger les droits des minorités, mais elles peuvent également limiter la liberté d'expression ou d'association.

Là ou le sujet se complique, c'est que les contraintes ne sont pas uniquement "externes". Si l'on reprend John Locke et sa liberté comme "possibilité de faire ce que l'on veut, sans être contraint par les autres", on omet la question de fond qui est de savoir si cette volonté est elle-même libre de toute détermination interne. C'est bien ici la question du libre arbitre : la volonté, la pensée, la conscience... sont-elles libres ou déterminées par les lois naturelles. 
Ma réponse - comme celles de quelques scientifiques et philosophes - est : non. Volonté, pensée et conscience ne sont pas "libres" (voir Libre arbitre : KEZAKO ?).

Autrement dit, la volonté de pouvant être "libre", on ne voit pas très bien comment les actions "volontaires" pourraient l'être. Et malgré ce que nous laisse entendre le grand, l'immense Spinoza, ce n'est pas la connaissance de nos déterminations qui peut mener à une sorte de liberté absolue mais plutôt à une meilleure autonomie, toujours dans le cadre de la survie.

Finalement, le concept de Liberté - comme celui de la Justice - est à géométrie variable selon les normes sociales du moment et du lieu.


Cette liberté qui penche un peu du côté droit - notamment dans une définition extensive de liberté d'expression - est mise à l'honneur aux USA depuis la prise du pouvoir par Trump, Vance, Musk, Zuckerberg, Bezos... Il faut dire qu'elle constitue le premier amendement de la constitution des USA :

« Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu'a le peuple de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation de torts dont il se plaint. »

Cette liberté d'expression est donc le droit de communiquer ses pensées, ses opinions et ses idées sans crainte de censure ou de répression. Elle est inscrite dans de nombreuses constitutions à travers le monde et est considérée comme un pilier de la démocratie. Fort bien.

Le problème est que si la liberté d'expression est l'un des droits les plus fondamentaux de la démocratie, elle est également l'un des plus complexes et des plus controversés. Elle permet certes aux individus de s'exprimer librement sans crainte de censure ou de répression, mais elle s'accompagne également de responsabilités et de limites. 

D'un côté, la liberté d'expression présente de nombreux avantages, notamment la promotion de la démocratie, l'innovation et la protection des droits de l'homme. Par exemple, elle permet aux citoyens de participer activement au débat public, de critiquer le gouvernement et de proposer des idées nouvelles. Cela favorise la transparence et la responsabilité des dirigeants.

Cependant, la liberté d'expression a également des inconvénients, tels que la propagation du discours de haine et de désinformation. Les propositions racistes, sexistes ou homophobes peuvent causer des dommages considérables aux individus et aux communautés. De plus, la désinformation (fake news...) peut manipuler l'opinion publique (suppression du fact-checking sur Facebook et X... voir "Liberté d'expression"), et nuire à la cohésion sociale comme dans ce point Godwin... à moins que ce ne soit plutôt le salut fasciste romain puisque Musk a changé son nom pour KEKIUS MAXIMUS... durant quelques jours) :

Certains veulent croire que ce n'est que l'actualisation des gestes barrières contre la grippe, la COVID ou autre pandémie... En tout cas pas la peste brune.

Quoiqu'il en soit, il est nécessaire de trouver un équilibre entre la liberté d'expression et les responsabilités qui l'accompagnent. Ce qui nécessite une analyse approfondie des implications de la liberté d'expression sur la sécurité nationale, la créativité et l'innovation.

Tout en affirmant la liberté d'expression, l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du  Citoyen en pose les limites : "tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".

Selon la Cour européenne des droits de l'Homme, la liberté d'expression peut être limitée pour des motifs :

  • d'intérêt général, comme la sécurité nationale, la sûreté publique ou encore l'intégrité du territoire ;
  • relatifs au devoir de réserve qui pèse sur les agents publics (exigence d'un certain niveau de neutralité des agents de la fonction publique dans l'expression de leurs opinions) ;
  • de protection de droits de la personnalité visant à éviter toute diffamation, discrimination ou atteinte excessive à la vie privée d'autrui ;
  • de protection de certains documents, notamment ceux relatifs au secret de la défense nationale ou encore certains documents confidentiels sur des affaires judiciaires en cours.

Finalement, étrange liberté promue par certains qui se transforme en contraintes pour d’autres :

  • Liberté (Libre Arbitre) que Dieu aurait donnée à l’Humain pour faire le bien ou le mal... avec punition des enfers si le choix est « mauvais », et mise à mort de toute façon quel que soit le choix - bon ou mauvais - puisqu’Adam et Eve ont mangé la pomme ! Mais quelle est donc notre « responsabilité / culpabilité » dans ce chapardage fructivore ?
  • Liberté d’embrigader les cerveaux des enfants dès que possible avec des concepts surnaturels, religieux pour la plupart, en prenant bien soin de réprimer tout sens critique (voir "Religions et enfants").
  • Liberté du port d’armes aux USA (deuxième amendement*), même en dehors du domicile, et ce au mépris des séries ininterrompues de fusillades meurtrières avec 45.222 tués par armes à feu en 2020[5] et plus de 163.000 depuis 2014. Liberté des uns ; morts des autres.
  • Liberté d’exploiter ici comme à l’autre bout du monde les individus - dont des enfants - et les ressources naturelles, avec le moins de règles et limitations possibles, afin d’optimiser les « gains de productivité », et surtout les marges que l’on pourra confisquer[6]
  • Liberté de prendre à la gorge et de racketter les plus faibles (minerais ukrainiens, déportation envisagée des Gazaouis pour s'accaparer le territoire et y bâtir des immeubles de luxe ! etc.)

  • Liberté de diffuser massivement de fausses informations (X etc.) qui se nichent dans nos idées, dans nos croyances, qu'on le veuille ou non : contrairement à ce que pensait John Stuart Mill, rien ne garantit une victoire de la vérité.

  • Liberté de mettre de côté les plus gros profits possibles échappant aux impôts des Etats, eux-mêmes complices de ces détournements puisqu’ils ne suppriment pas les paradis fiscaux comme il est nécessaire.
  • Liberté d’incarcérer à tout va, si possible plutôt les peaux colorées, les pauvres, les malades mentaux, les tatoués comme au Salvador.
  • Liberté de priver les homosexuels de leur liberté de se marier sous prétexte d’un ordre social défendant la famille « naturelle » avec « un papa et une maman » au mépris de toute évolution culturelle.
  • Liberté de déroger aux règles communes en cas de pandémie : "moi d’abord" au détriment de la liberté des autres - dont les plus vulnérables - de rester en vie.
  • Liberté d’empêcher la liberté des autres de s’habiller comme ils le souhaitent.
  • Liberté d’interdire l’euthanasie pour des patients qui souffrent horriblement, dont la demande est pourtant des plus claires, avec des médecins qui n’osent pas administrer de fortes doses d'antalgiques de peur d'être poursuivis...
  • Liberté en revanche de tuer dans d’atroces souffrances un condamné à mort (asphyxie par l’azote durant 29 minutes) en Alabama le 25 janvier 2024, avec en prime un procureur se glorifiant d’une première mondiale dans la façon d’exécuter un humain... alors que de nombreuses sources, y compris le Death Penalty Information Center[7], indiquent que les recherches n'ont pas été concluantes quant à un impact dissuasif de la peine de mort sur le taux de meurtres.
  • Liberté de brider la science et la recherche académique (La recherche "dans un moment orwellien" aux Etats-Unis), de bâillonner les médias comme c'est le cas chez ce libertarien en chef Trump... Sciences et médias indépendants étouffés, soit deux des plus forts piliers d'une démocratie en grand danger. 
  • Liberté d'interdire des dizaines de mots dans les documents officiels de l'administration Trumpienne, notamment ceux liés à des sujets comme la diversité, l'équité, l'inclusion, et les questions environnementales. Par exemple, des termes comme "féminisme", "LGBT", "crise climatique", "non-binaire", et "transgenre" sont proscrits. A quand les autodafés des ouvrages de Darwin, Spinoza, Marx, Freud, Michel Foucault ("Les mots et les choses") et tant d'autres ? Le totalitarisme a ceci de remarquable et d'indigent qui est de croire qu'en supprimant les mots on supprime les idées (voir Changer les mots ou changer la réalité ?)

Une liberté à géométrie variable qui légitime le meilleur comme le pire.

Saviez-vous que la liberté à même sa chaîne TV dédiée ? C'est TVL (TV Libertés) dont le directeur Martial Bild est un ancien du Front National tendance nationale-catholique d'extrême droite pour lequel l'égalité est une « notion dévoyée […] à l'origine d'idéologies qui méprisent la démocratie et sont la source de la misère et de la Terreur" ! Rien que ça.

Chapeautant pour des conservateurs comme Milton Friedman l’ensemble des considérations sur la liberté :

« La liberté protège les chances qu'ont les défavorisés d'aujourd'hui de devenir les privilégiés de demain et, ce faisant, elle permet à presque tout le monde, de la base au sommet, de jouir d'une vie plus totale et plus riche. »[8]

C’est la fable de la chenille rampante qui « décide librement » de devenir chrysalide, avant de décider tout aussi librement de s’envoler papillon... On en oublierait presque que cette évolution naturelle de la chenille est entièrement déterminée et ne fait intervenir à aucun moment une quelconque liberté de la volonté ; il en est de même du reste de la nature dans laquelle les émergences "extraordinaires" sont pourtant la norme (voir L'émergence de LENIA). 

Pour ma part, je reformulerai bien la pensée de Friedman de cette façon : 

« La croyance en la liberté (de la volonté) protège les chances des favorisés en faisant croire à presque tous les malchanceux qu’ils pourraient jouir d'une vie plus totale et plus riche. »

Il n’est pas interdit d’espérer gagner au loto en trouvant un billet par terre, mais l’on sait parfaitement ce qu’il en retourne du point de vue statistique. 

Faire baisser la tête et les yeux des « non méritants » qui espèrent trouver le billet gagnant entre deux pavés n’est pas pour déplaire à ceux qui gardent la tête haute par héritage génétique ou patrimonial.

Si vous aimez les animaux, regardez ce documentaire édifiant sur la liberté animale... qui n'est pas si éloignée de la liberté humaine, tout compte fait... =>  https://librearbitre.eu/static/videos/Fritz.mp4


*« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé. » Voir les circonstances historiques totalement dépassées de cet amendement : deuxième amendement

[1]  « Emmanuel Kant dans « Les grands philosophes » - tome 3 - Karl Jaspers - 1963

[2] « Emmanuel Kant dans « Les grands philosophes » - tome 3 - Karl Jaspers - 1963

[3] « Concordia » - 1588

[4] « Commentaria in Summam Theologiae »

[5] Des millions d'armes étaient en circulation dans la population civile aux États-Unis, soit 120 armes pour 100 personnes, selon le projet Small Arms Survey - https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220623-%C3%A9tats-unis-le-droit-au-port-d-armes-hors-du-domicile-consacr%C3%A9-par-la-cour-supr%C3%AAme

[6] « Cash investigation - Climat : le grand bluff des multinationales » - VIDEO ARTE Youtube - https://www.youtube.com/watch?v=SP5MYeBdxiE

[8] « La liberté du choix » - 1980 - P. Belfond - https://www.audace-afrique.org/attachments/article/44/la%20liberte%20du%20choix%20-%20Friedman.pdf

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Libre arbitre et intention

La notion d'intention est un concept fondamental en philosophie, en psychologie, en justice... abordant pêle-mêle les aspects de la conscience, de la volonté (libre ?), de l'évolution sous toutes ses formes... 

Tandis que l'évolution biologique semble bien se dérouler sans "intention" ni but prédéterminé (en l'absence de l'hypothèse théiste / créationniste impossible à étayer), les humains - fruits de cette évolution "aveugle" - se considèrent pourtant comme des agents intentionnels, avec des objectifs et des désirs. 

Ce qui n'est pas sans poser question : comment un univers "sans intention" pourrait faire émerger une intention animale ou humaine ? J'avoue que ce n'est pas la première question qui vient à l'esprit chaque matin au saut du lit. 

Reprenons. 

L'évolution est un processus de sélection naturelle où les mutations génétiques se produisent aléatoirement. Ces mutations peuvent être avantageuses, neutres ou désavantageuses pour la survie et la reproduction. Les mutations bénéfiques sont sélectionnées et transmises aux générations suivantes. L'évolution ne suit donc pas de plan ou de finalité, mais résulte des interactions entre les organismes et leur environnement. 

Pour ceux qui pourraient en douter : quelques éléments de "preuves" de la théorie de l'évolution dans cette vidéo...

Richard Dawkins, dans "Le Gène égoïste", soutient que les gènes sont "égoïstes" car ils semblent œuvrer pour leur propre survie, mais cela se fait sans intention consciente évidemment.

Petite vidéo de présentation de cette idée lumineuse :

Ainsi, les fossiles montrent des changements progressifs dans les espèces, comme le passage des poissons aux amphibiens, illustrant des adaptations successives sans planification. Les découvertes paléontologiques, comme les dinosaures à plumes qui sont les ancêtres des oiseaux actuels, démontrent en quelque sorte l'absence d'intention dirigée dans l'évolution : cette évolution prend de sacrés détours.

A l'inverse, contrairement aux processus évolutifs, les humains se perçoivent comme des êtres intentionnels. L'intention humaine (Mens rea) pourrait être définie comme un état mental dans lequel une personne se propose de réaliser une action. Ce concept implique des processus cognitifs complexes, incluant la planification, la prise de décision et la direction des efforts vers un objectif.

On pourrait, comme le philosophe John Searle (voir Searle, arc en ciel et... libre arbitre), distinguer les intentions d'action (prévision de ce que nous ferons lors d'une délibération plus ou moins longue) et les intentions en action (intentions présentes lors de l'exécution de l'action). Bof.

Le philosophe Daniel Dennett (voir Dennet et le compatibilisme) examine l'intentionnalité comme la capacité de l'esprit à être dirigé vers des objets ou des états de choses. Il argue que l'intentionnalité est une caractéristique de la conscience humaine, distinguant les humains des autres êtres vivants. Dans ce cas, le lion chasserait-il la gazelle sans avoir l'intention minimale de la manger ? L'intention plus ou moins préméditée d'agresser le premier venu sans raison apparente (pathologie mentale) n'est pas une intention ? Il s'agit pourtant bien d'une intention dite "volontaire" générée par une pathologie, des synapses et des neuromédiateurs "déficients" dans le cadre de nos lois. Il y a bien intention ici mais notre justice - fort heureusement - prononcera l'irresponsabilité en prescrivant des soins plutôt que la punition carcérale. Cette même justice fait bien la différence entre un "banal" accident de la route mortel et l'action "consciente" d'un chauffard écrasant "intentionnellement" un cycliste.

Dans un cas (accident), intention et libre arbitre ne sont pas concernés, alors que dans l'autre cas (meurtre / assassinat) intention et libre arbitre semblent associés... mais se séparent quand il s'agit d'une hallucination psychotique meurtrière...

Clair, non ?

Effectivement, la notion d'intention est intimement liée à celle du Libre Arbitre. Et il existe deux camps opposés sur cette question :

1) Les déterministes, comme par exemple le psychologue B.F. Skinner (père du « behaviorisme radical »), pensent que toutes nos actions - comme celles des animaux - sont causées par des événements antérieurs et les lois naturelles, niant ainsi la véritable liberté de choix comme la notion de volonté "libre" (Libre Arbitre). L'intention ici fait partie de l'arsenal adaptatif  (Psychologie Évolutionniste) permettant de gérer au mieux possible la survie. Le psychologue Geoffrey Miller suggère ainsi que des traits comme la créativité et l'intelligence, qui sous-tendent nos intentions, se sont développés grâce à la sélection sexuelle, car ils attirent des partenaires potentiels. L'animal en fait autant - à un degré certes plus primaire - mais de même nature. L'intention n'est alors que le résultat provisoire des déterminants proximaux et/ou distaux de l'individu ou du groupe. La "mauvaise" intention suivi d'un acte délictueux rend le sujet responsable (= il doit "rendre des comptes") mais non coupable (= pas de punition mais éducation, traitement et éviction sociale si nécessaire => voir Mais alors, sans culpabilité ni punition possible... quefaire ?). Le concept de meurtre "gratuit" sous-entend que meurtrier n'avait aucune "raison", apparemment. Que ce soit un "coup" de folie (voir Un psychiatre sceptique du libre arbitre... à raison !) ou un crime avec préméditation, rien n'est "gratuit" dans tout ceci mais bien plutôt en rapport avec des anomalies cérébrales ou des motivations internes plus ou moins compréhensibles, aussi bien pour les juges que pour l'individu en cause, bien souvent.

2) De l'autre bord, les libertariens, comme Robert Kane (voir Le cas Kane), soutiennent que les humains ont une capacité réelle à choisir parmi différentes options possibles, affirmant ainsi le libre arbitre et l'intention comme des aspects cruciaux de l'humanité. Qu'il y ait choix, c'est certain. Que le choix puisse être totalement libre de déterminants internes (faim / désir / douleur / alcoolisation / anomalie cérébrale...) + externes (entrave ou non / police etc.) : c'est une autre histoire qui demanderait quelques débuts de preuves d'une autodétermination possible totalement indépendante des lois naturelles. 

La charge de la preuve est de ce côté, évidemment.

Et puis... restent les compatibilistes, de loin les plus nombreux, qui estiment qu'il y a un mélange des deux (lois naturelles déterminantes + libre arbitre indéterminé), dans une proportion jamais mesurée évidemment, produisant de belles heures lors des expertises psychiatriques au pénal (voir Les expertises psychiatriques en justice pénale : un scandale permanent ?).

Tout ceci pose également la question de la limite entre normal et pathologique du point de vue psychique (voir Limite entre santé mentale et pathologie mentale).

Finalement, du fait des conséquences des options différentes sur ces différentes questions, je crois qu'il ne serait pas inutile de se les poser, parfois, au saut du lit... après un p'tit café.

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L'humain : un "robot" biologique ?

A la jonction entre biologie, psychologie évolutionnaire, neurosciences et informatique, certains spécialistes décrivent une partie du fonctionnement cérébral et des comportements correspondants comme la confrontation entre une programmation ancestrale du cerveau issue de la sélection naturelle confronté à un environnement qui évolue en permanence. Le tout dans le cadre de la survie "à tout prix" qui fait partie de cette programmation ancestrale sans laquelle nous ne serions pas là pour en parler...

Tout ceci chagrine profondément la plupart de nos contemporains agitant le spectre d'une abolition de la "dignité" humaine si nous n'étions que des "robots" biologiques ou des "animaux-humains", supprimant en cela la séparation ontologique entre l'Humain et le reste de la Nature.

Le Professeur en psychologie cognitive Thierry Ripoll écrit ("Pourquoi croit-on" (2020) et "De l'esprit au cerveau" (2018) - Editions Sciences Humaines) : 

"On oublie souvent que l’humain se distingue des autres espèces animales par sa propension à croire en l’existence d’un monde surnaturel. C’est ainsi que derrière la banalité d’un réel immédiatement accessible, il y aurait un monde proprement spirituel doté de forces qui nous échappent et qui pourtant infléchissent puissamment nos vies… Nous sommes là dans l’univers de la croyance (...) Lorsqu’on présente à des étudiants ou à un auditoire de non spécialistes la thèse physicaliste selon laquelle il n’y a pas plus d’âme ou d’entité immatérielle en chacun de nous qu’il n’y a de réelle magie dans les tours que font les prestidigitateurs, apparaît tôt ou tard l’objection ou l’inquiétude suivantes : mais alors cela signifie-t-il que nous ne sommes que des machines et que, dans ce cas, le libre arbitre, la possibilité de faire des choix et de prendre des décisions en conscience, n’existe pas ? À cela, je réponds généralement que nous ne sommes effectivement que de surprenantes et extraordinaires machines, issues d’une évolution qui s’est déroulée sur quelques milliards d’années. À titre individuel, nous sommes des machines biologiques que nos parents ont conçues dans de délicieux moments d’extase amoureuse sans disposer de réelle maîtrise sur les processus physico-chimiques qui allaient conduire au premier stade de l’embryon que nous fûmes. Il n’y a aucune différence entre une machine et un humain à l’exception près de leur complexité et du fait que l’humain est biologique et non la machine."

En dehors du fait que la "dignité humaine" n'est nullement menacée par ce retour de l'Humain dans la Nature (voir Dignité humaine), chercher à comprendre de quelle façon nous avons été conçus satisfait une curiosité légitime qui permet peut-être - et c'est le plus important - d'améliorer nos vies individuelles et collectives, toujours dans le cadre immuable et prégnant de la survie.

Cette magnifique vidéo - fond comme forme - de la chaîne "Homo fabulus" rend compte de toute cette problématique complexe. A voir absolument, comme d'ailleurs toute la chaîne Youtube Homo fabulus.  


Une seule remarque sur le fond : un passage semble mettre en cause la notion de "hasard". Ce hasard, qu'il soit le résultat du chaos déterministe (ne permettant pas de prévisions) ou de la mécanique quantique (mauvais argument parfois avancé) est présent en toute circonstance. Les mutations au hasard (ou en partie conditionnées par l'environnement) des bactéries seront - ou non - sélectionnées comme l'ont été les "modules" cérébraux.

Pour en revenir à notre sujet, il faut bien constater que certains hommes utilisent la poupée gonflable comme le robot se sert de la pompe à incendie...

Les exemples de cet ordre sont en nombre infini, certains avec des conséquences dérisoires, supportables quant d'autres ont des répercussions potentiellement mortelles :

  • Consommation de sucre : À l'origine, notre attirance pour le sucre nous aidait à rechercher des fruits riches en énergie. Aujourd'hui, cette préférence est exploitée par l'industrie alimentaire, menant à une consommation excessive de sucreries et de boissons sucrées, souvent sans bénéfice nutritionnel.
  • Jeux vidéo : Les instincts de chasse et de survie, essentiels pour nos ancêtres, sont aujourd'hui canalisés dans les jeux vidéo. Ces jeux exploitent notre besoin de compétition et de réussite, initialement destinés à la survie et à la reproduction.
  • Réseaux sociaux : Notre besoin inné de socialisation et de reconnaissance sociale, crucial pour la survie en groupe, est aujourd'hui détourné par les réseaux sociaux. Ces plateformes exploitent notre désir de validation et d'appartenance, souvent au détriment de nos interactions réelles.
  • Publicité et marketing : Les techniques de persuasion utilisées dans la publicité exploitent nos instincts de survie et de reproduction. Par exemple, les publicités pour des produits de luxe jouent sur notre désir de statut social élevé, un trait qui aurait pu aider à attirer des partenaires potentiels.
  • Appétit pour les graisses : Comme pour le sucre, notre penchant pour les aliments riches en graisses nous aidait à stocker de l'énergie pour les périodes de famine. Aujourd'hui, cela conduit à une surconsommation de fast-foods et de snacks gras, contribuant à l'obésité et aux maladies cardiovasculaires.
  • Sports et compétitions : Notre instinct de compétition et de dominance, utile pour la survie et la reproduction, se manifeste aujourd'hui dans les sports et autres compétitions. Les succès dans ces domaines peuvent remplacer la satisfaction obtenue par la réussite dans les chasses ou les batailles pour le territoire. Malheureusement, des individus comme Poutine sont bloqués au premier stade.
  • Shopping et consommation : Le désir de collectionner et de posséder des objets, qui pouvait servir à accumuler des ressources pour la survie, est aujourd'hui détourné par la société de consommation. Le shopping compulsif et l'accumulation de biens matériels (Shein) sont devenus des moyens de rechercher du plaisir et de la satisfaction. Super pour la planète !
  • Pornographie : Tout comme les poupées gonflables, la pornographie détourne notre instinct sexuel programmé pour la procréation. Bien que cela puisse satisfaire des besoins sexuels, cela ne contribue pas à la reproduction mais cela ne justifie aucunement les interdits religieux correspondants, car la culture évolue également.
  • Sélection sexuelle : La sélection sexuelle a favorisé certains traits chez les hommes, comme l'agressivité et la compétitivité, qui pouvaient être perçus comme des signes de force et de capacité à protéger et à fournir des ressources. Ces traits sont trop souvent détournés en comportements de domination.

Au fait, le robot "Court-circuit", possède-t-il un libre arbitre ? 
Ben... Probablement pas plus que nous. 
Et l'imprévisibilité des choix humains n'est pas gage d'un libre arbitre métaphysique, pas plus que pour l'animal, la météo ou les action d'un robot si celui-ci est configuré pour "prendre des décisions" en fonction de l'environnement changeant. Sans  la  connaissance  du  contenu  de  la  boîte  noire,  la  machine  - pourtant déterministe - n'est  pas  prévisible (voir "Un modèle déterministe du phénomène du libre arbitre".

Que nous soyons quelque chose comme des "robots" biologiques n'a rien d'inquiétant... à la condition de travailler nos "programmations" désuètes, voire dangereuses, tant du point de vue individuel que collectif (voir "Penser contre son cerveau").

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