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👉 Naturalisme Scientifique: ARTICLES (cliquer sur les titres ci-dessous)

  1. Présentation générale (1 et 2)
  2. Libre arbitre : KEZAKO ?
  3. Quelques citations de sceptiques concernant le Libre Arbitre
  4. Philosophie : des questions sans réponses ?
  5. Un Libre Arbitre... nécessaire ?
  6. Peut-on faire... autrement ?
  7. Les hypothèses au fil du Rasoir d'Ockham
  8. Libre Arbitre : une propriété émergente compatible avec la science ?
  9. Penser contre son cerveau
  10. Théorème du Libre Arbitre
  11. Délibération, décision... des preuves de Libre Arbitre ?
  12. Punir, sinon...
  13. Mais alors, sans culpabilité ni punition... que faire ?
  14. Les expertises psychiatriques en justice pénale : un scandale permanent
  15. Limite entre "santé" mentale et "pathologie" mentale
  16. Moi, moi, moi... Ayn Rand, la libertarienne adorée de Trump
  17. La sociologie, poil à gratter politique
  18. L'argument de la conséquence : conséquent ?
  19. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis... nous affirme "librement" Sartre
  20. Blog de Blob
  21. L'émergence de LENIA
  22. Sam Harris, un naturaliste spécialiste des neurosciences
  23. La science peut-elle aider à comprendre - voire infléchir - la moralité humaine ?
  24. Le côté obscur du Libre Arbitre
  25. Si un neuroscientifique nie le libre arbitre, comment peut-il rédiger un texte de consentement éclairé volontaire et proposer de le faire signer ?
  26. Le cerveau humain : normal... mais déficient
  27. Un sacré dilemme pour la "Morale"
  28. Fatalisme ? Fatal eror !
  29. Cellule de Mauthner, mouche... et Libre Arbitre
  30. Religions et enfants
  31. Un psychiatre sceptique du Libre Arbitre... à raison
  32. Steven Pinker nous explique le Libre Arbitre... mais mal
  33. Art, créativité, esthétique et naturalisme
  34. Combien de Mondes ? 8 milliards !
  35. Esthétique, éthique et toc (TikTok ?)
  36. Le peuple a-t-il toujours raison en démocratie ?
  37. Injustice, inégalité. Un traitement simple : les probiotiques !
  38. Immigration ? Emigration ? Remigration ?
  39. Sémantique, affects... politiques
  40. Violence, biais de négativité et extrême droite
  41. Changer les mots ou changer la réalité ?
  42. Banalité du mal
  43. Histoire : ni fierté, ni honte
  44. Chaos, entropie, origine de la vie.... et Dieu
  45. Bon Dieu, mais c'est bien sûr !
  46. Séparer l'Homme de l'Oeuvre ?
  47. Du pain et des jeux
  48. Wokisme et cancel culture
  49. Ame : la controverse
  50. Corrélation ou causalité : l'embrouille !
  51. Dennet et le compatibilisme
  52. Economistes fous
  53. Autain contre Fourest : me too
  54. Le cas Kane
  55. Rapport XZTF22
  56. Searle, arc en ciel et... Libre Arbitre
  57. Saucisse de Frankfurt et courant alternatif
  58. Peter van Inwagen ne sait pas ce qu’est le Libre Arbitre... mais il y croit ! 
  59. Au royaume des fous furieux 
  60. Dignité humaine
  61. L'humain : un "robot" biologique ?
  62. Libre arbitre et intention
  63. Une Liberté à géométrie variable
  64. Philosophie "expérimentale"
  65. Experts, compétence et idéologie
  66. Dieu est mort... mais le cadavre convulse
  67. Nationalisme versus mondialisme
  68. Neuro... politique
  69. Le corbeau croasse et l'Homme croit
  70. Phénoménologie : une arnaque phénoménale ?
  71. Libet et la liberté (de la volonté) : encore une contrariété !
  72. La démocratie "travaillée" à la tronçonneuse façon Milei !
  73. MISTRAL souffle sur le libre arbitre ontologique... et le fait disparaître !
  74. Vous ne trouvez pas qu'il commence à faire un peu chaud ?
  75. Sophisme, quand tu nous tiens !
  76. Mais comment peut-on être de droite ? 
  77. La République des juges ?
  78. Alors, les religions : bon ou pas bon ?
  79. Pourquoi l’IA est-elle haïe ?
  80. Eliminons ?
  81. Voilà une question qu'elle est bonne  !
  82. Qui mérite quoi ?
  83. Liberté d'expression
  84. Lucrèce : qui dit mieux ? Marc Aurèle ? Spinoza ?
  85. Coopération versus Trahison
  86. La Boussole de la Raison !
  87. Daniel Andler et la tentative de "dissolution" du libre arbitre !
  88. Matérialisme versus naturalisme 
  89. Sapolsky ! Enfin !!!!!!!!!!!!! 
  90. En avoir ou pas... des enfants

Présentation générale (1)

L'idéologie - terme bien trop souvent considéré négativement - est à nouveau l'éléphant au milieu de la pièce, notamment dans le contexte géopolitique actuel. 


De fait, entre spiritualisme (idéalisme) et naturalisme (matérialisme), il faut nécessairement "choisir" !
Que ce choix soit pleinement conscient ou non... (voir "MATÉRIALISME ou IDÉALISME" ?)

C'est ce que nous dit d'ailleurs Blaise Pascal, à raison : 

« Le juste est de ne point parier. Mais il faut parier. 
Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. »

Le naturalisme scientifique, également appelé physicalisme ou matérialisme scientifique, est une démarche philosophique - que l'on doit notamment au philosophe David Hume ("Traité de la nature humaine" - 1739*) - qui postule que tous les phénomènes observables dans l'univers, incluant les objets physiques, les propriétés mentales, les processus cognitifs et les expériences subjectives, les interactions sociales etc. peuvent être en principe expliqués exclusivement par des lois naturelles et des processus physico-chimiques (voir l'ouvrage de Daniel Martin).
N.B : le matérialisme du point de vue philosophique n'a rien à voir avec le matérialisme en tant que consumérisme !

Pour le philosophe Miguel Espinoza : 

« Concernant le naturalisme réaliste universel, la nature est un réseau compact de causes multiples et variées »

Autrement dit, rien n'existe hors du cadre de la nature et de la physique (déterministe et indéterminisme quantique), soit une position opposée au spiritualisme ou à l'idéalisme. 
Ce qui n'implique pas pour autant une "sacralisation" de la science qui se voudrait la nouvelle religion "positiviste" : la recherche des lois naturelles est laborieuse, exigeante, évolutive... à l'inverse des textes "sacrés" "révélés", datés, contradictoires et figés pour l'éternité... mais riches d'exégèses diverses destinées à atténuer  - à l'aune de notre morale actuelle - les horreurs "divines" des textes fondateurs.

Donc dans la conception philosophique naturaliste, toute action, pensée, intention, sensation etc. est le fruit des déterminations et indéterminations diverses (internes et externes à l'individu), en interactions permanente dans le cadre de la survie (théorie de l'évolution). Ce qui exclut toute possibilité de libre arbitre humain "réel" (ontologique), l'un des sujets les plus prégnants de l'humanité (voir "Libre arbitre : QUEZACO ?"

Et l'on ne peut pas faire l'économie de cette question de fond. Dans la vie quotidienne, il est indispensable de prendre des décisions et d'adopter des positions, même face à des questions complexes. L'hypothèse - de loin la plus crédible - est celle où la sensation de libre arbitre est une émergence de processus déterministes du cerveau, façonnée par l'évolution pour améliorer notre survie et notre capacité à naviguer dans des environnements sociaux complexes. Cette conception philosophique et scientifique permet d'expliquer comment nous percevons notre capacité à faire des choix tout en reconnaissant que ces choix sont déterminés par des facteurs génétiques et environnementaux. Cela suggère que, bien que nous ressentions une forme de liberté, celle-ci est en fait encadrée par des déterminismes sous-jacents, connus ou inconnus.

Le "cogito ergo sum" cartésien s'inverse et devient "sum ergo cogito" dans une vision naturaliste scientifique où l'existence est "première" et la pensée une "produit" - une propriété émergente - de l'existence ; non l'inverse. Descartes a séparé l'esprit du corps dans une dualité que scientifiquement plus personne ne reconnaît mais qui reste au cœur du concept de libre arbitre ontologique, alors que pour le Naturalisme Scientifique, tout provient du corps - esprit compris - en interaction avec l'environnement. 

Quelle réponse avez-vous à cette question cruciale : comment se fait-il que des spécialistes de tous domaines (philosophie, justice, économie, politique, sciences sociales...), bardés pourtant des mêmes diplômes, en viennent à prononcer des avis contraires, des convictions différentes si un libre arbitre survolait les déterminants de toutes sortes et avait le dernier mot d'un spécialiste à l'autre, indépendamment des diverses déterminations non choisies librement ? Tout le monde devrait être d'accord sur tout si ce libre arbitre était équitablement partagé et tout puissant chez les humains (à l'exceptions des malades mentaux qui n'en auraient plus ?). Et comme personne (ou presque) n'est d'accord avec son voisin, cela reviendrait à penser qu'il existerait autant de "libres arbitres" (LA) que d'individus ? Certains en auraient "beaucoup", d'autres moins... Ce qui, de fait, ressemble fort à un... déterminant ; soit l'inverse du LA ! 
Un peu comme " l'Esprit SAINT" - censé guider les cardinaux pour le meilleur choix de Pape - et qui leur souffle à l'oreille des noms différents. D'où des fumées noires pendant quelque temps... Joueur cet Esprit SAINT ! A moins que ce ne soient les déterminations cardinales différentes qui s'affrontent ? En fait, pas plus que les malades mentaux, les humains "normaux" et les cardinaux n'ont une faculté proprement surnaturelle, Libre Arbitre ou Esprit SAINT, en contradiction frontale avec les lois naturelles qui gouvernent toute matière ; cerveau compris

Cette perspective n'élimine pas pour autant l'importance de la responsabilité et de l'éthique dans nos actions. Au contraire, elle nous pousse à être plus compassionnels et compréhensifs envers les circonstances déterminantes des autres (humains comme animaux), tout en cherchant des moyens d'améliorer l'équité et la justice dans la société.

Au moment historique où se développent des concepts aussi aberrants que celui des vérités alternatives, des post-vérités où chacun s'enferme dans sa bulle de convictions irrationnelles ("grâce" aux réseaux sociaux notamment), la recherche d'un socle commun semble une nécessité urgente et absolue dans le cadre d'une laïcité étendue et d'un contrat social acceptable par tous. 

Soit un universalisme inclusif - qui ne nie pas les identités - mais qui abandonne les énoncés métaphysiques (transcendance / ontologie / qu'est-ce que l'être ? / quelle est la nature de la réalité ? / dieu existe-t-il ? / l'âme est-elle immortelle ? etc.) dépourvus de sens et non vérifiables empiriquement. 

Pourrait-on enfin focaliser notre réflexion sur ce que l'on sait plutôt que sur ce que l'on ne sait pas ? Car le choix entre spiritualisme et matérialisme est tout sauf une discussion de salon en fin de soirée. Les conséquences sont "déterminantes" pour l'humanité et son écosystème à l'heure de la bombe nucléaire, des massacres en tous genres, du "moi d'abord" contre tous les autres...

Ci-dessous un vidéo de Présentation générale (1) suivie  d'une seconde partie (Présentation générale 2) concernant les conséquences sociales, économiques, politiques, judiciaires etc. de cette approche philosophique et scientifique permise par le naturalisme scientifique.

Autre possibilité : voir la chaîne Youtube présentant 9 vidéos.

Bonne lecture !

Cliquer sur le carré en bas à droite de l'écran vidéo 
pour la voir en plein écran



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"Présentation générale 2"
Dans cette vidéo, il sera question des conséquences du Naturalisme Scientifique. 


Terminons sur une petite note d'humour avec cette vidéo du trop méconnu Didier Bénureau et ses 400.000 francs : une ode à la survie au sens large
Survie qui passe ici par l'accumulation de pâtes en vue de pénuries possibles (guerre etc.) ; rivalités et "distinction" afin de s'extraire de la "masse" en montrant sa supériorité... 
Au delà du sketch, cette survie à tout prix est omniprésente dans les concepts humains de moralité, de justice, de droit, de solidarité, des sciences (biologie et psychologie évolutionnaires, médecine...), des religions (vie éternelle) etc. 
Toute vie humaine (et animale) est peu ou prou centrée sur cette recherche permanente de la survie. 
C'est globalement ce que ce blog tente humblement d'explorer 😇

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" 
centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... 
en cliquant sur l'image ci-dessous


En avoir ou pas... des enfants

La natalité connaît une baisse significative dans de nombreux pays, y compris en France, où le taux de fécondité est passé de 2,03 enfants par femme en 2010 à 1,68 en 2023, selon l’Insee.

Ce phénomène, souvent qualifié de « baby crash », reflète un écart grandissant entre le désir de parentalité et sa réalisation. En effet, bien que 70 % des Français de moins de 35 ans expriment le souhait de devenir parents, la fécondité observée reste inférieure aux aspirations (2,27 enfants souhaités contre 1,7 réalisés en moyenne). 

Pablo Picasso « Être ou ne pas être » - 1912

L’un des principaux freins à la parentalité est le coût élevé lié à l’éducation des enfants. Une enquête de l’ONU menée en 2025 dans 14 pays révèle que 39 % des personnes interrogées renoncent à avoir des enfants pour des raisons économiques, citant le coût du logement, de l’éducation et des dépenses quotidiennes. En France, 28 % des parents ayant renoncé à avoir un enfant supplémentaire mentionnent le coût financier comme un obstacle majeur. L’inflation, la précarité de l’emploi et les difficultés d’accès à un logement adapté (54 % des Français estiment qu’un logement adéquat est une condition préalable à la parentalité) accentuent cette insécurité économique.

Les contraintes temporelles, liées à des rythmes de travail exigeants et à des temps de transport accrus, limitent la capacité des couples à envisager un enfant supplémentaire. En France, 57 % des personnes considèrent qu’être en couple stable est une priorité avant d’avoir un enfant, mais la difficulté à concilier vie professionnelle et familiale est un obstacle majeur, particulièrement pour les femmes. Les pays où les femmes peuvent concilier travail et parentalité affichent des taux de natalité plus élevés que ceux où ce soutien est moindre.

Les préférences individuelles et les évolutions sociétales jouent un rôle clé. La parentalité n’est plus perçue comme une obligation sociale, et l’épanouissement personnel est souvent privilégié. En France, 30 % des femmes en âge de procréer déclarent ne pas vouloir d’enfants, un chiffre en forte hausse (de 2 % en 2006 à 13 % en 2022, selon l’Ifop). Les raisons incluent le désir de liberté (14 % citent l’entrave à l’épanouissement personnel) et la peur de perdre son indépendance

Les inégalités dans la répartition des tâches domestiques et parentales découragent certaines femmes. Une étude de 2022 (Ifop/Elle) montre que 18,6 % des femmes de moins de 36 ans citent le travail excessif à la maison et 20,9 % la difficulté à concilier travail et famille comme raisons de repousser ou d’abandonner la maternité. Le burn-out maternel, ressenti par 51 % des mères interrogées, renforce cette réticence.

La crise climatique influence de plus en plus les décisions de procréation. Une étude suédoise de 2017 (Environmental Research Letters) indique qu’un enfant dans un pays occidental génère environ 58 tonnes de CO2 par an, incitant certains à adopter une démarche « childfree » pour réduire leur empreinte carbone. En France, 11 % des personnes sans enfants citent l’environnement comme raison, et 39 % des femmes de moins de 36 ans mentionnent la crise climatique comme un facteur dissuasif. Le mouvement « Ginks » (Green Inclination, No Kids) gagne en visibilité, bien que son impact reste minoritaire, représentant moins de 5 % des décisions de ne pas avoir d’enfants, selon l’Ined.

Les incertitudes géopolitiques, les crises sanitaires et les tensions sociales alimentent une vision pessimiste de l’avenir. En France, 30 % des parents ayant renoncé à un enfant supplémentaire invoquent leur inquiétude face à l’évolution du monde. Comme l’explique Didier Breton, démographe, « la décision d’avoir un enfant est liée à une vision optimiste de l’avenir à long terme », une perspective compromise par les crises récentes (Covid-19, inflation, guerre en Ukraine).

L’augmentation de l’âge moyen des mères (31 ans en 2022 contre 29,4 il y a 20 ans, selon l’Insee) réduit la période de fertilité. En France, 22 % des parents citent des problèmes de fertilité comme raison de ne pas avoir plus d’enfants. De plus, le recours croissant à des contraceptions définitives, comme la vasectomie ou la ligature des trompes (plus de 50 000 cas en 2022), reflète une volonté de certains de fermer définitivement la porte à la parentalité.

La baisse de la natalité pose des défis économiques, notamment pour le financement des retraites et des systèmes de santé, dans un contexte de vieillissement démographique (en 2018, le nombre de personnes de plus de 65 ans a dépassé celui des moins de 5 ans, selon l’ONU). Les politiques publiques, comme les congés parentaux bien indemnisés, les crèches accessibles ou les aides financières, peuvent réduire les contraintes économiques et temporelles. Cependant, leur impact reste limité face aux préférences individuelles et aux normes sociales. En France, malgré un système de soutien familial relativement robuste, la fécondité continue de baisser, suggérant que les solutions doivent également adresser les préoccupations culturelles et environnementales.

En dehors de ces conditions conjoncturelles, il existe une question plus profonde, d'ordre philosophique : de quel "droit" peut-on, doit-on faire des enfants ? Car les avancées scientifiques (contraception, pilule du lendemain, IVG etc.) permettent d'éviter - dans les pays qui peuvent en "profiter" économiquement et culturellement - ce qui a longtemps été considéré comme une fatalité : l'enfant non désiré. 

 Dans son ouvrage "De l’inconvénient d’être né" (1973), le philosophe Emil Cioran pose une question radicale : pourquoi être né si la vie est une succession de souffrances, d’absurde et de désillusions ? Pour lui, naître est une « catastrophe originelle », un événement imposé sans consentement, qui plonge l’individu dans des conditions où la conscience de sa propre finitude devient une source d’angoisse. « Tout est douleur, le reste est évasion », écrit-il, soulignant que les plaisirs de la vie ne sont que des distractions temporaires face à l’inéluctabilité de la mort et de la souffrance. Pour lui, « naître, c’est s’inscrire dans une loterie dans laquelle on ne peut pas gagner ». Dans ce cadre, choisir de ne pas procréer peut être vu comme un acte de résistance face à l’absurde.

La pensée de Cioran s’inscrit dans une tradition pessimiste, influencée par Schopenhauer, pour qui la vie est dominée par le « vouloir-vivre », une pulsion aveugle hormonale et culturelle qui enchaîne l’individu à un cycle de désirs insatisfaits. Schopenhauer ne prône pas explicitement l’arrêt de la procréation, mais son pessimisme métaphysique pose la question de la justification éthique de donner la vie. Si la souffrance est inévitable, pourquoi imposer l’existence à un autre être ? Faire naître une conscience est un acte grave car, même si l'on est soi-même satisfait de vivre, qu'en sera-t-il de cette vie à venir d'un autre qui peut tout aussi bien souffrir (maladie / mal être "existentiel"...) que d'être globalement heureux d'être en vie ? Un adolescent qui rechigne aux injonctions parentales peut très bien rétorquer qu'il n'a pas demandé à vivre et qu'on lui foute la paix. Un philosophe en herbe !

Le philosophe David Benatar présente l'argument contemporain le plus connu dans ce sens dans son livre inspiré de Sophocle "Better Never to have Been" (2006) :

"Il est curieux de constater que, même si les bonnes personnes font tout leur possible pour épargner à leurs enfants la souffrance, peu d’entre elles semblent remarquer que le seul (et unique) moyen garanti d’empêcher toutes les souffrances de leurs enfants est de ne pas les faire naître en premier lieu."

Nos propres gènes sont-ils à ce point bons qu'il est essentiel de les reproduire ? Le scientifique (biologiste) Richard Dawkins...

...dans son ouvrage "Le gène égoïste" nous incite à penser - mais ce n'est bien évidemment qu'une image - que ce sont sont nos gènes qui se servent de nous comme "enveloppe" pour se reproduire à tout prix. Ils peuvent ainsi prétendre - eux - à l'éternité, alors que concernant l'enveloppe, on sait bien ce qu'elle devient en quelques années.

Mais la plupart des jeunes gens ne se posent pas trop ces questions philosophiques, motivés qu'ils sont par le taux des hormones, les injonctions sociétales / familiales ("Alors, toujours pas d'enfants ? C'est tellement gentil les enfants !"). Ce qui contraste avec les quelques discussions qu'on peut avoir ici ou là avec des parents qui "regrettent" leur décision de parentalité dans leur jeunesse... 

Petite parenthèse : où est le libre arbitre dans toutes ces décisions décisives, si variable - s'il existait - d'un individu à l'autre ?

Et puis, il n'existe pas seulement la transmission génétique dans le cadre de l'évolution. La composante culturelle est particulièrement importante s'agissant de l'humain. De grands hommes comme Newton, Tesla, Kant, Leibniz, Pascal, Spinoza, Hume, Kierkegaard, Nietzsche, Hobbes… n'ont jamais eu d'autres enfants que des idées et des travaux qui ont fait avancer la philosophie et les sciences dont nous avons bien besoin.

Finalement, l'antinatalisme contemporain, alimenté par des crises globales, prolonge ces réflexions en posant des questions éthiques sur la procréation. Cet antinatalisme est parfois accusé d’ignorer les contextes culturels et sociaux : dans certaines sociétés, avoir des enfants est une nécessité économique ou un pilier identitaire, rendant l’idée de « ne pas faire naître » difficile à appliquer universellement. Qui va donc s'occuper de nous, âgés, sans couverture sociale ?

Mais si naître peut être un fardeau, c’est peut-être aussi une opportunité de créer du sens dans un univers indifférent (sauf pour les croyants de n'importe quelle religion), mais cela ne répond que bien peu à la question de fond. 

Ultimement, la réponse dépend de chacun, à une certaine époque, dans un environnement donné : accepter ou non le défi de l’existence pour soi-même, et accepter ou refuser de transmettre la vie.

Lecture connexe : "Dois-je avoir des enfants ? Voici ce que disent les philosophes."

Réf :

  • Cioran, E. (1973). De l’inconvénient d’être né.
  • Schopenhauer, A. (1819). Le Monde comme volonté et comme représentation.
  • Nietzsche, F. (1883-1885). Ainsi parlait Zarathoustra.
  • Benatar, D. (2006). Better Never to Have Been.
  • Insee, Bilan démographique 2023.
  • The Lancet, Étude sur l’éco-anxiété, 2021.

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Sapolsky ! Enfin !!!!!!!!!!!!!!!!!!

Mieux vaut tard que jamais. Le dernier ouvrage de cet éminent scientifique - Robert Sapolsky - est enfin disponible en traduction française.

Il devient difficile de résister aux arguments implacables développés dans l'ouvrage (voir descriptif de l'ouvrage ci-dessous). Le seul moyen est probablement d'éviter de telles lectures ou de faire preuve d'une mauvaise "foi" absolue. 

Un livre à obligatoirement examiner, disséquer, discuter en cours de philo !

Pour les (trop rares) curieux du fonctionnement humain : excellente lecture 😏 de 582 pages...

Descriptif de l'ouvrage 

Ce livre propose une exploration approfondie de l'idée que le libre arbitre est une illusion, basée sur des preuves scientifiques issues des neurosciences, de la génétique, de la psychologie et de la sociologie. 

Sapolsky, neuroscientifique et professeur à Stanford, soutient que nos pensées, sentiments et comportements sont entièrement déterminés par des facteurs biologiques (génétique, neurobiologie) et environnementaux (expériences, culture, contexte socio-économique), sur lesquels nous n'avons aucun contrôle au sens de libre arbitre ontologique (à ne pas confondre avec la sensation de volonté libre). Le livre combine une synthèse scientifique rigoureuse avec une réflexion philosophique et éthique sur les implications de cette vision. 

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Première partie : La science du déterminisme

Sapolsky commence par poser les bases scientifiques de son argument contre le libre arbitre, en s'appuyant sur des décennies de recherches en neurosciences et en biologie comportementale. Cette partie est dense en explications scientifiques, mais accessible grâce au style clair et souvent humoristique de l'auteur.

Introduction : L'illusion du libre arbitre

Sapolsky introduit l'idée centrale : tout ce que nous faisons est le résultat d'une chaîne causale de facteurs biologiques et environnementaux. Il utilise l'analogie des "tortues jusqu'en bas" (turtles all the way down) pour illustrer que chaque action humaine peut être expliquée par des causes antérieures, sans espace pour une intervention "libre".

Il pose la question : si nos actions sont prédéterminées, qu'est-ce que cela signifie pour notre compréhension de la responsabilité, de la moralité et de la justice ?

Les mécanismes biologiques du comportement

Neurosciences : Sapolsky explique que nos décisions sont prises par le cerveau avant que nous en soyons conscients. Des études montrent que l'activité neuronale précède la prise de conscience d'une décision, suggérant que notre esprit conscient rationalise des choix déjà faits par des processus inconscients.

Génétique : Nos gènes influencent notre personnalité, notre intelligence, nos comportements à risque et même nos préférences. Par exemple, des variations génétiques peuvent prédisposer à l'agressivité ou à la dépression.

Hormones et neurobiologie : Les niveaux d'hormones comme le cortisol (lié au stress) ou la testostérone modulent nos comportements. Sapolsky s'appuie sur ses recherches sur les babouins pour montrer comment les hiérarchies sociales influencent les niveaux de stress et, par extension, les comportements.

L'impact de l'environnement

Les expériences, notamment celles de l'enfance (traumatismes, éducation, pauvreté), façonnent profondément nos comportements. Par exemple, l'exposition à la violence peut altérer les circuits cérébraux liés au contrôle des impulsions. Le contexte socio-économique, la culture et les interactions sociales jouent un rôle déterminant. Sapolsky insiste sur l'interaction entre gènes et environnement : aucun des deux n'agit isolément.

Chaos et complexité

Sapolsky aborde la théorie du chaos pour montrer que, bien que les systèmes biologiques et sociaux soient déterministes, leur complexité rend la prédiction des comportements humains pratiquement impossible. Cela ne contredit pas le déterminisme, mais souligne ses limites pratiques.

Il démystifie l'idée que l'indéterminisme quantique pourrait offrir un espace pour le libre arbitre, arguant que les processus quantiques n'ont pas d'impact significatif sur les comportements macroscopiques.

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Seconde partie : Les implications du déterminisme

La seconde moitié du livre explore les conséquences philosophiques, éthiques et sociales de l'absence de libre arbitre ontologique. Sapolsky ne se contente pas de démontrer scientifiquement le déterminisme ; il propose une vision humaniste pour repenser notre société.

Repenser la responsabilité et la moralité

Sans libre arbitre ontologique, les notions traditionnelles de responsabilité et de blâme perdent leur fondement éthique. Sapolsky argue que punir quelqu'un pour ses actions n'a de sens que dans une perspective instrumentale (par exemple, protéger la société), mais pas morale.

Il propose un modèle de "quarantaine sanitaire" pour le système judiciaire : au lieu de punir, il s'agirait de réhabiliter ou de protéger, en reconnaissant que les comportements criminels sont le résultat de facteurs hors du contrôle de l'individu (par exemple, des troubles neurologiques ou des environnements toxiques).

Une société plus humaine

Sapolsky soutient que reconnaître l'absence de libre arbitre peut mener à une société plus empathique et équitable. Si personne n'est fondamentalement "coupable" de ses succès ou de ses échecs, cela encourage à réduire les jugements moraux et à se concentrer sur la prévention des comportements nuisibles (par exemple, en améliorant les conditions sociales).
Il donne des exemples concrets : une meilleure compréhension des causes biologiques et environnementales des troubles mentaux ou de la criminalité pourrait orienter les politiques publiques vers la réhabilitation plutôt que la punition.

Vivre sans libre arbitre

Sapolsky reconnaît que vivre en acceptant le déterminisme est difficile, car notre biologie nous pousse à croire en notre agency (agentivité). Cependant, il argue que cette perspective peut être libératrice : elle réduit la haine, le blâme et la culpabilité, et favorise le pardon.

Il partage des anecdotes personnelles, comme son expérience avec la dépression, pour illustrer comment comprendre les causes biologiques de nos états mentaux peut apporter du soulagement.

Structure et style

Le livre est divisé en deux grandes parties : la première se concentre sur les preuves scientifiques, la seconde sur les implications. Les chapitres sont thématiques, avec des titres évocateurs comme "Des tortues jusqu'en bas" ou "D'où vient l'intention ?".

Sapolsky est connu pour son écriture vivante, mêlant rigueur scientifique, humour décalé et humanité. Il rend les concepts complexes accessibles et engageants, tout en intégrant des références culturelles et des anecdotes tirées de ses recherches sur les babouins ou de sa vie personnelle.

Idées principales (synthèse des 8 points clés selon StoryShots)

  1. Les décisions sont prises par le cerveau avant que nous en soyons conscients.
  2. L'esprit conscient rationalise souvent des choix déjà faits inconsciemment.
  3. Les gènes influencent la personnalité, l'intelligence et les comportements à risque.
  4. Les expériences (traumatismes, éducation) ont un impact profond sur nos pensées et actions.
  5. Les interactions entre biologie et environnement déterminent nos comportements.
  6. Les preuves scientifiques montrent que nos actions sont dictées par des facteurs hors de notre contrôle.
  7. Sans libre arbitre, il faut repenser la punition, la responsabilité et la moralité.
  8. Un monde sans libre arbitre pourrait être plus humain, avec moins de blâme et plus d'empathie.

Réception et critiques

  • Éloges : Le livre a été salué pour son érudition, son style captivant et sa capacité à rendre des idées complexes accessibles. Il a été sélectionné parmi les meilleurs livres de 2023 par The Washington Post et The Wall Street Journal, et décrit comme une "performance magistrale" par The Guardian.
  • Critiques : Certains, comme le philosophe Adam Piovarchy, reprochent à Sapolsky de réduire le libre arbitre à une question purement scientifique, négligeant les dimensions métaphysiques et morales (voir  les arguments de Piovarchy et ma réponse en fin d'article). D'autres trouvent que les implications pratiques de sa vision (par exemple, pour le système judiciaire) resteraient floues ou utopiques (ce qui n'est absolument pas mon avis !)
  • Controverses : Le déterminisme radical de Sapolsky suscite des résistances, car il remet en question des croyances profondément ancrées sur l'autonomie individuelle. Certains craignent que cette vision mène à une forme d'amoralité, alors même que Sapolsky insiste sur le contraire !
Quelques titres et récompenses :
- Bourse MacArthur
- Prix Lewis Thomas pour l'écriture scientifique
- Prix Carl Sagan pour la vulgarisation scientifique
- Prix " Emperor Has No Clothes "
- Prix de la Société Américaine de Physiologie
- Bestseller du New York Times
- Sélection parmi les meilleurs livres de l'année (The Washington Post, The Wall Street Journal)
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Adam Piovarchy nous dit : 
"Tant que vos actions viennent de vous de manière pertinente (même si « vous » avez été « déterminé » par d'autres facteurs), vous êtes considéré comme doté du libre arbitre. Lorsque vous êtes attaché par une corde, la décision de ne pas sauver l'enfant qui se noie ne vient pas de vous. Mais lorsque vous ne vous souciez tout simplement pas de l'enfant, elle vient de vous."
Mais d'où sort-il  que le fait qu'une décision vienne de "nous" doit être lié à un libre arbitre que Piovarchy ne définit d'ailleurs pas ? 
Attaché sur la chaise ? On parle de liberté d'action / politique... alors que sans entrave, on parle d'un choix qui serait "libre" (liberté de la volonté). 
Dans les deux cas, il s'agit bien de "nous", entravé ou pas, déterminé dans tous les cas par notre passé au sens large ; entrave comprise dans un cas et non dans l'autre.

Comme pour tout philosophe fâché avec la science, Piovarchy affirme que "Le libre arbitre n’est pas une question scientifique". Ah bon ? Que des études scientifiques montrent que la moralité humaine ne tombe pas du ciel mais est en lien avec des déterminants ancestraux (voir "Un sacré dilemme pour la "Morale" !) : c'est à mépriser parce que non "métaphysique" ? 

Piovarchy : un philosophe spiritualiste qui s'ignore ? 

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous

Daniel Andler et la tentative de "dissolution" du libre arbitre !

Daniel Andler est une figure éminente de la philosophie française, ancien mathématicien et actuellement Professeur Émérite à Sorbonne Université, ainsi que membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Ses intérêts de recherche se concentrent principalement sur les fondements des sciences cognitives et leurs implications pour la compréhension des affaires humaines, avec une attention particulière portée aux modèles de l'esprit, au rôle du contexte / situation et au raisonnement. 

La position de Daniel Andler sur le libre arbitre humain ne se réduit pas à une simple affirmation ou négation de son existence, ni ne s'inscrit clairement dans les catégories traditionnelles du compatibilisme ou de l'incompatibilisme. Au contraire, son approche se veut une posture nuancée caractérisée par un "naturalisme critique" - que d'autres taxeraient de naturalisme honteux - qui vise à intégrer les avancées des sciences cognitives et de l'intelligence artificielle tout en préservant un espace distinct et irréductible pour l'agentivité humaine (= contrôle, intentionnalité et activité que l'individu exerce sur le monde extérieur), la conscience et la responsabilité morale. Andler propose une démarche méta-philosophique qui cherche à "dissoudre" le problème traditionnel du libre arbitre plutôt qu'à lui apporter une solution directe.

On peut s'interroger sur ce "choix" de statut quo se résignant à vouloir dissoudre un problème philosophique qui n'aurait pas trouvé de consensus depuis 2000 ans alors que les conséquences humaines et sociales de l'existence ou non d'un libre arbitre ontologique sont des plus prégnantes (notamment culpabilité et punitions versus simple responsabilité). Daniel Andler souligne pourtant que les sciences humaines deviennent plus robustes et pertinentes pour les questions sociétales, et que le naturalisme joue un rôle important dans cette évolution. Mais il considère qu'il faut ériger des limites à la naturalisation complète des phénomènes humains. 

Andler considère que les agents humains ne sont pas simplement déterminés causalement à suivre les normes et qu'ils possèdent la capacité de choisir de s'y conformer ou non. Le comportement normatif humain ne saurait être entièrement réduit à une explication purement naturaliste. Toujours pour cet auteur, si les actions humaines font partie du monde naturel, notre connaissance et notre explication de la manière dont les humains prennent des décisions dans des contextes complexes et singuliers ne peuvent être entièrement saisies par les méthodes scientifiques naturalistes actuelles. Ainsi, l'agentivité humaine introduit un niveau de contingence et de particularité qui ne peut être entièrement prédit ou expliqué par les seules lois naturelles générales. Il soutient que les sciences humaines comprennent une composante essentielle idiothétique (dispositions personnelles, ne s'appliquent qu'à certaines personnes) et descriptive qui est connectée, mais seulement partiellement, au réseau de régularités et de contraintes mis en lumière par leurs sous-disciplines naturalistes. Pour lui, l'agentivité, la conscience et le libre arbitre ne peuvent se résumer à des processus purement physiques ou biologiques. Question : mais quels sont donc les éléments naturalistes qui échapperaient au monde physique (et biologique) ? Aucune réponse à ce stade... ni pas la suite.

Certes, évidemment, l'Humain, comme l'animal d'ailleurs, fait des choix, des centaines voire des milliers, tous les jours, conscients, inconscients ou réflexes. La question est justement de savoir si ces choix peuvent - même partiellement - être libres de toute détermination interne comme externe, consciente comme inconsciente. Si les lois naturelles s'appliquent toujours et partout, ce dont ne doute pas Daniel Andler je présume, il ne reste aucune place pour un libre arbitre ontologique qui défierait ces lois. Et ce n'est pas parce que "les humains prennent des décisions dans des contextes complexes et singuliers, décisions qui ne peuvent être entièrement saisies par les méthodes scientifiques naturalistes actuelles" qu'il existerait des trous spiritualistes dans la causalité. La science passe son temps à boucher ces trous avec des explications de plus en plus sophistiquées, et il faut se faire à l'idée que nous risquons de ne jamais connaître "tout" ; ce qui laisse de beaux jours aux fervents du Dieu bouche-trou ou des lacunes (Nietzsche), ainsi qu'aux asiles des ignorances (Spinoza).

Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour passer par dessus bord le naturalisme strict, seul paradigme permettant un semblant de connaissance ? Le philosophe mathématicien Andler se pose, comme beaucoup, ce type de question : un meurtrier pourra-t-il dire au tribunal que c'est son cerveau qui a commandé son geste criminel, et qu'il faut donc soigner son cerveau plutôt que trancher la tête (ou enfermer le corps) ? Cet exemple souligne l'importance des implications éthiques, juridiques et sociétales si le libre arbitre ontologique et la culpabilité morale (et non la responsabilité) devaient être entièrement détruits par une explication scientifique purement naturaliste. La réponse naturaliste est assez simple et cohérente : oui, il faut soigner le cerveau plutôt que trancher la tête, tout en mettant hors d'état de nuire le délinquant ou meurtrier dans des conditions respectant les droits de l'humain. Il ne sera libéré que lorsque le degré de dangerosité sera jugé compatible avec la vie sociale au sens large (voir "Que faire ?")

Concernant l'IA, Andler rejette la notion d'une "superintelligence" éventuelle de la machine comme étant une croyance issue de la science-fiction, la décrivant comme un "concept faussement intangible" qui gagne une plausibilité indue par sa longue présence dans la fiction. A l'inverse de cet auteur, d'autres annoncent que nous poserons bientôt des questions à l'IA et que notre intelligence humaine limitée sera insuffisante pour "comprendre" les réponses ! Si l'on tient compte de l'énormité des connaissances fournies à une IA sans cesse améliorée, cette projection concernant une éventuelle superintelligence n'est pas à écarter d'emblée. D'ailleurs, quel pourcentage de l'humanité comprend "réellement" l'équation E=mc², comment "marchent" le téléphone et l'IRM, comment notre cerveau crée des images pour combler la tache aveugle dans notre vision etc. On vit avec toutes ces ignorances sans grandes difficultés, et mon hubris supporte très bien l'existence de machines ou d'humains plus intelligents que moi ; en fait un atout de taille pour ma (notre) survie.

Andler a raison de mettre l'accent sur les différences actuelles entre l'humain et l'IA concernant les qualia, la sensibilité, les émotions - absentes chez l'IA - alors que l'Humain possède un corps sensible et une histoire évolutive, soit des compétences émotionnelles et sociales essentielles pour l'intelligence humaine. Mais rien n'empêchera à l'avenir certains spécialistes de doter l'IA de récepteurs idoines, par exemple concernant l'odorat....

Reste à savoir si ces avancées éventuelles sont souhaitables. En particulier, faire naître chez l'IA un instinct de survie comme il existe chez l'Humain (et l'Animal) pourrait - étant donné la puissance de ces machines - poser de sérieux problèmes. Chez l'Humain déjà, certains instincts fantasmés de survie et/ou de grandeur peuvent conduire à des atrocités (restauration de l'empire russe...).

Pour en revenir au libre arbitre, la mention explicite de la thèse de doctorat (encadrée par Daniel Andler) de Stefano Cossara, "Pour un quiétisme pragmatique : en finir avec le débat sur le libre arbitre", est très révélatrice de l'approche méta-philosophique de ce dernier. L'objectif de la thèse - "Dissoudre le problème du libre arbitre plutôt que de le résoudre" -, s'inspirant de l'approche "négative et thérapeutique'" de Wittgenstein qui attribue les problèmes philosophiques à une confusion dans l'usage des mots, suggère fortement qu'Andler approuve, ou du moins explore activement, une refonte du débat sur le libre arbitre. Ce "quiétisme pragmatique" implique que la dichotomie traditionnelle déterministe/libertarienne pourrait être un problème mal posé découlant d'ambiguïtés linguistiques ou conceptuelles, plutôt que d'une véritable énigme métaphysique nécessitant une solution définitive. Cela s'aligne avec son "naturalisme critique" en suggérant qu'une explication scientifique complète pourrait ne pas résoudre le problème philosophique du libre arbitre de manière directe, mais plutôt nécessiter une clarification des concepts eux-mêmes, préservant ainsi la signification pratique et éthique du libre arbitre sans avoir besoin de trouver une "solution" au sens traditionnel.  Autrement dit, arrêtons de discuter du sujet puisque personne ne l'a résolu, ce qui restaure une certaine quiétude peut-être... mais ne résout toujours pas la question de savoir si l'on est en droit de punir ; ce qui renforce le statu quo actuel qui est bien celui de punir, punir et encore punir (voir "PUNIR, sinon...").

Ne pas prendre position est une prise de position. 

Daniel Andler est de fait compatibiliste ("les déterminants... mais pas que" ou '"les lois naturelles... mais pas que"), tout en se déclarant naturaliste... Nous ne sommes pas à une incohérence près sur ces sujets. 

Au passage, la confusion linguistique /conceptuelle entre la responsabilité (doit rendre des comptes) et la culpabilité (aurait pu faire autrement) est malheureusement la norme, tout particulièrement chez les anglo-saxons. Il faut pourtant bien séparer la responsabilité (c'est bien cet homme qui a tué un passant au hasard) de la culpabilité (il est schizophrène et "en crise", donc non coupable... mais responsable évidemment). Pratiquement toutes les études en philosophie expérimentale concernant le concept de libre arbitre questionnent les sujets sur la responsabilité - par exemple et pour simplifier - d'un criminel avéré. Les réponses sont : "oui il est responsable". Les chercheurs en déduisent que la majorité des sujets questionnés croient en un libre arbitre "réel". Bien évidemment qu'il est "responsable" ! Mais la question n'est pas celle-ci mais celle-là : aurait-il pu faire autrement ?

La confusion - déjà précisée - entre un choix et un choix libre n'est pas sans brouiller la réflexion.

Une autre confusion délétère est celle assimilant autonomie et libre arbitre. L'animal est autonome dans son milieu naturel, sans libre arbitre pour autant, même pour les plus croyants dans cette chimère métaphysique. 

Sans oublier la confusion permanente entre la sensation de liberté de la volonté que tous les humains ressentent au quotidien et la réalité ontologique d'un libre arbitre qui n'a pas de place dans le naturalisme, même critique. L'étude de Darby (2018) a bien montré le connectome reliant l'aire cérébrale qui nous donne la sensation d'agentivité avec une autre aire concernant la volition (voir "Dennet et le compatibilisme"). La sensation de libre arbitre est affaire de neurones et de synapses ; rien de plus, rien de moins.

Finalement, Daniel Andler pense que le libre arbitre « réel » ontologique reste une question ouverte que nous n’arriverons jamais à cerner complètement[1]. Comme d'ailleurs Dieu, l'origine de l'univers (multivers ?), la nature "réelle" - en soi - des choses etc. Ce qui n'est pas une raison pour ne pas prendre position à partir de ce que l'on sait quand des conséquences plus ou moins funestes pour la vie (survie) humaine sont en jeu, comme c'est le cas pour cette question du libre arbitre qui ne peut pas être "dissoute"... sauf à considérer qu'il ne peut tout simplement pas exister dans un paradigme naturaliste - critique ou non - et d'en tirer les conclusions qui s'imposent !

Du fait des connaissances scientifiques que nous avons acquises avec le choix d'un paradigme naturaliste (même "critique") plutôt que spiritualiste : la charge de la preuve est du côté du croyant, ici comme ailleurs. 

Et croire que l'on peut simplement dissoudre le sujet : c'est tout de même un peu court.

[1] « Quelle place pour le naturalisme dans le monde d'aujourd’hui ? » - podcast 

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Et pour aller plus loin, le livre "La dernière blessure" centré sur la notion du libre arbitre (illusoire)... en cliquant sur l'image ci-dessous