Petite confrontation débouchant sur un projet de loi.
Claire Montfort – neuroscientifique matérialiste
stricte
Dans un univers déterministe (ou déterministe +
bruit quantique), aucun individu ne peut “faire autrement” que ce qu’il fait.
La notion de culpabilité morale — au sens de “on aurait pu choisir autrement” —
est donc vide. Mais la responsabilité sociale reste : si un individu est
dangereux, il faut le neutraliser ou le traiter tant qu’il l’est, comme on le
ferait pour un virus ou un pont instable. La différence avec la justice
actuelle : on ne punit plus pour “faire payer”, mais pour protéger et prévenir.
Cela qui implique :
·
Mesures de sûreté proportionnées et réversibles.
·
Respect maximal des droits humains.
·
Investissement massif dans la prévention :
éducation, soutien aux familles, réduction des inégalités structurelles.
Antoine Delmas – philosophe compatibiliste
Je reconnais que, dans un cadre matérialiste, la
culpabilité métaphysique disparaît. Mais je maintiens qu’il existe une
responsabilité “pragmatique” : nous devons répondre de nos actes, non parce que
nous aurions pu faire autrement dans l’absolu, mais parce que nos réponses
sociales influencent les comportements futurs. Cela justifie :
·
Un système judiciaire orienté vers la
réhabilitation et la prévention.
·
L’abandon du châtiment vindicatif.
·
Une politique sociale proactive pour réduire les
causes déterminantes des comportements nuisibles.
Sofia Herrera – psychologue sociale
Les données confirment que la criminalité et les
comportements antisociaux sont fortement corrélés à des facteurs
socio-économiques, éducatifs et familiaux. Si l’on accepte que personne n’est
“coupable” au sens fort, alors la priorité devient :
·
Intervenir tôt dans le développement de l’enfant.
·
Soutenir les parents en difficulté.
·
Réduire les inégalités qui alimentent la
délinquance. Cela ne supprime pas la nécessité d’écarter temporairement les
individus dangereux, mais change complètement le ton : on agit par soin et
protection, pas par vengeance.
Claire
Antoine, ton compatibilisme est ici presque
superflu : ce que tu appelles “responsabilité pragmatique” est en réalité une
gestion causale des risques. On ne “rend pas justice” au sens moral, on ajuste
les conditions pour réduire la probabilité de comportements nuisibles. Sofia,
tes données montrent que la prévention est plus efficace que la répression.
Pourtant, nos systèmes judiciaires restent centrés sur la punition, héritage
d’une vision culpabilisante.
Antoine
Je te rejoins, Claire, sur le diagnostic. Mais je
pense que le langage de la responsabilité reste utile pour mobiliser la
société. Si on dit “personne n’est responsable”, on risque de miner la cohésion
sociale. Il faut donc redéfinir la responsabilité : non pas comme “pouvoir agir
autrement”, mais comme “être le point de passage causal par lequel une action
se produit et doit être gérée”.
Sofia
C’est là que la psychologie sociale peut aider :
on peut changer les normes culturelles pour que la “responsabilité” soit
comprise comme un rôle dans un système, pas comme une faute morale. Cela permet
de maintenir l’ordre social tout en supprimant la vengeance institutionnalisée.
Antoine
Après réflexion, je dois admettre que le libre
arbitre fort est incompatible avec le matérialisme. Mon compatibilisme n’est
qu’une reformulation pragmatique. La vraie question n’est pas “sommes-nous
libres ?”, mais “quelles structures sociales minimisent la souffrance et
maximisent la sécurité ?” Cela implique de repenser entièrement la justice :
·
Remplacer la punition par la neutralisation
temporaire et le traitement.
·
Investir massivement dans la prévention sociale.
·
Supprimer la notion de “faute” au profit de celle
de “cause”.
Claire
Exactement. Et cette approche est cohérente avec
les données neuroscientifiques : tout comportement est le produit d’un état
cérébral, lui-même produit par des causes antérieures. La justice doit être un
outil de régulation, pas de punition.
Sofia
Et elle doit rester humaine : même un individu
dangereux conserve des droits fondamentaux. L’objectif est de protéger la
société et de préserver la dignité de la personne, tout en agissant sur
les causes profondes.
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Comment peut-on penser autrement ? Tout ce que l'on sait conduit à ces constats :
- Libre
arbitre : inexistant dans un univers matérialiste.
- Culpabilité
morale : concept vide, à abandonner.
- Responsabilité
sociale : elle reste entière, mais redéfinie comme
gestion des causes et des risques.
- Justice : passer
d’un modèle punitif à un modèle préventif et protecteur.
- Prévention :
éducation, soutien aux familles, réduction des inégalités.
- Traitement
des individus dangereux : neutralisation temporaire, respect des
droits humains, réinsertion si possible.
Ces évidences devraient nous conduire à ne plus laisser perdurer l'injustice manifeste au cœur de notre Justice.
Soit le projet de loi résumé suivant :
Projet de
loi pour une justice déterministe, préventive et protectrice
Préambule
Considérant que :
- Les
connaissances scientifiques actuelles en neurosciences, psychologie et
sciences sociales indiquent que les comportements humains résultent de
processus biologiques, psychologiques et environnementaux que l’individu
ne choisit pas "librement" d’avoir.
- Le libre
arbitre au sens fort — capacité de choisir autrement à conditions
identiques — n’est pas compatible avec un univers régi par les lois
naturelles, qu’elles soient déterministes ou probabilistes.
- La
culpabilité morale fondée sur cette conception est donc dépourvue de
fondement objectif.
- La
responsabilité sociale demeure, entendue comme la nécessité de protéger la
société, de prévenir les comportements nuisibles et de favoriser la
réinsertion.
L’Assemblée nationale adopte la présente loi.
Titre I –
Principes généraux
Article 1 – Abolition de la culpabilité
rétributive
La justice pénale française abandonne toute
référence à la culpabilité au sens de « mérite de souffrir ». Les sanctions ne
peuvent avoir pour finalité la vengeance ou la rétribution.
Article 2 – Redéfinition de la responsabilité
La
responsabilité pénale est entendue comme la gestion des causes et des risques
liés aux comportements, et non comme la capacité métaphysique d’agir autrement.
Article 3 – Finalités exclusives de la justice
Les finalités
de la justice sont :
- La
protection de la société.
- La
prévention des comportements nuisibles.
- La
réparation des préjudices.
- La
réinsertion des personnes.
Titre II –
Mesures de protection et de traitement
Article 4 – Neutralisation proportionnée
Toute mesure
privative ou restrictive de liberté doit être strictement proportionnée au
risque avéré et révisable périodiquement.
Article 5 – Respect des droits fondamentaux
Les personnes
faisant l’objet de mesures de sûreté ou de traitement conservent l’ensemble de
leurs droits fondamentaux, sauf restrictions strictement nécessaires à la
protection de la société.
Article 6 – Traitement et accompagnement
Les mesures
de neutralisation doivent être accompagnées de programmes de traitement
adaptés : soins médicaux, psychologiques, éducatifs ou sociaux.
Titre III –
Prévention primaire et réduction des inégalités
Article 7 – Investissement dans la petite enfance
L’État met en
œuvre des programmes universels et ciblés de soutien à la parentalité,
d’éducation précoce et de dépistage des troubles du comportement.
Article 8 – Lutte contre les causes structurelles
Des
politiques publiques coordonnées visent à réduire les inégalités
socio-économiques, l’exclusion et les conditions de vie propices au
développement de comportements nuisibles.
Titre IV –
Prévention secondaire et tertiaire
Article 9 – Programmes de réhabilitation
Les personnes
ayant commis des actes nuisibles bénéficient de programmes de réhabilitation
fondés sur les données probantes : thérapies cognitivo-comportementales,
formation professionnelle, accompagnement social.
Article 10 – Réinsertion progressive
La
réinsertion est organisée par étapes, avec un suivi post‑mesure pour réduire le
risque de récidive.
Titre V –
Transparence et évaluation
Article 11 – Évaluation scientifique
Toutes les
mesures de prévention, de traitement et de protection font l’objet
d’évaluations scientifiques régulières, rendues publiques.
Article 12 – Révision des pratiques
Les pratiques
judiciaires et pénitentiaires sont révisées à la lumière des résultats
scientifiques et des indicateurs de réduction de la récidive et de la
victimisation.
Titre VI –
Dispositions finales
Article 13 – Abrogations
Sont abrogées
toutes dispositions contraires à la présente loi, notamment celles fondées sur
la culpabilité rétributive.
Article 14 – Entrée en vigueur
La présente
loi entre en vigueur un an après sa promulgation, afin de permettre
l’adaptation des institutions judiciaires, pénitentiaires et sociales.
Références
scientifiques et philosophiques (sélection) :
- Libet, B.
et al. (1983). Time of conscious intention to act in relation to onset
of cerebral activity. Brain, 106(3), 623–642. - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/6640273/
- Soon, C.
S., Brass, M., Heinze, H. J., & Haynes, J. D. (2008). Unconscious
determinants of free decisions in the human brain. Nature
Neuroscience, 11(5), 543–545. - https://www.nature.com/articles/nn.2112
- Greene,
J., & Cohen, J. (2004). For the law, neuroscience changes nothing
and everything. Philosophical Transactions of the Royal Society B,
359(1451), 1775–1785. - https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15590618/
- Caruso,
G. D. (2021). Rejecting Retributivism: Free Will, Punishment, and
Criminal Justice. Cambridge University Press. - https://journals.publishing.umich.edu/jpe/article/id/3544/
- Farrington,
D. P., & Welsh, B. C. (2007). Saving Children from a Life of Crime:
Early Risk Factors and Effective Interventions. Oxford University
Press. - https://academic.oup.com/book/3818
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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous