La génétique, l'épigénétique, le climat, la culture locale, l'Histoire... soit des centaines de milliers (millions ? milliards ?) de déterminants dans des proportions différentes d'un individu à l'autre, avant même la naissance.
Bref, chacun est unique dans sa perception du monde, ses valeurs, ses préoccupations pour la survie de lui-même, de son groupe, de ses croyances... 8 milliards de Mondes différents sur une seule Terre.
Comme l'exprime dans cette vidéo le psychologue et Prix Nobel d'économie qui vient de nous quitter Daniel Kahneman (mars 2024), nous sommes littéralement farcis de biais divers, préjugés trop souvent insurmontables, partis pris menant à l'injustice etc.
Et pourtant, il nous faut trouver un terrain commun acceptable pour tous... Nous ne pouvons pas continuer à nous affronter périodiquement ("guerre de territoire et/ou de civilisation"), à accepter la domination des tous par quelques-uns, à attendre que les autres fassent des efforts sur les émissions de CO2 avant de s'y mettre nous-mêmes etc.
Une utopie ou une question de vie et de mort ?
Mais la démocratie, l'abolition de l'esclavage, les droits de
l'Humain - dont ceux des femmes - étaient des utopies il n'y a pas si longtemps, même si leur généralisation n'est pas totalement acquise pour l'instant. La coopération est en marche - malgré quelques soubresauts de trahisons ici ou là - car la survie est à ce prix comme le montre notamment le jeu du dilemme du prisonnier (https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024/05/un-sacre-dilemme-pour-la-morale.html) et l'utopie serait de croire que l'on peut continuer comme ça sans remettre en cause nos croyances par défaut.
Tout semble se passer comme si chacun vivait dans son bunker culturel identitaire (religion / rituels / morale / valeurs du lieu et du moment...) avec quelques sorties punitives erratiques contre le bunker voisin.
En poussant la métaphore, tous ces bunkers encerclent une place commune (agora ?) formée des besoins humains - et plus généralement du vivant -, d'une nécessaire coopération, d'une plus grande tolérance (sans tout tolérer)... soit le plus Grand Commun Diviseur (PGCD) des bunkers.D'après une étude des plus sérieuses (la mienne), 99,32 % des discussions dans les médias et les foyers concernant la "communauté humaine" (politique / économique etc.) sont du même niveau que les discussions sur les goûts et les couleurs.
Parlant de couleurs, prenons l'exemple de la "préférence nationale" (priorité nationale), concept théorisé et
promu par certains groupes politiques, notamment d’extrême droite ; soit une politique visant à donner la priorité aux nationaux d'un
pays dans l'attribution de certains droits, prestations ou services, par
opposition aux non-ressortissants. Cette politique peut s'appliquer à
différents domaines tels que l'emploi, le logement, l'accès aux soins ou encore
l'allocation de ressources financières afin de protéger - selon la droite - la cohésion sociale et la stabilité politique du
pays, lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale en limitant
l'immigration économique, en freinant la course au moins-disant salarial
et social et en incitant les employeurs à embaucher en priorité des travailleurs
locaux...
Soit. Mais en accordant des traitements différenciés selon la
nationalité, la préférence nationale crée des discrimination illégales, injustifiables
et contraires aux principes garantis par les conventions internationales et les
constitutions nationales. Du point de vue économique cette fois, certaines études* montrent que la restriction de
l'immigration et la limitation de l'accès aux marchés du travail et du logement
peuvent entraîner des pertes de productivité et de croissance économique, ainsi
qu'une augmentation des prix et une baisse de la qualité des biens et des
services proposés. En opposant les nationaux aux étrangers, la préférence
nationale contribue à creuser les clivages identitaires et à alimenter
les discours xénophobes et racistes, minant ainsi le vivre ensemble et la
solidarité entre les citoyens.
Toujours cette question de la place du curseur entre d'un côté le "moi d'abord" (America first) et ma survie personnelle, et de l'autre l'égalité des droits humains et la survie du groupe : dilemme entre trahison et coopération si l'on se réfère au dilemme du prisonnier sus-cité.
Et tout ceci est histoire d'idéologie car s'il existe 8 milliards de Mondes, il n'existe en fait que deux visions concurrentes possibles : la vision spiritualiste (idéaliste) et la vision matérialiste (naturaliste scientifique), chacune se déclarant légitime pour réguler l'agora commune (justice / économie / politique etc.).
Ce qui revient à poser un question princeps à toute discussion : d'où parle-t-on quand on émet un avis, une conviction, une injonction normative ? Avez-vous souvenir d'un débat de fond sur le sujet ? Une émission ? Un article ?
C'est tout l'objet de la vidéo ci-dessous... avec une décision / responsabilité personnelle à prendre si l'on souhaite gommer en partie le défaut... de penser par défaut, ce qui engage parfois à devoir penser "contre son cerveau" ( voir https://illusionlibrearbitre.blogspot.com/2024_06_23_archive.html).
Le professeur de philosophie Saul Smilansky, qui se déclare athée laïc, est partisan d’un
nouveau « dualisme
fondamental » impliquant à la fois compatibilisme (lois naturelles et libre arbitre sont compatibles) et déterminisme dur (tout est déterminé par les lois naturelles), ce qui semble pour le moins contradictoire, tout en insistant sur le rôle primordial et positif de l'illusion du Libre
Arbitre sans laquelle l’enfer social s’ouvrirait sous
nos pieds.
Il ose écrire :
« Nous ne
pouvons pas nous permettre que les gens intériorisent la vérité sur le libre
arbitre ».
Les humains sont sans doute trop débiles pour comprendre ces
subtilités. Smilansky va jusqu’à prôner la duperie de soi-même en
légitimant le fait de croire quelque chose parce qu'on a simplement envie d’y
croire, et ce en dépit de fortes preuves contraires.
Selon lui, la croyance en
un libre arbitre doit être maintenue même si ces « croyants » ont
connaissance du paradigme déterministe en science et des découvertes sur le
cerveau démontrant que nos processus cognitifs sont totalement influencés par
des facteurs génétiques et environnementaux en constante interaction.
L’illusion du libre arbitre est ainsi considérée par Smilansky comme une
instance de duperie de soi nécessaire pour sauvegarder la morale et la
justice[1]. Sic. Et il donne des exemples :
« Imaginez
que je me demande si je dois faire mon devoir, comme sauter en parachute en
territoire ennemi, ou quelque chose de plus banal, comme risquer mon
travail en signalant un acte répréhensible. Si tout le monde accepte qu'il n'y
a pas de libre arbitre, alors je saurai que les gens se diront : « Quoi qu'il ait fait, il n'avait pas
le choix, nous ne pouvons pas le blâmer. Je sais donc que je ne serai pas
condamné pour avoir choisi l'option égoïste. »Ceci est très dangereux pour la société ; et plus les
gens accepteront le paradigme déterministe, plus les choses vont empirer ».[2]
Une belle question de fond à poser aux soldats russes qui
désertent pour ne pas servir de « chair à canons » avec des raisons assez bien "déterminées" mais incompréhensibles pour Smilansky (qui n'a pas fait le Vietnam). Faut-il les fusiller ceux-là, « car c’est très dangereux pour la société »
russe ? Les "bons russes" montent au front Ukrainiens bourrés d’un patriotisme décérébrant
et sont prêts à se faire tuer pour obéir aux « ordres » façon
expérience de Milgram : c’est bien pour Smilansky ?
Pour lui le libre
arbitre est donc une illusion dont « il
faudrait essayer de selibérer dans une
certaine mesure » (quelle mesure ??)... mais que la société doit
défendre à tout prix ! C’est tout de même assez fort de café pour un
intellectuel, un philosophe, d’affirmer qu’il faut se détourner de la vérité.
J’avais cru naïvement que la recherche de la vérité était la première
préoccupation d’un intellectuel : on m’aurait menti ?
Mais je crois que le
plus naïf des deux est Smilansky : croire qu’on pourra éternellement
berner ses semblables est un comportement aussi méprisant qu’immature.
D’autant
qu’il n’est point besoin de duperie ou de mensonge : les
neurones du cortex cingulaire antérieur et du précunéus* se chargent de nous
faire croire à la liberté de nos choix et nous donnent le sentiment
subjectif d’en être l’agent.
Et c’est très bien ainsi - en tout cas c’est un
constat - dans le cadre de l’adaptation évolutionniste. De là à ériger ce
sentiment en fausse vérité concernant un LA « réel » avec ses
conséquences pour réglementer la vie humaine commune comprenant sceptiques et
croyants dans le LA, il y a un grand pas que tout ce que l’on connait
scientifiquement du monde (déterminisme et indéterminisme stochastique ou
quantique) interdit de franchir.
Ne pas croire dans un LA « réel »
n’implique pas le reniement des règles sociales en constante évolution. En
revanche, la croyance dans ce LA « réel » ontologique justifie la violence, la guerre, la vengeance et la haine toxique, comme on peut le voir tous les jours
chez des individus persuadés de l’existence de cette chimère. En suivant
Smilansky et sa pente obscurantiste, on pourrait également
« protéger » le profane en revenant à la Terre plate, située au
centre de l’univers, supprimer la théorie de l’évolution des programmes
scolaires et mettre l’inconscient à l’index.
Certains juristes criminologues commeFranck Czerner
reprennent à leur compte les inepties de Smilansky :
« Même si
des expérimentations avaient montré le caractère déterminé des décisions
humaines, elles ne devraient pas forcément opérer un changement conceptuel de
paradigme du concept normatif de culpabilité, car du fait de
l'auto-attribution, de l'expérience intra- et inter-subjective de la liberté de
la volonté, ces éléments rendent la simple « illusion de liberté »
suffisante pour attribuer à un individu le sens approprié des responsabilités,
qui est également accepté par lui. »[3]
Ceci ne sera accepté qu’autant que la simple
« illusion de liberté » soit elle-même acceptée. Mais suffirait-il
que tout le monde soit persuadé que la terre est plate pour qu’elle soit
réellement plate ? Ou bien faut-il accepter misérablement dans un "souci d'apaisement" de convenir qu'elle est ovale cette Terre ? Soit une défaite conjointe en rase campagne de la raison et de la science comme l'acceptent sans sourciller les compatibilistes assurant que déterminisme et liberté de la volonté font bon ménage ?
Encore et toujours la confusion entre, d’une part,
l'auto-attribution et l'expérience intra- et inter-subjective de la sensation
de LA, et d’autre part la réalité « normative » d’un concept
métaphysique de LA « réel » surplombant nos décisions. Le sentiment
amoureux sélectionné par l’évolution pour permettre la reproduction[4]
n’implique pas l’existence « métaphysique » d’un Cupidon
« réel » avec son arc et ses flèches.
Petite traduction du texte précédent de Franck Czerner
appliquée aux relations femmes / hommes :
« Même si
la société considère actuellement que les hommes et les femmes sont égaux en
droit, il ne faudrait pas forcément opérer un changement conceptuel de
paradigme du concept normatif de la supériorité des hommes sur les femmes, car
du fait de l'auto-attribution, l'expérience intra- et inter-subjective de cette
différence rend la simple « illusion de supériorité » suffisante pour
attribuer à un homme le sens approprié de sa supériorité, qui est également
accepté par lui »
Ben voyons. Accepté par l’homme, certes ; et par les femmes ?
Cela peut « marcher » jusqu’à ce que celles-ci remettent justement
en cause cette illusoire « supériorité de l’homme » ! Un changement
de paradigme est en cours du côté de l’égalité des sexes, comme cela se
produira un jour du côté de l’illusion d’un Libre Arbitre « réel ».
Pour la psychiatre et psychanalyste Anne Loncan :
« L’illusion
du libre arbitre correspond au fait que je ne peux pas haïr autrui si je ne
le crois pas libre : comprendre que son comportement est déterminé par «
les lois de la nature » dépassionne mon rapport à lui. Le fantasme du libre
arbitre d’autrui est nécessaire pour qu’il soit objet de haine ; la haine
tomberait d’un ou plusieurs crans si la liberté qu’on a supposée à son objet
n’était qu’illusion. »[5]
Anne Loncan a fondamentalementraison : perdre la foi dans un pseudo Libre Arbitre « réel »
pulvérise la haine sans pour autant devoir tout tolérer.
____________________________________
Et pour aller plus loin, le livre "La dernière
blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en
cliquant sur l'image ci-dessous
on croit pouvoir faire intervenir un Libre Arbitre
« réel » au moment de choisir, de décider de choses d’importance
comme divorcer ou non, changer de travail ou non, acheter une maison etc. C’est
ici que la délibération est la plus difficile, la plus longue, la plus risquée
dans ses conséquences. C’est dans ce contexte de tension du fait des
enjeux de survie au sens large que la notion de volonté prend tout son sens
comme le souligne le professeur de neurosciences et de psychologie Antonio
Damasio[1] :
« La volonté
n'est qu'un autre nom pour l'idée de choisir en fonction des résultats à long
terme plutôt qu'à court terme ».
La volonté existe ! Peut-elle être libre de
toute détermination ?
Une idée qui « mérite » quelques réflexions : on ne peut pas penser quelque chose avant d'y penser.
Combien de fois a-t-on pu se dire : « mais pourquoi n’y ai-je pas
pensé plus tôt » ? Tout simplement parce qu’on ne choisit pas
librement les idées qui nous viennent à l’esprit. Nous ne faisons que constater
leur irruption. Si les idées font irruption sans contrôle, si ce matériau
idéique avec lequel nous pesons le pour et le contre dans la délibération
décisionnelle est d’origine inconsciente, non libre, comment peut-on affirmer
que la pondération finale devrait être elle-même « libre » ?
Et il ne faudrait pas oublier dans cet inventaire de déterminants à la Prévert tout
ce qui est désirs, pulsions, affects, peurs, passions plus ou moins
répressibles. La balance mentale se fait alors entre les « pour » et
les « contre » telle décision, tel comportement.
Sans prendre pour
exemple le choix majeur lors de la dernière guerre entre résistance, neutralité[2] et collaboration, prenons
une situation plus récente non dénuée de conséquences importantes - suite à la
COVID notamment - comme celle d’une alternative possible entre garder son
emploi urbain ou partir vivre à la campagne, loin des virus...
Dans les
arguments « pour la campagne » : vie plus saine, plus
authentique, contact avec la Nature etc. Mais pari risqué du point de vue professionnel,
éloignement des repères familiaux, amicaux... On pèse d’un côté et de l’autre,
en donnant à chaque critère un certain poids qui fluctue au cours de la
réflexion qui dure d’autant plus longtemps que la décision est perçue comme
grave : on ne veut rien oublier d’important qui pourrait fausser à terme
notre jugement. Le calcul final est censé donner la décision la plus
« rationnelle », bien que l’affect ne soit jamais très loin : le
désir de campagne peut être en rapport étroit avec le souvenir des merveilleuses
vacances estivales passées chez papy et mamie ! Mais au fait, suis-je
vraiment libre de ce qui ne me vient pas à l’esprit comme argument pour ou
contre à mettre dans la balance ? Combien de fois a-t-on pu se dire qu’on
aurait fait un autre choix si telle pensée était parvenue à la
conscience au moment crucial ? Est-on « coupable » de ne pas
avoir pensé à tel critère de jugement ? Quel est le poids, dans mes
décisions, des « variables cachées » comme on dirait en
physique quantique ? Et serait-on « coupable » de notre
« non conscient » ?
L’attribution du « poids » de ces
différents critères - en tout cas ceux qui viennent à l’esprit (plus
précisément le cortex orbitofrontal, support de notre système de valeurs) - est
intimement liée au passé de chacun ; passé unique, singulier. Je peux donner un poids positif de 5 au critère « vie plus saine pour élever mes
enfants » loin des virus citadins et de la pollution, mais 12 en
négatif au critère « je vais devoir
changer de métier »... ou seulement 2 à ce même critère si je peux
travailler en visioconférence ! Et lorsque nous ne savons pas
encore ce que nous voulons, c’est parce que nous ne voyons pas vers où nous
penchons le plus ; au point de jouer
(rarement) la décision à pile ou face, en désespoir de cause. Une pincée
d’indéterminable (hasard) pour déterminer l’indéterminable.
Plus généralement, lors de la prise de décision
parmi plusieurs alternatives possibles, il semble bien que le cerveau utilise
des modèles statistiques de type bayésien comme le montre le
neuroscientifique Stanislas Dehaene[3] pour évaluer les
conséquences potentielles de chaque action, en fonction des informations
disponibles et des objectifs à atteindre. Par exemple, si on doit choisir entre
deux restaurants, le cerveau va estimer la probabilité que chacun soit
satisfaisant, en tenant compte de ses préférences, de ses souvenirs, des avis
d’autres personnes, etc. Il va aussi prendre en compte les coûts et les
bénéfices associés à chaque option, tels que le prix, la distance, le temps
d’attente... Le cerveau va ensuite pondérer, comparer ces estimations et
sélectionner l’action qui maximise son utilité espérée. Un « simple »
calcul, plus ou moins urgent selon les situations, à partir des déterminants
connus, sans LA « réel ».Quand nous délibérons, c’est sur ce que l’on va faire, pas
sur ce que l’on va vouloir !
Et la plupart du temps, nous n’avons évidemment pas en
tête la totalité des déterminants à l’œuvre dans nos décisions, quitte à bidouiller notre propre logique. Pour Freud :
« Une formation
intellectuelle nous est inhérente, qui exige de tous les matériaux qui se présentent à
notre pensée un minimum d’unité, de cohérence et d’intelligibilité; et elle ne craint pas
d’affirmer des rapports inexacts, lorsque, pour certaines raisons, elle est incapable de saisir
les rapports corrects » (Totem et tabou 3 , 1913, p. 111).
On ne connaît
pas l’avenir comme le rappelle Petit Gibus de la « Guerre des
boutons » : « si j’aurais
su, j’aurais pas v’nu »... Œdipe tue son père, épouse sa mère, en
toute méconnaissance de cause. Mais le « destin » et le « fatalisme » n’existent pas
pour autant dans un monde déterministe imprévisible puisque chaotique. Et rien
n’est écrit dans un grand livre englobant passé, présent et avenir.
Comme conclut fort chrétiennement le philosophe Cyrille
Michon :
« Si le
choix est libre, il doit être inexplicable ».[4]
On ne peut être plus clair sur la nécessité d’un « acte
de foi » pour croire au Libre Arbitre ; mais on est plus proche ici
d’une apologie aporétique que d’un argument apodictique* ! Je plaisante. Si l’on
trouve quelques explications, quelques déterminants de nos choix, c’est bien
que ce choix n’est pas si « libre » que ça. Et si l’on ne trouve pas
d’explication, ceci ne prouve pas pour autant la liberté du choix : notre
méconnaissance (provisoire ?) des mécanismes d’un phénomène naturel n’est en rien
la porte ouverte au surnaturel. Et que dire lorsqu’on vient de faire quelque
chose sans comprendre pourquoi on l’a faite, ce qui arrive un jour ou l’autre,
souvent avec l’âge qui avance...
Quand le docteur en neuropsychologie Philippe Allain aborde la
« mécanique » de nos choix et prises de décisions, il en précise
plusieurs formes dont la prise de décision « sous risque » et la
prise de décision « sous ambiguïté », sans jamais faire intervenir un
quelconque LA « réel »[5].
Le neuroscientifique Mathias Pessiglione résume ainsi le
processus de motivation/décision, sans faire appel à une « volonté
libre » : notre expérience subjective du libre arbitre est souvent biaisée
par notre incapacité à percevoir les processus cognitifs inconscients qui ont
précédé notre prise de décision. Notre cerveau génère une « illusion
rétrospective » dans laquelle nous avons l'impression d'avoir choisi
consciemment une option parmi plusieurs, alors que notre décision a déjà été
influencée par des facteurs préexistants[6].
Le concept de prise de décision semble plus accessible d’un point de vue
expérimental en neuroscience plutôt qu’un Libre Arbitre qui ressemble à une
entité fantomatique. Selon les neuroscientifiques spécialistes de la décision
Abbas Khani et Gregor Rainer[7],
la prise de décision...
« est un
comportement adaptatif qui prend en compte plusieurs variables d’entrée
internes et externes et conduit au choix d’un plan d’action plutôt que
d’autres alternatives disponibles et souvent concurrentes ».
On retrouve l’idée d’inférence statistique Bayésienne
précédemment évoquée concernant le « calcul » algorithmique cérébral
de la prise de décision.
Notons que nos idées ont quelque chose à voir avec nos sens et nos expériences passées. Ces idées apparaissent et s’associent en formant un chapelet
pratiquement ininterrompu le jour, et jusque dans nos rêves la nuit. Ainsi,
dans le cas d'une personne aveugle de naissance, les images dans les rêves ne
sont pas basées sur des souvenirs visuels qu’elle ne peut avoir, mais plutôt sur
des sensations, des émotions et des concepts abstraits. Une personne aveugle de
naissance peut rêver de se déplacer dans un environnement, mais ses sensations
seront basées sur des sens comme le toucher, l'ouïe ou l'odorat, c’est-à-dire
ce qu’il connait ; il ne peut « inventer » des images dans ses
rêves inconscients du fait qu’il ne sait pas ce que c’est de « voir »
d’un point de vue phénoménal. Où l’on voit bien, ici comme partout, le continuum
de déterminants auquel rien ne peut échapper.
Pour finir, deux spécialistes en neurosciences nous parlent des interactions entre raison et émotions dans nos prises de décision, sans aucune trace de libre arbitre ontologique.
Cliquer sur le carré en bas à droite des vidéos pour agrandir l'écran.
[2]Le philosophe Vladimir Jankélévitch a fustigé
l’inaction durant la seconde guerre mondiale de ses collègues Sartre et Merleau-Ponty
(« Merleau-Ponty, ce n'est vraiment
rien du tout ! Un petit caractère »)
[6]
« Subliminal Instrumental Conditioning Demonstrated in the Human Brain » -
2008 -https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2572733/et
“Les Vacances de Momo Sapiens : notre cerveau entre raison et déraison» - 2021 - Odile Jacob
Les mathématiciens John
Conway et Simon Kochen ont publié en 2006 (actualisé en 2009) « le
théorème du libre arbitre » (« The Free Will Theorem ») qui
s’appuie sur trois axiomes liés à la mécanique quantique et à la relativité. Sur
la base de ces axiomes, les auteurs démontrent que si un expérimentateur
dispose du libre arbitre (LA), alors toutes les particules de l’Univers disposent
également d’un libre arbitre[1].
C’est la loi du tout ou rien : ou un LA « réel » ne peut pas
exister, ou chaque parcelle de l’Univers en dispose...
Ce libre arbitre étant le fondement même de la culpabilité (car on aurait pu faire autrement que ce qu'on fait) et de la punition, reste à savoir comment
traîner en justice des photons coupables d’un mélanome, un volcan irascible, un chien renversant un cycliste... Une sorte de
démonstration par l’absurde que la volonté libre, propriété
« exclusive » de l’Humain, est une totale ineptie.
Certains ont remis en cause les résultats de Conway et
Kochen :
« Dans la
manière dont le théorème du libre arbitre est formulé et démontré, il ne
concerne que les modèles déterministes (...) et non les
modèles stochastiques (càd calcul des
probabilités) »[2]
Ce à quoi les auteurs du théorème font cette réponse cinglante :
« Certains
pensent que la seule alternative au déterminisme est l’aléatoire de la
théorie des probabilités et ajoutent pourtant qu’autoriser l’aléatoire dans le
monde n’aide pas vraiment à comprendre le libre arbitre. »
Pour en revenir à notre théorème du LA, les particules, les rochers, les bactéries, les fourmis, les lions, les humains... auraient un libre arbitre entier, ou n’en auraient pas du tout ! De quoi en rabattre quelque peu concernant notre arrogance d’Homo Sapiens envers la fourmi.
En résumé, 3 possibilités :
1) univers déterministe : le cerveau animal - comme celui de l'humain - est constitué de neurones, neuromédiateurs, flux électriques le long des axones etc., le tout obéissant aux lois déterministes (causes => conséquences) de la nature, et le libre arbitre "réel", ontologique ne peut exister. La volonté elle-même est le résultat d'événements antérieurs remontant... au Big Bang (ou tout autre commencement, si commencement il y a eu...).
2) univers indéterministe, soumis aux aléas, au hasard "pur" : pour le cerveau animal - comme pour celui de l'humain - certaines molécules impliquées dans la transmission des signaux nerveux, comme les neurotransmetteurs, pourraient exister dans des superpositions quantiques de plusieurs états simultanément jusqu'à ce qu'elles soient mesurées (c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une synapse soit activée ?). Cela permettrait aux neurones de traiter plusieurs informations en parallèle plutôt que séquentiellement, offrant ainsi un potentiel d'accélération du traitement de l'information et de résolution de problèmes complexes. Malheureusement, une idée peu viable du fait que les systèmes quantiques ont tendance à se désintégrer rapidement lorsqu'ils interagissent avec leur environnement (décohérence quantique). Il serait très difficile de maintenir des états quantiques cohérents dans le cerveau, compte tenu de sa complexité et de son interaction constante avec l'environnement, sans compter la chaleur (37°C) peu propice au phénomènes quantiques. Par ailleurs, il n'existe pas de cadre théorique solide permettant d'expliquer comment les processus quantiques pourraient avoir un impact significatif sur le fonctionnement global du cerveau ; sans oublier le vide absolu côté preuve expérimentale. Des études suggèrent plutôt que les propriétés statistiques des réseaux de neurones peuvent s'expliquer entièrement par des modèles classiques sans recourir à la mécanique quantique. In fine, quel rapport entre un libre arbitre permettant théoriquement de décider en conscience et un processus de hasard pur ne donnant plus aucun sens à une délibération du sujet ?
3) univers mixte mélangeant déterminisme et indéterminisme : mais dans quelles proportions ?
Un mixte fixe (30 % de détermination + 70 % de hasard "pur"... ou l'inverse) ?
Ou bien en fonction de la situation avec des proportions changeantes, aléatoires, selon que l'on choisit de se reposer ou de tuer son voisin ? Ce qui ressemble fort à la position philosophique "compatibiliste" qui fait se côtoyer déterminants et hasard dans des proportions jamais précisées ; pour cause. Cette position compatibiliste est dominante dans notre société et s'exerce tous les jours notamment dans le domaine de la justice. Ce qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques insolubles : ce dealer de banlieue, combien d'années de prison en proportion de sa "quantité" / "qualité" de LA (culpabilité), desquelles il faudrait retrancher ses déterminants éducatifs délétères d'origine ? Ce qui donne finalement... l'âge du capitaine, ou de son second ou ... (voir Les expertises psychiatriques).
Sur le fond :si le déterminisme strict n’autorise pas le LA, pas plus que l’indéterminisme strict (alea) ou même le mélange des deux, que reste-t-il pour croire à un libre arbitre « réel » à part une obsession axiomatique d’entités surnaturelles agissantes ? Ne reste que la première hypothèse - pas de libre arbitre "réel" possible - si l'on souhaite garder un peu de cohérence.
Au passage, remarquons qu’un certain
indéterminisme peut être réfuté dans des cas précis, par exemple chaque fois
que la science découvre un déterminisme inconnu auparavant. Les tempêtes, les ouragans et autres phénomènes météorologiques violents étaient généralement attribués à l'intervention directe des dieux , mais les sciences de l'atmosphère ont progressivement démystifié ces phénomènes en termes de pressions, vents et courants marins. Mais
l’expérience montre que, pour des raisons psychologiques ou idéologiques, dès
qu’une forme de déterminisme a été mise à jour par la science, on fait resurgir dès que possible l’indéterminisme ailleurs, dans l’un quelconque des
« asiles de notre ignorance » où résident probablement les dieux. Comme l’écrit le médecin, biologiste
et philosophe Henri Atlan[3] :
« Tant qu’il
reste un “trou” dans le déterminisme, on s’y accroche en y voyant le fondement
métaphysique de notre liberté humaine. »
Mais en fait, de l’indétermination apparente, on ne peut
jamais conclure à l’indétermination réelle car il faudrait pour cela pouvoir
exclure la possibilité de variables explicatives encore inconnues, cachées, ce qui est
impossible. Et plus on explique par la méthode scientifique des
phénomènes jusqu'alors inexpliqués, plus le spiritualisme (conscient ou non)
déplace ses exigences de « preuves » matérialistes / naturalistes sur
des phénomènes non encore expliqués, repoussant toujours un peu plus la
frontière entre connu et inconnu, et ce probablement à l’infini puisque, très
probablement, nous ne saurons jamais « tout ».
Soit une objection bien
pratique des spiritualistes... mais irrecevable.
Autre exemple : Alain Aspect dans une expérience de physique
quantique a bien mis en évidence le phénomène d’intrication qui consiste à ce
que deux particules partagent un état quantique commun, même si elles sont
séparées par une grande distance. Cette expérience démontrant la non
séparabilité quantique a eu des conséquences philosophiques importantes :
elle a remis en question certaines notions classiques de la physique, comme la
causalité, la localité et le réalisme puisque deux particules intriquées
peuvent influencer instantanément leur état respectif, sans qu’il y ait de
signal ou de mécanisme qui les relie.Ce qui viole la notion de localité car il y
a une action à distance qui dépasserait la vitesse de la lumière, ce qui paraît impossible dans l'état des connaissances actuelles en physique. Enfin, ce
résultat semble violer également le « réalisme », car il n’y a pas de
réalité préexistante à l’observation.Certains y ont vu une preuve de l’existence
d’une réalité cachée ou d’une dimension supplémentaire ; d’autres une
manifestation de la conscience ou du libre arbitre ; d’autres encore une
limite de la science ou une invitation à la métaphysique... En fait, un vrai
test de Rorschach[4]
qui parle plus de celui qui interprète que du dessin lui-même.
Il serait
peut-être urgent d’attendre d’en savoir un peu plus avant de rétablir Dieu dans tous
ses attributs, dont la physique quantique et sa réalité non-locale !
Alain
Aspect lui-même reste circonspect concernant ces extrapolations...
Pour le plaisir : quelques lumières sur le merveilleux monde quantique :
[4] Test
psychologique qui consiste à présenter au sujet une série de planches
comportant des taches d’encre symétriques et ambiguës, en lui demandant ce
qu’il y voit. Le but est d’analyser les associations d’idées, les sentiments,
les fantasmes, les conflits ou les mécanismes de défense du sujet, en fonction
de ses réponses.
______________________________________________
Et pour aller plus loin, le livre "La dernière
blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en
cliquant sur l'image ci-dessous
Pour la plupart des artistes, il ne peut y avoir de déterminisme dans leur inspiration, leurs créations qui ne peuvent de toute évidence pas être "trivialement" le fruit de réactions physiques ou chimiques : l'Art est pour eux d'une autre nature. Ils sont le plus souvent de fervents partisans du libre arbitre et s'emportent facilement s'ils sont confrontés à des arguments contraires comme ceux du naturalisme, une sorte d'injure à leur liberté et leur talent.
Pourtant, comme l'écrit le philosophe Miguel Espinoza :
« La créativité (...) et l’imagination signifient un commencement nouveau de l’activité consciente. Mais il ne faudrait pas tomber dans le travers, assez courant, de considérer ce nouveau commencement comme un départ absolu - rien ne vient de rien. L’imagination n’est pas un commencement absolu de la conscience mais sa capacité à combiner inconsciemment ou consciemment, d’une nouvelle manière, les éléments qu’elle maîtrise ou qui la conforment. »
Ce qui semble évident pour Salvador Dali :
"Ceux qui ne veulent rien imiter ne produisent
rien."
Les activités mentales dans le domaine de la création artistique, au même titre que la
philosophie, les sciences etc. sont des produits du cerveau dans
le cadre de l’évolution. Ce que l'on peut mettre en évidence dans des expériences comme celle-ci : le musée Mauritshuis de La Haye a présenté les résultats
d’une recherche en neuroscience menée sur son chef d’œuvre “La Jeune Fille à la
Perle” de Vermeer. Cette étude récente montre que regarder un "vrai" tableau au
Mauritshuis active le cerveau différemment par rapport à une reproduction du
même tableau. La réaction émotionnelle du spectateur est dix fois plus forte
lorsqu’il se trouve face à face avec le tableau dans le musée. Les chercheurs
ont utilisé des électroencéphalogrammes (EEG) pour révéler que les œuvres d’art
réelles, dont “La Jeune Fille à la perle”, suscitent une réaction positive
puissante bien supérieure à celle des reproductions. Le secret de l’attraction de la « Fille » repose également
sur un phénomène neurologique unique. Contrairement à d’autres peintures, elle
parvient à « captiver » le spectateur, dans une « boucle d’attention soutenue
». Comme pour la plupart des visages, les visiteurs regardent d’abord les yeux
et la bouche de la Fille, mais leur attention se déplace ensuite vers la perle,
qui ramène ensuite l’attention sur les yeux et la bouche, puis sur la perle, et
ainsi de suite. Un autre résultat frappant de l’étude est le fait que, lorsque
quelqu’un regarde la Fille, c’est le précunéus qui est de loin la partie la
plus stimulée de son cerveau (le précunéus est impliqué dans le sens de soi,
l’introspection et les souvenirs épisodiques) Réf.
Mozart ne pouvait pas créer sa musique au paléolithique : il fallait tous ses « ancêtres » musiciens pour en arriver là. L’art a également une histoire, avec ses déterminants propres.
Par exemple, après l’art pictural académique survient l’impressionnisme - non
sans mal d’ailleurs -, accompagné par des inventions qui montrent l’interconnexion
entre les différentes activités humaines comme l'invention du tube de peinture
souple par l'industrie à partir du milieu du XIXème siècle, le train qui permet de se rendre à la campagne... ce qui a
permis à de jeunes peintres parisiens de sortir des ateliers pour peindre en
plein air et saisir l'instant, la lumière.
Le développement de la technique
photographique à la même époque remet en cause ce qui jusqu'alors avait été
l'une des fonctions principales de l'art : la représentation la plus
fidèle possible de la réalité. Ces éléments, et d’autres, ont amené les
impressionnistes à explorer d’autres sujets, d’autres façons de peindre qui
privilégient la vision de l'artiste, son impression face au réel, et non la
simple description « photographique » du réel. Un Monet au XVème
siècle est improbable, et de toute façon nullement en adéquation avec ce qui
était attendu d’un peintre à cette époque. Il a peut-être ouvertla voie à
l’abstraction du fait de ses problèmes de cataracte[1], un
déterminant dont il se serait bien passé. Un peintre cubiste au XIIIème
siècle ne serait qu’un enfant ou un fou ; pas un Picasso. Faire écouter Mozart à des peuples "premiers" n'aurait peut-être pas grande signification pour les membres de ces communautés qui n’ont pas le contexte
culturel musical préalable pour apprécier ce type de musique. Il serait bien difficile d’interpréter objectivement leurs réactions et l'on ne peut affirmer qu'il existerait une transcendance esthétique musicale universelle devant laquelle on devrait se prosterner.
Je connais même un dissident qui préfère Salieri à Mozart : c'est dire !
On peut également voir l’art comme une fonction
sociale complexe comme le proposait magistralement le sociologue Pierre Bourdieu :
« La
pratique culturelle sert à différencier les classes et les fractions de classe,
à justifier la domination des unes par les autres. »[2]
Le bon goût, le mauvais goût, le dégoût du goût des autres[3]...
plus généralement, la culture, comme le reste du vivant, semble obéir aux mêmes
exigences de l’évolution Darwinienne[4], et
individuellement, de la classe sociale.
Pour Pierre Bourdieu :
« Le
privilège du sociologue, s’il y en a un, n’est pas de se tenir en survol
au-dessus de ceux qu’il classe, mais de se savoir classé et de savoir à peu
près où il se situe dans les classements. À ceux qui, croyant s’assurer ainsi
une revanche, me demandent quels sont mes goûts en peinture ou en musique, je
réponds - et ce n’est pas un jeu - : ceux qui correspondent à ma place dans
le classement. »[5]
Un exemple très personnel : le tableau ci-dessous du peintre
Bruno TESSIER* est « horrible » pour une frange de la population, mais
terriblement parlant pour moi : c’est le spectateur qui "fait aussi" le
tableau.
En l’occurrence, j’y vois le petit enfant rose que l’on
reste tout au long de sa vie, quoiqu’on en dise, avec les égratignures plus ou
moins profondes (sous forme d'agrafes) que tout enfant a connues. Cet enfant doit porter, tel Atlas portant le Monde, une tête
d’adulte avec ses propres souffrances et celles du Monde (maladies, guerres,
massacres divers...). Le tout sur un fond cosmologique goudronneux de physique
classique mâtinée de quantique, soit autant d’impossibilité de connaître et de
comprendre réellement ce que nous faisons là...
Pour moi, voici l’Homme (Ecce homo).
Et le cadre doré n’est pas arbitraire : il fait référence
(toujours pour moi seulement peut-être) au contraste entre les conventions
d’encadrement classique mettant en valeur des scènes bibliques ou autres sujets
convenus et un contenu qui renvoie intensément aux questions de la
connaissance, de la métaphysique et de l’humilité qui devrait être la nôtre.
Le naturalisme scientifique ne sous-entend pas que seule la science est digne d’intérêt et que les autres
activités, dont les arts, seraient inutiles ou futiles.
Esthétique ou non, tout plaisir comme celui de déguster un croissant chaud dans un bol de chocolat au
lait est essentiel, évidemment. Nul besoin d’analyser les particules
élémentaires du croissant à cet instant, mais elles sont bien là. Nul besoin
d’analyser au microscope les pigments du tableau « Salvator Mundi »
pour en apprécier la beauté mystique, à moins de vouloir vérifier qu’il est
bien de Léonard, ce qui est un autre sujet, scientifique cette fois ! La beauté du monde s'impose à notre sensibilité mais elle est sérieusement mise en doute en cas de maladie, de handicap, de deuil, de catastrophe.
En
tout cas, la production artistique humaine n’est pas en lien
avec une transcendance quelconque, ni un argument contre le matérialisme comme
certains voudraient nous le faire croire. Il suffit de voir ce que certains
oiseaux sont capables de faire du point de vue fonctionnel et esthétique pour
s’en convaincre...
La beauté et l’architecture du nid construit par le mâle est une indication
précieuse intervenant dans le choix de la femelle en montrant la capacité du
mâle à construire un abri solide, confortable et sécurisé pour la reproduction
et la sauvegarde des oisillons. Un « beau » nid peut protéger les
œufs et les jeunes des intempéries, des parasites et des prédateurs, attestant
la santé, l’intelligence et la créativité du mâle ; soit autant de qualités
recherchées par la femelle.
Mais pourquoi des objets en plastique de couleur bleu ? Peut-être parce que cette couleur est assez rare dans la nature. Ce qui est rare est cher ! Une façon de montrer ses compétences, sa capacité d'investissement, sa "distinction" comme nous dirait le sociologue Pierre Bourdieu... Ainsi, l’esthétique d’un nid peut être
considérée comme un "signal honnête" de la qualité génétique du mâle, ce qui
augmente ses chances d’être choisi par la femelle et de transmettre ses gènes à
la génération suivante : c’est ce qu’on appelle la sélection sexuelle, un mécanisme évolutif qui favorise l’apparition et le maintien de certains traits
dans le cadre de la reproduction.
On retrouve chez l’humain cette même tendance naturelle, mais à un plus haut degré de sophistication : tous les ados mâles savent bien
qu’il est important de chanter en s’accompagnant à la guitare pour séduire une
belle ou un beau.
L’artiste en herbe semble - peut-être à tort - beaucoup plus
intéressant qu’un(e) étudiant(e) en comptabilité qui ne joue pas de la guitare.
[4]
On pourrait considérer que le « passage de relais » culturel d’une
génération sur l’autre serait plutôt de type Lamarckien, beaucoup plus rapide
que la lente évolution Darwinienne, grâce notamment aux neurones miroirs - cf. « The neurons that shaped
civilization » - https://www.ted.com/talks/vilayanur_ramachandran_the_neurons_that_shaped_civilization